Comme un air d'hiver... [Theophilus]

Ce matin-là, Ida s'était réveillée de bonne humeur et au lever du jour. Les derniers jours avant Noël éveillaient chez la jeune femme une certaine euphorie qui se caractérisait, notamment, par ce côté matinal inhabituel chez elle.

Fouillant son armoire, elle y avait déniché un trésor : un magnifique pull en laine, tricoté par sa grand-mère à sa mère, il y a de cela des années. Avec verve, elle l'enfila par-dessus sa robe salopette noire et se mira dans son miroir. Le pull, d'un jaune canari, faisait ressortir ses yeux azurés. Les motifs blancs représentaient une myriade de flocon de neige, reflet du temps. Des bottes aux pieds, rehaussées de chaussettes moutonnées, elle enroula une écharpe autour de son cou, la laissant pendante et enfila un bonnet à pompon. D'un pas décidé, la jeune femme s'était dirigée vers la porte d'entrée et, après avoir refermée la porte sur elle, avait inspiré profondément une grande bouffée de cet air frais revigorant. L'heure était aux cadeaux de dernières minutes...

La neige s’amoncelait sur les trottoirs, à des endroits immaculés. Ida s'amusait à marcher là où personne n'avait encore laissé son empreinte, un grand sourire sur les lèvres et des étoiles pleins les yeux. Elle se revoyait gamine et la neige lui rappelait des très bons souvenirs qui la renvoyait au moins dix ans en arrière. Elle adorait la neige et tout ce qui s'annonçait avec : pas d'école, batailles de boules de neige à gogo et surtout - surtout - patinage avec sa meilleure amie sur le lac gelé - où éventuellement, sur les routes directement lorsque la neige gelée par-dessous. La tête dans ses pensées, la jeune femme manqua de glisser en traversant la route qui la mènerait au centre de Hambourg. Son cœur battant la chamade, elle resta un instant les bras en croix, tentant de retrouver son équilibre et se promit de faire attention sur le reste du trajet. Il n'était pas question de se casser quelque chose avant les fêtes !

Son enthousiasme toujours présent, malgré la possible chute due au verglas, Ida continuait à avancer en direction des magasins, sifflotant distraitement "Vive le vent". Rien ne pouvait ébranler sa bonne humeur et encore moins son entrain plus que palpable. Pas même cette jeune fille qui la dépassa en courant, la bousculant au passage. Encore moins la sensation de glisse qu'elle sentit en voulant se remettre d’aplomb. S'arrêtant de siffler, elle regarda la gamine courir sur une chaussée plus que verglacée. Elle la regarda, un brin nostalgique. À une époque antérieure, elle aussi se riait du verglas et ne voyait pas le danger là où il était. C'était néanmoins chose finie... Elle avait désormais une peur bleue de se casser quelque chose par pitrerie, à tel point que chaque pas dans la neige - accompagné d'une gaieté inégalée - était signe de douceur et d'équilibre.  

Ida s'apprêta à reprendre sa marche quand elle vit l'inévitable. La scène se passa en une fraction de secondes, mais Ida, à moins de deux mètres d'elle, la vécut au ralentit. La gamine qui venait de la bousculait venait d'héler sa mère avant de percuter de plein fouet un homme. La gamine reprit sa route, comme si de rien n'était, tandis que l'homme perdait l'équilibre sur le bord du trottoir. La scène aurait pu être comique si - et seulement si - Ida ne s'y était pas précipitée en courant. Loin de ses phobies de blessure, l'instinct de préservation de la jeune femme venait de s'envoler. La voila qu'elle se prenait pour un super-héros, bravant le verglas et les passants à la rescousse de ce -bel- inconnu.

Ni une, ni deux, elle se retrouva auprès de lui, le rattrapant par la veste. Mais voilà que la jeune femme perdit à son tour l'équilibre, son pied droit glissant en avant lors de son arrivée. Elle se cramponna alors au jeune homme, le serrant par la taille tout en maudissant cet "instinct" dont elle ignorait son existence jusqu'à ce jour !

Tout aurait pu se passer à merveille. Le sauvetage aurait pu être effectif. Ida aurait pu sauver ce bel inconnu en détresse s'il n'y avait eu cette malheureuse flaque verglacée... Mais avec des "si", on refait le monde, n'est-ce pas ? Tout s'était passé rapidement. Son pied droit définitivement hors d'usage pour cause de glissade intempestive. Ses bras étaient également hors d'usage, cramponnés fermement à la taille de l'homme qui lui servait de bouée de sauvetage. Elle s'y cramponnait de toute ses forces, comme si sa vie en dépendait. Elle priait en secret de ne pas tomber d'avantage, bien que la situation devait être comique à voir extérieurement. La jeune femme était une huître. Un mollusque marin qui s'accrochait désespéramment à son rocher.

"Ahhhh" lâcha-t-elle dans la chute.

