Irene&Bastian • take back all these memories

CIMETIERE - TRIGGER WARNINGS : Deuil, décès, accident de voiture.

Un bouquet de fleurs chez la fleuriste plus tard, Bastian se trouvait, silencieux, dans son trench-coat noir, les cheveux au vent, carressés par la brise fraîche de la saison des pluies qui se dessinait désormais, bien ancrée, au cimetière. Aujourd'hui était un jour particulier, et quand bien même il allait un peu mieux, il était des dates et des visites habituelles qu'il n'était pas encore prêt à abandonner.

Devant la tombe de son épouse, il poussa les feuilles mortes, et se servit du seau d'eau pour nettoyer rapidement, et raffraichir la tombe. Il enleva les précédents bouquets qui avaient fané. Ici, personne ne venait voir son épouse, et sa famille avait du mal à comprendre sa décision de continuer à venir et entretenir la tombe : ils ne supportaient plus de venir l'entretenir. Il l'avait même fait revenir en Allemagne plutôt que de rester seule, là-bas à Mulhouse. Elle était éloignée de quasiment tous ses proches, sauf sa famille qui avait besoin d'aller de l'avant, et donc de venir moins souvent la voir. Pourtant, il y avait toujours quelqu'un qui déposait des fleurs, et de manière régulière, en plus de lui, et il ignorait qui était cette personne. Surement un membre de la famille d'Elise ou de la sienne, qui préférait garder l'anonymat pour des raisons qu'il ignorait. Mais ça n'était pas important.

Une fois la tombe propre, il s'assit à côté de celle-ci, presque de face, en ramenant ses genoux à son torse. Il regardait la petite photo d'Elise.«Tu me manques, mon amour.» avoua-t-il en s'adressant à la tombe. Il avait beau essayer d'aller de l'avant, une part totale de lui continuerait toujours de l'aimer au fil des années. Elle avait partagé sa vie pendant si longtemps, elle avait été son premier véritable amour, même si c'était une idée à la con de Clément et Simon, à la base. «Aujourd'hui, ça aurait été notre anniversaire de mariage.» soupira-t-il. «Est-ce que c'est mal si j'ai failli l'oublier, cette année aussi ?» reprenait-il alors qu'il remarqua ne pas être seul, une femme rousse étant quelques pas plus loin, devant une autre tombe. Est-ce qu'elle l'avait entendu parler ? C'était super étrange...

CIMETIERE - TRIGGER WARNINGS : Deuil, décès.

Elle refuse de se limiter à un seul jour. Ils sont nombreux, dans son entourage, à ne visiter les disparus qu’une ou deux fois par an, pour un anniversaire ou alors juste parce que la coutume le suggère, mais Irène n’est pas de ces gens. Pour elle, c’était une visite comme une autre, un salut porté à l’attention du meilleur ami qu’elle a perdu mais qu’elle n’hésite jamais à retrouver dès qu’elle le peut. Quelque part, ça l’aide à palier à son absence. Quelque part, c’est comme s’il n’est pas vraiment parti. Le duo avait toujours été le genre à discuter de tout et de rien, surtout lorsqu’il était question de leurs enfants, et les filles avaient été si prodigieuses dernièrement Irène était incapable de ne pas venir en parler avec lui. Alors elle est là, une fois encore. Le fleuriste la reconnaît, depuis le temps il sait ce qu’elle va lui demander et si elle peut être le genre à entrer, acheter et sortir, elle se fait un plaisir de partager un brin de conversation avec le vendeur; cela ne coûte rien d’être plaisant, après tout. Et la rouquine avait la conversation facile. Un homme entre et se fait servir, et disparaît presqu’aussi rapidement, le ton sombre. Bien sûr, ce n’est jamais un coin réputé pour l’humeur joyeuse des visiteurs, mais la beauté des plantes et des compositions florales égaie un peu l’atmosphère maussade du quartier. La fleuriste avait un véritable talent, et Irène songe à revenir après sa visite pour acheter quelques bouquets histoire de décorer un peu son salon et salle à manger: ses fleurs à elle n’étaient pas encore prêtes à devenir de si belles créations, même si elle se souvient de demander un conseil ou deux à la professionnelle.

Mais, bien vite, revient en tête l’idée qu’elle n’est pas là pour discuter avec elle et elle salue la vendeuse un bon vingt minutes après être entrée dans le magasin. La journée était douce, bien qu’un peu frisquet, et la rousse serre un peu les pans de sa veste pour s’abriter d’un coup de vent de trop. Au loin, elle le voit, l’homme fait de même avant de rentrer dans le cimetière. Elle se permet un triste sourire, saluant la douleur sourde qu’elle ne doute pas est partagée par celui qui la devance sur les lieux. Elle s’arrête brièvement chez le gardien du cimetière pour déposer son tribut habituel et le vieil homme lui offre un sourire reconnaissant: Irène ne roulait pas sur l’or, loin de là, mais elle avait toujours quelques euros pour permettre au garde d’acheter quelques fleurs pour les tombes les moins visitées: personne ne méritait d’être délaissé, et l’éclat de couleurs relève le caractère maussade des lieux. En acceptant les billets, le vieil homme fait signe de la tête en direction de l’homme qu’Irène avait croisé dans le magasin et elle ne souffre que de quelques secondes d’indécision avant de comprendre ce qu’il veut dire. L’un des bouquets est allé sur la tombe que l’inconnu visite actuellement.

