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 And the Sky may look Blue + Julian

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gare à la crise de la quarantaine
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And the Sky may look Blue + Julian
Mar 17 Mar 2020 - 16:56


Julian & Luzia

And the Sky may look Blue




Ce jour-là n'était pas comme tous les autres pour la belle Luzia. Il s'agissait même de ce que l'on pourrait considérer comme étant le dernier jour de cette première vie. Et cela lui faisait terriblement peur. C'est donc avec la boule au ventre qu'elle se prépara ce matin-là. Il lui était vain désormais d'essayer de dissimuler sa grossesse, car elle en arrivait à son huitième mois, mais aujourd'hui, il s'agissait de la dernière fois qu'elle obéissait à son rituel quotidien. Pesée, douche, dents, cheveux, make-up. Elle avait le coeur lourd, car aujourd'hui était son dernier jour avant son congé maternité et elle le redoutait plus que tout au monde.

Cela faisait quatre mois maintenant que Simon était parti et qu'elle apprenait à vivre seule. Et si la tristesse avait laissé place à la colère, son travail restait la seule chose qui lui permettait de maintenir le lien avec les humains. Elle n'avait toujours pas recontacté sa famille ni ses amis. Elle n'en voulait plus. La honte les avait remplacés. Mais elle savait qu'à partir du lendemain, elle se retrouverait complètement seule face à son destin. Seule avec cet être qu'elle ne parvenait pas à aimer et qui pourtant l'habitait. Seule face à ce qu'elle s'apprêtait à faire. Abandonner son bébé.

Elle se regarda dans le miroir pour essayer de cacher les derniers stigmates de ses nuits d'insomnies et elle prit le bus pour le Beauty Center pour la dernière fois avant très longtemps. Elle était stressée et parvenait mal à le dissimuler. La journée commença bien. Elle enchaîna les premiers clients sans encombre mais son sourire habituel était absent. Ses collègues en ont déduit qu'elle devait avoir hâte de ne plus travailler, même si en réalité elle aurait préféré ne jamais arrêter. Ne jamais être enceinte et surtout ne jamais accoucher. Mais il était plus simple de les laisser croire à ce qu'ils voulaient.

Elle ne parvenait pas à profiter de ce dernier jour tant l'angoisse la rongeait. Ainsi, elle ne fit pas attention quand Julian Lane Keller passa la porte du centre. Il était un habitué et c'était toujours elle qui le coiffait. Mais il avait beau être une star, un acteur, elle ne l'avait jamais réellement regardé, grande amoureuse de Simon qu'elle était, ce qui n'avait pourtant pas empêché ses collègues féminines de la jalouser. Ainsi, elle entendit d'ailleurs très rapidement une voix taquine lui dire : "C'est pour toi Luzia !" et elle soupira. Au ton employé, elle avait comprit de quel client il s'agissait. Elle releva alors le visage vers l'homme, tentant d'esquisser un sourire que son regard noir trahissait puis elle s'approcha de lui pour le débarrasser de son manteau.

"Bonjour Monsieur Keller, installez-vous ici je vous prie, je m'occupe de vous tout de suite !"

Lui dit-elle simplement en amenant ses affaires au vestiaire. Puis elle revint rapidement vers lui sous les regards envieux de toutes les filles du salon. Elle lui fit enfiler un peignoir avant de l'inviter à s'installer à un bac puis elle enroula une serviette autour de son cou pour protéger ses vêtements.

"Comme d'habitude j'imagine ?"

Demanda-t-elle machinalement avant d'allumer l'eau du robinet pour lui laver les cheveux. Luzia avait toujours été passionnée par son métier. Elle adorait prendre soin de ses clients, c'était une véritable vocation pour elle. Seulement, ce jour-là, vraiment ça n'allait pas et le stress qu'elle ressentait en ce dernier jour était décuplé par la pression que lui mettaient inconsciemment toutes ses collègues. Ainsi, en plus de rester anormalement silencieuse, sa main ripa au moment d'ouvrir le flacon de shampooing et elle percuta le mitigeur, glaçant alors instantanément l'eau qui coulait sur les cheveux de son client. Luzia écarquilla les yeux et coupa l'eau le plus rapidement possible dans un élan de panique. Elle était rouge de honte.

"Oh pardon ! Je suis vraiment désolée Monsieur Keller, vous allez bien ? Excusez-moi, pard..."

Elle n'eût pas le temps de finir sa phrase qu'elle entendit un petit rire moqueur dans son dos et ses nerfs lâchèrent.

"Putain mais vous me faites vraiment tous chier dans ce salon de merde !" s'exclama-t-elle furieuse. "Je suis vraiment désolée Monsieur Keller ce n'est vraiment pas contre vous mais je ne vais pas pouvoir m'occuper de vous aujourd'hui, excusez-moi."

Lui dit-elle en lui tendant une serviette tremblante. C'était trop pour elle. Elle enleva son tablier qu'elle jeta à la collègue moqueuse. Il fallait qu'elle sorte vite avant de se mettre à pleurer. Elle aurait voulu être forte jusqu'au bout. Elle aurait voulu honorer pour la dernière fois son fidèle client, mais ce jour-là était beaucoup trop dur pour elle et elle s'enfuit du salon, oubliant son sac et son blouson, sous la sidération de ses co-employés et elle couru jusqu'au cul de sac de la rue d'à côté où elle se laissa glisser en larme le long d'un mur.


Dernière édition par Luzia Michel le Lun 4 Mai 2020 - 9:36, édité 1 fois
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Mer 18 Mar 2020 - 15:00
Julian végétait sur une chaise, attablé devant son habituel bol de Corn Flakes. Les quelques céréales migraient au gré des coups de cuillère qu’il donnait, distraitement. Le brun portait son regard sur l’extérieur, au-delà de la baie vitrée de son séjour. Le monde s’activait, les klaxons succédaient aux martèlements des chantiers voisins. D’une main, Julian repoussait son petit déjeuner, sans même y avoir touché. Les flocons de maïs perdaient toute consistance, se transformant en une infâme bouillie jaunâtre. La simple vue de cette mixture lui provoquait un haut-le-cœur. Julian manquait d’appétit. Plus exactement, ce dernier lui faisait défaut.  L’homme vidait le contenu du bol dans la cuvette des WC, auteur d’un gaspillage honteux. La chose l’indifférait totalement. Il jetait négligemment le récipient dans le lave-vaisselle, puis gagnait l’étage. Midi sonnait déjà et Julian portait encore son pyjama. L’acteur accusait un retard certain. Il pouvait se passer une journée entière, sans que l’homme ne s’en sépare. Julian sortait peu et préférait se cloîtrer chez lui, à l’abri des regards. Il se cachait derrière son état convalescent pour fuir ses obligations. Tout lui était égal.

Nécessité fait loi. Il enfilait couche de vêtement après couche de vêtement, se préparant rapidement. Aujourd’hui, il ne pouvait jouer les insociables. Il devait honorer un rendez-vous chez le coiffeur. Rafraichir sa coupe de cheveux devenait une réelle nécessité.  Il conservait toujours une certaine longueur, de quoi dissimuler ses oreilles – qui constituaient l’un de ses grands complexes. Toutefois, s’il continuait de la sorte, il allait se retrouver avec une cascade sur les épaules. Il n’en souciait pas réellement, n’attachait que peu d’importance à ce détail. Mais il fallait bien consentir à quelques efforts, de façon à donner le change. Histoire de ne pas inquiéter ses proches… Depuis son hospitalisation, tous lui tournaient autour et lui témoignaient un empressement des plus inhabituels.  Nombre de connaissances venaient subitement aux nouvelles, après des mois, voire des années de silence. Un intérêt hypocrite… Il offrait sûrement un spectacle rassurant pour leurs egos. Par comparaison, ils pouvaient se glorifier de leurs petites vies prétendument parfaites et pourtant dénuées de sens.

Le brun se tenait fin prêt, appuyé contre l’évier de la cuisine. Un verre d’eau à la main, il avalait cachets et gélules. Au traitement de sa maladie chronique, s’ajoutaient les prescriptions faites suite à son malaise cardiaque. Tous ces médicaments l’impactaient physiquement et moralement. Il n’en pouvait plus de ces pilules. Sa tâche accomplie, il attrapa son sac et ses clefs. Vingt minutes plus tard, il cheminait en direction du Beauty Center. Il avançait sans vraiment faire attention aux passants, le regard dans le vague. Il laissait aux autres la charge de l’éviter. Les pensées pullulaient dans son esprit, aussi diverses que variées. Julian ressassait ses inquiétudes, elles le traquaient en permanence. Il ne trouvait aucun répit, pas même la nuit où seul son insomnie lui tenait compagnie. Il songeait à cette reprise du travail, qu'il ne cessait de repousser, etc... Alors qu’il ruminait ses idées, Julian poussa la porte du salon.

Il se présentait près du comptoir, pour patienter. Julian entendit l’une des esthéticiennes interpeller Luzia, sa coiffeuse habituelle. Cette dernière lui offrit un semblant de sourire. Ce fut pourtant son regard étrangement familier qui le frappa, pour l’avoir déjà vu chez quelqu’un d’autre. Ce n’était pas un regard que l’on s’attendait à retrouver chez une personne s’apprêtant à donner la vie, loin de l’air radieux que l’on prêtait aux femmes enceintes. Julian se délesta de son manteau. « Bonjour ! D’accord, merci… » répondit-il d’une voix monocorde. Julian fit selon ses recommandations. Au retour de l’esthéticienne, il enfilait le peignoir qu’elle lui tendait. Il sentait les regards des autres employés rivés sur eux, chose qui l’irritait. « Oui, s’il vous plaît. » En temps normal, il aurait peut-être cherché à faire un brin de conversation. Mais actuellement, moins il parlait, mieux il se portait. Julian demeurait donc dans son mutisme. La jeune femme ne cherchait pas plus à bavarder. Il l’avait connue plus volubile. Un filet d’eau chaude se déversait sur ses cheveux, tandis qu’il fixait le plafond. Soudain, le liquide devint gelé. Julian hoqueta de surprise. Luzia se confondit en excuses. Elle fut interrompue par le rire d’une collègue. La jeune femme explosa, jurant devant les clients. Il lisait la fureur dans son regard. Julian la vit s’excuser une fois de plus, avant de quitter les lieux.

