#55 IRENE ✵ broken strings

Irene avait passé une semaine fatigante. Entre les répétitions de dans pour le spectacle de Noël et ses amies et ses filles, elle n'était pas allée se faire un petit plaisir. Alors elle prit une petite boîte que Liwia et Ewa lui avaient offerte pour Noël dernier. Dans cette petite boîte se trouvait un bon pour un massage. Elle avait proposé plusieurs fois à ses filles de l'accompagner, mais celles-ci lui disaient sans arrêt : "C'est pour toi. C'est pour un moment à toi.". C'est principalement pour cette raison qu'elle n'avait toujours pas sauté le pas. Alors elle y était allé aujourd'hui, espérant se détendre. Le massage était incroyablement revigorant. Un peu trop, peut-être, puisqu'une folie acheteuse arriva en pleine tête de la rousse. Elle avait fini par prendre son sac, remercier le personnel du spa et aller faire les boutiques. Oh pas pour elle, mais pour les filles. Comme elle le faisait souvent. Alors quand elle arriva à la maison, les bras chargés de sacs, elle les posa sur le canapé et prit ceux destinés à Liwia. Elle lui avait pris des vêtements pour l'hiver, mais aussi une paire de chaussures. Bien sûr elle n'aurait pas fait ça si elle n'avait pas les moyens. Quant à Ewa, elle lui avait acheté des bijoux et quelques vêtements aussi. Ce genre de moment, même seule (et surtout seule, en fait) rappelait à la quadragénaire les petites folies qu'elle faisait quand elle était enceinte.

Peu importe. Elle se dirigea vers la porte de sa cadette. Elle toqua doucement, de peur de la réveiller ou de la brusquer. Irene savait très bien que ça n'allait pas fort pour elle. Et a vrai dire ça n'allait pas fort pour la maman des deux filles non plus. Seulement elle ne leur montrait pas. Quand elle entra, elle sourie. Un sourire que Liwia ne pouvait peut-être pas voir.

La maman s'approcha : "Coucou ma puce.". Elle lui déposa un baiser sur le front et dit : "Je suis allée au spa, finalement. Merci, ça m'a fait du bien. Mais du coup j'ai acheté quelques petites choses comme ça m'a donné un petit coup de fouet à la fin.". Oui, il est possible de sortir d'un spa ou d'un établissement où l'on fait des massages complètement énergique. Elle posa donc les deux ou trois sacs sur le lit. "Je t'ai pris quelques vêtements et des chaussures.". Lui dit-elle en s'asseyant sur le lit après réflexion. Rester debout leur faisait garder une certaine distance. Qu'être assise sur le lit, prêt de l'une et de l'autre, était plus réconfortant. Pour l'une comme pour l'autre. Du moins Irene le supposait-elle, car c'était l'effet que cela lui faisait.

@Liwia Ludwig

Elle sait. Irene sait que ses filles vont mal. Elle-même ne va pas bien. Mais que faire devant cette situation ? Rester forte. Bien sûr elle pleure. Elle pleure le matin, le soir et même parfois la nuit. C'est comme si leur monde venait de s'écrouler. Comme si la pire chose qui pouvait leur arriver était arrivé. Mais si, en fait. Si. C'est ce qui est arrivé. La pire chose qui pouvait arriver aux filles était arrivé. Elles avaient perdu un père et un mari. Un père extraordinaire et un mari parfait. C'était dur, mais la rousse faisait tout pour rester forte. Jamais elle ne pleurait devant ses filles. Jamais elle n'allait pleurer devant une personne aussi dévastée qu'elle. Et même : pleurer devant ses enfants n'est pas une bonne chose. Elle l'avait fait deux fois. Quand elle a apprit pour la crise cardiaque et à l'enterrement. Mais maintenant c'est dans son lit, sans bruit.

"Oui, c'était agréable.". La maman réfléchit à comment tourner la phrase suivante. "Un week-end entre filles ça te dit ? Avec ta sœur. Ca peut vous faire du bien aussi.". Elle sait pourtant que Liwia va refuser. Elle le sait parce qu'elle ne se relève pas. Et même si elle a proposé plusieurs fois aux filles de sortir, de faire quelque chose d'un peu différent, de vivre, Liwia avait toujours refusé. Même pour un week-end un peu spécial entre filles. Irene se sent faible devant un tel mal-être. Elle se sent tellement mal pour elle. A vrai dire, maintenant, elle avait envie de pleurer, mais elle se retenait. Elle ne voulait rien montrer. Elle est forte, Irene. Elle est forte. Du moins c'est ce qu'elle tente de se dire et de se persuader.

