La musique que l'on joue en dit plus sur nous que tous les mots. • Wolf

Profitant de sa journée de repos, Cassidy n'avait pas franchement hésité avant d'attraper son étuis à violon pour quitter la maison, avec l'idée d'aller profiter du beau temps pour jouer dehors, ailleurs que dans son jardin. Un temps pareil n'était pas un temps à rester enfermé et elle était à peu près sûre de pouvoir trouver un endroit calme dans l'un des parcs de la ville. Bien sûr, avec ce temps ils étaient souvent pris d'assaut mais, en semaine, elle pouvait encore espérer trouver des coins où sortir son violon et tirer quelques notes sur celui-ci. Elle pouvait encore espérer un peu de tranquillité. Avec un peu de chance, elle pourrait peut-être même essayer ses propres compositions, à la condition qu'il n'y ait vraiment personne aux alentours. Sinon, elle se contenterait de morceaux connus qui l'intimident bien moins.

Elle n'est pas prête pour faire écouter sa musique, ses notes. Pas prête pour montrer au monde ce qu'elle sait faire, ce qu'elle sait écrire et elle n'est pas sûre qu'elle le sera un jour, à vrai dire. Elle n'est pas sûre qu'un jour elle osera vraiment faire écouter à qui que ce soit les morceaux de sa composition. Pas sûre qu'elle sera capable de passer au-delà de sa timidité. Pas sûre qu'elle sera en mesure de passer outre son anxiété.

Installée sur un banc dans un coin plutôt tranquille du parc, elle jette un regard aux alentours alors qu'elle tire quelques notes de Tchaïkovski sur son violon. Et la musique alors se mue doucement, ses notes prenant une toute autre direction pour raconter une histoire qu'elle a composé, celle d'une obsession. Celle d'un garçon aux cheveux noirs et au regard magnétique, jouant de la guitare, croisé au hasard d'un passage dans un parc. Un morceau pour lequel son esprit fredonne silencieusement les paroles et qu'elle ne compte pas faire entendre à qui que ce soit.

La musique de Tchaïkovski se mue plus rapidement qu'elle ne l'aurait pensé en autre chose, quelque chose de plus intime, qu'elle a composé elle-même et dont elle fredonne les paroles sans les chanter. Elle n'a pas prévu de faire écouter à qui que ce soit ce texte écrit uniquement pour elle, en pensant à Ralph. Elle ne compte pas faire entendre à quiconque, même des amis, ces mots qu'elle a eu besoin de coucher sur le papier pour lui. Mais une oreille pour autant en entend la mélodie, l'ayant rejoint sur Tchaïkovski, avant qu'elle ne l'abandonne malgré elle, dans son monde, n'ayant pas vraiment réalisé son arrivée, jusqu'à ce que sa musique s'achève et qu'il ne l'appelle par ce surnom qu'ils lui ont trouvé au conservatoire et dont il n'imagine pas à quel point elle le porte particulièrement bien aujourd'hui. En réalisant la présence de Wolf, elle dessine sur ses lèvres un grand sourire. Il y a un moment qu'elle ne l'a pas vue. Le hasard fait bien les choses.

"- Wolf ! Ça, pour une surprise !" s'exclame-t-elle en se levant d'un bond, se laissant prendre dans les bras de l’homme. "Comment tu vas ?!" demande la rouquine.

Elle esquisse un sourire comme il demande ce qu’elle devient. Ah ça ! S’il savait… Elle ne doute pas que ça risque fort de l’amuser et qu’en même temps, ça ne l’étonnera pas vraiment. Que Petite Sirène soit vraiment une sirène aujourd’hui ? Ça semble tellement normal. Elle sait que Wolfgang ne jugera pas, bien au contraire, qu'il sera même ravi pour elle qu'elle ait pu accomplir son rêve. De toute façon, déjà à l'époque, le reste des étudiants savaient parfaitement qu'elle ne voulait pas se diriger dans l'univers de la musique d'un point de vue professionnel. Si elle avait appris, si elle avait fréquenté le conservatoire, ça n'avait toujours été que pour le plaisir, pour apprendre, pour elle-même. Jamais dans l'idée de faire quelque chose avec ça. Jamais dans l'idée de gagner sa vie par la musique. Même si, en fin de compte, c'est bien l'art qui la fait vivre, couplé à la performance sportive.