L'acteur se levait promptement, séchant ses cheveux à l’aide de la serviette qu’elle lui avait tendue. Il se sentait excédé, courroucé. Un silence de mort régnait dans le centre. Le plus naturellement du monde, il se leva et partit récupérer ses affaires au vestiaire. Il se fichait bien de savoir si la chose était permise ou non. À deux pas de la sortie, il s’arrêta devant ladite collègue. « Vous avez le rire le plus insupportable que j’ai jamais entendu. » lui asséna-t-il. Puis il reprit sa route. Alors qu’il mettait un pied dehors, il leur fit face une dernière fois. « Si les idiots volaient, nous serions dans un aéroport. » Là-dessus, il claqua la porte. Julian s’éloigna à grandes enjambées. Il savait parfaitement reconnaître une personne en détresse. Cette jeune femme envoyait pourtant plus d’un signal, mais ses collègues ne semblaient pas le remarquer, trop accaparés par leurs petites personnes. Le brun ne tarda pas à la retrouver, au bout d’une impasse. Julian rompit la distance et se posta à un ou deux mètres d’elle. « Ce n’est rien, vous savez. J’avais besoin de me rafraichir les sinus… » plaisanta-t-il, cherchant à la détendre l’atmosphère. Il fouilla dans ses poches, puis lui tendit maladroitement un mouchoir. « Je vous proposerais bien un café, pour vous retaper. Mais dans votre état… » Il ne savait pas vraiment quoi lui dire. « Je crois que votre collègue n’est pas près de se re-moquer de vous, si ça peut vous consoler… »


Dernière édition par Julian Lane Keller le Sam 9 Mai 2020 - 9:16, édité 1 fois
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Jeu 19 Mar 2020 - 7:18


Julian & Luzia

And the Sky may look Blue



Luzia était furieuse accroupie contre le mur de cette impasse miteuse qui empestait l'alcool et l'urine. Son visage entre ses mains, elle pleurait de rage, animée par un tremblement aussi violent que nerveux. Elle était terriblement agacée par tout ce qu'il venait de se produire. Outrée par l'attitude puérile de ses collègues dont le comportement n'était même pas digne d'une cour d'école. Courroucée de n'avoir su y résister. Mais ce rire sournois avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. L'esthéticienne aimait son travail. Elle aurait vraiment voulu y arriver jusqu'au bout, mais qu'aurait-elle dû faire pour y parvenir ? Elle ne pouvait plus être hypocrite. Ses collègues, elle les détestait toutes. Elles étaient futiles, vulgaires, insignifiantes, stupides. Bien sûr qu'elles n'avaient aucune idée de ce que la jeune femme était entrain de traverser, mais jamais elle ne leur en aurait parlé. Elle refusait de lire leurs regards désolés. Elle refusait de perdre la face devant elles, elle, la jeune femme à qui tout réussissait. La jeune femme en couple, enceinte jusqu'au bord des yeux, qui prenait soin des plus prestigieux clients. Mais ces clients, c'était à force de travail qu'ils la réclamaient et non pas pour toutes les raisons humiliantes que la rumeur lui prêtait. Elle pesta. Ils lui faisaient vraiment tous chier dans ce salon de merde, mais en même temps, l'idée de ne plus y remettre les pieds la pétrifiait, car c'était bien là le seul endroit où elle parvenait encore à avoir un semblant de vie normale. Elle jurait. Et en même temps, elle culpabilisait pour son client, Julian Lane Keller, qui lui avait toujours été d'une fidélité sans faille. Comme de tout ses clients, elle avait toujours aimé s'en occuper et pas parce que c'était une star, ça elle s'en serait bien passé. Cela lui aurait évité des situations oppressantes comme celle qu'elle venait de vivre. Mais il n'avait pas mérité son bain d'eau glaciale, comme il n'avait pas mérité de se retrouver planté seul dans ce salon putride.

Luzia s'intégrait mal dans le paysage, l'impasse était jonchée par les ordures de toute part, mais le visage toujours entre ses mains, elle se plaisait à croire qu'elle y était invisible. Invisible, comme sa vie partie en fumée l'était aux yeux de tous. Mais elle se trompait. Elle entendit des pas s'approcher et elle hoqueta surprise lorsqu'elle releva les yeux vers leur émetteur. C'était son client. Qu'allait-il lui dire ? Qu'elle était incompétente ? Elle n'en avait plus rien à foutre. Celui-ci se posta alors à deux mètres d'elle. Elle se sentait stupide, prise en flagrant délit entrain de braire.

« Ce n’est rien, vous savez. J’avais besoin de me rafraichir les sinus… »

Lui confia-t-il sur le ton de l'humour. Elle eût un petit rire nerveux. Il n'était vraisemblablement pas le gros con prétentieux qu'on lui avait décrit. En même temps, il eût fallut être stupide pour en douter. Quand on coiffe quelqu'un, un lien étrangement intime apparaît, et même sans le connaître, elle l'avait ressenti plus d'une fois en démêlant les noeuds intrépides qui se battaient sur sa caboche. Luzia se redressa légèrement pour accueillir bien volontiers le mouchoir qu'il lui tendait. C'était moche une jeune femme qui pleurait pathétiquement dans une ruelle sordide. Elle le remercia d'un hochement de tête avant d'essuyer le mascara qui avait coulé le long de ses joues à cause des larmes. Puis elle se moucha non sans un bruit. Elle aurait préféré qu'il ne la voit jamais ainsi, c'était si peu professionnel, mais à quoi bon après tout. Elle n'avait pas d'autre issue. Elle ne s'était d'ailleurs même pas trop étonnée de le voir ici.

"Effectivement dans mon état on va éviter."

Répondit-elle froidement. Elle n'en pouvait plus d'entendre parler de son état. Elle était enceinte, ça, il était impossible de le nier, mais elle ne le supportait plus, elle n'attendait d'ailleurs qu'une seule chose depuis des mois, c'était d'être débarrassée de ce monstre qui lui poussait dans les entrailles. Elle se mordit discrètement la langue comme pour se punir de cette pensée. L'enfant n'y était pour rien. Comme Julian ne méritait pas sa froideur actuelle. Elle le regarda de la tête aux pieds. Il était encore plus impressionnant debout devant elle et semblait toujours plus grand vu d'en bas. Elle lui adressa un rictus maladroit. Il n'avait pas l'air en bien bon état non plus. Ses yeux étaient cernés et ses cheveux qu'elle avait laissé humides lui donnait un air encore plus fatigué. Si au moins elle avait pu finir ce qu'elle avait commencé...

« Je crois que votre collègue n’est pas près de se re-moquer de vous, si ça peut vous consoler… »

Ajouta-t-il. Il avait l'air encore plus mal à l'aise qu'elle ne l'était. Luzia se hissa alors maladroitement sur ses jambes. Elle était touchée de savoir qu'il avait prit sa défense alors qu'elle l'avait involontairement maltraité. C'était grand seigneur de sa part. Elle imagina alors la tête de sa collègue qui devait être bien vexée à l'heure actuelle et si la honte ne la terrassait pas, elle aurait d'ailleurs bien aimé la voir, sans doute à piailler furibonde comme une pie. La jeune femme s'approcha alors de Julian pour regarder son travail inachevé. Il était vrai qu'il avait bien besoin d'une coupe, mais elle ne pourrait rien pour lui cette fois. Elle soupira avant de plonger ses yeux rougis dans les siens. Il méritait bien un sourire véritable pour avoir été la victime collatérale du désastre de sa vie.

"De toute façon, ils ne sont pas prêts de me revoir vous savez."

Confessa-t-elle. Il ne l'était par conséquent pas lui non plus, et elle se surprit à trouver ça dommage, se rendant compte que sa présence dans ce moment aussi trouble lui était finalement bien agréable. Elle ne se reconnaissait plus. Elle était brisée de toute part, mais sa tristesse faisait naître en elle un comportement nouveau. Emancipé. Si l'incident s'était produit quelques semaines auparavant, elle ne se serait pas énervée. Elle aurait fondu en larmes dans le salon et n'aurait jamais juré devant les clients. Puis elle aurait continué à se flageller toute la nuit durant. Elle aurait eu honte et jamais au grand jamais elle n'aurait pu regarder son interlocuteur dans les yeux. Mais aujourd'hui elle était animée par une force nouvelle - celle du désespoir - et bien que quelque peu branlante sous le coup de l'émotion elle essayait de se maintenir droite et fière devant son client. Qu'allait-il advenir maintenant, ça elle n'en savait rien, mais une seule chose était sûre, c'était qu'elle ne retournerai pas au Beauty Center.

"Je ne peux effectivement pas boire de café, lui dit-elle en souriant, mais je peux faire d'autres choses si vous avez une idée." conclua-t-elle maladroitement.


Dernière édition par Luzia Michel le Lun 4 Mai 2020 - 9:36, édité 1 fois
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Mar 24 Mar 2020 - 16:53
Julian se demandait par quel miracle un paquet de mouchoirs s’était retrouvé dans la poche de sa veste. Il n’en gardait aucun souvenir, n’en ayant que rarement l’usage. Il avait la fâcheuse habitude d’y glisser à peu près tout et n’importe quoi, sans doute pour se libérer les mains. Pièces de monnaie, tickets de caisse, stylos, billets et clefs s’entrechoquaient, rythmant chacun de ses pas. Ses poches lui servaient de fourre-tout, à l’instar des sacs à mains féminins.  C’était d’une grande commodité lors des cérémonies ou tapis rouges. Jullian pouvait garder son téléphone sur lui, ainsi que quelques autres babioles toujours utiles à son sens. Il se laissait aller à cette réflexion sans queue ni tête, alors qu’il se tenait au milieu de cette impasse plutôt sordide – pas vraiment le genre d’endroit où il se rendait, habituellement. Voilà qui rompait la monotonie de son quotidien. Ses cheveux gouttaient sur ses épaules, l’eau perlait sur le tissu épais. Dans sa précipitation, il avait séché sa tignasse avec fort peu de soin. Il en payait les conséquences, sans réellement s’en préoccuper. D’une main, il les lissa en arrière. Son visage fut ainsi dégagé. Son attention se portait sur la jeune femme accroupie au sein de ce triste décor. Julian maintenait une juste distance, afin de respecter son espace vital. Une pointe d’irritation persistait. Le comportement de ses semblables l’exaspérait profondément, par moments. Le rire de cette femme raisonnait encore dans sa tête.  Il avait eu des mots durs à son encontre, une réaction qui ne lui ressemblait pas. Julian perdait aisément patience, la fatigue y était sûrement pour quelque chose. Cela l’excusait-il pour autant ? Il s’agissait d’une accumulation de petits détails. Dès son entrée dans le salon, Julian s’était senti agacé par les quelques regards en biais et ricanements stupides. En allant chez le coiffeur, il ne pensait pas se rendre à la foire du dimanche. Pourtant, le même numéro se répétait à chaque visite. Habituellement, il ne s’en formalisait pas et conservait son air impassible. C’était un fait coutumier pour lui. Là où il passait, d’aucuns perdaient tout maintien et réagissaient de diverses façons. L’anonymat lui manquait, l’époque où nul ne se souciait de lui. Il n’était rien de plus que Julian, petit comédien germano-américain – ce que l’on avait eu tôt fait d’oublier. Il continuait de se voir comme tel, même si l’acteur sommeillant en lui semblait s’être fait la malle

Il était parvenu à lui décrocher un petit rire. Nerveux, certes… Mais un rire quand même ! Luzia relevait le menton. Il détourna le regard, pendant qu’elle se mouchait. Tant bien que mal, il essayait de lui offrir un semblant d’intimité. Après tout, qui aimait pleurer devant un quasi parfait inconnu ? Certainement pas lui, Julian manifestait toujours une certaine pudeur dans ses manières. À son âge, il ne risquait plus de changer. C’était assez étrange comme situation, pour ne pas dire surréaliste. L’esthéticienne, qui lui coupait les cheveux, était en train de pleurer face à lui. Il n’aurait jamais pu imaginer pareil contexte. Julian n’était pas très doué pour consoler les gens. Les personnages - qu’il incarnait- s’en sortaient toujours bien mieux que lui dans ce domaine. C’était dire ! Quand Alex pleurait devant lui, cela lui déchirait le cœur et il faisait de son mieux pour la réconforter. Toutefois, il n’excellait pas vraiment dans cette discipline. Si on ajoutait sa maladresse naturelle, Julian n’était pas d’une grande aide.

