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 "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel

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"La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Ven 16 Avr 2021 - 14:23
Berlin centre – juillet 1992
La demeure des Minscheen a été complètement redécorée pour la dernière soirée, le grand gala. Miss Minscheen ne cesse de nous répéter depuis le début de nos leçons que ce soir sera l’apothéose de notre apprentissage et que jamais, ô grand jamais, une de ses élèves ne lui a fait défaut. Au programme, diner avec nos parents, démonstrations de certaines élèves et danses avec nos pères respectifs tout en appliquant les codes et les usages qui nous ont été rabâchés ces dernières semaines. Notre entrée dans la salle est imminente, quelques-unes de mes camarades sautent d’impatience contre toutes les indications que notre préceptrice nous murmure avec autorité et les robes de taffetas et de tulle bruissent joliment. Dans un coin de la pièce, Inga et moi avons hâte de retrouver nos parents. J’ai parlé à ma nouvelle amie avec une immense excitation de l’arrivée de père à Berlin. Il était arrivé la veille au soir pour pouvoir participer à cette soirée que Oma ne cessait de lui décrire comme grandiose et immanquable. Je n’en ai rien à faire qu’il soit là pour la soirée bonnes manières. Tout ce qui m’importe c’est qu’il soit là, cela signifie que bientôt nous pourrons passer tout notre temps ensemble. La vieille demoiselle nous donne le signal. Nous rentrons en rang dans la salle à manger où plusieurs tables sont dressées de nappes blanches, de porcelaine, d’argenterie et de cristal délicat. J’aperçois à notre table le regard attendri de Père, les yeux brillants de Mère, la larme qui perle au coin de l’œil de Oma et le clin d’œil complice de Opa. Nous rentrons dans la salle à manger en exécutant les quelques pas de danses qui Miss Minscheen a exigé de nous. Dans un coin de la pièce, la préceptrice nous observe avec un regard hautain, mais approbateur face à ce ballet de couleurs pastel…

Hambourg – avril 2021

Ces cours me reviennent parfois en mémoire. Je repense à l’air pincé de Miss Minscheen et à ses traits aquilins. J’ai eu l’opportunité de recroiser la vieille demoiselle lors d’une de mes visites à mes grands-parents. Elle s’est répandue en compliments face à mon parcours et ma maitrise de moi-même en toutes circonstances. Elle m’a assuré que je suis l’une de ses plus grandes réussites. Si elle savait tout ce qui a bien pu se passer durant ses cours et si elle savait tout ce que la maitrise que j’ai apprise m’a permis d’accomplir, elle ne me placerait peut-être pas aussi haut dans son palmarès.
De ces cours, je ne garde pas en mémoire uniquement les conseils pincés d’une étiquette qui peut paraitre surannée dans bons nombres de cercles de la société moderne. Je garde également le souvenir d’une superbe amitié : Inga. Chaque été, quand je rentrais à Berlin, nous nous retrouvions pour des après-midis entre jeux et imagination. À nos âges, c’était le plus important. Ensuite, la vie nous a séparées : nous n’avons plus eu les mêmes activités, les mêmes horaires. Nos rencontres estivales se sont espacées et, pour finir, ont disparu simplement. Nous nous sommes écrit très souvent, mais ce n’était pas vraiment pareil…
Assise au bar d’un restaurant du centre-ville, je repense à ces leçons et à cette amitié lointaine en observant distraitement le comportement de gens qui m’entoure. Puis, un nom familier résonne à côté de moi accompagné d’encouragements joyeux. Non loin de moi, dans le petit groupe, j’ai comme l’impression de reconnaitre quelqu’un, une jeune femme brune qui rit à gorge déployée au mépris des convenances qui nous ont été enseignées.

« -Si Miss Minscheen te voyait, elle serait sans doute atterrée… je souris tout en glissant cette phrase à la jeune femme brune que le petit groupe a appelée par le nom de mon amie d’enfance. »

Au pire, je me fourvoie magistralement et elle me répondra dédaigneusement qu’elle ne voit pas du tout de quoi je parle et nous continuerons notre soirée comme elle était censée se dérouler. Qu’ai-je à y perdre ?
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Sam 24 Avr 2021 - 22:13



la distance nous fait apprécier les retrouvailles


Ellena & Inga

 

Troisième tournée de shots. Plus les verres s'enchaînent, plus je renonce à l'espoir d'obtenir une table avant la fermeture. Je crois que ça n'a plus grande importance à l'heure qu'il est. La démonstration bruyante de décadence dont mes amis et moi sommes les principaux acteurs était initialement censée être un repas professionnel visant à préparer la semaine européenne de l'énergie durable. Nous avions pris soin de réserver deux semaines à l'avance mais le système informatique avait décidé de nous trahir, sans doute était-il lui aussi vendu à l'industrie pétrolière. Pour se faire pardonner, le patron du bar avait eu la brillante idée de nous offrir quelques consommations. La soirée n'avait guère tardé à déraper. Voilà bientôt deux heures que notre groupe s'agglutine contre le bar et les verres vides s'accumulent sur le comptoir. Après avoir vainement tenté d'aborder le sujet à l'ordre de jour, nous nous sommes rapidement rendus à l'évidence : cette rencontre n'aura pas pour destin la productivité. Ce n'est pas plus mal, nous avons tous besoin de relâcher la pression. Je vide mon shot d'une traite puis nous enchaînons les punchlines à un rythme bien trop soutenu pour notre taux d'alcoolémie. Je ris tellement fort que je commence à avoir mal aux abdominaux. Soudain, un nom surgi du passé attire mon attention.

Miss Minscheen. Aussitôt, le visage de mon ancienne professeure de maintien apparaît dans mon esprit avec bien trop de précisions pour n'être qu'une vague figure spectrale du passé. L'ai-je véritablement portée avec moi pendant presque deux décennies ? J'y pense souvent, c'est vrai. À elle, à Ellena, à mon baptême d'insurrection. J'ai encore la barrette en argent involontairement subtilisée à notre préceptrice, je la garde dans une boîte à chaussures avec d'autres souvenirs d'enfance. Je me retourne pendant que la femme qui vient de m'interpeller termine sa phrase et ma silhouette se fige. Ellena Gallagher. La dernière fois que j'ai aperçu son visage, c'était sur le papier glacé d'un magazine dans la salle d'attente de mon banquier mais dans mon esprit, elle restera sans doute toujours la gamine avec qui j'ai passé mes plus beaux étés d'enfant, celle avec qui je dessinais des caricatures à la craie sur un tableau noir, celle qui fut sans doute ma première véritable amie. Je souris, incrédule puis je me redresse et imite cette voix maniérée, sèche et nasillarde qui restera à jamais gravée dans ma mémoire. « Miss Gallagher ! » Je détends ma posture et hausse les sourcils en souriant, toujours sous l'effet de la surprise puis je la prends amicalement dans mes bras pour la saluer.

