Conduire une moto est sans aucun doute la sensation la plus intense que l'on puisse vivre

Aujourd'hui, j'avais fermé le salon, bien que l'on soit vendredi. Je ne pouvais tout simplement pas travailler un tel jour. Pas alors qu'il y avait une grande compétition de moto entre Hambourg et Brême. Une compétition de plusieurs heures qui partirait d'Altstadt pour se rendre d'une traite jusqu'à Brême. Je ne pouvais tout simplement pas manquer ça et ce d'autant plus que l'une de mes motarde préférée était en compétition. Non, je voulais voir ça, absolument. Je voulais voir sa victoire en direct. De fait, j'avais donc fermé le salon de tatouage mais j'avais aussi prit place tôt le matin dans le premier train du jour pour me rendre du côté de Brême. Je voulais être non pas sur le départ, mais sur la ligne d'arrivée. Je voulais regarder la course sur ces écrans géants puis détourner la tête pour fixer les derniers instants de la course. Pour cela, je devais arriver sur place relativement tôt, afin de pouvoir m'installer en face de la piste, juste en face de l'arrivée. La meilleure place.

Parmi les spectateurs, l'ambiance folle, l'excitation est à son comble et je trépigne d'impatience alors que la compétition est plus que serrée entre Frosh et Bedmann. Même si elle ne peut pas m'entendre, je m'égosille donc sur le bord de la piste en scandant le prénom de ma concurrente favorite. Est-ce que ça l'aide vraiment de la soutenir de la sorte ? Peut-être pas. Mais je ne suis pas seule à crier comme ça, à m'exciter pour elle, à sautiller sur place en observant les écrans. Pas la seule à hurler son nom et agiter un petit fanion en guise d'encouragement. Alors elle ne l'entend peut-être pas mais je continu de m'égosiller sur mon bord de terrain, ma bière à la main, parce que je suis là pour ça. Pour cette ambiance de folie. Pour l'amour du sport motard et celui de la compétition.

La ligne d'arrivée, enfin, que Becka franchit quelques secondes seulement avant son adversaire. J'exulte de joie, comme le reste de ses supporters, hurlant son nom et l'accueillant en héroïne. Sur le bord de la piste, la folie s'est emparée de tous le monde et l'on s'étreint de bon cœur tout autour de moi. Sans attendre, je quitte ma place, cherchant à me frayer un chemin dans la populace. Je joue des coudes, décidée à pouvoir me rapprocher de la motarde, de laquelle je rêve d'obtenir un autographe. Ce qui s'annonce compliqué, tant elle me semble inaccessible avec toute cette populace amassée.

J'exulte, c'est le cas de le dire, comme tout le reste des spectateurs dont l'attention s'est focalisée sur cette course endiablée, qui a été un beau spectacle pour nous tous. C'est un plaisir que de voir de si grands motards s'affronter. C'est encore plus plaisant de le voir de ses propres yeux, en direct et grandeur humaine, au lieu d'un écran de télévision. Ce n'est ni la même ambiance, ni la même émotion. Non, c'est complètement différent et je suis heureuse d'avoir pu vivre un tel moment. Heureuse d'avoir put l'apprécier. C'était complètement fou. Complètement dingue. J'ai adoré ça. Et maintenant, je suis heureux de voir Becka monter sur la plus haute marche du podium, nous asperger d'une bouteille de champagne généreusement pour célébrer sa victoire, comme la reine du deux roues qu'elle est.

Je l'observe, alors qu'elle continue de sautiller sur place en arrosant ses supporters et je dessine un sourire sur mes lèvres. Elle est vraiment douée. Elle a largement mérité cette victoire et les célébrations qu'elle s'autorise désormais. Mais je n'ai guère de temps à perdre si je veux avoir une chance de la croiser à la fin de l'étape du podium. Une fois qu'elle descendra de celui-ci, elle disparaîtra probablement dans sa loge et je n'aurais plus aucune chance d'obtenir un autographe aujourd'hui. Hors, j'espère vraiment pouvoir lui parler, échanger quelques mots avec elle et la féliciter de vive voix, avant de lui demander un autographe. On dirait une adolescente - celle que j'étais - trépignant à la sortie d'un concert de son groupe préféré. Je l'avais fais pour les gun's, fut un temps qui me semble aujourd'hui très lointain. Je n'ai pas beaucoup changé sur ce point, à l'évidence.