La froideur de sa réponse le surprit. Il cherchait ce qui avait pu causer cette réaction. Peut-être n’appréciait-elle pas que l’on se réfère à sa grossesse. Julian se sentait un peu plus gauche. Il ignorait ce pour quoi elle pleurait. En définitive, cela ne le regardait pas. Toutefois, il doutait fort que ses hormones en soient à l’origine. Diantre, Julian détestait vraiment tous ces clichés à propos des femmes enceintes. Non, le présent problème paraissait bien plus sérieux. Son comportement trahissait une profonde lassitude. Julian cherchait encore quoi faire. Il sentait juste une chose, ce n’était pas le moment de la laisser seule. Luzia semblait l’étudier du regard. Il devait offrir un drôle de tableau, avec ses cheveux mouillés et en pagaille. Il n’oubliait pas les marques violacées au bas de ses yeux, deux belles valises. Julian avait une mine horrible, mais c’était le cadet de ses soucis. Nul ne lui rafraichirait sa coupe, aujourd’hui. Ses proches le gratifieraient de quelques remarques, le railleraient gentiment. Il ressentait une pointe de frustration, s’étant aventuré dehors pour rien. Julian n’en voulait pas à l’esthéticienne. Il ne la blâmait aucunement. Le brun maudissait davantage ses collègues, de sacrées pintades ! À la voir pleurer de la sorte, son irritation ne pouvait que s’estomper. Luzia se redressa, puis rompit la distance. Un sourire s’esquissa sur les lèvres de la jeune femme. « C’était votre dernier jour, je présume. » Simple déduction de sa part ! La chose n’était pas très compliquée à deviner. Sa grossesse lui semblait déjà bien avancée. Elle approchait de son terme. « Je crois que j’irai me faire couper les cheveux ailleurs, jusqu’à votre retour. Vos collègues manquent un peu trop de discrétion, à mon goût… » L’optique d’être coiffé par l’une de ces femmes le rendait profondément mal à l’aise, elles le regardaient toujours comme s’il était un fichu carreau de chocolat. Égoïstement, il déplorait son congé. Luzia était plus que professionnelle. Il ne dispensait pas sa confiance facilement. Julian avait appris à se fier à elle. Il lui reconnaissait également d’autres qualités. Leurs conversations avaient toujours été posées et enrichissantes. Ce petit rendez-vous mensuel allait peut-être lui manquer. « Pourquoi ne pas marcher un peu, histoire de prendre l’air ? Ça fait toujours du bien. » Julian prit les devants, l’invitant indirectement à suivre son exemple. Il voulait la sortir de cette ruelle sombre et peu hygiénique. « Peut-être que nous trouverons une buvette, en chemin. Vous hydrater vous fera du bien. » Pleurer donnait inévitablement soif. Julian atteignait enfin le carrefour, il apercevait la façade du Beauty Center. Il se tourna alors vers la Luzia. « Vous voulez peut-être que j’aille chercher vos affaires ? » Elle n’aurait sûrement pas envie d’y retourner, après ce qui venait de se passer. S’il pouvait lui éviter cette corvée...
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Mer 25 Mar 2020 - 6:57


Julian & Luzia

And the Sky may look Blue


Luzia s'était cachée pour pleurer tel un animal blessé s'exilant pour mourir. Sa vie entière avait perdu tout son sens, toute raison, si bien que le contrôle total des évènements dans lequel elle excellait depuis sa plus tendre enfance se faisait aujourd'hui histoire ancienne. Après dix ans d'une vie bien réglée, les rouages parfaitement huilés de sa mécanique s'étaient enlisés. Ils déraillaient même complètement l'agitant alors de toute part, à nue, dans le courant d'un océan de tourment sans la moindre arme pour se défendre. Sans le moindre outil pour l'apprivoiser. Et c'était violent. Cela n'avait prit que cinq mois. Cinq mois sur trente-cinq ans pour que tout ne s'effondre. Pour que toute logique ne disparaisse, naufragée du quotidien, noyée par le déferlement de l'onde obscure et sournoise qu'était la vie. Alors oui, Luzia pleurait adossée contre ce mur délavé, dans cette ruelle sordide puant l'alcool et l'urine. Son visage entre ses mains, elle suffoquait, hoquetait pour chercher en vain un peu d'air. La rage avait prit le pas sur le désespoir. Elle ne pouvait plus être malmenée. Elle ne pouvait plus se laisser faire. Et toutes ses convictions étant devenue caduques, que lui restait-il dès lors si ce n'est la rébellion ? Si ce n'est le grand soir ?  

Un vent nouveau soufflait sur sa vie. Luzia se métamorphosait. Elle devenait femme et non plus enfant, submergée subitement par un flot d'émotions contraires, de la peur au désir, de la joie à la haine, de la lionne et non plus de l'oiseau. Il fallait que les choses changent. Il fallait tout refaire. Mais le processus était bien long avant qu'elle ne soit totalement émancipée de l'ancienne elle. Oui, parfois, l'espoir de retrouver Simon, de retrouver sa vie d'avant l'envahissait subitement. Insidieusement. Mais c'était de plus en plus courte durée, comme si la fortune ne voulait lui accorder ce répit. Après le départ de son homme, le malaise causé par Astrid, les atomes crochus qu'elle avait pour Björn, la voilà qui s'effondrait devant Julian, son fidèle client, comme s'il fallait tout détruire pour qu'elle puisse enfin renaître. Tout détruire oui, seulement, il restait un dernier rempart à cette résurrection. Oui, un ultime rempart, et c'était cet enfant qu'elle avait dans le ventre et dont il fallait qu'elle se débarrasse, faute de quoi elle ne se remettrait jamais. Faute de quoi elle subirait, passive, les ruines de cette ancienne vie qui semblait prendre fin aujourd'hui.

Julian se tenait face à elle. Il était arrivé par surprise. Elle ne l'avait repéré qu'au dernier moment, ne pouvant alors dissimuler ses larmes. Elle ne le tenta même pas. Elle n'aurait jamais voulu qu'il la voit ainsi. Elle n'aurait jamais voulu que personne ne la voit ainsi. Mais c'était arrivé comme cela arrivait beaucoup trop souvent ces derniers temps. Comme si toutes les situations se faisaient écho. Mais contrairement à Astrid ou Björn, Julian n'avait pas fière allure lui non pour cette nouvelle entrevue. Il était pâle, fatigué, mouillé, ses cheveux se battaient en duel et son regard dissimulait mal une certaine crispation. Au moins, ils étaient presque sur un pied d'égalité. Et c'était rassurant pour Luzia qui lui offrait là une bien triste représentation. Il dégagea son visage. Son charme persistait malgré tout. Il lui tendit un mouchoir, voilà qui était réconfortant.

La jeune femme s'arrangea légèrement. Elle apprécia que le brun se tourne pour lui laisser un semblant d'intimité. Il y avait toujours eu cette chose entre eux. Une sorte de mélange entre le respect et la pudeur. Quand tout le Beauty Center se ridiculisait systématiquement à la moindre de ses visites en s'épanchant dans l'idolâtrie, Luzia quant à elle restait simple. Star ou pas, il n'en restait pas moins un homme. Les chichis auraient tout compliqué. Evidemment, il serait de bien mauvaise foi que d'affirmer qu'elle ne s'était jamais sentie impressionnée par le charisme de cet homme ou flattée par la confiance qu'il lui accordait, mais jamais au grand jamais elle ne le lui aurait montré, car elle estimait que cela ne le regardait tout simplement pas. Et c'était sans doute cette discrétion qui avait favorisé leurs rapports. Sans le connaître réellement, elle appréciait sa présence, comme elle appréciait qu'il ne se montra jamais trop curieux à son égard lui non plus, à l'instar des maudits turlupins du Beauty Center.

C'est donc tout naturellement que malgré son piteux état, Julian parvint à lui décrocher un petit rire. Une fois celui-ci évacué, Luzia déversa sur lui un peu de froideur, ne pouvant l'empêcher de déborder, mais elle se ravisa rapidement. L'homme bien que maladroit tentait de la réconforter et c'était touchant. Elle n'avait pas à lui faire payer l'horreur qu'elle avait pour son état, l'horreur qu'elle avait pour ses collègues ni celle qu'elle avait pour la vie en cette trouble période. Il n'en avait vraiment pas besoin et cela eût été trop profondément injuste, déjà qu'elle l'avait abandonné avec les cheveux mouillés. La situation n'en restait pas moins étrange. Que pouvait-il advenir d'une esthéticienne et de son client dans un contexte auquel ils n'étaient pas coutumiers ? Luzia le toisait tout entier. Elle n'avait pas envie qu'il s'en aille, alors il fallait bien qu'elle s'élance une nouvelle fois dans l'inconnue. Elle se hissa maladroitement sur ses jambes encore quelque peu secouée par le cataclysme qu'elle venait de vivre, pour se mettre à sa hauteur, même s'il faisait largement plus d'une tête de plus qu'elle.  

"Oui, c'était mon dernier jour."

Le son de sa voix descendit progressivement au fil de ses mots. Elle était pensive. Qu'allait-elle faire maintenant qu'elle ne travaillerait plus ? Cette angoisse était montée toute la journée pour finalement devenir dévorante. C'était d'ailleurs elle qui l'avait poussée à ne plus supporter les petites humiliations dont elle était quotidiennement victime au centre. Le rire de son espiègle collègue avait été celle de trop. Elle baissa ses yeux tristes, apathique, mais les releva rapidement aux mots de Julian. Elle ne lui en voulait pas d'aller voir ailleurs. Le corporatisme qui faisait légion dans sa profession lui volait bien au-dessus de la tête. Elle n'en avait que faire et ce d'autant plus qu'elle déplorait profondément le comportement de ses co-employés qui ne lui inspiraient que de la honte. Néanmoins, son regard s'illumina légèrement. Julian l'attendrait. Et cela faisait du bien à son égo quelque peu malmené ces derniers temps. Cela signifiait qu'il appréciait son travail, même si elle l'abandonnait lâchement, frigorifié par l'eau glacée, dans un salon peuplé d'abrutis. Et c'était rassurant. Elle eût envie de le remercier d'être simplement qui il était. Mais elle ne le fit pas.