Je n'en reviens toujours pas. Je savais qu'Ellena avait déménagé à Hambourg, nous avions échangé quelques fois sur les réseaux sociaux en nous promettant de prendre un café un jour ou l'autre mais nos vies trépidantes aux quatre coins du monde ne nous en avaient pas donné l'opportunité. Nous aurions dû prévoir de le prendre à l'aéroport et pas en ville, ce verre. Pourquoi nos chemins ont-ils décidé d'attendre ce soir pour se croiser ? Je n'en sais rien mais je suis heureuse que ce moment arrive enfin et l'effet de surprise relève l'instant d'une touche de piment ce qui n'est pas pour me déplaire. Il est rare que j'éprouve de la joie en me retrouvant propulsée dans le passé mais, pourtant, c'est exactement ce que je ressens. « C'est dingue ! Ça fait tellement longtemps ! » Presque une vingtaine d'années. C'est vertigineux d'en prendre la mesure. Je me tourne vers le barman qui vient de déposer deux nouvelles bières devant mon groupe de collègues. « Leo, sers un truc à boire à ma pote ! Qu'est-ce que tu veux ? » J'interroge Ellena du regard, un large sourire aux lèvres. Nous aurons tout le loisir de passer à l'étape des banalités lorsque nous aurons chacune un verre à la main.


Dernière édition par Inga Dinckel le Dim 13 Juin 2021 - 22:50, édité 1 fois
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Dim 30 Mai 2021 - 18:33
Lorsque l’on est enfant, on ne se rend pas compte à quel point le temps et les moments sont essentiels et surtout précieux. On vit tout simplement. On vit sans se soucier de ce que cela aura comme conséquences et les souvenirs que cela pourrait créer. On laisse le temps filer à une vitesse vertigineuse sans prendre conscience que tout cela est éphémère et que, comme l’animal du même nom, tout peut disparaitre en quelques secondes à peine. Arrivé à l’âge adulte, on regrette de temps à autre de ne pas avoir profité de ces moments et de l’insouciance qui les accompagnait. Aujourd’hui est un de ces jours, pour moi. Je regrette la simplicité avec laquelle l’enfance permet de régler certaines situations problématiques. Mon problème persistant de ces derniers mois a des yeux verts entêtants et ne décolle pas de la salle de réunion dans laquelle il a pris ses quartiers. Un enfant aurait proposé une solution tout en simplicité, celle qui s’impose sans cérémonie et sans contrainte, celle qui semblerait toute naturelle...

Malheureusement, je suis adulte et la solution la plus élémentaire ne m’est pas accessible. C’est pour cela que je me noyais dans cet établissement bondé et dans un verre de whisky, pour oublier. Le sort a de drôle de façons de détourner votre attention. Je ne pensais pas tomber sur Inga ce soir, sur ce lien avec cette période si douce et simple. Nous nous étions contactées plusieurs fois au fil du temps en nous promettant de nous revoir sous peu, vu que nous habitions à nouveau dans la même ville. Inopportunément, nos vies bien remplies nous en ont empêchées. Mais ce soir, ma bonne étoile en a décidé autrement. Je ris franchement face à son imitation de celle qui nous a permis de nous rencontrer, car soyons honnêtes sans elle je n’aurais jamais connu ma plus vieille amie, et lui rends son accolade.

« - C'est dingue ! Ça fait tellement longtemps ! son euphorie n’a pas changé et il y a quelque chose de très rafraichissant dans son large sourire.
- 25 ans, je pense ! je souris à mon tour.
- Leo, sers un truc à boire à ma pote ! Qu'est-ce que tu veux ? elle se tourne vers le barman qu’elle connait visiblement.
- Oh je ne voudrais pas te déranger, tu sembles occupée... je lui rends son sourire tout en désignant ses collègues absorbés par leur propre conversation ; elle me lance ce regard sans appel que je reconnais. Un whisky sur glace. je souris à mon tour au barman.»

Au fil des étés que nous avons passés ensemble, nous avons pu toutes les deux constater des changements chez l’autre. J’ai vu Inga devenir de plus en plus sûre d’elle et de ses idées et surtout plus prompte à les partager avec ardeur. À la voir si à l’aise dans ce bar, je me suis dit qu’elle ne devait pas avoir tant changé. Et moi, ai-je changé ?
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Dim 27 Juin 2021 - 19:45


la distance nous fait apprécier les retrouvailles


Ellena & Inga

 

Il y a dans l'air une effervescence qui m'anime à mon tour. J'ai toujours été très sensible aux ambiances, c'est sans doute encore cette affaire de frontière perméable entre moi et le monde. Je me dissous dans l'atmosphère et je résonne avec elle, je la colore aussi. Les retrouvailles impromptues avec mon amie d'enfance me survoltent encore davantage et mon euphorie se lit aisément sur mon visage. Les premiers mots d'Ellena me font l'effet d'un brusque retour à la réalité. 25 ans, c'est sans doute l'âge médian des camarades avec qui je passe ma soirée. Sur la dizaine de joyeux lurons présents, nous sommes seulement trois à avoir dépassé la trentaine, information qu'il nous est très facile d'oublier lorsque nous nous laissons emporter par le dynamisme optimiste et l'ivresse légère de la jeunesse qui nous entoure. Ellena a changé, bien évidemment, mais je crois que je la vois encore sous les traits de la gamine qu'elle était, comme si le temps n'était pas un absolu et que l'on pouvait aisément faire des bonds d'une époque à l'autre. J'ai toujours aimé penser que c'était le cas et que nous étions simplement captifs de cette dimension. J'aime la sensation que pousser les limites de mon horizon me procure. Mes sourcils se haussent. « Wow, 25 ans... je crois que je vais avoir besoin de 25 shots pour intégrer cette information. » Mon rire vient se mêler au brouhaha du bar.

J'avais beaucoup entendu parler d'Ellena pendant la dernière décennie. Lorsque je fréquentais encore ces soirées mondaines berlinoises insupportables, son nom surgissait régulièrement au détour des conversations, souvent agrémenté de commentaires misogynes. Les gens déblatéraient, lui prêtaient des stratégies ou des intentions sans rien connaître de sa personnalité, de ses ressources ni de ses compétences. Moi qui n'avais jamais douté de sa réussite, j'écoutais en silence leurs monologues acerbes en souriant intérieurement puis je lançais une remarque suffisamment piquante pour les déstabiliser, ces hommes dont la place est bien établie au sommet de la chaîne alimentaire et qui accumulent les bourdes, parfois les preuves d'incompétence sans que personne ne leur en tienne rigueur car ils ne vivent pas sous les projecteurs, pas comme nous du moins. En me hissant moi-même en haut de la hiérarchie de mon secteur d'activité, je m'étais confrontée à des remarques similaires et mes oreilles avaient sifflé à de nombreuses reprises. Il y avait une certaine similitude dans nos trajectoires, à la différence près que la mienne avait été brutalement déviée sur un chemin de fer à quelques centaines de kilomètres de Delhi.

