Pourquoi faut-il consulter ? ft. Anastasia Mayer

L'anxiété est mon quotidien depuis mon retour du Liban et la perte de notre fils. Je ne dors plus sinon je fais des cauchemars, je ne mange plus que le minimum syndical, je me dope au café noir et aux cigarettes. La seule chose qui me fait tenir finalement c'est ma femme, mais c'est si compliqué en ce moment. La perte d'Adrian a été si dure... Quel parent peut se remettre de ça ? Je pleure... Souvent... Je ferme les yeux et je vois mon fils faisant ses premiers pas... J'ouvre les yeux et je vois ma femme effondrée par la dépression. Je referme mes yeux et je vois ces cadavres que je viens de tuer sur le sable chaud. Mon canon encore brulant et sentant la poudre. J'ouvre les yeux... Et je vois mes parents qui n'arrivent pas à nous consoler. Qui font tout pourtant. Il y a une telle différence entre le réel et l'imaginaire. Et pourtant aujourd'hui je n'arrive plus à faire la différence. Mon esprit est brouillé.

Je ne sais pas si ce que je ressens est une maladie mentale, mais je suis tellement anéanti que je ne sais plus qui je suis. Aujourd'hui, j'ai mon premier rendez-vous chez mon psychologue. Il parait que j'en ai besoin et que ça fait du bien. C'est mon médecin militaire qui me l'a conseillé. Alors que je sors de chez moi pour la première fois depuis des semaines, je remarque comment les gens sont heureux. Les couples se tiennent la main et s'embrassent à pleine bouche dans la rue, les oiseaux chantent, le soleil brille de mille feu et vient réchauffer le sweat noir que je porte depuis quelques jours. Je ne ressemble vraiment à rien, mais peu importe. Ce n'est vraiment pas mon but de paraitre depuis quelques temps. Alors ma tenue se résume à un t-shirt, un sweat, un jogging et des baskets. Le regard cerné, le visage sans expression.

J'arrive enfin au cabinet de psychologie après avoir marché un peu et avoir pris les regards critiques des gens en pleine tête. Ok je fais pas attention à moi, c'est pas pour autant qu'il faut me juger. Les gens ne savent pas ce que j'ai vécu c'est clair. Je pénètre dans le sas d'accueil et vois la secrétaire qui me regarde et me dis bonjour.

- Bonjour Madame. Je viens pour une consultation, j'ai rendez-vous à 14h30 avec je ne sais plus qui. Je suis M. Ditter. disais-je avec très peu de conviction.

- Ah oui en effet, M. Ditter. Je vous laisse patienter en salle d'attente, le Dr Mayer va vous recevoir dans un instant me repondait-elle.

- Merci.

Je pris place dans la salle d'attente faisant un sourire forcé à tout ceux qui été déjà là.

Cela fait quelques minutes que j'attends, je vois les autres patients partir avec plusieurs autres docteurs. J'ai la boule au ventre, l'impression que je vais passer un examen. En même temps on en est pas loin, un psychologue va m'écouter et me dire que ça va aller, il va me poser des tas de questions auxquelles je n'ai pas envie de répondre. Mon esprit va devenir confus, bien qu'il le soit déjà. Je sais que je vais être jugé au fond et je ne suis pas fanatique de ça. Je préfère largement quand c'est dans le sens inverse. Mais là mon pauvre, t'as pas le choix. C'est toi qu'on va observer aujourd'hui, c'est toi qu'on va écouter te lamenter et raconter tout ce que t'as vécu. Tu vas avoir mal c'est sur.

Mes jambes trépignent d'impatience et de stress, je sens mon coeur battre vite, mon cou se raidir plus l'échéance avance. C'est bien la première fois que je vais devoir parler de moi ainsi. Je me mords les lèvres et ferme les yeux. J'imagine comment ma vie aurait pu être si je n'avais pas signé dans l'armée. Bien sur ça n'aurait pas sauvé mon fils, mais je n'aurais pas vu tout ce que j'ai vu en Afrique et ailleurs. Toutes ces vies que j'ai prises, est-ce que c'est ça que je voulais au fond ? Est-ce que je suis devenu un robot sans coeur ? Peut-être pas finalement puisque j'ai cette réflexion, mais il a fallu plus de dix ans de carrière pour que je m'en rende compte... Comment font-ils les autres ? Est-ce que regarder le drapeau de notre pays battre au vent leurs suffit à se dire que ce que nous faisons est bon ? Mes pensées sont interromptus et j'ouvre mes yeux quand un autre docteur entre dans la pièce.

