(SOPHIE) not that funny at all

Sophie profitait d’un jour off, les entraînements avaient repris et elle n’avait pas cours aujourd’hui. Elle avait décidé de profiter un peu pour une fois et de sortir se promener. Si, habituellement, elle aimait bien traîner avec ses amies, pour aujourd’hui, elle serait seule. La demoiselle avait coupé ses cheveux quelques jours plus tôt, arborant un petit carré court, elle trouvait cela beaucoup plus pratique pour son sport et cela lui prenait aussi moins de temps pour se coiffer. Un rapide coup de brosse, un trait de liner, du mascara et un peu de fard à joue, c’était tout ce dont elle avait besoin pour sortir. Son jean mom taille haute, crop top et son éternel sac à dos en cuir sur le dos, elle n’avait plus qu’à enfiler ses baskets et elle était prête pour sa flânerie.

Elle aimait bien partir le matin, vers dix heures, se promener dans un parc, prendre un café, déjeuner un peu tardivement et finir en centre ville à faire les boutiques, même si ce n’était pour rien acheter, mais ça lui permettait de marcher et Sophie adorait déambuler dans les rues. Elle avait l’intention de s’offrir un petit voyage sac à dos quand elle aurait la ou le partenaire idéal. Ses pas l’avaient menés jusqu’à Finkenwerder et jusqu’à son Starbucks. Elle avait hésité un peu et finalement s’était engouffrée à l'intérieur. Il y avait déjà un peu de monde à l'intérieur, mais leur Cool Lime était irrésistible et Sophie était prête à faire ce sacrifice pour boire cette boisson qu’elle aimait tant. Elle arrivait enfin face au barista et lui donnait sa commande ainsi que son prénom. Elle se décalait jusqu’au comptoir après avoir payé afin de récupérer sa commande. Et, tandis qu’elle patientait, elle aperçut un visage familier. Son cœur manquait de battement. Non, il ne s’agissait pas de Joah, mais bien de Jeremy… Depuis combien de temps ne lui avait-elle pas écrit ? Pourtant, elle avait souvent ouvert leur conversation sur son téléphone. Relisant leurs messages précédents… Elle se mordait la lèvre, espérant secrètement qu’il ne l’ai pas remarqué et qu’elle pourrait s'éclipser ni vue ni connue, malheureusement pour elle, leurs regards s’accrochaient furtivement. Un petit sourire timide s'installait sur les lèvres de la brune et elle lui faisait un signe de la main. Le barista appelait son nom et elle récupérait sa commande.

Elle hésitait à le rejoindre à sa table, avait-elle vraiment le droit de le faire alors que cela faisait des mois qu’elle était en silence radios ? Pourtant, elle avait terriblement envie de lui parler, parce que si elle ne lui avait donné aucunes nouvelles ces derniers temps, ça ne voulait pas dire qu’elle ne pensait pas à lui. Hésitante, donc, elle s’avançait vers lui.

- Salut… » Commençait-elle. La brune restait debout, n’osant pas s’asseoir. Devait-elle faire comme si de rien était ? Comme si elle ne l’avait pas ghosté pendant des mois ? Elle ne pouvait pas agir comme ça, elle avait déjà été assez malhonnête en arrêtant de lui écrire du jour au lendemain sans aucune explication. « Je peux ? » Demandait la brune en montrant la chaise vide.