« Pourquoi ne pas marcher un peu, histoire de prendre l’air ? Ça fait toujours du bien. »

"Je vous suis !"

Lui répondit-elle dans un intense regard. La situation était trop étrange. La jeune femme était dans un état second. Ereintée par sa crise. Alors il lui était beaucoup plus simple de se laisser guider. Elle ne voulait plus réfléchir, plus penser. Seulement marcher dans les pas de cet homme que la providence semblait lui avoir envoyée. Et le calme ainsi que le charisme que Julian dégageait naturellement étaient reposant. A ses côtés, elle se sentait étrangement à l'abri, protégée, légère même. Il était rassurant par sa simple présence.

« Peut-être que nous trouverons une buvette, en chemin. Vous hydrater vous fera du bien. »

La jeune femme acquiesça d'un hochement de tête mais un léger rougissement trahi subitement sa gêne. Elle n'avait pas d'argent. Elle avait laissé toutes ses affaires au centre. Allait-il l'inviter ? Cela la gênait beaucoup. Ils arrivèrent alors rapidement au boulevard dans lequel se trouvait le Beauty Center et le coeur de Luzia se mit à battre. Le simple fait de voir cette devanture lui redonnait instantanément des boutons. Elle était incapable d'y retourner. Elle ne voulait pas subir les remontrances de ses patrons, ni la méchanceté de sa collègue qui avait dû être exacerbée par le courroux de Julian. Mais que pouvait-elle faire ? Sans sac, pas d'argent, pas de clé pour rentrer chez elle non plus. Devait-elle baisser la tête et courber l'échine, y était-elle vraiment forcée ? Elle ralentissait son pas tandis que l'angoisse remontait au galop pour bientôt battre dans ses tempes à tout rompre. C'est alors que Julian sembla lire dans ses pensées et Luzia écarquilla les yeux. Il lui proposait d'aller chercher ses affaires ? Son coeur lui criait d'hurler un immense oui, mais sa tête l'en empêchait. Il n'était pas obligé de faire ça, il n'était pas obligé de s'infliger ses collègues une seconde fois, elle ne le méritait pas, il n'avait pas à subir ses caprices, ses crises d'enfant, il en avait déjà tellement fait. Mais pouvait-elle elle se résoudre à y aller ? Serrant son poing autour du mouchoir que Julian lui avait confié dans sa poche, elle restait pétrifiée, incapable de répondre. Elle avala alors difficilement sa salive. Sa gorge était nouée. C'est finalement sa faiblesse qui triompha de ce combat intérieur.

"Si cela ne vous ennuie pas, je veux bien oui... J'ai un peu peur de les voir..."

Répondit-elle à faible voix avant de baisser les yeux. Cet homme lui accordait là bien trop d'honneur. Elle l'avait malmené, mais il restait là pour elle alors qu'il ne lui devait rien. Elle en ignorait les raisons, mais égoïstement, cela lui faisait beaucoup de bien d'y avoir droit. Elle recula d'un pas pour se mettre à couvert tandis que Julian se dirigeait vers le salon. Elle ne voulait surtout pas qu'on la voit et elle se demandait comment se passait la scène à l'intérieur du centre. Elle se dit qu'elle aurait bien aimé la voir, mais la curiosité était un trop vilain défaut auquel elle refusait de se livrer. Alors elle attendit, fébrile, le retour de Julian. Le temps lui sembla très long, s'étirant. Alors, elle prit une décision. Au retour de son client, c'était elle qui lui offrirait un verre. Elle voulait le remercier de sa bienveillance. Et puis au moins, cela leur permettrait de se mettre au chaud. Le mois de mars était clément, certes, mais avec ses cheveux mouillés, Luzia craignait que son compagnon d'infortune ne prenne froid.


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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Sam 4 Avr 2020 - 18:41
Oui, c'était mon dernier jour. – Au ton de la jeune femme, Julian saisissait une part de sa détresse. Une sorte de désespoir terriblement familier perçait dans sa voix. Le voile l’entourant se soulevait un peu. Sa dernière journée de travail… Elle en attendait sûrement mieux, bien plus que les gloussements grossiers de ses quelques collègues. Quitter sa place lui coûtait, il pouvait le dire sans crainte de se tromper. Ce constat le ramenait à ses propres angoisses, faisant indirectement écho à sa situation. Julian avait été forcé à l’arrêt, lui aussi – du moins, dans un premier temps. Du jour au lendemain, il s’était retrouvé alité à l’hôpital, victime de l’un de ces coups en traître que portait parfois la vie. Son corps ployait sous le joug d’une fatigue physique et morale. Julian avait été déclaré convalescent pour une durée de huit semaines. Hasard du calendrier, il avait fallu qu’il tombe malade à la veille d’un dernier tournage. Un contrat qu’il était impossible d’honorer. Sa conscience professionnelle en prenait un coup. Julian se consacrait entièrement à sa carrière. Il n’en avait pas toujours été ainsi. Mais après son divorce, son travail s’était imposé comme une échappatoire idéale. Julian s’y noyait pour mieux oublier ses échecs, ses torts et regrets. Son investissement portait ses fruits, l’acteur acquérait enfin la reconnaissance de ses pairs. Il rencontrait le succès, au prix de quelques sacrifices. À commencer par la mort de toute vie privée et sociale, il évoluait au sein d’une industrie souvent décevante car superficielle et hypocrite. Il détestait cette poudre que l’on jetait aux yeux du vaste monde. Il abhorrait le paraître dégradant que l’on exigeait des acteurs, l’argent gangrenant le milieu. Une forte pression s’exerçait sur lui, le tenaillait. Il croulait sous le poids de la fatigue et du stress. Julian avait fini par imploser en plein vol. Il rejetait cet univers tout entier et pourtant, son travail lui manquait. La comédie, le jeu, ce pour quoi il s’était véritablement engagé sur cette voie. Julian n’arrivait plus à donner la réplique, il ne retenait plus ses textes. Son cerveau se montrait hermétique, opposait une ferme résistance. Sa mémoire lui faisait défaut, en un réflexe défensif. Ses performances sonnaient faux. Plus il essayait, plus cela empirait. Julian avait l’impression d’avoir oublié ou perdu tout ce qu’il savait. Comme s’il n’était qu’un simple amateur, loin de ses quatre années d’art dramatique à la Juilliard. L’idée le terrifiait. Il avait peur de ne plus être lui-même, de ne pas retrouver le comédien qui sommeillait en lui. Julian préférait donc se dire qu’il ne voulait plus de tout ça. C’était bien plus commode. Ainsi, il n’assistait pas à l’effondrement du château de cartes.

Julian dévisageait la jeune femme. Il se demandait ce qui pouvait être la cause de sa détresse. Certes, elle laissait temporairement sa place au Beauty Center. Mais elle y reviendrait tôt ou tard. Quelle était cette chose qui l’effrayait tant ? Il disposait de trop peu d’éléments. D’autre part et une fois plus, cette affaire ne le regardait pas. Pourtant, il restait vissé au sol et tâchait de comprendre, dans l’espoir de lui apporter un peu de réconfort. Julian ignorait quoi répondre à ces mots. Aussi, il garda le silence. Il craignait d’ajouter à son mal-être par une parole maladroite, chose dont il avait l’art. Ils ne pouvaient demeurer ici, au sein de cette ruelle obscure. Il l’invita donc à le suivre. Bien sûr, rien ne l’y obligeait. De plus, marcher… Oui ! Mais pour aller où ? Peu importait, Hambourg comptait plus d’une rue et elles aboutissaient toutes quelque part. La destination était accessoire. Julian devenait un marcheur, par la force des choses. Il s’agissait de l’un des exercices de sa rééducation. Si cette activité l’avait rebuté, il y prenait désormais un certain plaisir. Il appréciait l’impression de liberté, le calme environnant – lorsqu’il s’éloignait de la circulation. Julian se sentait peu confiant et terriblement perdu, alors qu’il gagnait le boulevard. Le brun espérait vraiment qu’une buvette se trouvait non loin de là. Il supposait peut-être mal. L’acteur ne connaissait pas si bien le quartier. Après tout, il vivait à Hambourg depuis deux petites années. Il passait le plus clair de son temps ailleurs, toujours aux quatre vents. Julian rentrait pour ses congés, mais ses tournages ne lui avaient pas laissé le temps de découvrir pleinement sa ville d’adoption. Un autre problème se présenta à lui. Luzia avait quitté le salon les mains vides. Ses affaires étaient à l’intérieur. Elle risquait fort d’en avoir besoin tôt ou tard. Il offrit d’aller les récupérer pour elle. La jeune femme semblait hésiter. Il comprenait aisément. À sa place, il aurait montré une réserve égale. Julian peinait à accepter les mains tendues. Il était foncièrement indépendant et craignait d’embarrasser ses semblables.  Il la vit serrer le mouchoir. Les jointures de ses mains se teintaient de blanc. Sa lutte intérieure prit fin. Luzia lui donna son aval. Julian la gratifia d’un large sourire, se voulant rassurant. « Au contraire, je suis sûr qu’elles seront ravies de me revoir. Je ne serai pas long. » Julian lui tournait le dos, puis s’engageait sur le passage piéton.

Il ne mentait pas. Les employés du Beauty Center ne l’impressionnaient pas le moins du monde. Il assumait chaque parole qu’il avait pu avoir. Il était même curieux de voir leurs réactions, lorsqu’il entrerait dans le salon – si peu de temps après l’avoir quitté. Le brun pénétra dans les locaux et demanda poliment à ce qu’on lui apporte les affaires de Luzia. Il ignorait ce à quoi ressemblait son sac ou sa veste. Un détail auquel il n’avait pas pensé. Une jeune femme les lui donna. Il put donc quitter les lieux, non sans avoir croisé le regard de la malheureuse rieuse qui se cachait derrière le comptoir. Son butin sous le bras, Julian traversait à nouveau la rue. Luzia l’attendait toujours sur le trottoir. Il lui tendit sa veste. Il attendit qu’elle la passe, pour lui rendre son sac. « Je crains que vos collègues commèrent davantage à votre sujet, après ça. Je n’aurais peut-être pas dû aller chercher vos affaires. » réalisa-t-il soudain. Il l’exposait aux verbiages de ses collègues, par son comportement. Il avait voulu lui rendre service… Mais… Parfois, Julian les entendait cancaner dans leur coin. Il comprenait parfaitement certaines allusions faites lorsqu’il entrait ou sortait du salon. Il n’était pas né de la dernière pluie. Le brun savait parfaitement que son esthéticienne faisait l’objet de commérages grotesques. « Désolé. » dit-il, un peu gêné. Au moins, elle n’avait pas eu à les affronter. Indirectement, il avouait être au courant de toutes ces insinuations stupides et parfaitement infondées. C’était son lot quotidien, il y était habitué. Mais pour Luzia, la chose devait être particulièrement désagréable.

