LISA ✵ take a deep breathe

Le regard vide mais le coeur toujours aussi plein, si proche du débordement, elle s'est laissée guider. Elle sait que ça part d'une bonne intention. Et elle apprécie les moments ensemble. Mais même au bout de tout ce temps, Liwia est incapable de ne pas ressentir le profond manque dû à l'absence de son père. Et rien ne pourra jamais y faire. Peu importe qu'elle se sente vide, qu'elle ne soit qu'une coquille vide de plus, que sa famille s'efforce pourtant de remplir de nouveau, la rouquine n'arrive tout simplement pas à passer au delà de ce deuil qui dicte sa vie et qui lui enlève toute énergie, tout envie de se battre.

Pourtant, elle sourit. Elle sourit à Lisa parce qu'elle voit les efforts et parce que c'est sans doute sa cousine qui la comprend le mieux. Il n'y a qu'à la patinoire qu'elle arrive à passer un véritable bon moment. Parce que sa tête et son coeur se vident instantanément quand elle patine, parce que c'est là qu'elle se sent au plus proche de ce père qui ne reviendra pas et qui lui manque si cruellement.

Elle soupire, amusée par toutes les tentatives de sa cousine qui essaie clairement de lui faire penser à autre chose. Et ça fonctionne, bien évidemment.

- C'est bon, c'est bon ! Tu as gagné. Lisa lui a proposé d'inventer une chorégraphie toutes les deux sur la glace. Et si en dehors de ses entraînements, Liwia n'a pas l'habitude d'aller en dehors des passages cloutés. Pourtant, pour cette fois elle peut faire une exception.

- Je te préviens, en revanche. Je ne vais pas te faciliter la tâche. Et pour la première fois, c'était un sourire plus naturel que d'ordinaire, bien moins forcé, voire même tout seul étiré.

Une fois préparées et chaussées, Liwia attend sa jolie cousine sur la glace.

- Tu as choisi une musique ?

Si Lisa avait eu quelques semaines éprouvantes, difficiles, il y a de cela déjà un peu plus d’un an, l'orage était passé depuis. Après la pluie, comme le dit le proverbe, le beau temps. Réconciliée avec Garrett depuis presque douze mois maintenant, Lisa avait retrouvé le sourire, le plaisir de vivre, leurs petites habitudes, ainsi que tous les projets qu'elle pouvait nourrir avec Garrett avant sa découverte de la double vie de ce dernier. Désormais, tous les deux parlaient de changer de logement, de faire construire leur propre petit nid, de fonder leur petite famille. Ne restait que l’animosité de Joah, l’un des fils de Garrett, à l’encontre de Lisa comme ombre au tableau. Cela exclut, tout allait bien dans la vie de la demoiselle. Ou presque. Presque, parce que depuis deux ans déjà, ses cousines n’étaient pas en paix, ne s’étant jamais vraiment remises ni l’une ni l’autre de la disparition tragique d’un père adoré. Et Lisa pouvait les comprendre, pour avoir perdu le sien également, quoique les circonstances soient très différentes et que le sien soit bel et bien vivant. Seulement absent de sa vie, ayant pris la décision de l’abandonner purement et simplement, sans plus jamais se retourner, sans plus jamais lui revenir, restant sourd aux appels que son enfant avait pu lui faire quelques années, jusqu’à perdre tout espoir.

Changer les idées d’Ewa comme de Liwia était donc, depuis deux ans, une mission familiale dans laquelle Lisa s’impliquait particulièrement, étant dans leur entourage la plus à même de les comprendre. Aujourd’hui, donc, elle avait décidé de faire sortir Liwia, de l’emmener à la patinoire. Elles partageaient cette passion l’une et l’autre depuis leur enfance, la cadette en ayant même fait sa profession quand l'aînée s’était seulement contenté de quelques concours. La glace, Lisa le savait, était donc un formidable endroit pour décompresser, pour oublier le monde autour. Elle avait parfois été son refuge et elle espérait fort que ce serait également le cas de sa cousine. Qu’au moins pour quelques heures la jolie rousse oublierait ses problèmes.