"Comme tu veux. Ce n'est pas obligatoire. Mais j'aimerais bien te voir avec ça..." elle laissa sa phrase en suspens pour sortir une paire de talons. Des escarpins avec des lacets qui servent à entourer la cheville plusieurs fois et à être noués à la fin. A vrai dire elle ne sait pas si cela lui plairait ou non. Elle voulait juste que sa fille se sente femme. Et non fille épleuré par la mort de son père. Puis, en voyant l'air un peu décontenancé de sa fille, Irene ne fit rien de plus que poser les chaussures au bout du lit et de prendre Liwia dans ses bras.


@Liwia Ludwig

Quand il faut, il faut. Cela faisait beaucoup trop longtemps que Liwia se morfondait sur la mort de son père en ne sortant pas. Irène détestait faire le méchant flic, mais elle le devait. Elle devait tout faire pour que ses filles se reprennent et l’accompagnent quelque part. Même pour faire les courses. Alors, au lieu du week-end, la quarantenaire prit du temps avant de décider une chose. Elle prit une grande inspiration et regarda sa fille, droit dans les yeux. « Tu vas venir, ce week-end, avec moi, faire les courses. Que tu le veuilles ou non. ». Sa voix n’était pas très autoritaire, en réalité elle cachait une petite once de tristesse. Elle n’était pas cassée, mais presque. « J’en ai marre de te voir te morfondre. Je veux que tu vives. Vies ta vie comme ton père le voudrait. Il doit être déçu de nous voir toute nous séparer d’une certaine manière. Faire les courses, ce n’est pas trop ? Dans une petite épicerie ? Même pas dans un grand supermarché. »

Dans son for intérieur, la rousse espérait tellement que sa fille allait accepter ce petit compromis. Elle n’était pas obligée de se maquiller, de bien s’habiller (bon faire quelques efforts tout de même). Et elles ne seraient que toutes les deux. Ewa ne serait pas là, mais ce serait un pas en plus. Ce serait comme pour faire les choses doucement. Une par une. C’était également une façon pour Irène de gérer plus simplement la chose. Gérer Liwia puis Ewa.

La professeure de danse sait que ce n’est pas avec envie que la jeune femme essayait ses chaussures. Mais elle voulait faire plaisir à sa fille. On dirait que c’était raté. Elle soupira et aida la mini elle à enlever les escarpins et prit un ton un peu désespéré. « Tu sais que je t’aime. Tu sais que ton père t’aimait et t’aime toujours de là où il est. Que tu crois au paradis ou non. Il faut que tu avances. Je veux te voir avancer. Rencontrer des garçons, ou des filles, rencontrer de nouveaux amis. Tu n’en as pas assez. Quoi que le nombre ne soit pas le plus important. Mais j’aimerais te voir heureuse. Ton père, encore une fois, aimerait te voir heureuse aussi. ». Et sur ce, la rousse craignit un peu de faire pleurer sa fille. Mais elle voulait lui créer un déclic.

@Liwia Ludwig

Bien sûr, Liwia est triste, se sent peut-être forcée, sûrement même. Mais sa mère à besoin de la voir bouger. Elle aimerait la voir comme elle est avec Lisa et sa mère, inconsciemment. Parce qu’elle ne sait pas vraiment comment elle est. Elle sait juste qu’elles arrivent, elle, à ne pas la vexer, à ne pas la faire pleurer. Irène voit les petites larmes dans les yeux de sa si petite fille. Bon, non, elle n’est pas petite, mais pour elle, elle est son bébé. Comme Ewa d’ailleurs. Peut-être un peu moins, elle est différente, mais elles seront toujours ses bébés. Oui c’est stupide, mais c’est vrai. Quand elle était jeune, la rousse pensait que c’était n’importe quoi, quand les parents disaient cela, mais finalement ils avaient totalement raison. Ils avaient totalement raison. Aujourd’hui Irène était d’accord avec eux. Avec ces parents.

Redevenant un peu plus douce, même si elle n’a jamais vraiment arrêté de l’être, elle apporta sa main sur la joue de sa fille, lui caressa, et dit, un sourire nostalgique sur le visage et légèrement triste (mais elle ne voulait en aucun cas pleurer devant ses filles et encore moins leur montrer à quel point elle aussi elle est anéantie) : « J’aimerais revoir ton beau sourire. ». Un sourire sincère et son rire. Oh son rire, qu’est-ce qu’il lui manque. « Tu me manque, tu sais ça ? » et cette fois les larmes dans les yeux d’Irène commencent à se voir. Elle cligne alors des yeux plusieurs fois, comme si elles pouvaient disparaître comme cela. C’est un peu bête. Mais en aucun cas elle ne devait pleurer devant Liwia. Ni devant Ewa. Mais en l’occurrence elle n’est pas là, dans la pièce, à ce moment-là.

