Lukas * Le poids des secrets

Est-ce que la jeune femme a peur ? Oui, un peu, elle doit bien l'avouer. Elle n'a plus vraiment vu son frère en tête à tête depuis que ce dernier a découvert qu'elle avait caché sa fausse couche il y a dix ans de cela. S'ils se sont naturellement vu pour les fêtes de fin d'année, le sujet a été naturellement soigneusement évité par l'un comme par l'autre des deux cadets de la famille. L'occupation de l'un et de l'autre, la gêne de la demoiselle aussi, les a tenu éloignés loin l'un de l'autre un certain temps. Mais les Schuylers ne savent pas rester longtemps sans se voir, sans se parler. Et aujourd'hui, à la pause déjeuner, ils ont prévus de se voir tout les deux pour manger un morceau ensemble.

Elle appréhende un peu, comme elle quitte l'école sur le coup des quatorze heures pour rejoindre son véhicule et gagner rapidement le china feng où ils se sont donnés rendez-vous. Peur de ses démons, peur de leur conversation. Peur de parler de nouveau de sa fausse couche. Telles sont les inquiétudes de la jeune femme alors qu'elle se gare sur le parking de l'établissement. Restant assise un instant derrière son volant, la demoiselle fixe un point invisible sur l'horizon. Parce que la situation lui paraît bien trop étrange maintenant qu'il sait ce secret qu'elle garde depuis des années. Elle ne sait pas trop comment tout va se passer aujourd'hui. Y'aura-t-il une gêne entre eux ? Des silences qu'ils ne parviendront pas à combler ? C'est une bombe, que l'homme a découvert après tout. Une bombe à retardement. Vraiment. Parce que c'est dévastateur, comme secret, lourd. Qu'elle a probablement trop attendu pour le dire. Tout peut vraiment être comme avant avec cela ? Elle ne sait pas, mais elle voudrait. Et ça lui semble impossible pourtant. C'est pour ça qu'elle n'avait pas voulu en parler, aussi. La peur que les choses se transforment dans sa vie, vis à vis de ses frères et sœurs. Peur de l'évolution.

Elle finit par sortir de son véhicule en passant son sac par-dessus son épaule, le cœur battant la chamade alors qu'elle avance vers les portes de l'établissement. Elle entre, demandant la réservation au nom de Schuylers et rejoint la table vers laquelle une serveuse la conduit. Elle s'installe pour attendre l'homme, alors que ce dernier tarde un peu, probablement légèrement retenu à l'hôpital. Elle lui pardonne, au vu de son emploi. Et pour sa part, elle ne travaille pas l'après-midi. Alors elle patiente, lui laissant le temps.

@Lukas Schuylers

L'institutrice attend, stressant un peu au passage elle doit bien l'avouer, alors que l'homme se fait désirer mais elle lui pardonne bien volontiers, comme ce dernier est infirmier. Son retard doit s'expliquer par le fait que son aîné est occupé à sauver une vie et au vu de l'importance d'un tel acte, l'enseignante n'aura pas l'indécence de s'en plaindre. Non, elle prend son mal en patience, elle ne peut guère faire plus dans sa situation. Elle attrape son téléphone pour oublier les gens autour qui la dévisagent et qui pourraient la critiquer, c'est l'idée qu'elle a. La brune se figure que tout le monde la regarde, que tout le monde la désigne. C'est ce qu'elle redoute le plus dans la vie. Attirer l'attention sur sa personne et, surtout, que les gens se permettent de la critiquer, de supposer de méchantes choses à son sujet. Elle les imagine, ces mots que l'ont tient à son regard. Tient, regarde là, la grosse qui s'engraisse. C'est cela qu'elle fuit, sur l'écran de son mobile. Pour ne pas voir ces regards rivés sur elle et trembler à chaque rire, de peur que ce ne soit d'elle que l'on rit. Elle est traumatisée Adelaïd, loin d'être en paix avec elle-même. Sa condition physique impacte toute sa vie, toutes ses pensées, bien plus que ne peuvent le penser ses frères, ses sœurs, ses plus proches amis.

Il arrive enfin son frère, s'installe face à elle en la saluant et la demoiselle pose son téléphone, ainsi tirée de ses pensées, l'écran toujours ouvert sur son espace textos. Elle allait envoyer un message à Karl, pour remplir le devoir donné lors de leur dernier rendez-vous... Mais elle n'y est pas arrivé. C'est plus fort qu'elle, la jeune femme ne parvient pas à inviter son thérapeute, il est... son psychologue, justement et le papa d'une élève, ce sont des choses qu'elle ne peut pas oublier. Alors l'inviter... et sa peur du non... sa peur du refus...il connaît tous ses travers lui, comment pourrait-il accepter d'aller boire un verre en sa compagnie ? Il ne sera jamais partant, ça lui semble bien impossible. Elle oublie son téléphone et ses tourments, esquissant un sourire pour son frère.

«- Oh je vois mais tu es tout pardonné, je sais que quand tu te fais attendre les jours de boulot, c'est que tu es probablement en train de sauver une vie ou retenu par des obligations. Je ne t'en veux pas pour ça.» assure la demoiselle. «C'est parfait si le petit va bien, c'est le principal !»

La gêne de nouveau, l'angoisse. Elle espère que son frère ne voudra pas aborder le sujet de sa fausse couche et de la séparation d'avec son ex aujourd'hui. Une serveuse approche, demande s'ils veulent des apéritifs, avant de leur indiquer qu'ils peuvent aller se servir au buffet. Adelaïd la remercie, avant de reporter son attention sur son aîné. Elle a un sourire, un peu crispé, un peu gêné.

«- Et ça va toi sinon ?»