Je jette un regard à mon groupe d'amis qui continuent à s'esclaffer quand Ellena me fait part de sa crainte de déranger. « Oh ne t'inquiète pas, je crois qu'ils s'occupent très bien sans moi ! » Bien évidemment que j'aurais lâché n'importe qui, n'importe quoi pour passer un moment avec mon ancienne amie. Depuis que nous vivions toutes les deux à Hambourg, je culpabilisais régulièrement de ne pas lui proposer d'aller boire un café. L'éternité que le destin a pris pour nous réunir me semble en outre totalement aberrante dans la mesure où nous habitons dans le même quartier. Ellena commande un whisky sur glace. « La même pour moi, Leo. » Je la regarde un instant en souriant et je me fais la réflexion qu'elle m'impressionne autant que par le passé. Sa prestance charismatique et son intelligence espiègle réchauffées par sa bienveillance, tout est encore là, perceptible. Je m'adosse au bar en attendant ma consommation. « C'est quand même dingue... je crois qu'on est quasiment voisines et on se retrouve ici, à la Bodega, au fin fond d'Eimsbüttel. » Nous finirons sans doute par enchaîner tôt ou tard sur les banalités d'usage mais à cet instant, je ne suis pas encore remise de l'effet de surprise de ces retrouvailles incongrues.
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Jeu 1 Juil 2021 - 23:52
En réalité, il y a trente ans qui nous séparent de notre première rencontre. Trente ans que j’ai aperçu pour la première fois ce sourire franc et espiègle et ces yeux pétillants. On reconnait dans ses traits la petite fille qui a partagé mes vacances estivales, même son rire ne semble pas avoir bougé d’un pouce. La revoir c’est comme contempler une fenêtre ouverte sur le passé. À cette époque, nous n’avions pas ressenti le besoin de savoir ce que nous étions et qui nous étions pour nous entendre. Tout ce dont nous avions eu besoin c’est d’une amie qui nous comprendrait. Quelques semaines avant notre rencontre, mère et moi avions discuté de ma prochaine rentrée scolaire, dans une école privée, pour que je m’intègre à un autre enseignement que celui que je connaissais jusqu’alors. Je me souviens qu’à l’époque je me sentais sceptique face à cette nouvelle étape de ma vie : et si je ne m’entendais pas avec les enfants de mon âge ? Et si je n’étais pas faite pour cela ? Et si je ne me faisais aucun ami ? Le destin, quelques jours plus tard, avait décidé de placer Inga sur ma route. À elle seule, elle avait réussi à balayer mes doutes. Elle était arrivée à un moment de ma vie où j’étais plongée dans le doute et elle m’avait montré les possibilités les plus optimistes. Nos cabanes improvisées au fond du jardin, nos expéditions dans la savane, nos pièces de théâtre plus ou moins répétées, nos voyages aux pays des fées ou encore nos gouters aux pays des merveilles ne sont que quelques exemples de ces possibilités et des souvenirs indélébiles.
Et aujourd’hui, le destin a choisi de nous remettre en contact dans un nouveau moment d’incertitude, à croire qu’elle est la personne chargée de me montrer les meilleures possibilités en toutes circonstances. Elle a toujours cette fraicheur et cette spontanéité d’antan. Je les aperçois dans ces sourcils haussés, dans sa remarque sur le temps qui passe, dans sa manière d’interpeller le serveur.

« - Wow, 25 ans... je crois que je vais avoir besoin de 25 shots pour intégrer cette information. mon rire accompagne le sien.
- Chiche ! et mon rire reprend de plus belle. »

J’aime retrouver ces facettes d’elle tout comme j’affectionne découvrir une assurance que j’avais laissée à ses balbutiements quelques années plus tôt. Comment a-t-on pu se perdre de vue à ce point alors que nous vivons à peine à quelques minutes l’une de l’autre ? La vie et ses sinuosités resteront un mystère pour moi.
Ce que je sais de sa vie d’aujourd’hui, je le dois à quelques mails que nous avons échangés, à des articles parus dans l’un ou l’autre journaux et à des racontars de soirée mondaine. J’ai toujours su manœuvrer au cours de ces soirées depuis mon plus jeune âge en me composant un visage de façade. J’étais depuis longtemps préparée à ce rôle et à ce que l’on pourrait dire à mon sujet. Mais comment Inga prend-elle tout cela, elle qui a toujours eu un sens aigu de la justice ? La savoir avocate me laisse à penser que certaines causes ne pourront pas être défendues avec plus d’ardeur, de vaillance et de véhémence. En revanche, je n’ai jamais su quelle cause a su retenir son attention. Elle ne doit pas être épargnée par des scolies misandres et autres bons mots du cru de certains représentants de la gent masculine de son domaine. J’aimerais être un tout petit insecte pour pouvoir être témoin d’une de ses situations, cela doit être des plus distrayant. Cela doit être tout aussi impressionnant de faire partie de son équipe de travail. Je jette un regard à cette dernière avec un peu plus d’attention et tous semblent plus jeunes que nous à quelques exceptions près. Ils sont emportés par les senteurs de la soirée et ne semblent plus nous remarquer.

« - Oh ne t'inquiète pas, je crois qu'ils s'occupent très bien sans moi ! à son tour, elle porte son regard sur ses collègues.
- ah les ingrats… je lui rends son sourire tout en employant un ton faussement réprobateur. »

Nous commandons nos boissons et je constate une nouvelle fois à quel point la vie aime emberlificoter les fils de la trame du destin. Nos vies, nos professions, nos relations, tout cela nous a éloignés l’un de l’autre. Pourtant, nous sommes là, ce soir, prêtes à partager un moment comme jadis, sans les cabanes, les safaris ou les tasses de thé, mais avec la même simplicité et la même chaleur. Comme si rien n’avait changé, comme si le temps n’était pas passé. Et même si nous ne sommes plus à Berlin, dans un salon ou dans un jardin, c’est comme si nous nous étions vues l’été dernier. Elle s’adosse au bar avant de poser, à voix haute, la même observation.

« - C'est quand même dingue... je crois qu'on est quasiment voisines et on se retrouve ici, à la Bodega, au fin fond d'Eimsbüttel. je m’esclaffe.
- Dingue, c’est le mot… Surtout quand on sait que je ne suis venue ici ce soir que par hasard, pour éviter les bars où je me rends habituellement. le barman pose, derrière elle, nos consommations sur le comptoir ; je prends les deux boissons et lui en tend un des deux avant de trinquer. Au hasard, qui a bien fait les choses il y a trente ans et qui ne semble pas avoir perdu la main, et à Miss Minscheen, qui si elle savait ce qu’elle a contribué à créer s’étoufferait avec le papier peint du couloir de l’escalier. un son cristallin s’échappe du choc de nos deux verres avant que nous ne prenions une gorgée tout en exposant des sourires ravis. Alors, dites-moi, Maitre Dinckel que devenez-vous ? L’un des pires rapaces du barreau hambourgeois, j’imagine ? »

Je savoure une autre gorgée les yeux fixés sur elle. Au final, le temps ne nous change pas vraiment. Il laisse ses traces sur les corps et les pierres mais à l’intérieur, plus profondément, il n’a pas le même effet, il ne produit pas les mêmes ravages. Ce soir, profitons de cela, de ce petit quelque chose plus dur que la roche que le temps lui-même n’a pas su altérer.
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Mar 13 Juil 2021 - 22:57


la distance nous fait apprécier les retrouvailles


Ellena & Inga

 

Il y a des complicités qui mettent du temps à éclore. Il faut se façonner, se polir réciproquement, se laisser modeler conjointement par la vie jusqu'à ce que de la friction des expériences entremêlées naisse enfin l'étincelle de la connexion. Avec Ellena, c'est tout à fait le contraire. Notre connivence a été instantanée et, deux décennies plus tard, elle semble encore intacte. Peut-être est-ce dû à l'alcool dans mon sang mais je ne ressens pas la nécessité de nous réajuster l'une à l'autre. Je ne surprends pas à la jauger, son abord me semble parfaitement naturel, aussi naturel que notre conversation est fluide. Ses répliques rebondissent sur les miennes et nos rires s'élèvent à l'unisson, comme si nos routes ne s'étaient jamais séparées.