Me frayant un chemin dans la foule, je joue des coudes tant bien que mal pour me rapprocher d'elle le plus possible, décidée à obtenir son attention et, quand je suis à portée de regard, je fais un grand signe de la main, essayant de capter celui-ci. J'espère tellement qu'elle me verra. Tellement que je pourrais repartir avec sa dédicace. Alors qu'elle regarde tout autour d'elle, j'agite encore le bras alors, espérant si fort pouvoir l'approcher. Et je l'appelle, m'époumonant parmi la foule en délire, même si j'ai bien conscience qu'au milieu de ce boucan, de toute cette effervescence, elle ne me remarquera peut-être même pas. Probablement pas. Peu importe, je continu.

"- Beckaaaaaaaaaaaaa !" m'égosillais-je alors encore.

Elle est là, pas très loin de moi, à portée de voix, si bien que lorsque j'appelle son prénom, je la vois se tourner vers moi. Ses billes bleus rencontrant mon regard, Becka sourit d'un sourire que je lui rend, l'excitation gagnant tout mon être. Ce qu'elle peut faire pour moi. La réponse semble être évidente. D'ailleurs, elle a déjà dans la main un stylo et, dans l'autre, une photo d'elle qu'elle est prête à signer. Je veux exactement ce qu'elle vient de faire pour d'autres. Je veux sa signature sur ce bout de papier. Enfin, presque.

"- Je peux avoir un autographe, s'il te plaît ?" demandais-je avant d'ajouter. "Félicitation pour cette victoire, c'était tellement mérité !"

Ma demande est pour le moins simpliste, je sais qu'elle n'en sera pas surprise. C'est exactement ce que d'autres lui ont demandé juste avant, ce que d'autres continueront de lui demander après moi, aussi. Notre rencontre ne sera que fugace. Rien de plus que quelques instants volés, avant qu'elle ne se consacre au reste de ses fans, j'en ai bien conscience. Pour autant, je suis reconnaissante pour ces quelques instants dont je bénéficie avec elle, comme je le suis de ce bout de papier qu'elle me signe, un sourire aux lèvres.

"- Et un selfie ?" osais-je demander finalement, mon téléphone déjà prêt pour le cas où, en même temps que je récupère la photographie qu'elle vient de m'orner de son écriture.

Est-ce que j'en demande trop ? Est-ce que je ne pourrai pas simplement me contenter de ce bout de papier signé ? Peut-être que je pourrais. Mais j'espère tellement qu'elle va accepter. Qu'elle m'autorisera ce cliché pour immortaliser cette rencontre trop éphémère à mon goût, malheureusement. Je lui adresse un grand sourire de nouveau.

"- Je fais de la moto aussi, j'aimerais tellement avoir ton niveau !"

La course n'a pas été facile, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce n'était pas gagné d'avance, loin de là. Becka s'est donc battu comme une reine pour obtenir cette victoire plus que méritée et personne ne peut dire le contraire. Et certainement pas moi qui ait fait le voyage depuis Hambourg spécialement pour elle, pour l'attendre à l'arrivée, en espérant la voir l'emporter et soulever un nouveau trophée. C'est peut-être stupide mais je me sens fière d'elle, alors même que je ne la connais pas vraiment, pas dans la vraie vie, et que pour sa part jusqu'à maintenant, elle ignorait tout de moi, jusqu'à mon existence. C'est stupide et inexplicable mais c'est pourtant exactement ce que je ressens sur le moment.

"- Non c'est sûr mais tu t'ai battu comme une lionne et ça a payé !" dis-je comme elle affirme que la course n'était pas facile.