Une fois que la jeune femme fut prête, l’acteur se remit en marche. Il avançait lentement, en silence. Il cherchait quoi dire. Les sujets possibles ne manquaient pas. On l’abreuvait constamment de banalité. Julian pouvait lui parler de n’importe quoi, la météo, l’inflation, la bourse, les prochaines élections, etc… Rien ne lui venait. Peut-être parce qu’il se coupait du monde depuis trop longtemps. Il ne prêtait plus attention à l’actualité ou à toutes ces choses qui le préoccupaient, autrefois. Quelque chose lui disait que ça n’intéressait pas plus sa camarade. Il préféra donc être lui-même, franc. « Cesser de travailler vous terrifie, je me trompe ? » Il regardait droit devant lui, incertain. « Vous n’avez pas à me répondre. N'hésitez pas à m’envoyer paître. Je me mêle sûrement de ce qui ne me regarde pas. Mais je connais ce regard. »
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Dim 5 Avr 2020 - 8:38


Julian & Luzia

And the Sky may look Blue


Lorsque Luzia confessa à Julian qu'il s'agissait aujourd'hui de son dernier jour de travail avant son congé maternité, son visage se referma progressivement. C'était comme si elle ne prenait réellement conscience de sa situation que maintenant qu'elle la formulait de vive voix. Qu'elle s'entendait la partager. Elle le savait depuis des jours pourtant, mais son cerveau ne semblait pas avoir traité, réalisé, assimilé l'information. Comme si, excellant dans la stratégie d'évitement, elle avait sciemment éludé la chose pour ne pas s'écrouler.

Son travail, c'était ce qui la forçait à se lever le matin, à se préparer, à sortir de chez elle. C'était lui qui lui donnait ce cadre qui la sécurisait. Qui la forçait à rester vivante. Il était le dernier rempart avant la déconfiture totale et complète. Alors qu'allait-il se passer maintenant ? Comment remplirait-elle ses longues journées à attendre que le terme arrive, à attendre que cette maudite grossesse ne s'achève, à attendre que le temps passe ? Elle n'avait plus personne, plus de famille, plus d'amis, plus d'amour et maintenant, plus de travail ? Elle l'avait quitté dans une telle rage. Elle qui l'aimait tant aurait tellement voulu une issue plus favorable. Elle risquait d'y penser souvent dans les jours à venir et cette dernière ligne droite risquait de se montrer extrêmement compliquée pour elle psychologiquement. Elle allait sans doute se résumer à tourner en rond au terrible son du tic tac de son horloge, dès lors, comment ne pas finir par perdre la raison, quand subitement, il ne reste plus que du vide ?

Elle soupira intérieurement. Julian la dévisageait. Il semblait chercher à comprendre pourquoi elle était si triste d'arrêter de travailler. D'essayer de comprendre ce qui l'angoissait tant à cette idée. Peut-être même que subsidiairement il se demandait également pourquoi cette future mère n'exultait pas à l'imminence de son terme. Pourquoi elle n'était pas plus heureuse d'enfanter, car toutes les femmes enceintes l'étaient non ? Mais Luzia n'était pas toutes les femmes. Le poids de sa douleur lui écrasait les épaules. Elle avait peur. Elle était perdue. Le vide qui emplirait son futur était terrifiant. D'un noir profond dont on ne pouvait rien déceler. Mais l'homme eu la pudeur et la décence de ne rien ajouter, enfin, pour le moment, ce qui la soulagea.

Un frisson parcouru l'échine de la jeune allemande. Dans cette ruelle, sans manteau, il faisait froid. Julian devait être frigorifié lui aussi avec sa tignasse toute mouillée. Il lui proposa alors de marcher ce qui n'était pas pour lui déplaire. Luzia avait toujours aimé ça, la marche. Elle qui était souvent moquée à l'école, se plaisait à refaire le monde seule, lors de longs parcours à dialoguer avec les nuages. La marche lui permettait de s'évader, de se vider, d'oublier ses tracas. C'était ses plus beaux moments de solitudes, choisis et assumés. Elle en adorait le silence car alors, même les bruits en devenait silencieux. Elle oubliait les vrombissements des moteurs, les klaxons des voitures, les hurlements des gens. Se recentrant sur elle-même, elle devenait libre d'être qui elle voulait, sans personne pour la voir, sans personne pour la juger. Et alors, la destination en devenait anecdotique. Aujourd'hui ne changeait finalement pas tant que cela de d'habitude pour elle.  

Ils rejoignirent rapidement le grand boulevard où se trouvait le Beauty Center. Faisant alors preuve d'une perspicacité remarquable, Julian nota que Luzia n'avait pas ses affaires. Elle avait pourtant fait bien attention à ne pas le montrer, redoutant l'obligation de devoir retourner la tête basse dans cette antre maléfique où tout le monde la calomniait, mais son partenaire du jour semblait avoir tout prévu. C'est donc tout naturellement qu'il lui proposa d'y aller pour elle. Luzia était gênée. Luzia culpabilisait à l'idée de l'y envoyer à sa place. Honteuse de sa propre lâcheté, de sa propre faiblesse. Mais elle ne se sentit pas la force d'y retourner, alors malgré son horreur d'être à nouveau un fardeau pour autrui, elle accepta après une hésitation qui sembla durer des heures. Julian lui sourit. Il était bienveillant. Dans son malheur, elle semblait avoir beaucoup de chance finalement.

Il souligna la cocassité de la scène avec un trait d'humour qui arracha un petit rire à la jeune femme. Il était vrai qu'en le voyant revenir, sa collègue serait à la fois furieuse et jalouse. Elle ne dirait rien sur le moment, non, ça l'esthéticienne le savait. Elle adulait trop Julian même si son avis sur le sujet devait être quelque peu nuancé maintenant, mais il était certain qu'au retour de son congé elle en entendrait longuement parler. Elle n'était pas naïve, et malgré la longueur de son absence, les harpies s'en donneraient à coeur joie. Elles répandraient cancans et ragots jusqu'à son retour. Elles n'oublieraient pas. Elles ne laisseraient pas couler de l'eau sous les ponts, jubilant trop de la matière qu'elles avaient entre les mains.

Julian tourna alors les talons pour se diriger vers le grotesque salon et Luzia se mit en retrait pour ne pas être repérée. Qu'elles parlent ses harpies, pensa-t-elle, elle préférait toujours cela plutôt que des questions incessantes sur cet enfant qu'elle s'apprêter à abandonner et auxquelles elle n'aurait certainement pas envie de répondre. En tout cas, l'homme n'avait pas menti et il revint très rapidement les bras chargés des affaires de l'esthéticienne. Elle s'emmitoufla à toute hâte dans son manteau et lâcha un léger soupir de délectation. Le froid s'était emparé d'elle plus qu'elle ne l'avait remarqué, alors cette vague de chaleur qui l'envahissait lui fit égoïstement le plus grand bien. Elle attrapa ensuite son sac à main.

« Je crains que vos collègues commèrent davantage à votre sujet, après ça. Je n’aurais peut-être pas dû aller chercher vos affaires. »

Regretta-t-il. Luzia lui adressa un sourire amusé qu'elle augmenta d'un haussement d'épaule. Elle y était habituée. Sa profession ne comptait pas que des perles, il s'y établissait même une majorité de commères comme le pauvre acteur avait été forcé de le constater, mais il s'excusa malgré tout ce qui toucha la jeune femme. Il semblait gêné de lui infliger ça. Gêné de savoir que la rumeur déferlait sur elle à cause de lui. Mais ce qu'il ne savait peut-être pas, c'était que dans tous les cas, même si cela n'avait pas été lui, elles auraient toujours fini par trouver quelque chose. Ces femmes, elles aimaient rabaisser le maillon faible autour d'elles. Cela les rassurait, leur permettait de se défouler sur quelqu'un pour oublier à quel point leurs vies étaient minables et tristes. Luzia avait vécu ce genre de violences injustes toute sa vie depuis le jardin d'enfants. Elle était trop jolie, trop gentille, trop parfaite. Son envie de plaire à tout le monde, de ne jamais décevoir la rendait faible. Elle était la proie idéale de ce genre de prédateur, alors si aujourd'hui elle avait craqué devant Julian, ce n'était finalement pas tant à cause de cela, puisqu'elle y était habituée et parvenait de fait à le prendre moins à coeur désormais, mais bien parce qu'elle s'apprêtait à s'arrêter de travailler.

"Je suis habituée vous savez. Merci, en tout cas, pour les affaires."

Ajouta-t-elle simplement. Elle voulait le rassurer à son tour. Qu'il y aille à sa place avait été le plus beau cadeau qu'il aurait pu lui faire. Il lui permettait de repousser l'échéance. Il lui permettait de ne devoir l'affronter qu'une fois que tout serait fini, sans enfant, sans grossesse, sans angoisse. Mais la curiosité n'avait pas quitté Luzia. Alors, elle ne pu s'empêcher de lui demander les yeux brillants :

"Comment c'était là-dedans ?"

Elle était prête. Julian entama la marche et elle lui emboîta le pas. Un silence s'installa. L'homme semblait chercher quoi dire, mais Luzia elle, n'essaya même pas. Elle passait ses journées à raconter des banalités à des clients dont au fond elle se foutait. Cela permettait de faire passer le temps plus vite et eux se sentaient rassurés, écoutés. En se tenant aux côtés de l'acteur, la jeune femme avait envie de tout, sauf de ça. Elle préférait une discussion plus naturelle, motivée par un réel désir de communier ou du silence. Un silence non pesant. Un silence consenti, dans lequel on se sentait libre de ne pas parler. De ne pas être obligé de parler. Car c'était reposant. Cependant, elle ne s'attendit à la frontalité de la question que Julian lui posa alors.  

« Cesser de travailler vous terrifie, je me trompe ? Vous n’avez pas à me répondre. N'hésitez pas à m’envoyer paître. Je me mêle sûrement de ce qui ne me regarde pas. Mais je connais ce regard. »

Le souffle quelque peu coupé par la surprise, Luzia rougit légèrement. Il était vrai qu'elle ne lui devait aucun compte, comme il était vrai qu'il se mêlait de choses qui ne le regardait pas. Elle aurait donc effectivement pu l'envoyer paître. Mais sa sincérité était belle. Et cette question bien que profondément dérangeante pour la jeune femme se montrait bien plus appréciable que n'importe quelle banalité. Elle ne su quoi lui répondre dans un premier temps. Cette interrogation le taraudait depuis qu'elle lui avait annoncé la nouvelle, elle le savait. Et puis, il y avait la mention de ce regard aussi. Le sien. Seuls ceux ayant vécu des traumatismes profonds pouvaient avoir le même, pouvaient le reconnaître. Björn l'avait fait et Julian venait de le faire. Alors, elle fut frappé subitement par l'évidence. Ce regard, il le connaissait car plongé dans le lointain, il arborait le même. Etait-ce rassurant ? Ce n'était sans doute pas le bon terme, mais cette proximité incitait insidieusement à la confidence. Luzia se sentait si seule depuis que tout avait basculé. Peut-être qu'il était temps de déposer un peu de poids sur le bord de la route aux côtés de Julian. Elle ne le connaissait pas autrement que comme client, mais elle sentait que quelque chose pouvait les unir. Et ce quelque chose, c'était cette noirceur profonde qu'ils avaient tous les deux dans les yeux. Reprenant son souffle, elle essaya d'organiser les idées dans sa tête avant de lui répondre.