”- C’est cela oui !” remarque Lisa comme sa cousine affirme qu’elle ne compte pas lui faciliter la tâche, même si elle a gagné en parvenant à la traîner ici. ”T’aimes trop le patin pour rater, volontairement tes figures !” affirme la demoiselle, sourire aux lèvres. ”J’ai deux trois idées, mais on peut changer ! J’avais pensé à Junk of the heart de The Kooks, ou Stones de The Hardkiss.”

Ewa était une demoiselle en colère là où Liwia, elle, était devenue complètement passive, comme attendant désespéramment que la mort ne vienne la cueillir comme elle avait si injustement cueilli son père, en bonne santé, de cette foudroyante crise cardiaque. Rien qui ne fasse réellement sens pour la rouquine qui essayait tout de même de comprendre lorsque son moral ne disparaissait tout bonnement pas. Ce qui, malheureusement, arrivait bien souvent.

Pourtant, il y avait une chose qui l'empêchait de sombrer dans l'obscurité de ses pensées : la promesse des patins, pouvoir glisser sur la glace sans jamais se poser de questions. Et il semblait que, ça, Lisa, sa cousine, l'ait très bien compris. C'était avec elle que Liwia passait la majorité de son temps lorsqu'elle n'était pas enfouie sous sa montagne de couettes. Parce que Liwia se laissait simplement tomber dans la tristesse quand il n'était pas question de la patinoire. Un rêve qu'elle avait depuis toute petite et qui la rapprochait étrangement de son père alors même que c'était davantage un sport, ou un rêve dépendant du point de vue, communiqué du côté de sa mère.

Daniel l'avait toujours soutenu et avait poussé sa femme à inscrire leur petite dernière à la patinoire quand, après la gymnastique et son premier échec fulgurant sur la glace, Liwia avait redemandé à monter sur des patins. Irène, elle, s'était posée la question de ne pas trop pousser sa fille, quand Daniel avait insisté. Si elle se faisait mal, c'était simplement un moyen d'apprendre. La seule fois où Daniel a laissé ses filles tomber, c'était quand il était certains qu'elles se relèveraient toutes seules. Seulement, Liwia savait qu'il avait tort : il les avait laissé tomber en quittant ce monde et elle était incapable de se relever seule. Et dieu merci, c'est pour ça que Lisa est avec elle.

- Tu n'as pas tort, concède-t-elle à sa cousine alors qu'elles prennent toutes les deux place sur la glace. Elle écoute ses propositions avant de se rendre compte de quelque chose : elle n'a posé la question que comme une formalité. Elle n'a aucune idée de ce que cela changera ou ne changera pas. Elle se fiche bien de choisir. Comme tu préfères. Son sourire, cette fois, n'est pas aussi naturel. Elle essaie de donner le change, mais elle n'est pas capable de choisir seulement parce que la perspective d'écouter de la musique la fait frissonner d'effroi. Tant qu'on se débrouille pour être en rythme. Et pourtant, là encore, le rythme, elle s'en fiche bien pas mal...

Avec Lisa, elle n'avait pas à faire semblant, pas à se forcer. Ce qu'elle aimait faire elle faisait et le reste, elle laissant. Sa cousine ne la forçait aucunement et c'était pour le plus grand soulagement de Liwia qui n'en pouvait plus d'entendre les autres lui dire ce qu'elle devait faire, à savoir pour la plupart, se ressaisir alors que tout ce qu'elle faisait, c'était souffrir de cette absence, souffrir de cette perte, incapable de se relever. Dire aux autres quoi faire c'était toujours facile, par contre se mettre à sa place et la comprendre, c'était un exercice que beaucoup se refusaient à faire. Et Lisa, elle, semblait être prête à faire l'effort. C'est pour cette raison qu'il était aussi facile à Liwia d'être là, de garder la tête haute malgré les larmes qui coulaient parfois sans prévenir et sans avoir de raison évidente d'être là.