Cette victoire la motarde la mérite parce qu'elle a tout donné pour l'obtenir. Je ne pouvais pas lui souhaiter meilleure fin pour cette course. Et je ne pouvais pas me souhaiter mieux qu'un selfie pour célébrer tout ça, immortaliser cette rencontre. Un selfie que par ailleurs, Becka accepte. Évidemment, c'est une demande dont elle a l'habitude. Je ne suis pas la seule à la formuler. J'imagine qu'il y a déjà des dizaines et des dizaines de fans qui lui ont fait la même demande de par le passé. Ce qui m'importe bien entendu c'est toutefois qu'elle me réponde par l'affirmative et nous posons alors pour une photographie que je prend avec mon téléphone avant de complimenter la coureuse de nouveau. Elle le mérite plus que je ne saurai le dire et je suis fascinée par elle. Tout simplement. J'aimerais être aussi bonne qu'elle l'est mais naturellement ce n'est pas le cas. Je ne suis pas pro. Peut-être qu'avec de l'entraînement, je pourrais faire pareil, mais j'ai déjà passé quarante ans, et un salon de tatouage à m'occuper, qui me prend pas mal de temps et que j'aime.

"- Oh je ne suis pas pro du tout ! Je fais de la moto pour la passion seulement mais dans la vie, je suis artiste tatoueureuse." précisais-je. "La moto c'est vraiment juste un passe temps, mais c'est vrai que tu m'inspire beaucoup !"

Vivre de sa passion, c'est super, effectivement. J'imagine que la motarde le sait elle aussi, puisque c'est une chose que, je pense, nous avons en commun point on ne peut pas gagner de Grand prix, de grands titres, si l'on n'est pas passionné par la moto. Donc, elle aussi, elle vit de ce qui la fait vibrer. Elle peut donc parfaitement comprendre ce que je ressens avec le tatouage, même si parfois, je songe aussi que j'aurais pu faire carrière, éventuellement, dans la moto. Pour autant, mon âme artistique avait besoin du tatouage pour s'épanouir. Je lui adresse un sourire, ouvre la bouche pour répondre à sa question.

"- Oui, les tatouages c'est vraiment top si, bien sûr, on a l'âme artistique. Mais non, ce n'est pas facile de se démarquer dans cet univers... Il faut effectivement avoir son propre style, faire un travail de qualité, aussi. J'entends par là qu'il faut respecter toutes les règles sanitaires pour les personnes, pour commencer. Et puis bien sûr se faire connaître, le plus dur !"

C'est à vrai dire le cas pour tous les métiers liés à l'art manuel. Un peintre, un sculpteur, un chanteur... ont tous besoin de se faire connaître. Quand on a pas les relations, pas les contacts, les débuts peuvent être compliqués et il faut alors persévérer. Évidemment, mon salon n'a pas marché du jour au lendemain, il a effectivement fallu que je mette la main à la pâte pour me faire connaître. C'est un travail de longue haleine, je ne dirai jamais le contraire. Cela m'a pris beaucoup de temps, avant d'avoir une certaine renommée. Bien sûr, le travail le fait pour beaucoup, c'est même la plus grosse partie, mais ça ne suffit pas non plus. On a besoin d'un peu plus que du bouche à oreille. Aujourd'hui, les réseaux sociaux sont un outil incroyable pour cela.

"- Oui, j'imagine bien que pour la moto aussi, il faut énormément s'entraîner, donner de sa personne. On ne peut pas arriver à un tel niveau sans tout donner, ce n'est pas possible, je veux bien te croire !"

La moto aussi est un univers impitoyable dans lequel il faut se battre et je sais, pour l'avoir vu évoluer, que Becka n'a pas eu une carrière où tout lui est tombé directement dans la gueule. Non, sa renommé, elle l'a gagné au mérite. À la sueur de son front. À un entraînement rigoureux. La recette gagnante pour toute chose que l'on entreprend.

"- Will. Will Neuer !"

Je réponds à sa question, sentant mon cœur battre la chamade. J'imagine un instant ce que ce serait que de tatouer sa peau. La pression, l'excitation mélangée... Je me visualise très bien immortaliser sur son épiderme sa fidèle moto ou ses prix.

Je me présente à Becka et forcément, elle n'a pas besoin d'en faire de même. Evidemment, je sais déjà qui elle est. Je connais son parcours, je connais son travail, puisqu'il y a bien longtemps que je la suis dans l'univers des courses. Il y a bien longtemps que je fais attention à son parcours, bien longtemps que je m'intéresse à sa pratique de la moto en tant que professionnelle. Non, la jeune femme n'a donc pas besoin de se présenter, puisque je sais très bien quel est son nom, quelle est sa renommée.Elle la précède. Et je suis ici aujourd’hui pour cette raison précisément, bien particulière. C'est pour pouvoir l'acclamer que je me suis aujourd'hui présenté sur la ligne d'arrivée, soucieuse de la voir terminer cette course la première. Si elle n'avait pas été connue, si je n'avais pas su qui elle était, il est fort probable que je ne serais jamais venu me perdre ici aujourd'hui. Je lui adresse un sourire entendu, comme pour signifier qu’elle a raison, que oui, je sais déjà tout ça, évidemment.