"Vous ne vous trompez effectivement pas et vous le savez, car vous possédez vous aussi ce même regard."

S'osa-t-elle à répliquer, fébrile. L'attaque était quelque peu frontale, mais elle était centrale. De sa réponse dépendait la suite de leurs échanges. Luzia ne pouvait décemment pas se livrer à lui sans savoir s'il était digne de confiance ou non, ainsi, tel un animal jaugeant son adversaire, elle le provoquait pour savoir à qui elle avait réellement à faire. Mais elle avait bon espoir.

Luzia n'était pas du genre à parler d'elle. Elle n'aimait pas parler d'elle. Elle était plutôt du genre à se cacher pour chouiner, effrayée de décevoir en dévoilant sa faiblesse qui se mettait fatalement à déborder de toutes ses pores la rendant toujours plus criante. Alors parler, pour elle, c'était autre chose et elle n'avait jamais vraiment su s'y prendre. Peut-être était-il comme elle ? Ou peut-être qu'il était plus habile qu'elle ? Elle le découvrirait bientôt.

La situation était étrange pour l'esthéticienne qui se trouvait alors à rompre la distance professionnel / client qui était ordinairement de rigueur entre eux. Mais en même temps, Julian Lane Keller n'était pas un client comme les autres. Il ne l'était pas non pas parce qu'il était célèbre non, mais parce qu'il possédait ce même regard.

Le bitume défilait alors silencieusement sous leurs pas. Luzia comme à son habitude n'avait pas prit la tête du cortège préférant se laisser aller à suivre, seulement, elle était quelque peu interloquée. L'homme disait chercher une buvette, seulement, il n'en prenait absolument pas la direction. Bien que dans le centre de Hambourg, il s'enfonçait de plus en plus dans le Jungfernstieg, à savoir la zone la plus commerciale de la ville. Ici, il trouverait des boutiques de luxe à n'en plus finir, mais certainement rien pour s'abreuver. Connaissait-il réellement la ville ou était-il complètement perdu ? En temps normal, Luzia n'aurait rien dit. En temps normal, Luzia aurait laissé faire. Mais là, l'acteur avait les cheveux mouillés par sa faute. Et le risque qu'il ne prenne froid grandissait à chaque pas. Elle s'arrêta donc subitement devant un carrefour. Plusieurs choix s'offraient à eux. Toujours déterminée à lui offrir un verre, la jeune femme comptait l'éclairer un peu afin qu'il prenne sa décision avec toutes les cartes en main.

"Julian, si nous continuons tout droit, nous ne trouverons rien pour boire." Elle fit une pause et avança jusqu'à sa hauteur. "A gauche, vous avez l'Altstadt, ou la vieille ville. C'est le quartier touristique de Hambourg. Ici, vous trouverez de quoi boire et manger à n'en plus pouvoir dans la plus pure tradition Hambourgeoise." Elle marqua un temps avant de lui montrer du bras. "Et à droite, vous avez St Pauli, ou le quartier de la nuit. Ici, vous trouverez bars branchés, night clubs et autres lieux festifs. De quoi avez-vous envie ?"

Lui demanda-t-elle sincèrement en plantant son regard dans le sien. Elle, elle n'en savait rien. Sa vie était parfaitement réglée, elle n'avait jamais réellement bu, jamais réellement fumé, jamais réellement fait la fête. Elle connaissait mieux l'Altstadt, qui était plus traditionnel et pas du tout St Pauli, mais elle n'avait aucune envie précise alors, peu importait ce qu'il choisirait, tant qu'ils étaient tous les deux au chaud, cela lui conviendrait. Et puis, ne s'agissait-il là pas encore une fois d'un bon test pour savoir à qui elle avait à faire ? Elle attendit patiemment sa réponse en lui souriant.


Dernière édition par Luzia Michel le Lun 4 Mai 2020 - 9:37, édité 1 fois
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Dim 3 Mai 2020 - 23:20
Malheureusement, elle ne pouvait qu’y être habituée. Quelles autres options avaient-elles, sinon celle-ci ? Hambourg pullulait de salons en tous genres. Il s’en ouvrait chaque jour de nouveaux, quand d’autres baissaient le rideau pour dépôt de bilan, reconversion, changement d’adresse, départ en retraite ou que savait-il encore. Autant de possibilités, d’endroits où trouver une nouvelle place, mais l’herbe n’était pas nécessairement plus verte ailleurs. Julian avait eu tôt fait de l’apprendre. À chaque lieu ses énergumènes, comme si la nature en avait décidé ainsi, maintenant une sorte d’équilibre sociétal, un ordre des choses. Luzia aimait sans doute cet endroit. L’ombre s’accompagnait toujours de lumière, par deux elles allaient. Julian possédait une opinion biaisée, basée sur une observation tronquée, lacunaire. En définitive, il passait peu souvent au salon, une fois par mois, tout au plus. Il ne voyait qu’une infime partie de son quotidien, n’en connaissait pas les coulisses, contrairement à la jeune femme. Luzia le vivait de l’intérieur. Le Beauty Center avait sûrement ses avantages, ses points positifs. Après tout, Julian en demeurait le client, en dépit des commérages. Il devait bien y trouver son compte, d’une façon ou d’une autre. Enfin, il aurait fallu chercher une nouvelle adresse, consulter les avis, se fier à un nouveau coiffeur, etc… Tout ce qu’il détestait. Une longue suite d’efforts auxquels il n’était, peut-être, pas prêt à consentir. Oui, ce salon avait ses défauts, à commencer par les quelques gloussements moqueurs et peu professionnels d’une poignée de ses employés. Mais il comptait du personnel compétent et à l’écoute de sa clientèle, car tous n’adoptaient pas ce comportement puéril. Luzia en était le parfait exemple. Julian était prompt à relever uniquement les aspects les plus négatifs. Comme s’il avait laissé son optimisme derrière lui, dans cette chambre d’hôpital, ce jour où il s’était vu mourir.

Lui aussi, il y était habitué, aux racontars. On s’y faisait bien, par la force des choses. La presse à scandale, les bavardages de couloir sur son lieu de travail, les regards plein de sous-entendus lancés à la dérobée sitôt qu’il s’attardait un peu auprès d’une collègue et amie, les insinuations par notes subtiles, dire sans jamais avoir l’air d’y toucher, parfait exemple de lâcheté. D’ailleurs, les commérages avaient eu raison de son mariage. Même sa propre femme le soupçonnait. Si ce n’était pas triste. Au début, il s’indignait de cet intérêt mal placé qui le révoltait, ce voyeurisme. Les tabloïds en étaient responsables, mais les lecteurs de cette presse s’en faisaient les complices. Combien de célébrités, des personnes, avaient été détruites par les calomnies ? Aujourd’hui, il se contentait de garder le silence, préservant sa vie privée par quelques habiles stratagèmes dont il avait le secret. Mais il se détestait pour sa passivité, sa résignation non feinte. Célèbre ou non, on n’y échappait pas, comme le lui apprenait le cas de Luzia. Il le savait déjà, bien sûr. « On ne devrait jamais avoir à s’habituer. Je vous en prie, ce n’est trois fois rien. » Ce n’était pas un reproche ou même une critique qu’il lui faisait. Il déplorait simplement un fait. Il visait d’autres personnes, une façon d’être, la bêtise humaine, tout bonnement.

Julian replaçait une mèche de cheveux derrière son oreille, sa tignasse séchait déjà en vaguelettes naturelles. Il ne s’inquiétait pas même de l’humidité résiduelle ou du temps frais. Le rhume était pourtant l’ennemi juré de tout acteur. Il menaçait son principal outil de travail, la voix. Julian avait songé à demander une serviette, lors de son passage éclair dans le salon, mais il n’avait pas voulu faire attendre la jeune esthéticienne. Elle paraissait assez gênée comme cela, sans qu’il ajoute à son inquiétude, en tardant à revenir. Il aurait tout aussi bien pu emprunter un sèche-cheveux, peu importait. Il se fichait pas mal de tomber malade, il l’était déjà de naissance. Alors qu’est-ce que ça pourrait changer ? Ce n’était pourtant pas souhaitable, il en avait conscience. S’il se remettait, il demeurait encore fragile. Un coup de froid ne le tuerait pas, puis ce serait toujours une excuse pour continuer de se cloitrer chez lui. Luzia l’interrogeait, curieuse de savoir ce qui s’était passé au sein du salon. Julian esquissait un rapide sourire, incapable de s’en empêcher. « Il y régnait un silence de cathédrale. On entendait les mouches volées. Votre collègue continuait de se cacher derrière le comptoir. Je crois que je l’ai terrifiée. Ils m’ont apporté vos affaires sans traîner. Je pense qu’ils n’avaient qu’une hâte, que je reparte. » Il fallait dire qu’il n’avait pas mâché ses mots, un peu plus tôt. Julian était capable du pire comme du meilleur. Si on éveillait sa colère, mieux valait décamper au plus vite. Il savait être un ours particulièrement grognon et mal léché. « Ça valait le détour. » se permit-il de dire.

Ils avançaient dans le plus grand silence. Julian avait cédé cette question. Maintenant, il en appréhendait les conséquences. Il était d’une sincérité brute, déconcertante. Mais il ne parlait jamais pour blesser, sauf à être en colère. Il ne brandissait pas le prétexte d’une prétendue franchise pour répandre son venin, comme nombre de ses semblables. Affirmer être "honnête" donnait le droit de médire, de heurter les gens ? Puis quelle vérité, la leur, la sienne, la vôtre ? Il regardait le sol, incapable d’autre chose. Elle était en droit de l’éconduire. Il le comprendrait parfaitement. Pourtant, il estimait que cette question devait être posée. Il pouvait bien avoir tort. À sa grande surprise, elle n’en fit rien. Au lieu de quoi, elle lui répondit et le prit, lui-même, au dépourvu. Voilà que sa propre question se retournait contre lui, non pas au sens d’une attaque visant à lui nuire. Du moins, ce fut son ressenti. Sa réplique le chamboulait. Un instant, il en demeurait sans mots. Oserait-il le nier ? Son silence en déjà long sur lui. Il trahissait sa vulnérabilité actuelle. Un prêté pour un rendu, ils faisaient jeu égal.