C’était évident qu’il ne serait pas enchanté de la voir. Son regard, ses gestes, le langage de son corps en disait long et forcément Sophie prenait un coup. Elle l’avait cherché après tout ? Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même si Jeremy était indifférent face à elle et si il n’avait pas envie de lui parler plus que ça…

- Salut… » Un mot s’échappait de ses lèvres et Sophie était presque soulagée dans un sens. Elle se surprenait en se rendant compte que sa voix lui avait manqué. Cette voix grave qu’elle avait fini par dissocier de son jumeau et d’en comprendre les différences. Un signe de tête pour toute réponse, un signe vague, mais qu’elle décidait de prendre pour un oui. C’était un peu effronté de sa part, mais elle se disait que c’était peut-être un signe du destin, si il était là et qu’elle aussi… Juste une sacrée coïncidence… Elle chassait ça de sa tête, non c’était le destin, c’est tout ! Elle devait lui parler, elle devait s’expliquer, même si il ne lui pardonnait pas, même si il s’en fichait, elle lui devait des excuses et des explications. Sophie s’asseyait donc, face à lui, son regard alternant entre son verre et Jeremy. Elle se mordait l'intérieur de la lèvre tandis qu’un silence s’installait entre eux. Par où commencer ? Lui demander de ses nouvelles d’abord ? Rentrer dans le vif du sujet tout de suite ? Trouver une excuse pour ne pas avoir à lui dévoiler sa vie ? Elle avait peur Sophie, peur d’avouer qu’elle avait subi des violences, peur de le dire à haute voix, comme si ce serait plus réel… Oui, elle en avait parlé à Sarah, elle en avait aussi parlé à sa meilleure amie, mais là c’était différent. Jeremy lui plaisait et c’était un gros problème. Si il prenait peur ? L’idée de s’impliquer dans une relation avec une fille brisée qui n’était même pas certaine de réussir à aimer de nouveau pouvait clairement le faire fuir. C’était trop compliqué dans la tête de Sophie elle qui n’avait même pas réussi à retrouver de l’intimité avec un homme…

- Ça va ? » Demandait-elle timidement une fois de plus. Le silence s’installait à nouveau. Elle prenait une gorgée de son cool lime, essayant de se donner du courage. « Je… » Je quoi ? Comment continuer cette phrase ? « Je suis désolée pour ces derniers mois... » Commençait-elle. « J’ai pas mal été prise ces derniers temps entre les cours et mes matchs et puis la fin de la saison, le voyage avec les filles de l’équipe… » Quelque part ce n’était pas faux, mais de là à ne plus pouvoir donner de nouvelles, ne plus avoir le temps ne serait-ce que d’écrire aux gens ? Mensonge éhonté. « J’aurais pu t’écrire… » Elle déglutissait. « J’aurais dû t’écrire ! » Se reprenait-elle. Oui, elle aurait pu lui dire qu’elle était désolée, mais qu’il était certainement mieux pour eux d’eux que les choses en reste là, qu’ils n’aillent pas plus loin et qu’ils restent potes. Elle aurait dû lui dire qu’elle n’était pas prête pour une relation, même si elle craquait complètement pour lui, même si en plus d’être beau, c’était une personne intéressante, avec de la conversation et de l’humour, même si elle sentait ces picotements dans tout son corps lorsqu’elle se trouvait près de lui, ceux-là même qu’elle ressentait encore maintenant…

Elle s’excusait, tant bien que mal. Difficile quand on refusait de dire les véritables raisons de son silence. Pouvait-elle faire mieux ? Devait-elle faire mieux ? Après tout, elle avait donné une explication, elle s’était excusée. Sophie n’avait plus donné de nouvelles pour ne pas avoir à souffrir, alors pourquoi restait-elle assise face à Jeremy ? Pourquoi n’arrivait-elle pas à se lever et à quitter le Starbucks. C’était bien le but de la manoeuvre à la base ! Elle l’avait ghosté et il suffisait maintenant de se lever, de partir et de continuer de l’ignorer ! Alors, pourquoi ? Son corps était en totale contradiction avec sa tête, son coeur était en train de débattre avec son cerveau. L’un voulait rester, discuter, expliquer, l’autre voulait partir et oublier. Le grognement de Jeremy mettait fin à cette petite bataille qui faisait rage dans son esprit. Elle posait son regard sur lui, cherchant le sien.

