Aayden&Bastian • it's all family matters

Klaus et Juliette lui avaient envoyé un message. Ils étaient inquiets. Ils savaient désormais que leur fils était à Hambourg depuis tout ce temps, sans jamais leur donner de nouvelles. Il n'avait pas menti, Bastian. Il ne leur avait juste rien dit. Car après tout, il n'y avait rien à dire. Il souffrait de l'absence, il souffrait des présences. Il préférait s'éloigner de tout, s'éloigner des autres, et se concentrer sur sa psychose du moment : Ayleanna. N'importe quel psychiatre sain d'esprit l'aurait fait suivre une thérapie, et aurait peut-être même fait valoir une mesure d'éloignement vis à vis de la jeune femme. Et pourtant, personne n'en était arrivé jusque là. Parce que personne, mis à part Simon et Clément, ses amis de toujours qui garderaient le secret des erreurs de Bastian à tout jamais des secrets, n'était au courant. et c'était mieux ainsi.

Ils l'avaient invité à un repas de famille. Une fois. Puis deux. Puis trois. Juliette avait jeté l'éponge, et c'était le coeur serré qu'il s'était imaginé que sa mère avait pleuré, en comprenant qu'elle ne verrait pas son fils. Il n'avait même pas fait l'effort de venir voir sa petite soeur. Il ne voulait voir personne qui allait lui poser des questions, ou le regarder, les sourcils froncés d'inquiétude. Non, tout ça il n'en voulait pas. Ce qu'il voulait, c'était qu'on lui fiche la paix. Mais voilà déjà presque un an que ses parents savaient qu'il était en ville. Et depuis tout ce temps, Si Juliette n'avait pas cherché à forcer son fils, il avait eu d'autres messages, d'autres invitations. Une fois, deux fois. Certains s'acharnaient encore à essayer de le voir, et d'avoir des nouvelles de lui. Des fous, qui avaient du temps à perde.

Et finalement, c'était Marianna qui avait mis son grain de sel dans toute cette histoire. Elle lui avait simplement demandé de passer, pour les 65 ans de Klaus, leur père. Il ne pouvait plus y rééchapper, Clément avait été très clair avec lui. Louper l'anniversaire de son père, ça ne se faisait pas. On pouvait souffrir la mort de la disparition d'un être aimé, les parents et la famille, c'était sacré. Il était invité à son anniversaire. Alors, il était temps de mettre de côté sa déprime et de se lancer. La famille, c'était tout ce qui comptait.

Alors, en traînant des pieds, il était allé voir ses parents, une première. Il s'était préparé aux yeux pleins de larmes de Juliette et aux regards inquiets. C'était ce qu'il appréhendait le plus. Marianna lui avait dit qu'il n'y aurait "pas grand monde" et lui avait donné l'adresse du restaurant qu'ils avaient réservé pour l'occasion.  Il craignait ce qu'il allait voir, mais surtout, il ne voulait pas être le centre de l'attention. L'avantage avec un anniversaire, c'était que tous les yeux seraient rivés sur Klaus, et non sur lui. Au moins, pour faire signe de vie, c'était un premier bon signe, non ?

Il avait acheté quelques semaines avant des mets français dont son père raffolait, pour les lui offrir. Et il avait eu de la chance, ils étaient arrivés la veille. Il avait juste eu le temps de les emballer et de les prendre sous le bras pour se rendre, habillé très simplement, juste assez pour constater l'effort, pas suffisamment pour que ce soit un effort notable.

Et puis, il était arrivé. Un "petit" comité, lui avait dit Marianna. Il y avait toute la famille d'Allemagne, et certains du côté de Juliette, qui habitaient à Mulhouse qui était là. Et bien évidemment, quelques amis qui avaient pu se rendre aussi. En les comptant, il en remarqua 5..  Au début, Bastian avait pesté. Puis il avait réalisé que c'était l'occasion rêvée pour être à un repas de famille, le tout sans jamais se faire trop voir, en pouvant resté de côté, noyé dans la foule.

En quelques pas, Bastian avait souhaité un bon anniversaire à son père et salué sa mère. Marianna n'était pas dans le coin, et heureusement pour elle. Elle en aurait entendu parler longtemps. Et finalement, Bastian prit un verre de vin, et s'éloigna pour aller siroter dans son coin, en jaugeant des yeux les invités. Il y en avait du monde. Et la majorité, qu'il ne connaissait que des vieilles photos que Klaus lui avait montrées quand il était plus petit, ou alors de la famille qu'il avait ajoutée en amis Facebook à qui il souhaitait l'anniversaire par politesse, mais qu'il n'avait jamais rencontrée. Oui, il y en avait des gens qu'il avait manqué pendant tout ce temps.

Il remarqua un jeune homme, plutôt de l'âge de Marianna, et, ne se souvenant pas de son visage, il le prit pour un serveur. «Excusez moi ? Est-ce qu'il y a autre chose que du vin... Vous n'avez rien de plus fort... Vous savez pour fêter l'occasion ?» Si seulement il avait réalisé qu'il s'adressait à son cousin. Ajouter les gens sur Facebook, c'était une chose, regarder les photos pour savoir à quoi tout le monde ressemblait, c'en était une autre.

Il aurait bien aimé ne pas se faire remarquer, et rester incognito. Sa vie avait pris un tournant pourri, depuis quelques années, et il voulait tout simplement arriver à passer à autre chose. Mais le souvenir constant d'Elise dans les paroles de sa famille, dans les regards compatissants, peinés, et pleins de pitié. Il remarquait certains visages qui le reconnaissaient. Certains visages qui instantanément, devant son air, semblaient changer, et virer dans un instant de pitié. Il était suffisamment habitué pour savoir qu'il fallait qu'il parte dans son coin pour éviter les gens.