"- Tu vas rire… je travaille à l'aquarium !"

Évidemment, ça fait sens. Cassidy dans un aquarium, dans un milieu aquatique, au milieu des poissons, déjà, ça, ça ne devrait pas l'étonner le moins du monde. Mais la suite étonnera probablement moins encore le jeune homme, encore que découvrir que c'est un vrai métier, que ça existe vraiment, pourrait peut-être le surprendre. Mais elle sait que ça ne sera rien de méchant. Aucun jugement.

"- Je propose des spectacles. En apnée. Costumée…" révèle-t-elle avec un grand sourire. "Je suis littéralement la petite sirène !" annonce-t-elle, les yeux pétillants d'un éclat intense. "Et toi !?"

Il y a des jours où dire ce qu'elle fait de sa vie n'est pas simple. Des personnes face à qui Cassidy n'est pas forcément à l'aise pour dire ce qu'elle fait dans la vie. Mais devant Wolf, elle n'a aucune honte, aucune gêne. Elle est la petite sirène aux yeux de ses spectateurs et il sait comme ce rôle lui va bien, comme elle est heureuse dans ce milieu. Il ne peut que s’en douter comme même au conservatoire, elle était surnommée par ce dessin animé qu’elle chérit et qui a bercé son enfance. Face à lui, elle peut donc bien dire, sans rougir, qu’elle vit désormais de sa passion pour ce compte, pour Ariel, en l’incarnant purement et simplement au sein de l’aquarium d’Hambourg, dans des spectacles. Ariel the mermaid, de son nom de scène. Et l’avouer face à lui la ravie d’autant plus qu’il semble heureux pour elle. Heureux de cette nouvelle.

"- Bah voilà ! Celle d’Hambourg, c’est moi !" rit-elle comme il affirme qu’il avait entendu parler de cette profession, de show de sirènes dans des aquariums. "En fait, j’y suis allé au culot ! J’ai commencé par réaliser mes nageoires et à “performer”, si l’on veut, dans des goûters d’enfants, à faire des vidéos et des shootings pour internet… Après j’ai commencé à travailler mon apnée et finalement je suis allé voir l’aquarium d’Hambourg pour un partenariat. Proposer des spectacles les a grandement intéressés, cela fait une animation de plus à proposer aux visiteurs et les enfants sont dingues des show avec les sirènes. Comme personne ne le faisait encore à Hambourg, on a sauté sur l’occasion !" explique la rouquine, ravie.

Il est toujours avec Félix, une information qui ne la surprend pas le moins du monde. Ces deux-là se sont bien trouvés il y a déjà fort longtemps. Mais en prime, au vu de la main qu’il lui montre, il est question d’un engagement sérieux, un mariage qui se profile à l’horizon pour eux. Il le confirme, d’ailleurs. C’est Félix qui a fait sa demande. La classe.

"- Mais que de bonne nouvelles ! Entre le mariage et le Philharmonique, tu dois être aux anges !" affirme la rouquine.

D’autant plus qu’il a une place à vie. Finalement, l’un comme l’autre se sont bien débrouillés pour ce qui est de leurs professions, pour vivre de leurs passions. Sur le plan sentimental, en revanche… Il s’en sort bien mieux qu’elle. A trente ans, le célibat est toujours bien présent. Mais c’est une information qu’elle garde pour elle.

"- Ah oui, ton frère a toujours son centre équestre !?"

Aller voir l’aquarium de Hambourg au culot et proposer un partenariat avec ces derniers, les démarcher en prenant le risque de se faire envoyer paître était sans aucun doute le moment de sa vie pour lequel la demoiselle avait le plus dominé ses émotions, le plus fait taire ses angoisses. Le moment où elle avait pris son courage à deux mains pour obtenir ce qu’elle voulait et cette démarche avait été payante. Munie de son compte instagram, de vidéos de ses performances et de ce courage tout à fait incroyable de sa part, elle avait réussi à convaincre les responsables des opportunités que sa présence pourrait rapporter à l’aquarium. Elle était devenue une plue-value de ce dernier avec le temps et certains venaient souvent avec les enfants pour pouvoir “voir la sirène”, s’installer devant le bassin et la regarder évoluer sous l’eau. Aujourd’hui, le partenariat s’était amplifié. Elle faisait plus de représentations, pouvait prêter son image aux affiches de l’aquarium… C’était une entente faite pour durer, un mariage fonctionnel.