S’assiérait-il sur son orgueil, lui qui se voulait indépendant, secret au possible ? L’homme qui déliait si rarement les lèvres, accumulant tracas, peines et angoisses, comme on collectionnait les timbres. Il intériorisait, se refusait à partager un peu de son lourd bagage. Ses seules épaules en supportaient le poids, car il le souhaitait. Ce n’était plus aussi vrai qu’autrefois. Il y avait Alex, si désireuse de l’aider. Il n’était pas aisé de s’ouvrir. Il se méfiait, se protégeait, cachait une fierté infondée. Luzia avait fait cet effort, celui de céder un peu d’elle-même. Alors il lui fallait en fait tout autant, il le lui devait. « Vous avez raison. » concéda-t-il. « Vous redoutez d’arrêter de travailler, moi, c’est le contraire qui m’effraie. » C’était toute l’ironie de cette rencontre. Julian soulevait uniquement le plus évident, la surface qui cachait des fêlures bien plus profondes. Chez lui et peut-être chez elle… Ce n’était pas tant la reprise qui le terrifiait, mais plutôt son indécision. Il se sentait esseulé, perdu à un carrefour, un tournant de son existence. Un peu à l’image de cette rue dans laquelle il évoluait, sans même savoir où il allait. Julian ne savait plus qui il était. Il avait peur. Peur d’un nombre incalculable de choses et ses craintes éveillaient sa honte. Il s’enfermait dans cette boucle sans fin, ce cercle infernal et vicieux.

Il continuait de marcher, lisant les panneaux. Soudain, Luzia l’arrêta d’une phrase. Elle semblait avoir décelé son égarement. Le brun la regardait, écoutait ses explications, opinait en silence. Et alors qu’elle lui demandait ce qu’il souhaitait, plantant son regard dans le sien, il éclata d’un rire franc et totalement imprévisible. Parce qu’il se sentait parfaitement stupide de ne pas avoir avoué qu’il ignorait où il se rendait. Il souriait largement, à la recherche de son souffle, une main sur sa poitrine. S’esclaffer faisait un bien fou, il en venait presque à l’oublier. Elle allait peut-être le prendre pour fou, face à cette réaction des plus fortuites. Il inspirait, puis expirait, se rassemblait afin de lui offrir la réponse qu’elle attendait. « Excusez-moi, je ne connais absolument pas ce quartier, quant à la ville, pas bien mieux… J’aurais dû le préciser avant de partir. » Il souriait un peu plus, oui, un crétin fini… « Je pense qu’Altstadt conviendrait mieux. » Il n’avait pas très envie de se rendre dans un bar, quitte à braver les touristes. Quant aux night clubs, c’était tout à fait hors de propos. « Je m’en remets donc à vous, pour nous guider. Sauf si vous tenez à aller du côté de St Pauli. » Il espérait que non, ce n’était pas vraiment le genre d’endroit qu’il aimait fréquenter, peut-être trop casanier.
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gare à la crise de la quarantaine
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Re: And the Sky may look Blue + Julian
Mar 5 Mai 2020 - 8:59


Julian & Luzia
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« On ne devrait jamais avoir à s’habituer. Je vous en prie, ce n’est trois fois rien. »

La remarque de Julian interloqua Luzia. Ses mots s'entrechoquèrent dans son esprit. Il... Il avait raison. Oui, il avait raison. Personne ne devrait jamais avoir à s'habituer à la Rumeur, sourde Rumeur, volante Rumeur, qui gronde, dérobe, sali et détruit tout ce qu'elle touche en ternissant jusqu'aux plus pures intentions. Elle ne le savait que trop bien oui, la jeune allemande pour y avoir été exposée depuis si longtemps. Et elle s'était résignée, elle avait accepté et s'était habituée oui, quand elle aurait dû s'indigner. Mais à quoi bon ? L'accoutumance hébète les sens. Julian ne lui avait pas dressé ce constat pour la faire culpabiliser, ce n'était pas un reproche non plus, elle le savait, pourtant, celui-ci lui fit réaliser subitement que l'acteur devait en être coutumier lui aussi. Comment n'y avait-elle pas songé avant d'ailleurs ? Parlait-il également pour lui ? Il était connu et reconnu. C'était un icône. La presse à scandale avait dû se régaler à son sujet, comme elle le faisait toujours. Luzia en avait une sainte horreur. Elle n'avait jamais comprit ce besoin obsessionnel qu'avaient les gens de s'approprier la vie des autres, vie qui ne leur appartenait pas. Elle exécrait cet intérêt malsain, cette impudeur avec laquelle les vautours s'enorgueillissait du malheur des autres. Parce que c'était de ça dont il s'agissait. De sauter sur le scandale, de le créer même afin d'en distiller le venin. Quel lourd secret devait porter Julian ? Quels épisodes de sa vie en avaient été souillés ? Luzia baissa les yeux, en elle. Oui, elle s'y était habituée, préférant courber l'échine plutôt que de se révolter. Mais, qu'aurait-elle pu faire d'autre ? Au salon, si elle avait eu le malheur de protester, n'aurait-ce pas été pire ? Ne l'aurait-on pas traitée de rabat-joie ? Elle avait baissé la tête. Pourtant, elle détestait le voyeurisme pervers de ses collègues. Depuis que sa grossesse était devenue tangible, elles s'en étaient donné à cœur joie, lui dérobant jusqu'à son corps. Parce que c'était de cela dont il s'agissait. Pour la jeune allemande, la grossesse était chose sacrée. Intime. Pourtant, elle ne comptait plus le nombre d'indiscrétions distillées à la volée qu'elle avait subi. Depuis combien de temps était-elle enceinte ? Quel était le sexe du bébé ? Quel prénom avait-elle choisi pour lui ? Parfois, c'était même pire. Comment cela faisait d'avoir un enfant dans le ventre ? Est-ce que cela troublait son transit ? Arrivait-elle encore à faire l'amour ? Elle s'en trouvait dépossédée de son corps, exhibée tel un objet pour ce qu'elle était devenu aux yeux de tous, non plus Luzia, mais une femme enceinte. Simplement l'incarnation d'une femme enceinte dont elle était devenue le symbole, en cristallisant toutes les interrogations. Elle se mordit la lèvre. Oui, elle aurait dû s'indigner plutôt que de subir, c'était sûr. Parce que cela lui aurait épargné une peine encore plus lourde à confesser. Celle de l'abandon. Abandon de Simon d'abord, abandon de l'enfant après. Si ces femmes auraient pu lui ouvrir le ventre pour découvrir le sexe du bébé, elles l'auraient fait sans hésiter quand la jeune femme s'était évertuée à ne pas vouloir le savoir. Alors trouverait-elle la force, elle, la peureuse, la pleurnicharde, de se révolter à son retour de congé maternité ? Rien était moins sûr malheureusement. Elle avait trop peur oui, en refusant de courber le dos, en refusant de rester dans le rang, de devenir une pestiférée aux yeux de tous. De s'en trouver exclue, si ce n'est persécutée, comme elle l'avait été toute son enfance. Le vent souffla alors, chassant toutes ses sombres idées et les yeux de Luzia se remirent à briller. Elle... Elle avait envie de savoir comment c'était à l'intérieur du Beauty Center quand l'homme y était retourné. Savoir si son cri de colère avait été entendu. Savoir même, si la harpie jasait déjà, ou si elle se faisait toute petite. Elle ne pu s'empêcher de lui poser la question et elle le fit même non sans un certain empressement. Et Julian quant à lui, ne pu s'empêcher de lui sourire, visiblement amusé par ce qu'il avait trouvé dans ce sombre salon.

L'acteur possédait une beauté étrange. Atypique. Tout en lui semblait trop grand. Ses mains, ses oreilles, son nez, sa bouche... Luzia détaillait chacun de ses traits lorsqu'il souriait. Il n'en était pas moche pour autant. Au contraire même, se disait-elle, son sourire dévoilant ses grandes dents blanches parfaitement alignées irradiait. Le dotait d'une beauté rare, touchante, d'un charme fou. A mille lieues de ce qu'il était encore quelques instants auparavant, avec le poil hirsute, le teint blafard, les yeux cernés et les lèvres qui semblaient être devenue incapable de sourire. Il était beau oui, Julian, quand il souriait. Le brillant de son œil contamina même Luzia, qui était, tout comme lui elle aussi, encore si triste quand il l'avait retrouvé en larme dans cette sordide ruelle. Il possédait ce quelque chose de réconfortant Julian, de reposant. Il lui faisait le plus grand bien. Elle se rendit compte même qu'à cet instant précis, elle n'aurait troqué sa présence contre celle de personne d'autre au monde. Et elle se mit à rire en écoutant son récit. D'un rire simple, sincère, comme elle n'en avait pas émis depuis bien trop longtemps, vautrée dans le noir de sa désolation.

« Il y régnait un silence de cathédrale. On entendait les mouches voler. Votre collègue continuait de se cacher derrière le comptoir. Je crois que je l’ai terrifiée. Ils m’ont apporté vos affaires sans traîner. Je pense qu’ils n’avaient qu’une hâte, que je reparte. Ça valait le détour. »
« Là-dessus je veux bien vous croire ! »

Conclut-elle en riant. Sa description ne laissait aucune place au doute. Elle ne la voyait que trop bien sa collègue, vexée comme un poux, cachée derrière le comptoir, sans doute rouge de honte. Dans ce salon, il n'y avait qu'une seule chose qui comptait. C'était l'apparence. Cela faisait parti du jeu, des règles implicitement induites par ce genre d'établissements. Tout devait être lisse et sans défaut, pour donner l'envie au client, certainement, pour lui faire croire que tout y était beau. Alors toutes les esthéticiennes se pavanaient dans une superficialité illusoire, dans un faste éhonté, bien qu'il était parfaitement insipide et autrement plus stérile. Mais ça convenait bien à Luzia au fond, oui, ça lui convenait bien de porter un masque, car il était protecteur. Il empêchait le monde d'entrevoir la douleur qui lui broyait les tripes nuit et jour depuis que Simon était parti. Il l'empêchait oui, de s'écrouler publiquement en devant se livrer à une quelconque explication. Et c'était confortable, finalement de n'avoir que de la pluie et du beau temps à causer avec les clients et ce, même si l'envers du décor n'était que peu reluisant il fallait l'avouer. Alors le lieu détestait le scandale. Il en était l'ennemi juré. Sa collègue qui s'était crue maline avec son petit rire narquois devait se sentir bien mal d'avoir ainsi été publiquement humiliée à la vue de tous les clients. Et même si elle l'avait mérité, elle ne le reconnaîtrait jamais. Préférant se complaire dans le rôle de la victime. La réputation de Julian risquait d'en être entachée. Mais il devait bien s'en moquer lui, d'un salon comme il en existait des milliers tout autour du globe.