Séparées, elles l'ont pourtant été. Vingt-cinq ans. Je me retourne un instant et la vue est vertigineuse. J'ai du mal à croire que des canyons, des lacs et des vallées s'étendent entre celles que nous étions et celles que nous sommes. Lorsqu'Ellena me propose de trinquer en l'honneur de Miss Minscheen, j'ai bien conscience qu'il s'agit d'un personnage de mon passé. Est-elle encore vivante, d'ailleurs ? Elle me semblait à l'époque avoir déjà atteint un âge canonique mais peut-être que son apparence guindée à travers le prisme de mon regard de gamine la vieillissait à outrance. Je lève mon verre, mon sourire toujours accroché à mes lèvres. « Au hasard et sa dinguerie. Et à la mocheté légendaire de ce papier peint à jamais gravé dans ma mémoire qui me rappelle chaque jour que du pire peut naître le meilleur. »

Je tique légèrement lorsque mon amie d'enfance me demande à quelle sauce pimentée je mange les ténors du barreau hambourgeois et je repense aux canyons, aux lacs et aux vallées. Lorsque j'avais dix ans, j'étais persuadée qu'en haut de la montagne m'attendait une robe de magistrate, pas des vêtements techniques pour skipper. Quelque peu étonnée de me rendre compte que les nouvelles ne circulent pas toujours aussi vite que cela dans notre microcosme privilégié, je me demande si elle aussi mène une vie tout à fait différente de celle que je lui imagine. Je réalise qu'il nous faudra apprendre à découvrir quelqu'un que nous connaissons déjà. C'est à s'en questionner sur la substance de l'identité.

Je fixe Ellena, impatiente de voir sa réaction face à mes improbables révélations. « Figure-toi que j'ai quitté le droit après le barreau pour partir vivre sur un bateau. J'ai à peine touché la terre ferme pendant trois ans. Maintenant je bosse pour une ONG environnementale. J'ai sans doute une réputation de rapace aux yeux de certains… mais pas en tant qu'avocate ! Que mes parents aillent s'étouffer avec Miss Minscheen. » Mon rire s'élève quelques instants dans l'atmosphère puis s'étouffe dans la gorgée d'alcool que je prends. Je sais qu'Ellena se figure parfaitement le tsunami provoqué par mon choix de faire une croix sur le droit. J'avais beaucoup pensé à elle et à nos premières frasques pendant mon processus décisionnel. Je tenais la fameuse broche en argent de Miss Minscheen dans ma main en écoutant Nada Surf et en songeant à la manière incongrue dont, après tant d'années de rébellion, j'étais redevenue cette petite fille modèle effrayée à l'idée de désobéir. Je m'étais rappelée de la voix de mon amie d'enfance qui me disait c'est le moment et j'avais une nouvelle fois sauté du tabouret. Je laisse filer ce bref moment de nostalgie et rattrape le fil de la conversation. « Et toi ? Bientôt à la une de Forbes ? » Ce serait bien l'une des seules raisons qui me pousseraient à acheter une telle revue.
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Lun 19 Juil 2021 - 23:11
Je la regarde et je vois la petite fille qui m’a suivie dans mes idées folles de cache-cache, de gouters et de coloriage, de désobéissance. Je revois la première gamine avec qui j’ai réellement été amie et je revois mes plus beaux souvenirs d’été à Berlin. Elle a toujours ce regard pétillant et espiègle et ce sourire éclatant, mais peut-être est-ce l’alcool qui me fait revoir tout cela dans une réminiscence trafiquée. Le temps a passé, mais l'amitié, elle, ne s’en est pas allée. Nous l’avons entretenue autant que faire se peut. Nous nous sommes écrit. Nous nous sommes téléphoné. Mais la vie est ainsi faite, elle éloigne parfois les personnes pour qu’elles suivent leur propre voie. Et quelle voie ! Elle n’est pas du tout devenue la redoutable magistrate que j’imaginais, défendant avec ferveur et plaidant comme une déesse. Elle a choisi une autre route qui finalement n’est peut-être pas aussi surprenante que l’on pourrait l’imaginer. Je me souviens d’une épopée en bateaux un été avec mon grand-père où elle semblait plus qu’à l’aise sur les flots. L’amiral Von Gultenberg, mon grand-père, retraité de la marine allemande, a très tôt investi dans l’aéronautique achetant des navires marchands et de plaisance et des parts dans quelques marinas de la capitale allemande. C’est son plaisir de pouvoir voguer sur les fleuves et canaux allemands ou même en pleine mer, ce pour quoi il est fait, et il a toujours eu un plaisir égal à me faire partager sa passion. Il m’a emmené dans de nombreuses balades quand j’étais enfant m’apprenant les rudiments de la navigation et, aujourd’hui, c’est ensemble que nous naviguons plus loin que les limites des ports de Berlin. Un été, il y a quelques années, Inga a partagé une de nos sorties et m’a semblé être comme un poisson dans l’eau. Je n’ai donc aucun mal à l’imaginer sur un bateau. Je me rappelle aussi la jeune fille qui m’écrivait avec horreur sa découverte d’une surface entièrement déboisée au sud de la capitale, où nous jouions quelques années plus tôt, au profit d’un nouveau complexe hôtelier et pensant aux oiseaux et aux insectes que cette destruction avait dû déloger. Je me rappelle avec quelle véhémence elle décrivait les conséquences horribles de cette construction. Je peux donc aisément l’imaginer engagée dans la cause environnementale. Tout comme je n’ai aucun mal à imaginer la tête horrifiée de madame Dinckel quand elle a appris la nouvelle. Pourtant, je réponds à sa révélation avec un « Non ?! Tu te fiches de moi ? » avant qu’elle n’ajoute un vœu à l’intention des ses parents et de Miss Minscheen et une question pour moi.

« - Et toi ? Bientôt à la une de Forbes ? je ris de bon cœur face à sa question.
- Bientôt, j’en doute…Mon refus de céder aux avances américaines en matière de marchés financiers ne me rend pas vraiment très populaire auprès des rédacteurs et autres journalistes.  je prends une gorgée du liquide ambré. Mais ils ont quand même dû admettre que je fais partie du top 50 de leur liste des femmes les plus puissantes du monde. je ris à nouveau tout en balayant tout cela d’un revers de main. Mais c’est secondaire tout ça ! Raconte-moi, comment t’es venu ce changement de carrière ? Comment t’es-tu dirigée vers ce domaine ? Et pourquoi pas le droit environnemental ? Ta mère est devenue cardiaque depuis, non ? je ris à nouveau. Pourtant je pensais avoir vu passer un Dinckel dans un article par rapport au tribunal d’Hambourg l’autre jour…»