- Monsieur Ditter, vous voulez bien me suivre disait-elle.

J'ai donc affaire à une femme. Tout ce que j'aime, cela ne va pas me mettre du tout à l'aise de me confronter à la gente féminine surtout en un temps où je suis si fragile. Devoir me mettre à nu devant elle va être très compliqué c'est certain, ça l'aurait été tout autant avec un homme, mais un homme peut comprendre qu'un autre est mal. Pour une femme, un homme doit être fort, et là... Je suis tout sauf ça.

Peu enchanté par cette rencontre, malgré elle bien sur, je me lève et la suis. Nous marchons en silence dans ce grand couloir avant qu'elle ouvre une porte en bois grinçante sous la pression de sa main. Je la suis toujours alors qu'elle ferme la porte derrière moi et me dit :

- Bonjour, je suis le docteur Mayer asseyez vous sur ce fauteuil nous allons commencer la séance elle a l'air si jeune, et pas forcément très à l'aise non plus, au moins ça nous faisait un point commun.

Je prends place sur le grand fauteuil, avec cette impression de claustrophobie. Je ne suis vraiment pas à mon aise. Puis je sais... mais je sais pertinemment ce qui va m'attendre. Est-ce que ça va me faire du bien ? Je n'en sais rien... Mais toujours est-il Paul que là tu y es et tu ne peux plus te défiler. Un silence de plomb plane dans la salle, ce n'est pas pour arranger les choses... Je me pose des tonnes de questions quand tout à coup, la jeune psychologue allume de la musique. Une musique douce, reposante. Bizarrement, je prends instinctivement une grande respiration histoire de me détendre. De toute façon il faut que j'y passe alors... Allons-y. Elle se tourne vers moi puis me dit :

- Je vous laisse vous présentez et me raconter ce qui vous amène ici. d'un ton assez doux, ce qui me rassure quelques peu.

Je racle ma gorge avant de lui répondre.

- Je... Je suis Paul Ditter, je suis militaire. J'ai... Je... mes mots sont durs à trouver, jusqu'alors je ne la regardais pas dans les yeux, évitant à tout pris le contact visuel, de peur d'être encore plus mal à l'aise. J'ai perdu mon fils il y a 12 jours exactement... Il avait à peine un an... Je l'ai vu mourir dans mes bras... Comme... Comme Stan... dis-je prudemment, mes yeux rivés dans les siens et déjà brillants par les larmes qui montent.

Je n'arrive pas à contrôler mes émotions. A chaque fois que je parle de mon fils Adrian et de mon meilleur ami Stan c'est toujours la même chose. Mon coeur tambourine dans ma poitrine et n'arrive pas à se contrôler. Je baisse les yeux et la tête, regardant mes pieds. J'ai tellement d'images dans ma tête qui défilent. J'avais perdu mon fils et mon meilleur ami quasiment en même temps, tous deux étaient morts dans mes bras. Mon fils, je n'ai pas su quoi faire quand il ne respirait plus... Mon meilleur ami, je n'ai pas su le protéger de la balle qu'il a prise en plein coeur. Je prends mon visage entre mes mains, resserrant mes doigts sur mon crâne. Ces images sont trop dures.


- J'ai ces images dans ma tête... Tout le temps... Je ne dors plus. dis-je toujours dans la même position.

La rage me monte en même temps que la détresse. La tâche est dure pour moi, je n'ai pas l'envie et surtout pas l'habitude de me confier. Pour moi, j'en ai déjà trop dit... Je ne sais pas ce qu'elle va penser de tout ça mais pour l'instant je m'en fiche.