Les deux jeunes gens déambulaient alors dans le silence le long du grand boulevard du Mitte et si celui-ci se fit d'abord non-pesant, il changea étrangement de nature lorsque l'acteur posa sa si terrible question. Oui. Elle était indiscrète, sinueuse, cette question, cependant il avait besoin de la poser depuis trop longtemps. Elle était évidente, inévitable même et Luzia savait bien que Julian s'en brûlait les lèvres depuis qu'il l'avait retrouvée. Et il avait raison. Elle n'avait pas pu craquer de la sorte pour un simple gloussement, c'était tout bonnement impossible. Malgré son inconsistance quotidienne, au travail elle avait toujours su rester digne, elle y était à sa place, comme un poisson dans l'eau, elle naviguait en maîtresse de son monde, elle y possédait une profonde maîtrise. Alors jamais elle n'aurait pu se comporter de la sorte s'il n'y avait pas un mal perçant, un mal beaucoup plus grand qui se cachait derrière son sourire, tapis dans l'ombre de ses yeux. L'interrogation de l'acteur s'en trouvait alors justifiée. Et sa curiosité n'était pas malsaine, au contraire même elle était humaine. La mention de son regard la rendant même d'autant plus touchante. L'intérêt de Julian pour le mal de Luzia était sincère, cela se voyait. Il était désintéressé. Il ne voulait pas s'en servir pour la détruire. Il ne voulait pas le connaître pour s'en toiser. Il voulait juste essayer de la comprendre et il avait bien fait d'attendre avant de l'interroger. Entre eux deux se nouait progressivement une sorte de confiance. Leurs échanges étaient purs, ils ne portaient pas de masques, ils ne se forçaient pas non, à s'épancher en banalités. Alors Luzia n'avait pas pu l'éconduire comme elle l'aurait sans doute fait s'il avait précipité les choses. S'il l'avait interrogée trop tôt. Là, elle se sentait revigorée, revêtue d'une assurance nouvelle, alors malgré son trouble, malgré ses difficultés à communiquer, elle lui avait répondu. Elle lui avait répondu et elle pouvait même se targuer de lui avoir renvoyé la balle. Parce que cette proximité qui s'installait subrepticement entre eux, ils la devaient justement à ce noir qu'ils avaient dans les yeux. Et cela touchait profondément la jolie Luzia.

Cependant, l'homme s'en trouva prit au dépourvu et cela la frappa. Sans rien dire, la jeune femme le regardait, elle sondait son âme. Elle était étonnée, au fond, qu'il ne se soit pas plus préparé avant de l'interroger. Car lorsque l'on pose une question, n'est-il pas naturel d'en recevoir en retour la réciproque ? Certaines personnes d'ailleurs, sont même du genre à ne poser des questions que pour que l'on leur les retourne, mais Julian n'en faisait pas parti. Le géant était ébranlé. Il perdait de sa superbe. Le cœur de Luzia se serra. L'avait-elle blessé ? S'était-elle montrée trop cavalière ? Elle ne le souhaitait pas. Est-ce que son fidèle compère c'était senti trop à l'abri ? Est-ce qu'il pensait qu'elle ne l'avait pas remarqué, ce noir ? Peut-être bien. Oui. Peut-être bien qu'il ne réalisait pas à quel point sa douleur était criante, à quel point ses craintes étaient mordantes, là, tout au fond de ses yeux. Luzia les connaissait par cœur parce qu'elle avait les mêmes. Alors, elle se sentie émue du trouble de Julian. Emue car elle aurait voulu qu'il soit juste un tout petit peu plus heureux, même s'ils ne se connaissaient qu'à peine. Alors, elle prit une profonde inspiration. Julian qui avait d'ordinaire la verve si fleurie se trouvait sans mot face à elle et la jeune femme le senti bien vulnérable tout d'un coup. Alors, elle baissa les yeux pour lui rendre sa pudeur. Pour qu'il se sente libre de choisir de se cacher ou non, sans regard inquisiteur pour l'en dissuader.

« Vous avez raison. Vous redoutez d’arrêter de travailler, moi, c’est le contraire qui m’effraie. »

Luzia écarquilla les yeux. Ebranlée de le voir finalement saisir sa main tendue. Julian... Cette rencontre était bien troublante. La jeune femme se demandait quel lourd secret il pouvait porter, pour s'en retrouver si effrayé à l'idée de retourner travailler. Cette crainte, elle ne l'avait absolument pas soupçonnée. Elle n'avait aucun préjugé quant à sa réponse lorsqu'elle l'avait interrogé, mais celle-ci, elle ne l'avait pas un seul instant envisagée. Quel pouvait être ce mal qui le rongeait ? Il devait être intense pour le bloquer ainsi. Elle, elle redoutait de ne plus travailler par peur de s'entendre penser. Par peur de se retrouver seule face à sa destinée, mais lui, oui, lui, pourtant si grand, pourtant si fier encore quelques minutes auparavant, triomphant, chevaleresque même dans ce maudit salon, il... Il en était au stade au-dessus d'elle. Au stade où l'on s'en trouve pétrifié par ce mal si vicieux. Par ce mal si méchant. Pétrifié au point qu'il ne puisse en être autrement. En effet, l'acteur pratiquait un métier passion, un métier dans lequel il fallait se battre corps et âme avec rage et détermination pour y arriver. Et il y était arrivé. Alors qu'est-ce qui avait bien pu lui dérober cette flamme qui l'habitait à l'époque ? Ce constat était terrifiant, édifiant. Luzia s'en pinça les lèvres. Et elle ne lui répondit pas. Non, elle ne creusa pas. Pas maintenant en tout cas. Car elle refusait de lui répondre mal. De ne pas se montrer à la hauteur du petit bout de fardeau qu'il venait de lui confier. Alors elle refusait, oui, de lui répondre une banalité. Un horrible « je comprends », alors qu'elle ne pouvait pas comprendre ou une tout autre stupidité dans ce genre-là, ce genre que l'on a souvent tendance à employer, quand on a pas les mots. Oui, ou quand on ne les a plus et Luzia avait bien trop de respect pour Julian pour s'abaisser à ça.

Tout deux marchaient toujours le long du Mitte, mais le silence s'en trouvait chargé. Perdue en ses songes, la jeune allemande se laissait guider aveuglément par l'acteur. Jusqu'au moment où subitement, elle prit conscience qu'il se trouvait complètement égaré, se dirigeant vers un quartier où ils ne trouveraient rien de ce qu'il cherchait. Sa chevelure était toujours humide, c'était bien risqué, en ce mois de mars où la température n'était positive que de quelques degrés. Alors Luzia, rompant avec sa passivité habituelle, se décida à prendre les devant. Elle l'arrêta à l'orée d'un carrefour pour lui présenter le quartier et Julian l'écouta studieusement. Et puis tout à coup, il éclata de rire. Et la jeune femme s'en trouva fort déconcertée. Il riait oui, d'un rire franc et massif, presque exagéré. Il rigolait trop oui, pour être à cent pour-cent honnête Julian. Comme pour essayer de se libérer du poids qu'il lui avait concédé. N'était-il pas nerveux ce rire ? Luzia ne s'en vexa cependant pas et elle fini par lui adresser simplement un sourire. Cela semblait lui avoir fait du bien à l'acteur, de rire, alors elle en était contente pour lui. Il avait sa main sur sa poitrine, il reprenait son souffle.

« Excusez-moi, je ne connais absolument pas ce quartier, quant à la ville, pas bien mieux… J’aurais dû le préciser avant de partir. Je pense qu’Altstadt conviendrait mieux. Je m’en remets donc à vous, pour nous guider. Sauf si vous tenez à aller du côté de St Pauli. »

Ah mais c'était donc cela ? Suite à ses aveux, c'est tout naturellement que Luzia se mit à rire de bon cœur avec lui à son tour, elle était soulagée dans le dedans, de s'être méprise sur les intentions de son esclaffement soudain. Le pauvre, elle l'avait chargé de la lourde tâche de les guider alors qu'il ne connaissait pas la ville, pour elle qui était native de Hambourg, c'était un comble. Elle glissa une mèche derrière son oreille en lui souriant tendrement. C'était plutôt à elle de s'excuser en réalité. Elle aurait dû prendre les devants. Quoi qu'il en soit, son choix lui convenait parfaitement. Ils seraient mieux oui, malgré les touristes, tous deux dans le calme et la beauté de l'Altstadt plutôt que dans le faste et la luxure de St Pauli.

« Je serai honorée Julian Lane Keller, de vous servir de guide ! » Lui répondit-elle dans une gracieuse révérence. « L'Altstadt me convient parfaitement ! Je dois vous avouer que je ne suis pas trop du genre à fréquenter St Pauli. »

La petite blonde rougit légèrement à cette confidence qui trahissait certainement sa candeur, mais elle l'assumait. Après tout, n'avait-il pas lui aussi fait le même choix ? Le noir semblait s'être envolé dans leur éclat de rire. Certes, cela ne durerait pas longtemps, mais cette petite promenade en compagnie de Julian lui provoquait un bien incommensurable. Ils prirent alors la gauche et s'élancèrent en direction de l'Altstadt. Luzia adorait ce quartier et ses incroyables monuments historiques. Alors, tandis qu'ils avançaient, se prêtant au jeu, elle ne pu s'empêcher de lui décrire tous les bâtiments qu'ils croisaient, prenant très au sérieux la lourde tâche de guide qu'il lui avait donné, non sans une pointe d'humour. Et cela lui faisait beaucoup de bien, un peu de légèreté. Et de chauvinisme aussi, pour la native de Hambourg qu'elle était. Avoir grandi ici avait été une chance pour elle, tant la ville était jolie. Elle lui décrivit alors le sénat, le théâtre Thalia, le musée, jusqu'à ce qu'ils arrivent devant le Lion, un bar chic, très réputé dans le quartier, situé à quelques pas de l'Opéra.

« Et donc ici, vous avez l'Opéra d'Etat de Hambourg, son histoire a plus de trois cents ans ! Son Orchestre est le Philharmonique de Hambourg, alors si vous aimez le classique, je vous le recommande vivement ! » Lui présenta-t-elle en souriant, enjouée, avant de brandir son bras en direction du Lion. « Et ici, c'est le Lion, un des café les plus connus de Hambourg ! Les consommations y sont un peu cher, mais il faut y aller au moins une fois pour devenir un bon Hambourgeois ! Si vous n'y êtes jamais allé, laissez-moi vous offrir un verre. »

Qu'elle conclut toujours sourire. Elle y tenait vraiment à son envie d'inviter Julian. Oui, elle y tenait. Parce qu'à l'intérieur du Lion, ils seraient au chaud, ils seraient soignés, choyés par les serveurs, ils le méritaient bien et puis, ils seraient à l'aise pour continuer à discuter. Alors Luzia regarda sa montre afin de vérifier qu'il n'était pas trop tard, parce que le soir il était toujours complet le Lion, mais à cette heure-ci de l'après-midi, elle savait que ça irait. En réalité, elle n'y avait jamais mis les pieds, elle, au Lion, mais ce lieu était une institution, alors elle estima sans conséquence sa petite omission. Puis elle tira la porte et fit signe à son acolyte de pénétrer à l'intérieur. Elle n'avait absolument aucune idée de la tournure que prendraient les évènements, comme elle ne savait pas ce qu'ils pourraient s'y dire, mais elle se sentait bien, simplement bien, alors cela n'avait aucune importance.
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