"- Oh, à l’époque, je ne tenais même pas une minute sous l’eau ! Aujourd’hui je peux y rester trois minutes au moins, presque quatre ! Mais plus tu as d’expérience et plus tu peux tenir longtemps, c’est normal. Si je ne bouge pas du tout, je pense que je peux tenir facilement cinq minutes. Après, ça devient compliqué."

Et pourtant elle sait qu’elle peut encore faire mieux. Le record du monde est à un peu plus de onze minutes, alors elle a de la marge. Elle n’a simplement pas besoin d’aller jusque là alors que pour le travail, elle ne reste jamais plus de deux minutes sans remonter à la surface une trentaine de secondes. Elle est toujours très encadrée, évidemment, même si les enfants ne s’en doutent pas.

Elle n’est pas la seule dont la vie a pas mal évolué depuis le conservatoire. Lui a fini par être demandé en mariage et intégrer le philharmonique de Hambourg. Ce n’est pas rien. Elle imagine aisément la joie qu’il a dû ressentir, oui, en découvrant qu’il disposait d’un siège à vie dans l’édifice, une chance qui n’est pas donnée à tout le monde.

"- Mais c’est génial ! J’imagine oui ! Tu devais être tellement content !"

Au moins aussi content qu’elle a pu l’être elle même quand elle a obtenu une réponse favorable de la part de l’aquarium, ça ne fait aucun doute. Une telle nouvelle est forcément réjouissante. Après tout, c’est ce qu’il a toujours voulu, le philharmonique. Une place à vie, c’est le graal. Il donne un coup de main à son frère au centre équestre parfois, c’était déjà le cas à l’époque, mais elle n’imagine pas un instant qu’il puisse se passer de musique pour dédier sa vie à l’équitation. Non, c’était clairement son job de rêve, un poste pareil.

"- Tant mieux s’il l’a toujours." affirme la rouquine avant de grimacer légèrement. "Oh hé bien je… toujours seule, si c’était ta question…" reprend-elle en se grattant l’arrière de la tête.

C’est sûr que, sous l’eau, elle tient bien plus de temps que la moyenne. Tout le monde n’est pas en mesure de retenir son souffle pendant trois minutes. Encore moins en milieu aquatique. L’apnée est une discipline compliquée, qui se travaille, mais qui n’est pas donnée à tous. Ce n’est pas si simple de savoir travailler son souffle, l’économiser, pour tenir un maximum de temps en immersion. Ce n’est pas si évident de savoir comment gérer l’élément aquatique, les animaux, la respiration.

"- Y’a beaucoup de monde qui ne pourrait pas. Évidemment c’est quelque chose qui se travaille mais il faut être à l’aise dans l’eau, pour commencer. Ensuite il faut apprendre à gérer sa respiration, son souffle. Un peu comme les chanteurs, en fait…"

A bien y penser, peut-être que certains chanteurs feraient de formidables nages en apnées, parce qu’ils apprennent aussi la gestion de leur souffle. Mais même en apprenant, tout le monde n’est pas capable de faire ça. Il y a pas mal de choses à prendre en considération, d’une part. D’une seconde, hé bien, elle avait appris la physique-chimie, ce n’était pas pour autant qu’elle était devenue chimiste. Loin de là. Ses professeurs devaient encore se souvenir de la catastrophe qu’elle avait été dans leurs cours.

Il semble que la vie sourit à Wolfgang. Il semble heureux quand il en parle. En même temps, tout roule pour lui d’un point de vue professionnel comme d’un point de vue affectif. Elle, elle ne peut pas en dire autant. Elle est toujours seule, comme elle ne tarde pas à le lui révéler quand il cherche à savoir ce qui se passe dans sa vie, en dehors du fait que ça se passe bien dans le travail. Et il raisonne bien en supposant que son anxiété n’est pas forcément étrangère à tout ça.

"- J’ai… hé bien.. quelques connaissances mais…" elle dodeline de la tête en dessinant sur ses lèvres une petite moue. "J’ai perdu pas mal de monde de vue, disons."