Elle sentit l'homme essayait de se rattraper par tous les moyens possibles et inimaginables. En vain. La jeune femme, toujours accrochée à l'homme, se sentit basculer en avant tandis que l'homme se retrouvait assis, les fesses dans la neige. Les yeux jusque-là fermés - comme pour ne pas voir la chute arriver -, Ida les rouvrit lorsque la douce voix de l'homme s'éleva. La première chose qu'elle vu fut le bas du manteau de l'homme ainsi que sa... sa braguette ? Un sursaut d'horreur redressa la jeune femme en un bond. Elle voulut se lever mais elle glissa à nouveau et atterrit sur les fesses face à l'homme. Un sourire gêné se dessina sur les lèvres de la jeune femme, tandis que du feu brûlait sur ses joues.

"Euh... Ravie également." bafouilla-t-elle, croisant le regard de l'inconnu. Elle tourna son regard une fraction de seconde vers les adolescents qui se riaient ouvertement de leur chute avant de se mettre à rire à gorge déployée elle aussi.

L'instinct, la peur, la chute et la braguette venait de faire éclater la contenance de la jeune femme qui, se tenant les côtes, n'arrivait pas à s'arrêter de rigoler de ce qu'il venait de se passer. "Désolée... C'est que, vous comprenez ? Je me suis vue vous sauver d'une chute pittoresque et... Et au final, je l'ai vécue avec vous !" réussit-elle à prononcer entre deux esclaffements.

Lorsque le jeune homme s'était joint à elle dans son fou rire, Ida s'était un instant tut, étonnée qu'il réagisse de la sorte. Tout adulte qu'elle connaissait n'aurait très certainement pas pris cette chute sur le ton de la rigolade. Bien au contraire, leur âme d'enfant avait tendance à disparaître au fur et à mesure que les années passaient. Elle l'avait donc rejoint et gloussait encore quand il fit sa remarque sur les aventures. Une aventure ? Ida aurait plus décrit cet événement comme un coup du sort, ou encore une mésaventure. Mais qui sait ? L'inconnu avait peut-être raison. Après tout, cette cascade digne des plus grandes comédies hollywoodiennes était peut-être annonciatrice d'une rencontre inespérée ?

Quand il la remercia, Ida sourit avant de lui répondre un "Il n'y a pas de quoi." Effectivement, elle n'avait pas réussi à aller jusqu'au bout des choses. La preuve en était : ils étaient assis à même le sol et la neige si froide et si... humide. À travers son collant, Ida sentait la neige fondre tout en lui brûlant les fesses. Elle se redressa un peu et hocha la tête en signe d'approbation à la dernière phrase de l'inconnu.

"C'est certain, contre le verglas il n'y a pas grand chose que l'on puisse faire. Cela dit, avec des patins, c'est plus facile !" Ida se redressa à nouveau, se mettant sur les genoux et présenta sa main droite en souriant, confiante : "Ida. Ida Engelwald, votre euh..." Elle chercha un instant ses mots avant de prononcer avec l'ombre d'un sourire et les yeux emplis de malice : "...Votre princesse presque charmante, malgré elle ! Enchantée."

Toute jeune femme de son âge aurait sûrement fui face à un inconnu. D'ailleurs, elle était presque certaine d'elle en pensant que personne ne serait jeté pour sauver un parfait inconnu d'une terrible chute ! Encore moins, serait resté dans la neige tranquillement, se trempant jusqu'à l'os pour faire la connaissance de l'homme en question. Cette situation semblait émerger tout droit d'un feuilleton à l'eau de rose. Et quelle période était la plus propice à ces histoires fleur bleue ? Noël et la neige poudreuse qui nappait les paysages de sa douce et étincelante blancheur. Justement, des flocons se remirent à tomber sur la ville de Hambourg, laissant une jeune femme enchantée.

Ida resta un instant interdite face à l'annonce du futur vole scrupuleux de patins à glace. Elle ignorait si c'était du lard ou du cochon. Après un instant d'hésitation, elle décréta que ça n'avait que peu d'importance. "Je préférerai vous croiser à nouveau sur la glace et non dans une cellule." remarqua-t-elle un léger sourire malicieux sur les lèvres. La jeune femme ignorait tout de l'homme mais ces paroles annonçaient une nouvelle rencontre dans le futur. Il n'y avait aucun fond de méchanceté chez le brun, et il semblait si ouvert et jeune d'esprit qu'elle s'en sentait étrangement proche. La preuve, aucune gêne ne l'ébranlait quand bien même elle avait les fesses au sol bien qu'en jupe et en collant.

Cela dit, Ida songeait tout de même à se remettre d’aplomb sur ses deux jambes. Elle s'était donc présentée, se décernant le titre de princesse. Bon, généralement, le prince sauvait la princesse d'un terrible dragon qui l'avait faite prisonnière et non l'inverse. Et puis, il n'était vraisemblablement pas question de dragon ici, mais de verglas, d'une plaque et d'une sale gosse qui bousculait les passants sans gène. Elle avait juste été au bon endroit au bon moment. C'était juste de la pure chance pour le jeune homme. Même si, effectivement, elle aurait pu ne rien faire, tout filmer sur son smartphone et devenir la youtubeuse la plus vue grâce à une chute des plus comiques. Mais elle était tout sauf comme ça. Elle était ainsi faite, qu'aider son prochain était naturel. Elle n'avait pas eu à réfléchir quand elle avait vu le drame arriver. Elle avait accourue, et qu'importe qui elle avait en face d'elle.