La rouquine remercie encore l’aîné de sa bienveillance, mais elle n’est pas là pour dire de récolter les lauriers de sa propre gentillesse. D’un regard, elle intime l’homme de ne rien dire et se met à marcher vers l’homme en question, avant de le dépasser et continuer pour retrouver Daniel. Elle espère juste que le geste a pu réconforter, ne fut-ce qu’un peu. Même si l’idée était ridicule, payer pour des fleurs pour les sépultures de gens que tu ne connais pas, quelle idée!, elle ne peut s’en empêcher. C’était sa manière à elle de les garder en mémoire, même si elle est bien incapable d’expliquer exactement pourquoi elle ressent ce besoin.

Peut-être qu'aider les autres, ça l’aide aussi.

Peut-être.

«Est-ce que c'est mal si j'ai failli l'oublier, cette année aussi ?»

L’homme n’est pas assez loin de la sépulture de Daniel pour qu’Irène ne l’entende pas, même si elle faisait tout pour lui laisser autant de vie privée que possible. Mais ce commentaire… c’était plus fort qu’elle: elle soupire avec un sourire, l’action la plus discrète possible pour l’empêcher de ricaner pour de bon. C’était carrément le genre de choses que Daniel aurait dit, si les positions étaient inversées. L’inconnu devient soudainement silencieux, et l’atmosphère se fait plus tendue, et mon amusement temporaire se transforme en mortification.

Je suis désolée, je ne voulais pas m'immiscer. J’ai juste imaginé mon Daniel me dire quelque chose de similaire, et si je me base sur ce que je lui aurais répondu, je suis sûre qu’elle ne vous en veut pas. Vous êtes là, après tout, non?  

CIMETIERE - TRIGGER WARNINGS : Deuil, décès, accident de voiture.

Sur la stèle indiquant la tombe d'Elise, il y a deux croix, dont une sans date de naissance, juste avec une date de mort. Pas de nom, pas d'identité. Il avait été incapable de donner un prénom à cet enfant qui aurait été leur s'ils n'était pas parti aux cieux, depuis le ventre de sa mère. Il avait été incapable de nommer la douleur, rendue double, dd'une part par la perte de l'être qu'il aimait, qu'il aimait plus que lui-même, et du tout petit être qu'il espérait si fort, et qu'il aimait déjà comme s'il l'avait déjà serré dans ses bras. Le décès d'Elise, ça avait été son plus grand combat. Incapable de se relever dans un premier temps, se sentant vide de vie, et ayant eu bien des fois le souhait de la rejoindre dans la pénombre du silence, il avait finalement trouvé quelque chose à quoi s'accrocher, puisque ses amis ne lui suffisaient pas, malgré leur gentillesse, leur patience et leurs attentions. Il se sentait incapable d'affronter la vie alors qu'il les voyait tous deux avancer, heureux et capable de devenir de grands hommes, là où Bastian était bloqué, pétrifié dans la solutide et les ténèbres.

Il s'installa à côté, d'abord debout, les mains dans ses poches, les yeux rivés sur le visage d'Elise, en photo dans un si petit cadre, puis s'assit.. L'absence de son rire était difficile, quand bien même son coeur avait recommencé à battre, et semblait prêt à laisser de la place à quelqu'un d'autre, ce qui l'avait lui-même surpris. Evidemment, il culpabilisait de cette situation, sentant qu'il faisait défaillance à Elise. Elise, son amour... Sa si douce épouse, dont la voix parvenait à calmer le moindre mal. Il ne pourrait jamais l'oublier vraiment. Même s'il avait failli oublier de venir la voir pour ce jour si spécial à son coeur. Ils s'étaient mariés, il y avait des années. Si du vivant d'Elise, Bastian avait tendance à oublier la date, étant sujet de rigolade pour Elise, car il lui souhaitait des jours trop tôt ou des mois trop tard, son absence n'avait guère fait changer les choses. Sauf que ces fois-là, Elise n'était pas présente pour l'aider à dédramatiser la situation. Il aurait voulu la serrer contre lui. Mais... serrer une stèle ? C'était une nouvelle douleur, celle de son absence, de sa mort, sous une pierre froide, sans émotions. «Je suis désolé.» souffla-t-il, moins fort, en réalisant ne plus être seul. La rousse présente dans le cimetière vint à lui adresser quelques mots. S'il lui jeta dans un premier temps un regard en coin réprobateur, il finit par mentalement la remercier de ses mots. Ce n'était guère grand chose... mais c'était déjà cela.

