Et tu continueras à porter mon monde sur tes épaulesft. @Philippa Zimmermann et Johann Meister19h35. Johann n’était pas du genre à compter les heures. C’était un acharné de boulot qui avait l’habitude de rester en service bien plus tard que ses horaires prévus. Souvent, il disait qu’une urgence pouvait arriver à tout moment et qu’il serait toujours utile. Et au fond, il n’avait pas tort.
Mais aujourd’hui, l’horloge semblait marteler son crâne à coup de massue à chaque seconde qui passait. Il était debout depuis 5h du matin, il avait à peine eu le temps de manger à midi et bien sûr, il avait passé la journée entière à courir partout, les vieilles personnes aigries et les politiques qui avançaient que les gens étaient de plus en plus passifs n’avaient jamais connu l’enfer des urgences d’un hôpital. Des personnes alcoolisées avec lesquelles il était souvent très dur de communiquer, les personnes qui venaient uniquement pour avoir un endroit où dormir et bien sûr les personnes qui avaient besoin d’être opérées d’urgence.
Entre les parents taiseux et pétrifiés par la honte, incapables de lui donner des informations capitales sur les antécédents médicaux de leur fils qui venait juste de rater une tentative de suicide, la jeune femme qui s’était enfoncé un pic en fer de 5cm dans la main en tentant d’escalader une clôture, la mère qui venait à peine d’emmener son fils de trois ans aux urgences alors que ses bronches étaient presque totalement prises et qu’il était à deux doigts de ne plus pouvoir respirer… Johann n’avait pas arrêté.
Et comme si ça ne suffisait pas, il avait croisé son ex compagne, Adelaïd, dans les couloirs, juste avant son précieux café du soir. Adelaïd c’était celle pour qui, dans le passé, il aurait donné jusqu’à son âme, mais maintenant, ce n’était plus que des sourires crispés et polis par obligation et des conversations sans saveurs.
Alors, dès qu’il avait pu, il s’était éclipsé, s’échappant de cette situation gênante pour se ruer à la cafétéria qui n’allait pas tarder à fermer. Heureusement, sa notoriété ne lui servait pas qu’à avoir des augmentations mais aussi à se faire connaître du personnel de l’hôpital. Aussi, quand il s’approcha du comptoir, on lui tendit immédiatement un grand gobelet de café brûlant, noir.
« Je vais en prendre un deuxième s’il vous plait. »Mona, l’employée de la cafétéria qui s’occupait des soirées se figea et se retourna lentement
« Pour vous ? Ca fait beaucoup de caféine pour une fin de journée là… »Il sourit doucement et secoua la tête, bien que ce ne soit pas ses affaires, il finit par souffler
« Ce n’est pas pour moi. Je suis chirurgien et coursier aujourd’hui. »Il vit dans ses yeux, passer l’étincelle d’une curiosité certaine mais il se tut, il avait déjà été l’objet de regards et de conversations de couloirs plus tôt dans la journée, il tenait aux derniers restes fumants de sa vie privée. Penser à celle pour qui il commandait le deuxième café l’aida à patienter dans le calme en ignorant à moitié les regards intéressés et insistants de Mona qui finit par poser le deuxième gobelet sur un plateau pour lui permettre de les porter.
Traversant l’hôpital, des dossiers sous le bras et le plateau dans les mains, il arriva bientôt devant la porte de la directrice du service médico-légal. Etrangement, il hésita une demi-seconde avant de toquer et d’ouvrir la porte. Clignant des yeux, il avait l’impression que son cerveau essayait de communiquer avec lui sans savoir quoi lui dire ni comment le lui dire. Bientôt, tout son corps fut pris d’une bouffée de chaleur quand la silhouette élancée de la docteure apparut derrière la porte. Il fronça les sourcils, incertain de ce qui causait une telle réaction et entra, un léger sourire aux lèvres
Philippa et Johann s’entendaient très bien, et cette entente était surtout le fruit d’un respect sans bornes l’un pour l’autre et surtout parce qu’ils avaient compris qu’ils n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre. Johann aimait le calme. D’ailleurs, Philippa était bien la seule personne avec qui il pouvait travailler. D’habitude, il congédiait tous les internes de son bureau quand il devait écrire un rapport ou faire des recherches mais il avait déjà bouclé plusieurs dossiers en compagnie de sa collègue et étrangement, il avait été plus productif avec elle à ses côtés…
Philippa était belle. C’était indéniable, une beauté froide qui le prenait à la gorge comme les crochets d’un serpent. Elle portait son surnom à merveille, elle avait le don de le pétrifier sur place. Lui. Johann Meister le Grand. Le chirurgien traumatologue qui avait révolutionné le domaine, toujours calme, toujours méthodique, toujours réaliste, qui ne s’embêtait pas à tenter des choses s’il n’était pas sûr du résultat. C’est ce même Johann Meister que Philippa Zimmermann mettait totalement à genoux d’un simple regard.
Pourtant, c’est toujours incertain de ce que son cerveau tentait de lui dire qu’il s’avança vers elle et déposa le gobelet de café sur son bureau, un léger sourire aux lèvres
« J’espérais te trouver ici… »Il ne savait pas pourquoi il mentait puisqu’il connaissait ses horaires par cœur…
Prenant place sur le siège en face du sien, tous deux séparés par le bureau de Philippa, il poussa un immense soupir, relâchant toute la pression accumulée sur ses épaules.
« Comment était ta journée ? »