Sophie * Un ours avec une bière ça fais sans doute rire

Avec les mois, le Paddy’s Teig était devenu un point de repère pour de nombreux étudiants qui venaient s’y retrouver, particulièrement le jeudi soir. Le pub irlandais avait le mérite de proposer une ambiance agréable, que les étudiants appréciaient tout particulièrement. Et puis il y avait les prix, pas trop chers, qui étaient attractifs à leur niveau, participant sans nul doute à l’attrait des jeunes pour cet établissement où, de fait, avaient parfois lieu quelques soirées étudiantes. Des soirées étudiantes auxquelles Sophie participait de bon coeur régulièrement, se perdant le temps d’une nuit dans de folles débilités de son âge.

Ce soir était un de ces soirs où au milieu du pub Irlandais, beaucoup d’étudiants avaient décidé de se retrouver pour profiter de cette soirée et Sophie était de ceux-là avec quelques potes. Alors qu’elle n’était pas en poste au burger king ce soir, l’étudiante comptait bien en profiter jusqu’au bout de la soirée, quels que soient les jeux et animations que pourraient proposer le reste de la troupe. En espérant qu’ils soient inspirés.

Malgré ses espoirs, le soirée s'essouffle un peu trop vite au goût de l’étudiante en musicologie, une bonne partie de ses amis décidant de quitter les lieux un peu trop tôt pour laisser les autres en comité réduit, bavardant tranquillement autour d’une table et de bières dans une ambiance peut-être un peu trop calme au goût de la demoiselle, dont elle se satisfait pourtant, faute de plus.

Un liquide, froid, entrant en contact avec sa peau alors qu’elle se dirige vers le bar pour commander un nouveau verre, Sophie se raidit en poussant un petit cri, non pas de douleur ou de colère mais de surprise, alors que les glaçons viennent caresser son épiderme. Ses poils se hérissant sous l’effet que lui fait la boisson fraîche, elle s’enveloppe de ses propres bras pour se couvrir, se réchauffer, tandis que l’homme devant elle s’excuse, penaud.

”- C’est rien, ça arrive.” assure-t-elle. ”Z’avez une serviette en papier ?”

Recevoir de l'alcool soirée n'était pas vraiment quelque chose de rare, bien au contraire et Sophie devait bien avouer que ça lui était arrivé plus d'une fois au cours de ses années de sorties nocturnse. Parfois, dans les bars, dans les boîtes, il arrivait que les gens se bousculent les uns les autres, qu'un verre finisse malheureusement sur un top, un short, une jolie robe. C'était quelque chose d'assez courant, qu'elle avait déjà vu plusieurs fois, qui lui était arrivé aussi, qu’elle soit victime ou agresseur. Quelque chose qui avait ruiné quelques-uns de ses vêtements, comme ceux de quelques-uns de ses amis. Ce n'était pas grave, ça n'était jamais que du tissu, jamais que des habits ou des chaussures. Cela aurait été peut-être un peu plus embêtant s'il avait complètement noyé son téléphone, ou s'il avait ruiné un objet high tech d'une grande valeur. Mais ça n'était pas le cas. Ce n'était jamais qu'un peu de tissu. Rien d’irremplaçable, rien de trop onéreux. De toute façon, ce vêtement, elle n'y était pas attaché plus que ça. S'il fallait qu'elle le jette, ça ne serait pas bien grave. Il n'avait pas à s'en faire. Et dans l'immédiat, tout ce qui lui importait, bien avant d'avoir l’idée d’engueuler ce pauvre malheureux pour un accident, c'était d'éponger ce liquide imbibant son tissu, pour ne pas sentir l'alcool toute la soirée. La sensation humide sur sa peau, du reste, serait rapidement bien désagréable. Mieux valait donc s'en débarrasser le plus tôt possible. À défaut de pouvoir se changer, elle pouvait donc espérer retirer un maximum du liquide avec une serviette en papier.

”- C’est gentil, merci !” assure-t-elle. ”Je venais justement de vider ma munition !”

Attrapant la serviette en papier que l'homme lui tend, Sophie le remercie, essayant d'éponger le liquide qui commence à coller son tissu à sa peau, pour en extraire un maximum de celui-ci, tant bien que mal. Ce ne serait pas parfait, elle ne le sait que trop bien et le vêtement resterait humide pour encore un bon moment, mais elle pouvait peut-être essayer de faire quelque chose malgré tout. Qui ne tente rien n’a rien, comme on dit. Alors elle tente, elle essaie.