Elle m’invite à prendre un verre en terrasse à proximité des pistes de courses et je crois rêver de cette proposition. J'imagine bien que cela n’arrive pas tous les jours, tout du moins pas à tout le monde et que c’est une fleur qu’elle me fait. Je suis privilégié. Je n'ose pas chercher à savoir combien de personnes voudraient être à ma place et je pense même qu'en ce moment, des dizaines et des dizaines de paires d'yeux sont dardées sur mon dos, me maudissant. Combien voudraient nous suivre à cette terrasse, s’installer avec elle et pouvoir parler un moment avec la grande championne de cette compétition ? Tant de gens.

”- Avec plaisir.”

Je plonge mon regard sur la carte des boissons, promenant mon regard sur celle-ci en essayant de faire un choix tout en essayant aussi, en parallèle, de calmer les battements effrénés de mon cœur, qui tambourine littéralement dans ma poitrine, si bien que je n’arrive pas à choisir. Finalement, je repose la carte sur la table en songeant que je prendrais sûrement la même chose qu’elle, pour éviter tout problème.

Je l'observe tandis qu'elle le fait claquer ses doigts sur la table, quelques instants. Je ne sais pas quoi dire. La situation est quelque peu intimidante pour moi et, semble-t-il, pour elle aussi, car il me semble qu'elle cherche tout simplement quoi dire. Un silence comme gêné s'installe entre nous, mais ne trouve finalement le moyen de le rompre, en évoquant nos passions communes puis s'orientant sur mes tatouages.

”- Oui ! Le salon ne désemplit pas, j’ai la chance d’avoir mon propre salon et une petite renommée. C’est long de se faire une place dans cet univers mais aujourd’hui j’y suis arrivé et je ne regrette pas les sacrifices qu’il m’a fallu faire pour y arriver. C'est beaucoup de travail, de doute, mais le jeu en vaut la chandelle. Je suppose que c’est pareil quand on fait de la moto…” je remarque avec un sourire. ”Tu as déjà pensé à te faire tatouer ? ”

J'ai bien conscience de la chance qui est la mienne et évidemment, je ne compte pas la gâcher, loin de là. Au contraire, je compte en profiter un maximum. C'est une occasion rêvée pour connaître un peu mieux Becka, pour la découvrir en tant que personne, au-delà de la motarde que je connais, que je peux découvrir dans les performances sportives et dans la vie. Là, il n'est plus seulement question de découvrir la motarde mais aussi, bel et bien, de découvrir la femme derrière celle-ci. Savoir qui elle est, ces petites choses que l'on n'apprend sur les gens que lorsque l'on parle et échange avec eux. J'ai une occasion incroyable de découvrir un tas de choses sur elle, du moment bien sûr que je reste dans les limites de ce qui est correct. Je ne veux absolument pas lui causer le moindre problème, le moindre regret ou même le moindre inconfort. Je ne sais que trop bien ce que c'est pour y avoir été confronté moi-même trop souvent en étant interrogé sur des sujets indélicats. Le revers de la médaille à être qui je suis, comme je suis, et ne pas s'en cacher.

Puisque c'est mon domaine et puisqu'elle est la première à évoquer celui-ci en me questionnant sur le salon de tatouage, je ne tarde pas à me demander si elle a déjà elle-même pensé à orner sa peau d'un ornement éternel, ancré. La réponse est positive. Elle y a déjà pensé mais dans un même temps, elle m'explique qu'elle ne veut pas faire n'importe quoi, ce que je peux parfaitement comprendre, puisque je partage son avis. Je ne veux pas que mes clients puissent regretter le moindre ornement sur leur peau. Un tatouage est supposé ne jamais partir et le regretter est la pire chose qui soit. Le plus sécurisant est donc de toujours bien réfléchir avant de le faire, dans un premier temps, et également de choisir des motifs, des dessins, qui font sens. Cela est propre à chacun. Pour ma part, je ne dirais pas que tous sont réfléchis mais je n'en regrette aucun. Quand on commence à avoir l'habitude, je crois que cela devient commun. Parfois, on en fait sur des coups de tête. Si je le déconseille à mes clients, j'en ai quelques uns comme ça. Mais ils ont tous une signification, plus ou moins profonde.