Alors, quand le jeune homme la nomma princesse au grand cœur, Ida ne su que rougir. "S'il n'y avait pas eu cette enfant, rien ne serait arrivée." glissa-t-elle tout en serrant la main de Theo. "Et puis, il me tarde de découvrir ces autres qualités dont vous vous targuez tant !"

Amusée, Ida avait dit ces derniers mots avec une certaine vérité. La rencontre, bien qu'inopinée, était agréable. Theo l'aida à se redresser et, tout en se débarrassant de la neige et la glace de sa jupe, elle fut prise d'un frisson.

« - Je peux déjà vous confier que je suis bien meilleur avec des patins aux pieds sur la glace. »

"J'aimerais bien voir ça, et m'assurer que vous saurez éviter d'autres... chutes verglacées dans le futur." rigola-t-elle avant de se frictionner les épaules sous son manteau. "Mais avant cela, vous régaleriez-vous d'un chocolat chaud ? J'ai un peu froid et je pense que la plaque de verglas sur laquelle nous étions n'y ai pas pour rien !"

Ida ne se formaliserait pas de la réponse du jeune homme. De toute façon, elle avait un dernier cadeau à faire et un bon chocolat chaud, seule ou accompagnée, la réconforterait et surtout la réchaufferait !

Les deux jeunes gens semblaient sur la même longueur d'ondes. Il fallait croire qu'une chute improvisée sur une plaque de verglas avait le don de rapprocher ! La promesse du jeune homme selon laquelle il évitera de finir en prison rassura Ida. Au moins, elle le recroiserait ! Parce qu'il fallait bien se l'avouer, elle n'avait aucune raison d'aller mettre ne serait-ce qu'un pied dans une prison. Personne de son entourage n'y faisait un séjour pour le moment. Certes, il arrivait à Em' de s'attirer des ennuies et de passer du temps au commissariat mais ça s'arrêtait là. Alors, il était hors de question que cela ne change !

« - Vous êtes bien prévenante ma chère princesse ! Et c'est avec plaisir que j'accepte votre invitation à boire un chocolat chaud. » répondit le brun à la proposition de la blonde.

Un sourire ravie s'étira sur les lèvres de la demoiselle nommée "princesse" à la réponse du preux chevalier Theo. Elle commençait à apprécier cette appellation, bien qu'elle n'avait rien d'une princesse. Mais après tout, qui n'aimerais pas se faire appeler ainsi ? Toutes jeunes filles, enfants, espéraient secrètement en être une. Ida, comme bien d'autres, s'étaient inventée une histoire sortie tout droit des contes de fée, où il était question de magie, de sorcière maléfique et d'un bébé promis à un grand destin. Bon, il était aussi question d'un prince charmant qui venait la sauver mais désormais femme, elle comprenait qu'une femme avait aussi le pouvoir de se tirer de guêpier seule ! Donc elle était ravie et rien qu'à l'idée d'une boisson chaude, Ida se sentit aussitôt mieux. Le froid la glaçait sur place, un peu de mouvement allait lui faire le plus grand bien !

Son prince l'amena dans un salon de thé qui semblait pour le moins bombé, ce qui n'était pas étonnant vu le temps qu'il faisait. Tout le monde avait la même idée après tout... Après s'être assuré qu'il y avait de la place, Theo s'effaça devant Ida qui pénétra dans l'établissement après "Je vous en remercie." souriant.

Une serveuse vint tout de suite à leur rencontre leur proposant alors deux tables.

« - Alors, une préférence ? La table lumineuse à côté de la fenêtre ou celle à côté de la cheminée ? Attention le choix est important ! »

La demoiselle devint pensive, sentant que la question demandait une réponse des plus cruciales. Elle mit sa main sur son menton, leva les yeux vers le ciel et au bout d'une seconde, un grand sourire se dessina à nouveau sur ses lèvres, illuminant au passage ses yeux bleus de malice.

"La table près de la cheminée me semble douillette à souhait. Digne d'une taverne sortie d'un conte de fée ! Cependant, la neige tombe en ce moment dehors et, je dois bien l'avouer..." Ida marqua un arrêt. "J'adore regarder la neige tomber."

Depuis toute petite, la jeune femme avait toujours été obnubilée par ces gouttelettes transformées en glace. À chaque fois qu'il neigeait, elle se sentait envahie d'un bonheur dont elle ignorait la provenance. Elle était juste heureuse. Entendre les chuintement de la poudreuse, les voir voleter avec grâce, mille flocons de cristal... Voici une fascination qui enchantée la jeune femme rien qu'à y penser.

"S'il vous sied, j'opterai pour cette table-ci. Bien évidemment, puisque vous avez été le plus touché lors de la terrible bataille contre le verglas, je vous laisse la primauté du choix."