Il parle, il s’en veut un  peu, cafouille, se perd dans ses propos et Sophie relève la tête, le rassurant en même temps qu’elle continue d’éponger le vêtement. L’alcool avait tendance à délier les langues, ça n’était pas nouveau. Ce n’était pas non plus un mal.

”- T’inquiète pas, ça va ! J’prend un sex on !” demande-t-elle en épongeant toujours son vêtement.

Il est dangereux de traîner dans un bar, le verre vide ? Sophie esquisse un franc sourire. Elle ne sait pas pourquoi il dit ça, mais elle aime bien cette philosophie de vie. Du moment qu’elle peut boire avec une bonne excuse… S’il est question de sa sécurité, après tout… Il vaut mieux tout faire pour la préserver. Elle est à peu près sûre que la sécurité serait, au contraire, de ne pas trop forcer sur l’alcool. Mais elle ne va pas prendre le risque de le contrarier. Non pas qu’elle ait besoin de lui absolument pour boire mais… un verre, ça ne se refuse quand-même pas. En louper une bonne occasion, en revanche, est scandaleux.

”- Dangereux vous dites ? Mais quelle horreur ! Dans ce cas, mettons nous vite à l’abri, préservons nous du mal, par une bonne rasade !” plaisante la jeune femme, marchant dans le sens de l’inconnu.

Mais comme il fait servir leurs verres, la demoiselle ne peut pas s’empêcher  de surveiller prudemment les moindres faits et gestes du barman, s’assurant que celui-ci ne glisse rien dans son verre, complice d’elle ne saurait trop quel complot tordu. Si elle aime boire et faire la fête, Sophie n’est pas pour autant écervelée. Elle ne sait que trop bien ce qui, malheureusement, arrive bien trop souvent aux femmes, dans ce monde. Elle ne sait que trop bien quels sont les lieux principaux où les drames peuvent se produire. Le monde de la nuit arrivait malheureusement nettement en tête. Particulièrement les débits de boissons.

”- Pourquoi ne vous trouve-t-on pas gentil en général ?” s’enquit l’étudiante en récupérant son verre qu’il lui tend et qu’elle scrute quelques secondes, avant de le porter à ses lèvres. ”Oui, allons y. La salle commence à se vider, nous ne devrions pas avoir trop de mal à trouver… Vous avez une préférence en particulier ?”

Elle pouvait bien discuter ne serait-ce que quelques minutes avec lui, même s’ils ne se connaissaient pas le moins du monde. Elle n’y voyait là aucun problème. S’il lui était totalement inconnu, il ne montrait aucun signe prouvant à la demoiselle qu’elle devait rapidement prendre ses jambes à son cou. Son naturel assez sociable prenant alors le dessus, Sophie ne voyait pas pourquoi elle partirait, comme une voleuse, son verre à peine récupéré. Même s’il avait ruiné sa tenue et qu’elle avait peut-être bien mérité ce verre, en effet.

”- Alors, je vous écoute. Pourquoi on ne vous trouve pas gentil ?”

Un verre vide dans un bar était une bombe à retardement d’après lui et ses mots surprennent la jeune femme. Que voulait-il dire par là ? Il ne se fait pas prier, pas attendre, pour l’expliquer, en faisant remarquer que c’était un prétexte pour se faire aborder par des hommes plus ou moins lourds. Elle devait avouer que c’était régulièrement le cas, en effet. En revanche, dans le cas présent, les circonstances n’étaient pas tout à fait les mêmes et elle espérait bien qu’il n’y ait derrière tout ça que la preuve irréfutable d’un savoir vivre entretenu, que la lourdeur d’un dragueur désireux de séduire le plus de filles possibles sans jamais se poser. Si la brune aime bien le flirt, les garçons qui courent après les jupons, en revanche, ne l’intéressent pas le moins du monde, menaçant de trop près sa virginité, sa promesse. S’il était là dans l’objectif de lui offrir un verre pour finir la nuit entre ses bras, il serait donc bien déçu. Mais elle doutait fort qu’il ait eu l’idée de lui renverser son verre dessus pour prétendre, par la suite, vouloir lui en offrir un pour se faire pardonner. Le plan serait un peu tiré par les cheveux. Mais efficace, toutefois.