"- C'est une chose avec laquelle je suis parfaitement d'accord. Il me semble important de choisir un motif qui nous parle, qui ait une histoire, une signification, cela aide généralement à ne pas le regretter par après. Les tatouages qui n'ont pas de raison d'être sont souvent ceux que des clients veulent faire retirer après quelques années, mais ce n'est pas si simple. Et comme c'est encore plus douloureux que le tatouage, certains restent avec leur regret."

Elle attend une idée précise et si j'en ai pour elle, je ne suis personne pour les lui soumettre. Je ne suis personne pour décider ou suggérer à sa place de ce qu'elle devrait ou même pourrait faire. Je le lui dirais si elle me pose la question, toutefois.

"- Je roule surtout seule. J'ai quelques connaissances qui font de la moto mais hélas, à mon grand regret, trop peu et nos disponibilités ne correspondent pas toujours pour aller faire un tour. Mais ça ne me dérange pas d'y aller seule."

Je me rends rapidement compte que mon interlocutrice partage mon avis sur le tatouage. C'est quelque chose d'indélébile, qui marque à vie et il est triste que certaines personnes ne réfléchissent pas suffisamment au motifs qu'ils veulent se faire tatouer. Combien de gens veulent se faire tatouer le nom de l'élu de leur cœur, avant de venir le faire retirer quelques années plus tard, après une rupture, un divorce ? Beaucoup trop de monde, je le sais trop bien. Comme elle le fait remarquer, il vaut bien mieux se faire tatouer les prénoms de ses enfants. Éventuellement aussi, des membres de sa famille, mais même là, c'est parfois un peu risqué. Enfin, si je veux être tout à fait honnête, parfois c'est aussi risqué avec les noms de ses parents ou de ses enfants. Tout le monde n'a pas forcément une bonne histoire familiale et on ne sait jamais comment la situation peut évoluer. C'est triste à dire, mais c'est la vérité. Parfois, il y a des parents qui renient leur enfant et qui viennent faire retirer leur prénom. C'est quelque chose que l'on voit parfois avec tes parents qui viennent de se rendre compte que leur enfant est gay, ce qui me met toujours dans une colère noire.

"- Et encore, si tu savais..." je souffle. "C'est moins courant, bien sûr, mais il y a des parents qui viennent se faire détatouer le prénom de leurs enfants. Parfois car il s'agit de leur Deadname, mais le plus souvent c'est parce qu'ils renient leur enfant. Les histoires de familles... Ça peut été terrible. Mais c'est un tatouage qui reste plus sensé que le prénom de son chéri c'est certain."

Nous discutons de notre passion commune et rapidement, la motarde m'interroge sur ma propre pratique, souhaitant savoir si je roule seul, ou accompagné. Je dois bien admettre que la plupart du temps, c'est seule que je prends ma bécane pour aller faire un tour. Mes amis ne font pas tous de la moto et malheureusement, nos emplois du temps ne correspondent pas toujours. Peu importe, rouler seule ne me dérange pas le moins du monde. Au contraire, je trouve même que parfois, c'est très libérateur que de rouler sans distraction. Je suis quelqu'un de sociable, ça ne fait aucun doute, mais comme tout le monde, j'ai parfois besoin de simplement me vider la tête. Être seule même permet toujours. Mais je reste sans voix face à sa proposition.

"- Ce serait... Incroyable !" affirmais-je. "Avec plaisir !"

