Baptist ♔ I need to breathe

Elle quitte le bureau rapidement comme il est déjà l'heure pour aller d'aller récupérer les enfants à l'école, à la fin des activités périscolaires proposées par l'établissement fréquenté par Adeline Koenig, neuf ans et Oliver, six ans. Comme d'ordinaire, les journées de la mère de famille et rédactrice en chef sont rythmées par l'école et les activités de ses enfants, alors qu'elle est obligée de s'adapter aux absences de son mari, au manque d'investissement et d'aide de la part de ce dernier. Elle sacrifie sa carrière au profit de celle de son époux, ou sa santé, pour parvenir à tout faire en une seule journée, toutes ces choses que l'on attend d'elle. Ces choses, telles que s'occuper de ses enfants, leur faire faire les devoirs, surveiller leur alimentation, entretenir son corps comme une femme qui se respecte... Mener de front sa carrière et sa vie de famille, tout en restant toujours au top niveau, en offrant une image élégante de sa personne. Une vie bien remplie, à milles à l'heure, pour pouvoir tout faire. La recette, peut-être, pour ne pas craquer, pour s'occuper l'esprit et ne pas penser aux absences d'Owen, à l'échec de sa vie qu'elle a de plus en plus l'impression d'avoir raté, à l'approche de la quarantaine et pour laquelle elle n'a plus de goût. Elle s'est ternie Valentina, au contact d'un mari qui ne la fait plus rêver, qui l'évite. Et pourtant, elle l'aime son époux fantomatique, et elle aime ses enfants. Elle donnerait cher pour retrouver sa joie de vivre et son optimisme d'antan.

Elle arrive à deux pas de l'école, cherchant une place pour le M6 immaculé qu'elle gare un peu à l'écart des autres voitures parfois un peu cabossées et elle rejoint le portail pour attendre son petit dernier, Oliver. C'est là que son cœur s'arrête, manquant un battement, alors qu'elle aperçoit le visage d'un homme qu'elle reconnaîtrait entre mille. Quatre ans d'une belle et folle histoire d'amour que seule la distance a put mettre à terre, cela ne s'oublie pas. Valentina l'observe, comme on observerait un rêve, avec la conviction intime que ce n'est pas vrai. Elle a probablement imaginé ce visage dans la foule de parents qui attendent. Elle ferme les yeux. Mais quand elle les rouvre, Baptiste est toujours dans son champ de vision. Elle déglutit, alors que son souffle est coupé, comme l'on souffle après un marathon. Le choc est violent. La vision est perturbante. Elle ne s'attendait pas à le voir, lui, si loin de Berlin où ils se sont connus, où ils se sont aimés. Elle le pensait resté en France après ses études. Il faut croire que ce n'est pas le cas.

Elle est clouée sur place, toute à son observation et tout son être lui donne l'impression de manquer d'air, comme l'on en manquerait devant une personnalité que l'on admire, que l'on rencontre enfin. La pensée fugace de son mari et de l'incorrection de ces regards sur un autre la frappe une seconde et pourtant, elle chasse cette pensée. Il n'y a rien de mal... Tout est finit entre eux. Elle le sait marié, elle l'a apprit par leurs connaissances communes. Alors elle s'autorise à approcher, à entrer dans le champ de vision de Baptist, toujours aussi surprise. Il n'y a rien de mal à saluer une vieille connaissance que l'on retrouve, eut-il était notre grand amour un certain temps... Même quand tout le monde pensaient qu'ils se marieraient un jour... eux aussi... Si, c'est mal ? Elle ne sait pas. Il n'y a plus personne autour. Il n'y a que lui. Et cette impression d'étouffer.

«- Baptist... si je m'attendais... Wow... ça fait tellement d'années....»