”- C’est certain. D’un autre côté, ces jeux sont la plupart du temps consentis et beaucoup viennent se perdre dans les bars en espérant qu’un type viendra tenter de les séduire. C’est, pour certaines, l’objectif principal de la soirée.” remarque Sophie avant de hausser les épaules. ”Chacun est libre de ses amusements, du moment qu’ils ne causent de tort à personne.” remarque la brune. ”Mais c’est vrai que beaucoup insistent beaucoup trop, aussi et trouvent tous les moyens du monde pour perturber une soirée.”

L’homme se tournant en direction du bar pour commander leurs verres, l’étudiante en musicologie ne peut s’empêcher de surveiller son verre en même temps. Il n’y avait pas seulement de gros lourds parfois dans les bars. Il y avait aussi de vrais monstres. Des monstres sur lesquels, en général, on espérait plutôt ne pas tomber, auxquels on aimerait ne pas avoir à faire. Et de ces monstres, Sophie voulait se préserver. Aussi devait-elle faire preuve de la plus grande vigilance, tout en restant désireuse de profiter des fêtes auxquelles elle participait.

En revenant vers elle, l’homme semble ignorer la question qu’elle lui a posée, faisant valoir qu’ils devraient d’abord trouver à s’asseoir, ce qu’ils font avant qu’il ne se décide à tarir ses questions en reprenant la parole, se dévoilant un peu à elle. Et elle acquiesce d’un mouvement de tête à son propos, l’écoutant alors qu’il parle toujours, se laissant porter par quelques-unes de ses pensées en même temps, finissant par secouer la tête.

”- Les gens sont toujours si rapides pour le jugement, c’est impressionnant…” remarque la jeune femme. "Être réservé ne veut pas dire être méchant !”

La drague en soirée pouvait faire partie du jeu, Sophie en avait parfaitement conscience, même si ce n’était pas vraiment, pour sa part, dans ses habitudes, malgré son amour de la fête des soirées. Histoire de tenir la promesse qu’elle s’était faite à elle-même. Alors, bien sûr, elle flirte un peu. Pour jouer. Mais jamais elle ne va plus loin, mettant un stop aux ardeurs de ces messieurs assez vite, si le message pour eux n’est pas assez clair. Jusqu’ici, elle n’a jamais eu de problème vraiment notable. Jamais eu de type qui, vraiment, lui fasse peur. Mais elle a eu une part de chance aussi, elle le sait, si aucun des lourds qu’elle a pu rencontrer ne sont allés trop loin. Certaines de ses amies, elle en a parfaitement conscience, ont eu un peu moins de chance à ce niveau là. Comme beaucoup d’autres femmes. Trop de femmes.

”- Certains ne s’en préoccupent pas, c’est évident. Et d’autres.. J’ose croire, parfois, que c’est seulement de l’aveuglement plus que de la connerie à l’état pur mais peut-être est-ce placer trop d’espoirs dans le genre humain. Malheureusement, il y a toujours des fous partout, des gens qui ne se rendent pas compte de l’impact de propos, de gestes, qui sont pour eux insignifiants.” elle acquiesce. ”C’est vrai pour certains. D’autant plus que l’alcool peut grandement aider. Il est un vecteur évident de rencontres en favorisant la désinhibition."

Là encore cependant ce n’était pas le genre de choses que Sophie espérait, désirait pour elle. Ces rencontres faciles ne donnaient pas souvent quelque chose de sérieux, à l’image de ce qu’elle pouvait chercher dans ses relations avec les hommes. Pour autant, bien sûr, les autres étaient parfaitement libres d’apprécier, d’y trouver leur compte. Elle n’avait pas de problème avec ça. Et elle hausse les épaules. Le réel problème dans les bars, ce n’était pas ces rencontres éphémères, bien sûr. C’était le manque de respect total dont certains pouvaient faire preuve à l’égard des filles. Elles étaient, malheureusement, les principales victimes de ce genre de comportement, comme le remarque son interlocuteur qui se félicite de ne pas en être une.

”- C’est certain. Le problème est globalement moins répandu d’un homme à un homme cependant. Ce n’est pas le même état d’esprit, je dirais. L’homme cis est naturellement plus… comment dire ? Disons qu’ils sont bien souvent convaincus de leur bon droit, de leur quasi supériorité. C’est flagrant, quand on les entend parler. Pas tous bien sûr, mais beaucoup. Il suffit de voir les conseils qu’ils se donnent pour choper, entre mecs. C’est parfois à la limite du scandaleux, je dirais.”