Dans l’univers qui est le nôtre, les enfants ont des rôles bien définis. Même si à l’âge innocent, on ne s’en rend pas vraiment compte, certaines routes sont parfois toutes tracées. Il est de notoriété publique qu’un rejeton suivra les traces de ces parents en particulier si ceux-ci occupent des postes de prestige. En cela, mes parents faisaient figure de curiosité en ne m’imposant rien dans ce domaine, en me laissant suivre mes passions et mes aspirations. Ils m’ont laissée me construire pour que je puisse devenir ce que je suis aujourd’hui, en m’apportant tout le soutien possible. Je ne doute pas que si, à l’heure actuelle, je suis heureuse et épanouie dans mon travail c’est parce qu’ils m’ont laissée libre de mes choix et de mes ambitions. Malheureusement pour Inga, ses parents font plutôt partie de la norme de notre monde. Ils avaient pour leurs enfants des projets concrets et manifestement, ceux-ci ont volé en éclats du côté d’Inga. Il en faut du courage pour oser refuser ce pour quoi l’on vous prépare durant des années et encore plus pour se lancer seule face à la marée. Je savais déjà qu’elle possédait ce courage, mais je reste impressionnée face à sa décision. De même, je suis aussi réellement curieuse de savoir ce qu’elle fait. De la même manière que je voulais apprendre à la connaitre, il y a deux ou trois décennies, je veux tout savoir de ce qui fait sa vie aujourd’hui.  
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Lun 16 Aoû 2021 - 1:56



la distance nous fait apprécier les retrouvailles



Ellena & Inga

 

C'est exactement à ce genre d'instant que je fais allusion lorsque j'évoque la magie des soirs d'ivresse. Les heureuses coïncidences et les retrouvailles impromptues ont toujours du charme, peu importe les circonstances mais il me semble que le contexte, le décor, l'alcool dans mon sang rendent celles que nous sommes en train de vivre plus puissantes encore. La scène a presque quelque chose de livresque, d'épique, d'onirique. J'ai l'impression de voir l'aura de charisme qui entoure Ellena scintiller sous les néons du bar et ça me fait sourire. J'aurais pu le rêver ainsi, ce moment. La conversation file et je hoche gravement la tête lorsque mon amie d'enfance me parle de ses déconvenues avec la presse. J'ai moi-même pu goûter à la plume acerbe des journalistes lorsque mon visage était l'étendard de combats environnementaux visant certains fleurons de l'industrie allemande. Un sourire sarcastique vient orner mon visage. « Ne pas être populaire auprès des médias mainstream, c'est plutôt un signe de réussite selon moi ! » Je ponctue cette phrase par une nouvelle gorgée tandis qu'Ellena change de sujet, m'assaillant de questions sur mon intriguant changement de trajectoire.

Il m'est étrange de revisiter cette décision. Je soupire doucement en regardant les glaçons flotter dans mon verre que je fais tournoyer d'un subtil mouvement de poignet. Quelques secondes filent alors que je tente de capter mon état émotionnel, celui avec lequel je m'apprête à raconter ce moment crucial de mon existence. Malgré mes doutes incessants et l'ombre du regret qui me suit partout, je crois que je suis fière ou pour le moins satisfaite d'avoir changé de cap. La genèse précise de ce choix demeure toutefois voilée de mystère. « Je sais pas Ellena. J'ai suivi mon plan à la lettre. J'ai travaillé comme un dingue pour valider mon master en droit environnemental et pour réussir le barreau. Je me disais que je misais sur l'avenir, que je serai épanouie dans le monde d'après. Rétrospectivement je pense que je savais que c'était du bullshit mais c'était plus simple de garder la tête dans le guidon plutôt que de tout remettre en question. Et puis un jour je me suis retrouvée dans le monde d'après et je me suis dit... tout ça pour ça ? Parce qu'il n'y a rien de plus qu'avant, en fait. Pas d'étincelle. Et moi je voulais des étincelles. »

J'étouffe un léger éclat de rire en songeant aux infimes détails qui peuvent changer une vie, à la finesse et la précision des rouages du destin. « C'était trois jours après les résultats du barreau. Il était deux heures du mat, je devais avoir un bon gramme d'alcool dans le sang et là, une amie me sort qu'elle est censée partir en mer le mois suivant avec son asso mais qu'ils sont dans la galère parce que leur cuisinier vient de se casser le bras. Je lui ai dit que j'avais pas le mal de mer et que je savais utiliser une casserole... je te laisse imaginer la suite. » Je soupire à nouveau en me remémorant le chemin vertigineux que j'avais emprunté à cause d'un bref éclair d'audace alimenté par quelques pintes de bière. « Quant au cœur de ma mère, je crois qu'il a été épargné grâce à un autre Dinckel. Garrett est juge à Hambourg. Grâce à lui, je peux me contenter d'être le vilain petit canard de la famille sans être accusée du crime suprême que serait l'extinction de notre dynastie. » Cette remarque sarcastique appelle une nouvelle gorgée de whisky. Je laisse Ellena ingurgiter cette somme impressionnante d'informations en me faisant la réflexion que mes démons d'adolescente ne m'avaient jamais véritablement quittée. Elles me reviennent à l'esprit, les raisons pour lesquelles sa présence et son influence m'étaient aussi précieuses. Elle m'a toujours montré qu'une autre voie était possible. Ellena, c'était mon éclaireuse clandestine.

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Dim 3 Oct 2021 - 22:49
C’est impressionnant comme de petits détails, de petites étincelles, peuvent faire dérailler un plan pourtant réglé au micromètre près comme une montre suisse. Dans notre monde, la prédestination n’est pas une légende ou une simple théorie. Il s’agit d’un plan rigoureusement étudié, minutieusement élaboré, bien avant que les enfants ne soient en âge de décider de leurs gouts, de leurs inclinations, bien avant leur naissance même parfois. On s’attend à ce que le petit junior emboite le pas à son géniteur pour poursuivre l’œuvre familiale sans vraiment se soucier de son gout ou de son dégout pour la voie paternelle. Pour nous autres, tout dépend de nos aptitudes et de notre place dans la lignée : si l’on nait seule face au roc alors on exigera de nous ce que l’on aurait exigé si nous avions été pourvues d’un plus dans notre anatomie ; si l’on suit un frère ainé et que l’on ne s’en sort pas trop mal dans un domaine, on exigera de nous que l’on y excelle pour exhiber la réussite en toute occasion ; si ,en revanche, l’on nait juste bien faite de sa personne, on nous demandera d’être la parfaite potiche pour un mari qui sera ravi d’exhiber à son tour le produit réussi d’une famille. Pour ne pas avoir eu à vivre cela, je remercie chaque jour ma famille, excentriques pour ce monde. Cependant, même l’être humain peut se voir bousculer par ces changements soudains qui ne tiennent à rien, un minuscule grain de sable dans la balance et c’est toute une perspective qui est changée. Dans nos discussions d’enfants, je me revois lui parler de mon futur travail d’archéologue. Je me voyais partir aux quatre coins du monde, en Grèce, en Afrique, en Amérique du Sud, pour découvrir les trésors de civilisations oubliées, résoudre des mystères jusqu’alors insolubles ou encore déterrer les artefacts oubliés de l’Histoire. Je me voyais partir à l’aventure et revenir avec mes trouvailles qui enrichiraient les collections du British muséum ou encore du Louvre. J’aurais pu continuer dans cette voie, mais un petit événement est venu tout bousculer. Un événement anodin, dérisoire même, m’a fait changer de trajectoire, m’a fait changer tout court en réalité. Alors, je ne peux que comprendre ce qu’elle me raconte. Je souris tout au long de son explication. Je la vois d’ici travailler avec acharnement, user les chaises de la bibliothèque de Droits, se rendre malade pour sa réussite. Je peux également aisément imaginer le rire qu’elle a dû émettre, pâle reflet de celui qu’elle vient de retenir, lorsqu’elle a pris sa grande décision. Je m’esclaffe, songeant à madame Dinckel faisant les comptes en apprenant la nouvelle du départ de sa fille pour une voie qu’elle n’a pas programmée, tout en prenant en considération la voie royale sur laquelle son fils était engagé. Elle termine son histoire et quelques secondes s’écoulent.