« Je te préviendrais quand j’irais faire les courses, on peut y aller l’après-midi comme le matin, c’est comme tu préfères. SI tu veux dormir je ne vais pas t’en empêcher. ». Parce que l’obliger à sortir avec sa mère faire les courses c’est déjà assez difficile, alors en plus lui demander de se lever si elle n’en a pas envie…c’est encore pire.

@Liwia Ludwig

Irene ne savait plus quoi dire et encore moins quoi faire. Alors elle se contente de prendre sa fille dans ses bras, ne restant pas trop longtemps parce qu'elle a l'impression d'être de trop. "Je t'aime, ma puce.". Sur ce, elle se leva et alla dans sa chambre, laissant Liwia tranquille. Elle ne pouvait plus empêcher ses larmes de couler, cette fois. Elle était si...mal. Si mal, mais moins pour elle que pour sa fille. Sa cadette. Cette jeune femme qui a l'air de gâcher sa vie de jeune adulte en se morfondant et en ne profitant pas de la vie. C'est vrai, il y a des choses qui changent, dans la vie. Des personnes viennent, des personnes partent. Parfois pour toujours, parfois pas pour toujours. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'Irene connaît un peu plus la vie que ses filles et en a connu des vertes et des pas mûres. En fait son meilleur souvenir c'en était plusieurs : les naissances de ses filles. Elle pensa à ça, elle se calma. C'était important pour elle de rester forte. Même dans l'ombre finalement. Mais rien qu'au souvenir du rire de Liwia, aux blagues de son père, elle se remit à pleurer. Tout ça silencieusement tout de même. Toujours. Personne ne devait l'entendre. Même Eleonora, elle ne la laissait pas l'entendre trop pleurer. Elle ne voulait pas. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne pleurait que silencieusement. D'ailleurs le silence se faisait de plus en plus perceptible, et la quadragénaire s'endormie là, sur son lit, un peu trop vers le rebord. Heureusement elle ne tomba pas.

@Liwia Ludwig

"Maman, ça va ?" si d'abord, Irene à l'impression d'entendre cela dans sa tête, elle se réveille en sursaut et tombe du lit. Mon dieu, heureusement qu'elle ne s'était pas fait mal mais...elle ne peut s'empêcher d'exploser de rire. Non, vraiment. Situation incongrue, réaction incongrue. Elle était fatiguée, aussi, il faut dire. Elle ne se rendit pas compte que ses joues étaient rouges et que ses yeux étaient un peu gonflés, mais on pouvait mettre ça sur le compte de la chaleur et sur celui des larmes qui coulaient, dû au fou rire.

Elle se releva et s'assit sur le lit. Faisant craquer son dos comme Liwia adorait quand elle était bébé. (Non en fait elle pleurait quand sa mère le faisait devant elle. La pauvre.). En tout cas elle essuya les quelques larmes qui coulaient et regarda sa cadette. " Ne t'inquiète pas, je ne me suis pas fait mal et je vais bien. ". Ce qui était à la fois vrai et à la fois faux. Mais elle n'avait pas besoin de le savoir, ça, la jeune femme. Mon dieu ce qu'elle ressemblait à son père...Bon, stop, on va pas recommencer à pleurer. Non mais. Surtout pas devant l'une de ses filles.

A ce moment, elle aurait voulu qu'Ewa soit là. Juste pour la faire rire. Pour s'allier avec elle pour faire rire Liwia, également. Elles étaient plutôt douées pour ça, quand leur père et son mari était encore là. Quand ça n'allait pas, si vraiment papa Ludwig n'était pas là, Ewa et Irene se mettaient de mèche pour faire rire la jeune femme. Et ça marchait pas mal, en général. Ils ont toujours été une famille soudée...et qu'est-ce qu'elle avait envie de revoir cette famille, bien que diminuée, soudée à nouveau.

@Liwia Ludwig

Liwia semblait un peu perdue. A vrai dire Irene l’était aussi. Elle regardait sa fille puis se demandait si elle ne s’était réellement pas faite mal. Enfin...où elle s’était faite mal. Elle se redressa et fit tourner sa cheville qui craqua toute seule et qui la fit sursauter. Puis elle se rendit compte que Liwia riquanait. Cela lui donna envie de pleurer. Trop d’émotion tue l’émotion, comme dirait…les jeunes. Mais bon ce n’était pas bien grave, pour le coup il s’agissait de larmes de joie.

Elle regardait sa fille et dit : « Tu vas bien ? Pourquoi tu es venue ici ? Pas que ça ne me fasse pas plaisir de te voir après quelques minutes, mais c’est curieux. ». Elle sourit grandement, Irene, comme si elle n’avait pas pleuré peu de temps avant, mettant une mèche de cheveux derrière son oreille.

La prof de danse tapota la place à côté d’elle pour que sa fille la rejoigne.