Un gros problème d’éducation et de patriarcat, bien sûr, saupoudré d’une évidente bonne dose de machisme, rien de surprenant malheureusement, en fin de compte. Une triste normalité. Une banale éducation caduque, arriérée, continuant d’imposer son modèle, sa pensée. Une éducation à renverser, à détruire, tout simplement. C'était la même chose en ce qui concernait les jugements, les critiques. Un gros problème d’éducation, d’ouverture à l’autre. Un énorme souci dans les rapports humains, ni plus ni moins.

”- Je ne comprends pas non plus.” soupire la demoiselle. ”Non, je n’ai pas ce genre de remarques. Mais j’en ai d’autres. Trop volubile, trop énergique, pas assez posée, pas assez calme, pas assez “fille”. Dans le sens pas assez, comment dire…”

Ah ça, que les hommes qui draguent soient persuadés d’être dans leur bon droit, ce n’est pas vraiment nouveau. Ils ne voient pas le mal de ce qu’ils font et, pire que cela, il y a même des femmes qui leur donnent raison. Des femmes qui ne voient pas le mal dans la drague de rue, dans certains comportements masculins, alors qu’elles sont complètement, finalement, endoctrinées par le patriarcat. Ouai, y’a des types qui ne comprennent pas, du coup, que non c’est non, que le non est un vrai non, que ce qu’ils font est mal. Parce que la vie est ainsi faîte, parce que le patriarcat pèse encore sur les épaules de beaucoup trop de monde. Et c’est terrible. Vraiment terrible. D’autant plus que la lutte, si elle persiste, est difficile. Que parfois, le courage manque, tout simplement.

”- Ouai. Parce que c’est ce que le patriarcat leur fait croire. Parce que certains pensent encore qu’une femme ne vaut pas un homme, que nous sommes le sexe faible, indécis. Que nos non, peut-être, sont en réalité des oui, qu’on veut seulement se donner un genre, ne pas sembler être trop prudes. Ouai, y’a des types qui pensent qu’on veut juste ne pas choquer la morale, qu’on a juste envie de se faire supplier, mais qu’au fond on adore qu’ils soient lourds. C’est pas l’cas, bien sûr. Mais ouai, y’a des types qui le pensent.”

Et puis, ce n’est pas la seule chose dont ils ne se rendent pas compte. Ils ne s'aperçoivent pas non plus que parfois, leurs remarques peuvent traumatiser les femmes qui les écoutent. Ils ne se rendent pas compte que parfois leurs propos hantent toute une journée, une nuit et parfois même davantage. Ils ne se rendent pas compte de l’horreur de leurs mots, de leurs gestes, de l’impact de tout ça sur les filles. Eux, ils continuent leurs nuits, leurs journées, comme si de rien n’était. Leurs vies reprennent leurs cours, l’air de rien, laissant derrière eux une fille et sa confiance brisée. Pas toutes, bien sûr. Mais ça a toujours un impact, quel qu’il soit, sur les demoiselles, en tout cas.

Elle reste sans voix en entendant les mots de l’homme comme ce dernier évoque le décès de son épouse et la manière que ses amis ont d’essayer de lui remonter le moral, de l’aider à tourner la page. Elle n’ose imaginer comment ils doivent parler des filles, entre mecs, alors que dans une telle situation, ils semblent les considérer comme des objets, comme des pansements, tout simplement. Ni plus ni moins. Pas grand besoin d’imaginer pour en saisir l’horreur; à vrai dire.

”- J’suis désolé pour votre femme.” assure la demoiselle. ”Désolé aussi qu’ils ne sachent pas mieux vous aider.”

Ils n’avaient pas d'autres conseils à lui donner, d’autres manières de l’aider, de le soutenir dans cette période ? Apparemment pas. Et ça la démonte, Sophie. Ouai, ça la démonte que les hommes puissent être à ce point stupide, tout simplement. Tout autant que les jugements, finalement, ces jugements qu’il subit alors que le portrait qu’il dépeint, finalement, est on ne peut plus normal considérant ce qu’il a eu à traverser. Bien sûr, alors, qu’il peut être froid et il a tous les droits et toutes les raisons de l'être. Comme elle-même, d’ailleurs, a le droit d’être trop exubérante, trop sportive, à sa guise.

”- De rigolade ou de larmes, je ne sais pas, j’hésite un peu.”