Elle sent son cœur qui rate un battement à présent, parce qu'elle ne s'attendait pas à le voir ici, à la sortie de l'école à Hambourg et elle comprend qu'il vient forcément chercher des enfants. Ses enfants sûrement. Car il est marié, il a une vie de famille. Tout comme elle. Leur chance est passée désormais, elle le sait. Mais plus encore, elle ne s'attendait pas à ce que l'homme tienne un compte aussi exact du temps passé sans qu'ils ne se voient. Et elle vient tout juste de remettre les compteurs à zéro. Julien et Sophie osaient se plaindre, dans leurs jeux d'enfants, pour dix ans passés sans se voir. Baptist et Valentina venaient probablement de leur faire mordre la poussière. Tout ce temps. Qu'il a compté. A croire que lui aussi a trouvé le temps long parfois, à croire que lui aussi a du mal à réaliser qu'elle soit là, après qu'ils se soient quittés des années auparavant. Qu'il a peut-être pensé à elle, malgré les années.

«- C'est précis...» souligne la presque quadragénaire avant qu'une légère rougeur n'orne ses joues, comme une adolescente prise en faut.

Elle se mord la lèvre inférieure discrètement, rapidement, avant de cesser comme elle le regarde. Elle se souvient qu'elle ne devait jamais faire ça autrefois, quand ils étaient ensemble. Parce qu'il finissait par l'embrasser. Il ne résistait pas à cette petite moue. Elle se ressaisit, parce qu'elle n'est pas là pour le séduire, même si elle est perturbée par leurs retrouvailles. La donne a changé. La situation a évolué. La vie qu'ils ont rêvé s'est évaporé sur l'autel de leurs rêves, pour laisser place à la réalité.

«- Qu'est-ce que tu deviens ?» questionne la jeune femme. «J'ai appris que tu t'étais marié... Félicitations !»

Non pas félicitations, non. Parce que ça la crève d'imaginer qu'ils ont fait leurs vies chacun de leur côté. Y'a son cœur qui bat la chamade et cette plénitude qui l'envahie d'être avec lui, qu'elle n'a plus ressentie depuis un certain temps à présent. Il s'en est mieux sorti qu'elle dans son existence ? Elle le lui souhait, de tout son cœur.

Elle frissonne, comme l'homme dit n'avoir jamais put oublier la date de leur séparation. Elle non plus. Pas plus qu'elle n'a oublié la date de son départ pour Paris, parce qu'elle était à l'aéroport ce jour-là, malgré leur séparation, pour un dernier au-revoir. Un dernier baiser avant son vol. Au fond d'elle, la blonde avait espéré qu'il fasse marche arrière. Non pas qu'il se résolve à ne pas étudier en France, mais qu'il admette qu'ils ne pouvaient pas se quitter comme ça. Elle était prête à faire les trajets en avion elle, prête à essayer malgré tout de continuer leur histoire, malgré la distance. Elle, elle leur aurait donné une chance, deux, trois même s'il l'avait fallut. Mais il avait décidé pour eux Baptist. Peut-être la pire erreur de leurs vies finalement. Une erreur qui leur a offert leurs enfants néanmoins, si bien qu'ils ne peuvent totalement la regretter. Ils n'étaient probablement simplement pas destinés à vivre ensemble heureux pour toujours.

«- Ah oui ?» elle rougit un peu plus encore.

Elle passe une main dans ses cheveux, entortillant une mèche autour de son doigt. Une habitude qu'elle a, quand la nervosité la gagne. Parce qu'elle est nerveuse, tout de suite. Et un peu gênée, aussi. Elle a conscience de flirter avec une limite, en le laissant dire ces choses. Ils sont mariés. Ce ne sont plus les deux adolescents épris l'un de l'autre qu'ils avaient put être par le passé, fou d'amour et ivres de leur folie, de leur jeunesse. Elle devrait lui dire que ce n'est pas un discours adapté à leur situation. Elle n'y arrive pas. Ça fait trop de bien, de l'entendre le dire. Il fallait que ça lui arrive. Maintenant. Quand son couple bat de l'aile. Comme si sa vie ne se foutait pas assez en l'air comme ça.