Il ne fallait pas chercher : elle présentait dans ses mots la même douceur qu'aurait eue Elise. La connaissait-elle ? Peut-être. Peut-être pas. Peut-être avait-elle seulement su trouver les mots. Il essuya rapidement, un peu par fierté, la larme qui s'apprêtait à couler sur sa joue. «Merci.» chuchota-t-il, en se relevant. «C'est difficile de continuer à vivre sans eux, hein ? Et quand finalement on y arrive, qu'on se relève... c'est la culpabilité qui nait en nous.» dit-il, en faisant un pas en arrière pour ne pas "risquer d'écraser Elise en marchant sur son cercueil", comme lui disait toujours sa grand-mère quand il était petit «On fait attention, Bastian, hein ! On ne marche pas sur une tombe, pas sur un tas de terre qui attend sa stèle. Tu n'aimerais pas qu'on te marche dessus dans ton repos éternel, pas vrai ?»

«C'est... c'est votre époux que vous venez visiter ?» s'osa-t-il, non sans une pointe d'indiscrétion.

.

CIMETIERE - TRIGGER WARNINGS : Deuil, décès.

Le regard accusateur que l’inconnu m’adresse me remet bien rapidement à ma place, et je déglutis avec difficulté en me critiquant mentalement d’avoir été si indiscrète. Il semble avoir son propre deuil, et ça ne me revient pas de décider ce qu’il peut en faire. Mais parfois, comme je l’ai découvert avec mes enfants, il faut qu’on entende les choses avant de réaliser en avoir besoin. Je pense que l’homme le comprend, peut-être que mes mots n’ont pas fait tant de tort que je le crains. Je lui adresse un sourire avant de décider avoir outrepassé mon droit à lui tenir compagnie, et je me tourne lentement dans l’idée de m’éloigner à nouveau. Retrouver ma propre raison d’être ici.

Lorsqu’il me remercie, la brise avale ses mots, si bien que j’ai failli ne pas l’entendre du tout. Je reprends un pas, puis deux vers lui avant de lui adresser un sourire. Pas trop joyeux, non, les circonstances de notre rencontre ne s’y prêtaient pas, mais c'était assez sincère pour ne pas être teinté de pitié. J’ai moi-même rencontré trop de gens offrant des platitudes et des condoléances avec un sourire serré, je sais ce que ça fait que de ne pas avoir l’impression de valoir un peu d’honnêteté.

«C’est difficile de continuer à vivre sans eux, hein?»

Je m’approche un peu plus, désormais côte à côte avec cet inconnu qui ne comprend que trop bien ce que je peux, ce que j’ai pu ressentir. Il y a une certaine compassion qui naît d’une expérience commune, et je ne peux qu’espérer ne pas aggraver sa tristesse. Je serre les quelques fleurs que j’ai toujours en main contre mon torse, comme si la fragrance des pétales allait me protéger de la vérité qui enveloppe ses mots.

« Ça n’a pas été facile, non. Chaque expérience est différente et j’ai dû m’occuper de mes enfants. Quelque part, je pense que mettre les pieds l’un devant l’autre tous les jours pour aller m’occuper d’elles est ce qui m’a aidé au début. Et au bout d’un moment, le pincement n’a plus été si violent. Je n’ose imaginer où je serais aujourd’hui si ça n'avait pas été pour mes enfants. »

Il se décale légèrement et je suis le mouvement, attentive à ma position par rapport aux sépultures, aucunement désireuse de manquer de respect à qui que ce soit. Lorsqu’il me demande qui je viens saluer aujourd’hui, mon sourire se fait plus discret, moins ouvert: penser à Daniel me fera toujours chaud au cœur mais son absence se fait parfois cruellement ressentir. Certaines choses auraient pu ne pas être discutées, mais c’est moi qui ait ouvert la boîte de Pandore avec mon commentaire précédent. S’il craint être trop curieux, j’espère rassurer ses doutes.

« Oui. Daniel. Époux. Partenaire. Mon meilleur ami. Peu importe, rien n’est pareil depuis qu’il n’est plus là. Il serait probablement le premier à grogner en me voyant ainsi, je vous jure. Mais ma fille va un peu mieux ces temps-ci, alors je me permet de me remémorer, avec un peu de retard, je me tourne vers la sépulture en question avant de baisser d’un ton. « Il aurait détesté me voir ici, je pense, alors je ramène des fleurs pour quelques sépultures qui n’en ont pas. Je me dis qu’il serait moins critique de me voir ici si chaque visite n’est pas uniquement “à propos de lui”. »

Mon regard revient vers la tombe devant laquelle nous nous trouvons, et j’observe un instant la photo, admirant la femme qui y était affichée. J’allais rajouter un commentaire avant de remarquer l’incohérence des dates sur la stèle, avant de finalement comprendre pourquoi. Et mon coeur s’est pincé.

« Comment s’appelait-elle ? »

Je peux lire le nom sur la pierre, mais parfois juste parler du sujet peut faire du bien.