« - Â, ce Garrett ! S’il n’existait, il faudrait l’inventer ! je dis cela dans un soupire suivi d’une emphase amusée avant de rire à mon tour. Léo ? le barman tourne son regard vers moi. La même chose, s’il vous plait… je finis les dernières traces de liquide ambré. La question cruciale, maintenant. un regard plus sérieux braqué dans celui de mon amie avec une touche d’espièglerie. Tu aimes ce que tu fais ? Tu te sens plus utile pour changer le monde d’avant ? Tu te bas pour construire le monde d’après comme tu l’as imaginé ? Et cela t’épanouit ? les deux boissons sont posées sur le comptoir à notre hauteur. Alors c’est cela que nous allons trinquer ! je prends les nouveaux verres et en place un dans sa main. Aux grandes décisions qui nous permettent d’être nous-mêmes et heureux ! je trinque avec elle sans me défaire de mon sourire. »

La beauté des démarches de rébellion contre les plans parentaux ou humains, c’est cela. Ils finissent pour nous donner un éclat, une saveur, un bonheur, insoupçonné. Refuser de s’enfermer dans un schéma étriqué, c’est se choisir ; prendre la décision de se mettre au premier plan afin de se trouver et d’être plus encore que ce que l’on aurait pu être sans cela. Un choix difficile qui pourtant révèle le meilleur de nous-mêmes. C’est ce que nous sommes aujourd’hui, à cet instant, toutes les deux : la meilleure version de nous-mêmes aujourd’hui qui malgré cela est une moins bonne que celle de demain…
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Mar 16 Nov 2021 - 16:29


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Ellena & Inga


Parfois, j'ai des montagnes russes derrière les yeux. J'écoute les questions rhétoriques d'Ellena qui s'enchaînent et les connexions fusent dans mon cerveau. La perspective est un joli concept. Peut-être que je suffoque dans un lac d'eau douce en oubliant que j'étais vouée à me noyer dans un océan de vitriol. J'aimerais que tout soit aussi simple. Peut-être que ça pourrait l'être, que ce n'est qu'une question de volonté. Qu'une question de perspective.

Je remarque l'éclat du reflet des néons dans les minuscules flaques d'alcool qui recouvrent le comptoir en bois massif puis je lève mon verre et trinque avec mon amie d'enfance en haussant les épaules. « Je ne sais pas si je suis heureuse, c'est une question beaucoup trop philosophique pour un début de soirée. Tout ce que je sais, c'est que je commence à être sacrément joyeuse. » Mon rire s'élève à la hauteur de mon taux d'alcoolémie, se mêlant quelques instants au brouhaha de la foule avant de venir s'éteindre dans mon whisky. Le bonheur est une question à laquelle j'accorde à la fois trop d'importance et pas assez. Sans doute que je m'y prends mal. L'éventualité d'un bonheur absolu me parait totalement illusoire. Plus j'y songe, plus il me semble qu'il s'agit de choisir entre différentes sortes de satisfaction. Il y a toujours une forme de renoncement dont l'écho résonne en abyme. La béatitude qui m'enveloppait d'une douce chaleur aux vertus indicibles lorsque mes yeux de petite fille parfaite devinaient la validation dans ceux de mes parents est un trésor perdu auquel j'ai sciemment renoncé au nom d'une autre forme de plaisir, plus complexe et plus tiède. Son poison m'aurait sans doute tuée à petit feu - quoi qu'il ne s'agisse que d'une supposition - mais je crois qu'en contrepartie, j'aurai toujours un peu froid. J'aimerais y songer et ne plus voir des regrets mais seulement des lignes qu'on trace dans le sable.

Je pose sans délicatesse mon verre sur le bar et je fronce mes sourcils, m'adressant à Ellena comme si ma surprise de la voir exceller dans une voie inattendue était encore fraîche. « Et toi, alors ? C'est plus dans Archaeology Magazine que dans la presse éco que je pensais avoir de tes nouvelles ! » Les civilisations anciennes obsédaient l'enfant qu'elle était. Je passais des heures à l'écouter me raconter ce qu'elle avait vu dans tel ou tel musée, lu dans tel ou tel livre, entendu dans telle ou telle conférence. Je fixais les étincelles dans ses yeux et je me disais que ça devait être d'agréable d'être soulevée par une telle passion. Je lui avais promis de venir la voir à l'autre bout du monde lorsqu'elle serait sur ses chantiers archéologiques. J'aurais passé mes journées à prendre des photographies en argentique. Le futur de notre passé, je l'avais imaginé dans les moindres détails. Il est encore encapsulé dans un secteur de mon esprit, recouvert d'un léger voile sépia. J'ignore s'il y a eu un point de rupture dans l'histoire d'Ellena ou si sa trajectoire s'est doucement infléchie. J'avais souvent voulu lui poser la question mais ce n'est pas quelque chose qui se demande de but en blanc après des années de silence avec une certaine impertinence dans la voix, sauf peut-être dans un bar bondé à l'occasion de retrouvailles arrosées de liquide ambré.
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Mar 17 Mai 2022 - 21:53
Le bonheur, c’est une vaste question qui pourtant pourrait se résumer à certains faits. On ne demande jamais à l’être humain s’il est heureux ou épanoui. On lui demande s’il a réussi, s’il correspond à un certain nombre de critères d’une liste préétablie censée être le but ultime de tout un chacun. Pourtant, la réussite est aussi abstraite que le bonheur et ce qui signifie réussite pour les uns n’a pas la même signification pour d’autres. Pour certains, réussir c’est avoir le beau pavillon de banlieue avec jardin, le bon travail, la jolie petite famille et des loisirs connexes. Pour d’autres, la réussite, c’est simplement avoir réussi à trouver ce qui chaque matin vous fait vous lever avec le sourire aux lèvres et une certaine motivation à avancer dans la journée. Pour d’autres encore, avoir l’opportunité de chaque jour voir les personnes que l’on aime et les savoir en bonne santé. Je crois que chacun a sa vision du bonheur et de la réussite, même si l’on ne le verbalise pas ou si l’on n’y pense pas réellement. Ainsi je suis intimement convaincue qu’avoir laissé sur le bas-côté d’un chemin les ambitions que l’on avait pour Inga pour suivre sa propre voie lui procure un bien-être et une certaine forme de réussite. Après tout, comment ne peut-on pas ; au fond de soi, être heureux d’avoir trouvé sa route ? Toutefois, mon esprit s’embrume peu à peu dans ses considérations sous la houle du liquide ambré.