Une petite fille saute sur le dos de Baptist, comme Valentina demande ce qu'il devient. Elle a sa réponse, à priori. Et il confirme rapidement ce qu'elle soupçonne, en présentant les filles et la jolie blonde tressaille, face au prénom de l'une d'entre elle. Est-ce que l'épouse de Baptist sait ce qu'il y a derrière ce nom qu'elle a accepté de donner à sa fille ? Elle déglutit, un peu, comme il lui retourne la question.

«- Je viens chercher les miens. Adeline.» elle présente sa fille, qui papotait avec les jumelles sur le chemin du portail. Qui ont le même âge. A croire que la vie a un drôle d'humour. «Et Oliver qui doit encore traîner avec ses copains dans la cours à s'échanger des cartes.»

Elle s'est raidit, avec la présence des enfants à leur côtés. Elle secoue la tête, pour se redonner une contenance, pour chasser cette sensation étrange. Leurs filles qui sont amies. Juste ciel. Qu’elle ironie, vraiment.

«- Je te pensais habitant Paris... tu es revenu en Allemagne depuis longtemps ?» une question bateau, vite, pour noyer la gène..

Elle se sent toute chose, Valentina, de voir son premier amour devant elle, de cette flopée de souvenirs qui l'enveloppent. Elle ne devrait pas ressentir tout ça hein ? Cette cargaison d'émotions trop vives, trop violentes que ces souvenirs font naître en elle ? Probablement pas car le temps a passé depuis ce temps là. Mais c'est plus fort qu'elle et la jolie blonde éprouve une drôle de sensation en croisant le regard de son partenaire, en discutant ainsi avec ce dernier. A croire que la vie se plaît à la faire douter, lui envoyer des signes qu'elle ne sait pas ou ne peut pas interpréter, accepter. Elle ne sait plus où elle en est Valentina dans son existence qui se casse la figure au bras d'un mari qui n'a de mari plus que le nom et la bague au doigt depuis un certain temps. Elle ne sait plus où elle en est de sa vie qui ne la satisfait plus. Et dans ces tourments, il surgit du néant pour la torturer un peu plus encore, sans le savoir. Il est marié Baptist, il a des enfants, comme elle. La vie a changé, leur temps est passé hein ? Certainement. Mais ça fait mal au cœur. Vraiment mal. Parce que son cœur se serre quand il lui présente ses filles. Elles auraient dût être les leurs, en d'autres temps hein? Certainement. Mais elle peut pas regretter, elle a pas le droit. Elle aime ses enfants Valentina, elle les aime de tout son cœur, de toute son âme. Mais elle a mal. Elle a mal elle ne sait même pas de quoi, elle ne sait même pas pourquoi dans le fond.

«- Ah oui, quand-même... ça fait un moment.»

Son cœur se serre et manque un battement comme l'homme avoue qu'il l'aurait cherché qu'il avait sut qu'elle était à Hambourg. Cherché corps et âme. Il a le droit de dire ça ? Ils sont mariés l'un et l'autre. Y'a peut-être aucun mal. Mais elle ne sait pas. Cet aveux lui fait un effet tout drôle, pour lequel elle se morigène rapidement. Elle se racle la gorge afin de dégager un peu son malaise, retrouver une certaine contenance face à lui. Elle esquisse un sourire, qui est légèrement crispé, sans qu'elle ne puisse le rendre plus spontané.

«- Je suis à Hambourg depuis cinq ans seulement, mon mari a eut besoin de quitter Berlin...» avoue-t-elle. «Et je suis rédactrice en chef chez Cosmopolitan...» conclue-t-elle pour faire le tour rapide de sa vie.

Y'a comme une gêne entre eux, quelque chose qui n'existait pas autrefois. La gêne de se retrouver adulte, d'avoir laissé le temps filer entre leurs doigts et la vie les séparer ? Peut-être. A moins que ce ne soit lié aux quatre paires d'yeux tournés vers eux depuis tout à l'heure.