Carambolage à la Patinoire ► Irène & Stefan

Il y avait toujours quelque chose de simple au fait d’aller patiner. Laisser derrière ses tracas, se mêler à la foule curieuse de venir s’amuser, pousser le premier pas et puis simplement… glisser. Oublier. Se laisser aller. Le patin à glace m’avait toujours aidé à me détendre lorsque j’étais plus jeune, à me vider l’esprit avant un examen important ou alors juste me distraire avant mon premier rendez-vous avec Daniel. Il y avait toujours un motif ultérieur à mes danses nonchalantes sur la glace, mais de nos jours, je ne venais que pour le plaisir de patiner, me laisser guider par le flot des gens tournoyant en périphérie de la surface blanche et glacée, certains braves essayant quelques figures maladroites causant l’hilarité de leur groupe lorsqu’il faillissent. Il y avait de tout, par ici, et quelque part ça symbolisait une fois de plus l’aspect cosmopolite de la cité… Peut-être était-ce là tout ce qui m’intéressait: je suis une personne curieuse, après tout.

Je patine depuis un peu moins d’une heure lorsque je les entends au bout de mon énième tour de piste, des rires cristallins, des encouragements innocents et -je le devine- légèrement taquins. Un duo adolescent se présente quelque distance devant moi et j’aperçois la silhouette d’un homme qui ne semble pas être dans son élément, se séparer avec difficulté du rebord de la patinoire. Il semble déterminé à suivre les encouragements des deux jeunes et je me permet un sourire au souvenir de lorsque la situation était inversée, avec Daniel et moi. J’étais celle qui semblait s’épanouir, et lui avait toujours été un peu plus réticent. L’homme ne semble pas bien différent, et j’ajoute quelques mètres de plus à ma trajectoire pour lui permettre une plus grande liberté d’action: il y a bien assez de place sur la glace pour tout le monde, même si la patinoire était moins bondée que je ne l’ai vu par le passé. Les jeunes se séparent de l’adulte avant de s’éloigner et commencer à glisser sur la glace, et je continue mon propre tour… jusqu’à ce que je sois percutée par l’homme que j’avais pourtant essayé d’éviter.

“Pardon, je ne suis pas très doué.”

Il essaie de retrouver son équilibre et j’interromps ma glisse pour lui offrir une main un peu plus assurée, légèrement troublée par le choc mais accoutumée assez aux incidents de glace pour retrouver mon équilibre plus rapidement que lui. J’ai presque peur que ses patins ne glissent sous son poids et ne l’envoie dans une danse affolée pour ne pas sombrer, comme sur ses vidéos TikTok de gens qui semblent glisser sur place pendant cinq minutes parce qu’ils ont eu le malheur de marcher sur une plaque de verglas.

Respirez un bon coup, ça ira bien. Il n’y a pas de mal, ça arrive à tout le monde.

Il semble inquiet de ma réaction, et j’espère le rassurer d’un sourire. Je ne suis pas de ces gens qui s’offusquent pour un rien et si quelqu’un ne peut pas assumer d’être bousculé, peut-être ne devrait-il pas venir patiner en public.

Votre première fois sur la glace, j’imagine?, je demande avec un petit rire cordial.

Déjà, mes instincts de professeur reprennent le dessus, assurant ma pose pour dire de soutenir la sienne, bien décidée à supporter son poids si jamais il venait à glisser de nouveau.

Les jeunes vous attirent ici et puis vous abandonnent une fois au milieu de la piste? Typique, je suis tombée dans le panneau aussi. Je peux vous aider à vous lancer, si vous le désirez. Ou alors préféreriez-vous que je vous accompagne au rebord?

Peut-être était-il le genre à tenter deux secondes et puis retourner sur les bancs pour admirer de loin, je ne peux le savoir, mais je voulais laisser l’option ouverte.