« - Je ne sais pas si je suis heureuse, c'est une question beaucoup trop philosophique pour un début de soirée. Tout ce que je sais, c'est que je commence à être sacrément joyeuse. je la rejoins dans son rire faisant écho dans ma mémoire à d’autres bien des années auparavant.
- Si tu n’es pas encore prête à discuter de sujet philosophique, c’est que tu n’as pas encore assez bu et qu’il faut que l’on dépasse le stade ‘joyeuse’. je fais tinter une énième mon verre contre le sien. »

On ne nous a pas laissé l’occasion de découvrir l’adolescente et l’adulte que l’autre est devenue. Après l’enfance, chacune a suivi son chemin entre pensions et écoles privées. Et même si nous avons entretenu une correspondance pendant de très longues années, il est assez triste de se dire que nous n’avons pas pu expérimenter un autre niveau de bêtise que celui de l’enfance. La voir ainsi aujourd’hui et me connaissant me fait regretter de ne pas avoir connu cette époque. Peut-être m’aurait-elle comme tous les autres mis en garde contre mes quelques erreurs de parcours. Peut-être ensemble aurions-nous pu rappeler à l’autre le cap, qu’enfants, nous avions choisi. Cependant, nous ne pourrons rien changer à ce passé séparé alors autant profiter de ce qui nous attend.

« - Et toi, alors ? C'est plus dans Archaeology Magazine que dans la presse éco que je pensais avoir de tes nouvelles ! je souris avec un peu de nostalgie face à ce rappel du passé.
- J’ai commencé à suivre cette voie quand je suis rentrée à la fac… Et puis une chose en entrainant une autre je me suis tournée vers l’économie et la réparation des bêtises des autres. j’essaye de garder le sourire en croisant les doigts pour que cette explication lui suffise, mais je devrais savoir qu’il ne faut pas sous-estimer sa perspicacité. Quand père a pris poste à Londres, j’ai intégré une école pour y faire ma terminale et entrer à l’université. mes yeux ne peuvent se décoller du whisky que je fais tournoyer dans mon verre. Au même moment, j’ai fait la connaissance de Jacob Evans... je relève les yeux vers elle. Tu l’aurais détesté et tu te serais sans doute très mal entendue avec lui. Dis-je dans un rire étouffé. Comment te dire ? je pince les lèvres cherchant la description adéquate. Il avait tout du prince charmant le physique, la carrure, les loisirs… Mais pas vraiment les manières… je prends une gorgée pour reprendre courage. Et c’est comme cela qu’à 19 ans je me suis retrouvée à Cambridge prête à conquérir le département d’Histoire et d’archéologie, mais aussi fiancée… j’acquiesce dubitative face à ma brillante idée de l’époque. Et puis, j’ai découvert que le prince charmant préférait roucouler et plus si affinités avec les autres demoiselles du royaume. Et partir de là, j’ai... changé… je fronce le nez face à ce constat. Fini la naïve et rêveuse Ellena, place à la femme d’affaires intraitable… Mais j’aime ça ! Ce que cet évènement ridicule fait de moi. C’est une autre facette de la pièce et puis, grâce à cela, je finance de nombreuses entreprises archéologiques. Je contribue aux découvertes à ma manière. je tiens à finir sur une note positive. »

Mon bonheur et ma réussite, je les ai trouvés dans un moment qui pour moi a marqué un tournant. Je ne sais pas si dans un univers parallèle je suis heureuse d’avoir poursuivi le chemin que l’enfant que j’étais voulait suivre, mais ici dans ma réalité, je sais que ma réussite et tout ce qu’elle m’a apporté me permettent de toucher chaque jour un bonheur presque parfait…
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Sam 28 Mai 2022 - 21:00


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Ellena & Inga


La réplique d'Ellena donne un nouveau souffle à mes éclats de rire. « Alors pour le bien de la philosophie et de l'humanité, on ferait mieux de s'y mettre dès maintenant ! » Alors que nous trinquons, je m'imagine l'espace d'un instant à quoi aurait pu ressembler notre vingtaine si nous étions restées dans la vie l'une de l'autre. Cette question s'intensifie à mesure qu'elle me raconte son parcours. Je l'écoute avec attention. Seul le bruit de mon verre qui trouve la direction de mes lèvres avant de venir heurter à nouveau sur le comptoir vient ponctuer son récit. J'esquisse un sourire en fronçant les sourcils d'un air curieux lorsqu'elle évoque son ancien conjoint. Je ne peux m'empêcher de penser à Mark, mon ex petit-ami que j'aurais pu décrire d'une manière tout à fait semblable. Il se serait sans doute très bien entendu avec ce fameux Jacob, lui. Je n'ose imaginer à quoi auraient pu ressembler nos double dates si nous nous étions fréquentés à l'époque. Peut-être que nous aurions réussi à nous extirper de nos guêpiers romantiques respectifs plus tôt. Refaire l'histoire n'a pas de sens mais c'est une activité parfois divertissante.

Le dénouement de l'histoire me laisse interdite, légèrement sonnée aussi car je connais trop bien la douleur de la trahison et l'impérative nécessité de la masquer derrière des figures de style. D'anciennes émotions enfouies trouvent leur chemin jusqu'à la surface et font disparaître mon sourire. C'est la figure d'Ewen qui se dessine derrière mes paupières. Pour la chasser, je songe à Alina, Lisa et Garrett. Y a-t-il plus commun que ce narratif ? Mon esprit s'égare à la recherche de pistes pour que l'humanité s'en défasse. C'est une réflexion qui a mille fois animé mon cerveau. Or, ce dernier ne semble toujours pas suffisamment imbibé pour générer un éclat de génie susceptible de révolutionner notre vision, notre vécu des relations. Il se contentera de la vieille stratégie de la fuite et des barricades.

Est-ce pour autant de la naïveté que de prendre un risque ? Il m'est impossible d'avoir un avis éclairé sans en savoir davantage sur le dénommé Jacob et les rouages de leur relation. Cela ne m'empêche pas de sourire à nouveau en arguant intérieurement que Miss Minscheen ne n'aurait probablement qualifié Ellena ainsi. Cette dernière m'a toujours donné l'impression d'avoir un coup d'avance, de posséder un regard mature et complexe sur le monde alors même que nous n'étions que des enfants. Sans doute qu'il y a une forme de candeur en chacun, peut-être même à tout âge. Les désillusions sont bien souvent le revers de la médaille des grandes révélations et l'expérience m'a montré que ces dernières ne cessent jamais de débouler sur notre chemin pour l'éclairer d'une manière inédite, pour en rendre les motifs plus complexes. Je prends une nouvelle gorgée de liquide ambré, peinant à sortir Ewen de mon esprit. J'ai pu moi-même me qualifier de naïve dans l'histoire mais j'avais partiellement tort. Ma psyché savait exactement ce qu'elle faisait pour me faire rejouer mes schémas les plus ténébreux, remuer un couteau trempé dans l'acide dans une plaie jamais cicatrisée.