- À défaut d'écrire, t'aurais pu te contenter de répondre. "Salut Jay, désolée, je n'ai pas envie de continuer à t'écrire" ou "je n'ai pas le temps". Plutôt que de lâcher un vue. » Elle se figeait, un blanc s’installait. Sophie se mordait l'intérieur de la lèvre, essuyant ses mains humides d’être restées trop longtemps au contact de sa boisson sur ses cuisses. Il avait raison, elle aurait dû. Mais comment aurait-elle pu tenir si il avait insisté ? Non pas qu’il ne l’ait pas fait, bien au contraire ! Jeremy lui avait écrit plusieurs fois sans qu’elle ne lui réponde parce qu’elle savait que si elle craquait une fois, elle ne s’arrêterait plus.

- J’avais envie de te répondre... » Lâchait-elle. La brune se mordait la langue, se fustigeant intérieurement. « Jay, je… » Elle s'arrêta, pouvait-elle encore l’appeler par son surnom ? « Je suis pas à l’aise d’en parler ici, est-ce que tu veux bien qu’on aille dehors ? » Tout le monde pouvait entendre leur conversation et elle n’avait pas envie que l’on entende ce qu’elle avait à dire si elle trouvait le courage de le lui dire. « On pourrait marcher… » Son pouls s’était accéléré. Il pouvait dire non, il allait dire non. C’était quasiment sûr. « Tu me dois rien, je sais, encore plus avec la manière dont je t’ai traité, si tu veux pas c’est pas grave… » Sa gorge était serrée et on pouvait l’entendre dans sa voix. Sa main venait se poser non loin de la sienne, mourant d’envie de lui effleurer les doigts comme elle avait déjà pu le faire auparavant, lorsqu'ils flirtaient sans vraiment y faire attention, mais elle la ramenait bien vite vers son propre verre, préférant éviter le contact physique.

- Tu vois, moi, quand j'ai envie de faire quelque chose, je le fais. » Ça, elle l’avait pas volé. Il se mettait à rire alors qu’elle venait de lui dire qu’elle avait envie de lui expliquer, mais qu’elle n’était pas à l’aise d’en parler dans un starbucks. Elle était blessée. Avait-elle eu raison de le ghoster comme elle l’avait fait ? C’est, en tout cas, ce que son comportement de l’instant la poussait à croire. « Ahah, très amusant. Je te signale que c'est toi qui es venue à ma rencontre. Si tu as quelque chose à dire, tu n'as qu'à le faire ici, je pense t'avoir assez couru après avec ma centaine de messages sans réponse pour ne pas avoir plus d'efforts à faire que ça. » Elle serrait les dents. Une pointe d'énervement naissait dans l’estomac de la brune. Il avait raison « Ce n'est pas que je ne veux pas, Sophie. C'est que tu as eu un million d'opportunités de le faire et tu me sors des excuses comme "j'étais occupé". Comme si, moi, je n'avais pas eu mieux à faire que d'envoyer autant de messages sans réponse. T'es pas la seule à avoir une vie, tu sais. » Sophie ouvrit la bouche, s'apprêtant à retorquer, mais elle se taisait. Elle n’avait pas le droit d’être en colère parce que ce qu’il lui disait était légitime. Et elle comprenait que si il riait ce n’était pas par rapport à son malaise, mais plus par l’ironie de la situation. Si quelqu’un devait être gêné, c’était bien lui pour le coup.