Pourtant, certaines choses, même proposées par Lisa, ne passent pas. Écouter de la musique. C'est avec son père qu'elle décidait parfois d'une chanson utilisée pour ses routines. Toujours prêt à tout pour l'aider à être prête au mieux et avec la meilleure chanson, elle écoutait énormément de choses avec lui. Et choisir, c'était prendre la peine de devoir écouter. Elle préférait quand les baffles passaient une musique aléatoire et qu'elle pouvait juste tourner dessus sans prendre le temps de faire attention à ce qu'il passait à ce moment-là.

Son faux sourire se fane alors que Lisa prend la décision de la musique et une moue soulagée apparaît sur le visage de Liwia. Au moins, c'est ça de moins à se préoccuper. Et finalement elle se détend quand il s'agit d'échauffement.

- Ça marche. Évitons un autre drame dans la famille... Aussitôt dit, elle déglutit avec difficulté quand elle réalise ce qu'elle-même vient de dire. Je veux dire... Oh et puis tant pis. Non, Alexandre de nous le pardonnerait pas et je préfère encore pouvoir revenir sans avoir mal partout. Malgré la gène provoquée par ses dernières paroles, elle sourit de nouveau, un peu plus naturellement cette fois-ci, à l'idée de revenir. Le simple fait d'être dans cet endroit frais lui donne l'impression d'avoir une bombonne d'oxygène accrochée à elle, lui procurant déjà l'air dont elle manque cruellement depuis plusieurs mois déjà. Je vous écoute donc, chère coach, par quoi commence-t-on ?

Si Lisa laissait sa cousine patiner sans le moindre échauffement et que par un malheureux hasard Alexandre venait à l’apprendre, Lisa sait pertinemment qu’elle se fera tout bonnement et simplement tuer, sans autre forme de procès. Elle connaît les risques de la glace, elle sait pourquoi il est essentiel de s’échauffer avant toute pratique de ce sport d’abord hors de la glace, puis dessus.  Et puis, si elle zappait cette étape et qu’il arrivait quelque chose à Liwia, elle s’en voudrait toute son existence. La glace ne pardonnait que rarement une mauvaise chute. Elle avait brisé quelques jambes. Quelques carrières, aussi.

Un autre drame dans la famille. Cette expression ne manque pas de faire frissonner Lisa, tant elle saisit le réalisme de cette menace. Oui, la glace pouvait prendre des vies, parfois. Une mauvaise chute pouvait avoir des conséquences dramatiques. Il suffisait que l’on tombe mal, que la glace ne soit pas assez lisse… Bien sûr, patiner sur la surface d’une patinoire limitait les risques d’irrégularités fatales mais le risque zéro n’existait pas, dit-on.

”- Ce n'est jamais agréable les blessures de patin c'est clair.” admet l'avocate.

À bien y penser, il n'était jamais agréable d'être blessé tout court, mais c'était encore plus vrai avec le patinage. Il ne s'agissait pas seulement d'avoir mal au petit doigt, ou de se faire une petite coupure. Si on se cassait une jambe, c'était plusieurs semaines d'immobilisation. Le calme. La tranquillité. Le repos forcé. Autant de perspectives désagréables accompagnant celle de la douleur. Si elle venait à se faire vraiment mal, Liwia ne pourrait pas revenir à la patinoire avant un certain temps.

Sa cousine demandant par quoi commencer, les deux femmes commencent alors à s'échauffer soigneusement pendant quelques minutes, passant en revue l'ensemble de leur corps pour se prémunir des erreurs et des faux mouvements. Puis, fin prêtes, Lisa rejoint le nord de la patinoire pour lancer la musique.

”- On pourrait peut-être commencer par patiner sur la musique, se laisser porter par ce qu'elle nous évoque.” propose la blondinette, son regard fixant le visage de sa cousine.