Renier son enfant ne devrait pas être possible, nous sommes bien d'accord là-dessus, l'une comme l'autre. Mais la vérité, la réalité, c'est que ce sont des choses qui arrivent. Qu'un tas de gens, un tas de prétendus parents, tournent le dos à leur progéniture pour des raisons telles que l'orientation sexuelle, en majorité. C'est un sujet qui me touche de près, par lequel je me sens particulièrement concerné, bien sûr. Il y a évidemment aussi les parents qui tournent le dos à leurs enfants en raison de leur identité de genre, ce pourquoi je me sens également concerné. Mon engagement au niveau associatif pour lutter contre ce genre de choses m'a ouvert les yeux sur une réalité qui était plus étendue encore que je ne le croyais dans la naïveté de ma jeunesse. Non, un parent ne devrait jamais tourner le dos à son enfant, ne devrait jamais le détruire psychologiquement, ne devrait jamais le détruire tout court mais, ce sont malheureusement des choses qui arrivent et qui me révoltent. Il m'est déjà arrivé pourtant, sûrement, de retirer un prénom sur une épiderme, parce que je ne connaissais pas les raisons derrière ce processus. Généralement, ceci dit, si je suis au courant des motivations de la personne qui veut se faire détatouer quelque chose, et si cela touche à ce genre de cas, je refuse purement et simplement la prestation, avant de me permettre de faire une leçon à la personne que j'ai en face de moi. C'est arrivé quelquefois.

"- Le monde est rempli de connards persuadés d'avoir la conscience tranquille. Je ne sais pas comment ils peuvent encore se regarder dans une glace après avoir mis leur enfant dehors parce qu'il n'est pas comme ils l'ont imaginé. Je ne sais pas comment ils peuvent se regarder dans une glace après avoir mis leur enfant dehors parce qu'il est gay ou transgenre..." je soupire. "C'est malheureusement la cause principale de retrait de prénom d'enfants, même si bien sûr, ce n'est pas la seule."

Comme nous changeons de sujet, évoquant notre pratique de la moto, elle finit par m'inviter à sortir promener ensemble sur nos bolides, une proposition dont je saisis parfaitement l'importance. J'en reste incrédule, sans voix, avant de m'empresser d'accepter, bien sûr. Ce serait absolument incroyable et comme elle précise que ce ne sera pas aujourd'hui, ce dont je me doute, elle propose néanmoins de s'organiser ça plus tard, de me donner son numéro de téléphone pour y parvenir. Je suis tout simplement sciée.

"- Oui... Oui, on peut faire ça, oui..." soufflais je, encore impressionnée par cette proposition.

Je dois bien avouer que je suis un peu surprise, un peu sur le cul, alors que mon interlocutrice me propose de me donner son numéro de téléphone. Ça semble complètement incroyable. Elle est une star dans son domaine et moi, je ne suis que... Moi. Je ne m'attendais pas à ce genre de chose en me levant ce matin, c'est certain. En fait, je m'attendais seulement à l'encourager sur le bord de la piste, à m'égosiller comme il se devait et pas plus... Mais au lieu de ça, j'ai la chance de passer un moment incroyable en sa compagnie, de pouvoir discuter avec elle de choses et d'autres, de pouvoir faire sa connaissance, vraiment, au-delà des sports motorisés. J'ai conscience que peu de monde peut s'en vanter, que beaucoup de ses fans, qui attendaient sur la ligne d'arrivée avec moi, voudraient être à ma place et obtenir une proposition telle que celle qu'elle me fait, de sortir avec elle à moto, à l'occasion. Ou de me filer son numéro de téléphone. Combien de ces personnes que j'ai croisé un peu plus tôt vendraient père et mère pour avoir cette chance ? Je n'ose pas y penser.

"- Oh ce n'est pas que ça me fait peur, c'est seulement que waouh, je ne m'attendais certainement pas à ça !" lançais je honnêtement en fin de compte.

Non, j'ai conscience de la chance que j'ai et je ne compte pas la gaspiller, c'est certain. Je sais qu'elle me fait une fleur et, je ne sais pas si à sa place j'aurais eu un tel courage que de donner mon numéro de téléphone à une parfaite inconnue, rencontré à la sortie d'une course. Après tout, je pourrais être une tarée, une folle, je pourrais la harceler. Bien sûr, ce n'est pas mon intention, hors de question. Mais, sait-on jamais ce qui peut se passer dans une vie... Elle a l'impression que je suis une bonne personne, que je suis quelqu'un de bien, et ça me touche mais, quand même, ça paraît complètement dingue, parfaitement incroyable. Et j'avoue que ça m'excite, que je suis survolté à présent. D'autant plus excité qu'elle me demande si j'ai envie de faire quelque chose après-midi, ce qui paraît complètement waouh.

"- Sérieusement ?"

Je crois que j'en perds mes mots.