La surprise au détour d'une partition ~ Aline

◭ Au gré des partitions viennent s'ancrer les amitiés inattendues ◭

L'aventure venait de commencer. Je m'étais enfin décidé ! Après tout pourquoi pas ? Je n'avais rien de bien spécial à faire depuis que ce bar avait fermé, et je n'avais aucune envie de reprendre une activité où je ne puisse pas gérer mon temps comme je l'entendais pour me priver d'éventuels moments avec Luzia et Lorna. Les deux femmes étaient devenues très importantes dans ma vie, même si c'était encore délicat et finalement, des relations naissantes, que je découvrais ou redécouvrais. Étais-je prêt à prendre ce nouveau départ ? Est-ce que ça me correspondait vraiment ? Au diable ces questions. Même si les parents ne l'accepteraient peut-être pas, c'était enfin un des choix que je pouvais véritablement faire par moi-même, sans être poussé par une pression quelconque d'eux ou du milieu social dont j'étais issu. En soi, j'étais... Libre. Enfin libre de pouvoir entreprendre ce que je voulais. Et avoir racheté ce bar après sa fermeture, c'était une sorte de nouveau départ, et de quoi sacrément me changer les idées. Le gérant avait quitté la ville, et n'avait pas eu de repreneur pendant quelques semaines. Et après une longue réflexion, je me suis décidé.

Je ne l'avais pas repris que pour moi. Je préparais quelque chose à Lorna. Je sais qu'il lui faudrait du temps, qu'elle ne l'apprécierait peut-être pas, mais je n’aurais pas pu me regarder en face si je n'avais pas saisi l'occasion. Alors certes je n'y connaissais pas grand-chose, mais ça faisait aussi le charme de l'aventure ! Et puis peut-être que Luzia me suivrait dans cette aventure ! Luzia... J'espérais qu'elle allait bien. Sa grossesse jusque-là s'était bien passée, et l'heure approchait à grands pas. Mais ces derniers jours, elle s'était un peu refermée, me répétant qu'elle voudrait accoucher seule, sans mon aide. J'avais beau protester, elle ne voulait rien savoir. Elle voulait aller au bout de ce voyage seul, pour reprendre le nôtre sereinement. Je n'étais pas très enchanté à ce qu'elle affronte tout cela seul, surtout vu le contexte de sa situation. Et pour avoir déjà vécu l'accouchement de Caroline, je savais combien ce pourrait être difficile, même si je n'osais affirmer connaître tout ce que ça impliquait pour les femmes.

Mon regard se perdit dans le vague quelques instants avant de revenir à la réalité. J'avais devant moi une grande scène quasi nue en dehors du piano, dernier artefact témoin de l'ancienne activité qui y avait régné jadis. C'était drôle de se dire que j'avais joué mon dernier morceau ici il y'a seulement quelques semaines. Tout était maintenant silencieux, je pouvais percevoir presque clairement le léger grésillement des spots allumés au-dessus des planches. La lumière crépusculaire tombait sur Hambourg, et bien que les jours se rallongeaient, ce n'était pas suffisant pour éclairer correctement l'intérieur de la salle, ce qui lui donnait ainsi un certain charme dans une ambiance tamisée forte accueillante et apaisante. J'aurai pu réouvrir avec la déco actuelle, mais je voulais y apporter une autre ambiance, quelque chose d'un peu plus festif, tout en gardant ce côté chaleureux, presque familial.

Un coup d'œil rapide à ma montre à gousset me suffit pour noter que la personne que j'attendais était en retard. Aline Morel de son nom, avait répondu à l'annonce que j'avais posté un peu partout en mettant en avant ma pratique du piano pour donner des cours à qui le souhaitait. Je l'admettais, j'avais commencé à m'ennuyer sans rien pour occuper mes journées hormis ces petits extras que je faisais. Réaménager ce bar et donner des cours de piano la journée me donnait une nouvelle direction que j'espérais intéressante. En tout cas, elle me plaisait pour le moment ! Je me sentais apaisé et dans mon élément. Je n'avais pas renoncé à l'informatique pour autant, mais j'étais bien content de laisser ma sensibilité artistique s'exprimer. En parlant de s'exprimer... Et si je touchai le clavier un peu avant qu'elle n'arrive ? Cela aurait l'avantage de m'échauffer un peu et de retravailler moi-même les bases. Aline était ma première élève, et je me devais d'être bien rôdé. Et puis l'idée de faire mes cours ici plutôt que chez moi était rassurant et offrait un cadre un peu moins stressant, autant pour elle que pour moi finalement. Malgré que le bar ne soit pas ouvert officiellement, cela me tranquillisait l'esprit. Et après tout, ça pourrait leur permettre à terme de se confronter à un public, et de s'entraîner à cette éventualité pour celles et ceux qui le voudraient.

J'entamai une ballade relativement simple et courte. Je laissai alors instantanément tous mes tracas derrière moi, m'engouffrant pleinement dans les affres de la musique, d'appliquer la mélodie à la lettre, de coordonner tout ce balai musical à la fois beau et complexe, m'emmenant à ne penser qu'à elle, même si de douces pensées n'étaient pas loin. Cependant, je ne devais pas partir trop loin dans l'émotion, j'avais toujours un cours à donner. D'ailleurs, je n'y prêtais pas attention tout de suite, mais le son se fit de plus en plus fort, ce qui me fit lever les yeux. Dehors, une jeune femme blonde attendait à l'entrée du bar qui n'avait pas encore son enseigne éclairée. Le nom venait toujours d'être accroché il y'a deux jours. Je me levais du tabouret pour aller à sa rencontre, ouvrant la porte et lui faisant signe d'entrer.

« Entrez, entrez ! Aline Morel, c'est bien ça ? Enchanté, je m'appelle Björn. Vous venez bien pour le cours de piano, n'est-ce pas ? Venez, l'air se rafraîchit encore très vite ces jours-ci. »

Je l'accompagnais à l'intérieur, et allumai le comptoir pour y voir quelque chose. Tout le matériel était là, mais il ne restait plus rien dans les tirettes et les présentoirs. Je me baissais pour prendre deux verres et les remplis d'eau.

« Je suis navré, je n'ai que cela à vous proposer, je viens tout juste d'acquérir le bar. Il a fermé il y'a quelques semaines, je venais y jouer de temps en temps. Qui aurait cru que je le rachèterai à sa fermeture ? Prenez place, et parlez-moi un peu de votre expérience avec le piano. Vous savez jouer un peu, pas du tout ? Avez-vous fait vos gammes, vos classes en conservatoire peut-être ? »

Je bus mon verre d'un seul coup, l'exercice de tout à l'heure m'ayant donné soif. Je détaillai la jeune femme sans être intrusif, attendant une réaction de sa part suite à mes nombreuses questions. Je ne lui tenais pas rigueur de son retard, je n'avais rien de prévu de particulier ce soir. Nous vivions encore chacun dans notre appartement avec Luzia, il était encore bien trop tôt pour nous installer ensemble, je ne voulais clairement pas brusquer les choses, et c'était réciproque de son côté.