- Je sais même pas comment t’expliquer, j’ai l’impression que tu seras fermé quoi qu’il arrive et en même temps je l’aurais cherché… » Disait-elle résignée. « C’est juste que je… » Le fermait les yeux l’espace d’un instant, l’agacement se lisant sur son visage. « Ma dernière relation s’est très mal finie. Mon ex a été… violent… » Elle se mordait la langue, prenant une longue inspiration pour calmer l’anxiété qui arrivait au galop à chaque fois qu’elle se mettait à en parler. « Je n’ai connu personne depuis et le peu avec qui j’ai essayé ça s’est toujours mal passé... » Elle prenait une gorgée de sa boisson. « Même ce qui devait être des histoires sans lendemain n’ont jamais abouti… » Oui, Sophie était du genre à avoir des coups d’un soir, même si ils n’avaient jamais été nombreux, elle avait déjà eu quelques one shot. « Mais toi tu me plais, énormément, et c’est pire, parce que… » Elle cherchait les mots, sa jambe tapant frénétiquement sur le sol. « Parce que si ça marchait pas, si je pouvais pas te donner ce que tu veux, si tu t'impatientes, je sais que je vais souffrir… » Elle posait ses yeux sur lui, se mordant une fois de plus l'intérieur de la lèvre.  « Je vais pas te mentir, c’est l’un des trucs les plus durs que j’ai eu à faire jusqu’à maintenant… Ne pas t’écrire, ne pas te voir… » Elle s'arrêta.  « Je te demande pas de comprendre, je te demande pas de faire comme si de rien était. » Elle détournait le regard, attendant une réaction.

La réaction ne se faisait pas attendre et comme elle s’y attendait, celle-ci n’était pas de bon augure. Sophie prenait sur elle, c’était de sa faute, entièrement de sa faute, elle en avait conscience, elle ne pouvait donc pas exploser face à Jeremy, elle n’avait pas le droit de lui demander de comprendre sa situation et son comportement. Il n’avait pas mérité qu’elle arrête de lui écrire et de faire comme si il n’existait pas. La brune avait merdé, pleinement, gravement. Elle en était certaine, tout était fichu maintenant.

- T'as raison, je serai fermé. Mais tu peux pas me le reprocher, tu n'as ni été ouverte ni honnête avec moi. Parce que le silence reste une omission. » Non, elle ne lui reprochera rien, comme elle l’a dit, comme elle le sait, il n’y est pour rien dans cette histoire, il n’a fait que subir les insécurités de la jeune femme. « Si depuis ça s'est toujours mal passé, tu devrais peut-être penser à changer de comportement de ton côté aussi. Arrêter de mettre tout le monde dans le même panier. » Ça, ça l'avait blessé. Ça lui faisait mal de l’entendre dire une chose pareille. Les réactions aux traumatismes sont parfois inexplicables, incontrôlées. Avant Jay, elle avait essayé, mais son corps avait refusé tout bonnement. Jay c’était le premier avec qui elle avait noué une relation amicale avant de ressentir une attirance et une envie d’aller plus loin. Et c’est ça qui a effrayé la brune. « Je te plais ? Je te plais ? Tu te fous de ma gueule, c'est ça ? Si c'était le cas, t'aurais peut-être fait preuve d'honnêteté ou simplement dit que tu n'étais pas prête. Tu sais quoi ? Je suis pas un connard, d'ordinaire, et moi aussi je suis un être humain doté de sentiments. T'es pas la seule dans ce cas, à pouvoir souffrir, à risquer de souffrir. Si c'était aussi dur que ça, de ne pas me répondre, comme tu dis, il faut croire que c'était plus difficile encore de faire preuve d'un peu de respect et de considération. » Elle ne disait rien, pinçait les lèvres pour essayer au maximum de retenir les larmes qui se trouvaient à deux doigts de couler. Elle avait honte. Le rouge aux joues, elle ne regardait pas Jay se lever et prendre ses affaires.

- Je… » Bafouillait-elle. « Je suis désolée, Jay… » C’était tout ce qu’elle réussissait à articuler. La brune n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire. Se lever pour tenter de le rattraper ? Qu’est-ce que cela changerait ? « T’as raison, y a rien à dire pour ma défense, j’ai pas été honnête et j’ai plus qu’à m’en mordre les doigts… » Elle s’était levée à son tour pour lui faire face, il le méritait après la façon dont elle l’avait traité.