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. C'est à cet adage que je songe quand Ellena évoque son nouveau départ et la femme qu'elle est devenue. J'ai longtemps aimé cette expression, je l'ai parfois utilisée comme un mantra. Elle provoque désormais en moi une certaine gêne, presque un dégoût, surtout lorsque je recommence à y adhérer pour rationaliser les drames que j'ai pu vivre, comme s'il n'y avait pas de meilleures voies que la violence et la souffrance pour s'élever et exploiter son potentiel, comme si l'on se construisait grâce aux coups qu'on subit et non en leur dépit. « J'ai toujours su que tu ferais de grandes choses, ça a toujours été évident. Ton succès, tu ne le dois qu'à toi-même. Pas à un pauvre type ni à ce qu'il a pu te faire subir. » Je laisse quelques secondes filer puis je soupire avec une certaine mélancolie. « Je suis désolée d'avoir arrêté de t'écrire. Ma vie est devenue un peu... compliquée. Si on avait continué à se parler, on aurait sans doute déjà conquis l'univers à l'heure qu'il est. » Je ne sais plus qui d'Ellena ou moi avait cessé d'écrire la première. Je me souviens juste qu'après mes innombrables courriers adressés à Garrett et restés sans réponse, m'approcher d'un bloc de papier à lettre m'était devenu insupportable. A y réfléchir de plus près, sans doute que c'était moi.

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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Dim 12 Juin 2022 - 12:29
Nous sommes toutes deux les enfants d’une période charnière. Des enfants qui ont encore connu le plaisir de jouer dans le jardin sans être accroché à un téléphone portable, de lire un livre sans voir la fin révélée par un quelconque blockbuster ou un réseau social, d’écrire encore et encore la même lettre pour que le destinataire reçoive quelque chose d’agréable à regarder et d’attendre la réponse à cette même lettre avec impatience. Nous sommes aussi ces grands enfants qui ont découvert les bénéfices et la rapidité d’internet et de tous les moyens modernes de communication, ne s’encombrant plus du même temps d’attente pour une réponse, mais perdant aussi tout son charme à mon sens. Néanmoins, dans ce même laps de temps, nous avons aussi grandi poursuivant chacune notre route, séparées par plusieurs kilomètres de terre et d’eau. Ainsi dans ce changement d’ère, je ne sais plus laquelle de nous deux a arrêté la chaine de correspondance, mais peut-être est-ce cela aussi la vie, voir des chemins s’entrecroiser et se séparer à de nombreuses reprises. Le temps a du décider que pour nous métamorphoser nous devions éloignés pour ne retrouver, finalement pas si différentes, mais plus riches d’expériences pour enrichir l’autre. À ce sujet, quand je parle de ma débâcle adolescente, elle semble à son tour préoccupée comme happée par son propre passé. Je suis à mon tour curieuse de tout ce que la vie et le temps lui a fait traverser pour voir ce voile passer dans son regard, mais elle ne m’en laisse pas le temps, vive comme autrefois.

« - J'ai toujours su que tu ferais de grandes choses, ça a toujours été évident. Ton succès, tu ne le dois qu'à toi-même. Pas à un pauvre type ni à ce qu'il a pu te faire subir. je lui souris sincèrement retrouvant cet éclat déterminé que j’ai découvert dans un salon démodé de Berlin. Je suis désolée d'avoir arrêté de t'écrire. Ma vie est devenue un peu... compliquée. Si on avait continué à se parler, on aurait sans doute déjà conquis l'univers à l'heure qu'il est. un rire m’échappe sans doute dû à la quantité de whisky qui se promène dans mon système sanguin.
- L’univers, crois-moi, c’est bien trop de travail ! L’Europe ou le monde cela aurait déjà été une belle réussite. Enfin… pas pour nos mères… j’éclate à nouveau de rire. Ne t’excuse pas... je reprends mon sérieux après quelques secondes. D’abord parce que moi aussi j’aurais pu écrire et, ensuite, parce que c’est que c’est comme cela que cela devait se passer pour nous deux et peut-être pour mieux se retrouver aujourd’hui, inopinément au détour d’un verre. je pose d’ailleurs le mien vide sur le comptoir métallique. Il fallait peut-être casser quelques morceaux pour pouvoir mieux commencer notre conquête… je lève les épaules en souriant. »

Si Miss Minsheen nous voyait, je ne suis pas certaine qu’elle nous accorderait ses félicitations pour notre maintien ou notre langage. Pourtant si elle savait ce qu’elle et le temps ont créé, peut-être pourrait-elle y voir une certaine forme de satisfaction. Après tout, c’est ainsi que l’on m’avait vendu les cours de maintien : un moyen de me créer des amitiés durables. Et quoi de mieux qu’une amitié créée dans l’âge tendre qui peut se raviver des années plus tard autour d’un verre ?
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Re: "La distance nous fait apprécier les retrouvailles" ♔ Inga Dinckel
Mer 3 Aoû 2022 - 13:21



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Ellena & Inga


On accumule au fil des années des bagages de toutes tailles. Les plus imposants écrasent les autres, comme cette relation épistolaire interrompue. Ils n'en disparaissent pas pour autant. Reprendre contact avec Ellena a toujours été quelque part en arrière-plan de mon esprit, un projet qui m'a accompagnée à chaque étape de ma vie. Parce qu'elle a été l'une des celles qui ont marqué mon enfance. Parce que j'ai souvent imaginé la personne qu'elle allait devenir et que cette personne était quelqu'un que l'on a envie de rencontrer. Peut-être que j'avais inconsciemment repoussé l'échéance par crainte de ne pas être à la hauteur. A sa hauteur et à celle de la femme que j'aurais pu être. Ellena ne semble pas me tenir rigueur de l'arrêt de nos communications, rationalisant en invoquant le destin et l'ordre des choses. J'en souris car cela semble être un schéma de pensée récurrent, autant chez elle que chez moi.

J'observe du coin de l'œil Leo qui aligne des verres à shot vides sur le comptoir. Je me perds un instant le long de ses traits juvéniles, de son front lisse et dénué de rides, de ses yeux encore emplis d'aplomb. J'ai bien des regrets, des remords et des doutes que je trimballe avec moi à chaque instant mais pour rien au monde je ne referais le voyage de ma vingtaine, de ces fracas, de ses effondrements, de ses désillusions. Peut-être que c'est ce qu'évoque Ellena en filigrane, l'idée qu'il faille se briser pour réussir, comme si c'était le meilleur voire le seul moyen de voir à l'intérieur, d'observer la machinerie interne, de comprendre comment s'imbriquent les rouages du succès. C'est sans doute une étape nécessaire pour les êtres qui veulent conquérir, mais pour les autres ? Peut-on passer son existence à éviter ses ombres ?

D'un geste élégant et maîtrisé, Leo remplis les verres à shot puis en pousse deux vers nous en souriant. Parfois, j'ai l'impression qu'en m'approchant très près de lui, qu'en le frôlant, qu'en le touchant, je pourrais ressentir de l'intérieur son assurance naïve mais entière, intacte, galvanisante. Je fronce les sourcils. Ni Ellena ni moi n'avons besoin de cela. Nous sommes privilégiées mais nous avons su trouver, nourrir, faire croître la force de celles qui empruntent les chemins escarpés, celle qui peut déplacer des montagnes mais qui aura toujours un coût. « Tu as raison. Je suppose que c'est dérisoire de s'attaquer à l'Univers et qu'il aura toujours le dernier mot. A un nouveau chapitre, alors ! » J'attrape un shooter et le vide intégralement de le reposer sur le comptoir. « Du coup, quelle est la prochaine étape de la conquête pour Ellena Gallagher ? » J'ai entendu quelques bruits de couloir concernant son entreprise, rien qu'elle ne puisse affronter. Il s'agit tout de même de la femme qui gamine réussit à défier deux Minscheen.
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