Je suis dans cette pièce, traversée de lumières. Il y a une douce odeur de roses qui émane d'un bouquet fraichement coupé et exposé dans un vase non loin de mon siège. Cela me rassurait un peu, de plus la musique douce et calme qu'elle avait mise pour me détendre me faisait être un tout petit plus détendu qu'à mon arrivée. Alors je pris la parole racontant brièvement les maux que j'avais dans mon esprit. C'était si dure d'en parler. Et puis, personne ne peut comprendre cette douleur. Elle traverse le coeur, entaille les os, broie l'estomac. Oui j'ai eu mal, j'ai toujours mal. Et ça ne va pas s'arranger du jour au lendemain. Pour l'instant je suis encore dans le déni de ces deux morts consécutives dans mon environnement très proche. Et puis Adrian... Je ne le verrai jamais grand, gambadant dans la campagne avec notre chien, tombant à vélo, ayant son diplôme de fin d'année. Jamais. Il n'était plus là, et ça c'est inacceptable. Ce n'est pas le bon déroulé chronologique des choses, les parents meurent avant les enfants, pas l'inverse.

Avoir pris la parole me conforte dans mes pensées, me refermant peu à peu, laissant place à la rage et la profonde détresse. Une larme coule, je la sens le long de ma joue. Mes yeux fermés je revois Stan et Adrian mourir entre mes bras. Cela, je le ressens à chaque fois que mes yeux se ferment, je revois tout ça et ça me mène dans un profond déclin. Depuis que Stan et Adrian sont morts je n'ai plus l'esprit tranquille, je ne l'aurais jamais plus.

Alors que je me tiens ma tête et que la perle de ma larme tombe sur mon pantalon, je sers de plus en plus mes mains sur mon crâne.

- Je suis désolée pour vous Monsieur Ditter , vraiment désolée .. Je ne suis pas là pour vous juger mais sachez qu'ici vous avez libre de parler de ce que vous voulez sans que je pose de multiples questions. Je ne peux pas comprendre ce que vous avez subis mais si vous me permettez je peux essayer de vous aider. disait-elle. Son ton était calme et avait du se finir par un sourire que je ne voyais pas, la tête toujours entre mes mains, mes coudes sur les genoux, les yeux clos.

- Monsieur Ditter, il est tout à fait normal que vous ayez encore ses images. Vous avez un traumatisme qui est assez fréquent chez les militaires qui reviennent de mission. ajouta-t-elle.

- Je ne veux plus de cette vie... C'est trop dur... Je ne peux plus supporter ça, c'est impossible. repondais-je.

Je relève la tête, dévoilant des yeux brillants et passant la manche de mon sweat sur mon visage pour essuyer la trace de ma larme. Pleurer est mon quotidien. Je ne suis pas quelqu'un qui en a l'habitude et j'avais honte de montrer ça à cette femme. Que m'arrive-t-il... Pourquoi ai-je si mal... Tant de questions trottent dans ma tête alors qu'un silence s'installe de nouveau. Je suis dans mes pensées, regardant dans le vide. Je sens que la psychologue m'observe, je ne sais pas ce qu'elle pense, j'espère qu'elle pourra m'aider vraiment. Je décide de couper ce silence en lui posant une question.

- Est-ce que je suis fou ? soupirais-je

Je pense sincèrement que c'est le cas, tous ces traumatismes me rendent complétement dingue. Est ce que c'est normal de ne plus dormir ? Je veux dormir... Je suis fatigué, à bout de souffle. Ma compagne l'est aussi à sa manière mais elle le montre moins. Je ne sais pas comment elle fait. Franchement. Elle me soutient mais c'est si dur, et puis il faut bien que je la soutienne aussi, c'était son fils aussi. Et perdre un enfant pour une mère doit être tout aussi douloureux voir plus que pour un père. Depuis quelques jours, elle se montre si douce et aimante, elle a besoin de moi mais je ne suis pas là, je suis là physiquement mais je suis mentalement ailleurs. A la recherche de solutions pour aller mieux intérieurement et ne pas mettre en péril notre vie de couple.