Il avait de la peine pour son père, car il était incapable d'assister à une réunion de famille sans s'enfuir, se cacher et disparaître. Il en voyait toujours à sa soeur de lui avoir caché la réalité des choses, mais il ne pouvait pas constamment resté calfeutré dans son coin, à attendre que la mort ne vienne le prendre. Il avait compris il y avait un long moment déjà qu'elle ne voulait pas de lui. Alors, il devait prendre sur lui, et garder le poids de cette tristesse, apprendre à vivre avec, et se reconstruire.

En réalité, il était sur la bonne voie. Il était là, devant tout ce monde, et n'avait rebroussé chemin. A titre personnel, il acceptait de sortir, et de voir Ayleanna. Non, ce n'était pas vraiment un symbole de santé que de la voir quand on connaissait la réalité. Mais il s'en fichait. Leurs derniers échanges n'étaient pas noyés de souvenirs d'Elise, mais de bons moments passés ensemble. D'un véritable nouveau goût de la vie. Alors il voulait y croire et se lancer.

La preuve en était : il s'était adressé à un serveur plutôt que d'aller chercher par lui-même et de jouer au vieux bougon quand on l'y prendrait, et qu'on lui donnerait des remontrances. Finalement, il était capable de mieux, non? Mais s'il ne s'attendait pas à quelque chose, c'était que la voix dudit serveur ne le sorte d'une drôle de torpeur. Il ne l'avait pas vu ni entendu depuis longtemps, toutefois il était capable de reconnaître la voix muée de son cousin. Et les paroles de cet homme lui firent plisser les yeux.

«Wow... Effectivement, non je ne t'avais pas reconnu.» Plus par envie que par politesse (les efforts arrivaient enfin), il se leva et donna une accolade à Aayden. «A ma décharge, t'as bien changé depuis que... hé bien, depuis la dernière fois que je t'ai vu !» dit-il en riant un peu jaune, en essayant d'oublier les moments difficiles liés à leur dernière rencontre. «Comment tu vas ?»

Alors de toutes les gourdes du monde, s'il y en avait bien une grosse à éviter, c'était bien de ne pas reconnaître son cousin. Son propre cousin. Son cousin germain ! Franchement, c'était un peu la honte, quand même... Mais tant pis, c'était fait, et Bastian ne pouvait plus revenir en arrière. Il grimaça légèrement en secouant négativement la tête, tout en levant son verre dans la direction d'Aayden.  «Je suis plutôt pas d'accord. Et c'est pas ce vin horrible qui fait peser la balance dans je suis pas d'accord.» Comment ça "une bonne bouteille" ?

Bon, d'accord, peut-être que le fait d'avoir un peu bu et d'être totalement enfermé dans sa boucle était un facteur aggravant de ne pas avoir remarqué qu'il s'agissait du Aayden avec qui il avait joué toute son adolescence. Oui, il était plus jeune que lui, mais il jouait toujours avec lui au ballon, en prenant sur lui d'envoyer la balle le plus doucement possible. Aayden avait cinq, peut-être six ans, un peu comme Mariana. Et lui onze ans de plus. Enfin, un cousin qui avait bien grandi, au point où ses deux neurones ne s'étaient pas connectés pour le reconnaître. Bastian se racla la gorge, en espérant que son erreur n'allait pas être décisive pour la suite.

«Wooow, le Hockey. Mais ça fait un bail, non ? Tu joues à quel poste déjà ?» Il était tellement nul dans les choses de famille ! Non mais vraiment, il oubliait les choses importantes de sa famille, ce qui comptait pour ses proches...
Mais toutefois, c'était intéressant, et la passion dans la voix de l'homme était encore plus enthouasiasmante. Il aimait ça, et c'était super cool.
«Et comment ça se passe, cette saison alors ? Pardon, j'ai pas trop suivi, je t'avoue même que j'avais un peu zappé dans quel sport tu t'illustrais..» dit-il en plaidant coupable. Et comme s'il suffisait que de cela, il fallait qu'il lui retourne la question. Bon, et bien...«Un peu compliqué de mon côté disons.. J'ai... Subi un deuil, ce qui m'a fait venir m'installer en Allemagne et quitter la France.» soupira-t-il en espérant ne pas en dire plus. Il ignorait si Aayden se souvenait d'Elise, mais honnêtement, il souhaitait très fortement que le prénom de sa défunte épouse ne soit pas prononcé. Après que pouvait en savoir Aayden ? Ce n'était pas comme s'il avait donné des nouvelles à sa famille depuis la France, ou comme s'il avait tout simplement indiqué au jeune homme QUI il avait perdu, quelle perte lui avait fait être totalement déconnecté de la réalité à une fête familiale à laquelle il avait l'impression de participer comme un clown, un simple spectateur. Aayden ne pouvait pas savoir.

Et donc, comme prévu, Bastian est passé pour un parfait crétin. Il parlait déjà de Hockey avec Aayden, ayant oublié que, déjà lorsqu'ils étaient enfant, il en jouait, et qu'il avait des sessions même quand Bastian était en visite chez eux, et qu'il venait passer les vacances chez son oncle et sa tante. Super, décidément, il méritait une médaille du meilleur cousin. Il se pinça les lèvres et fit claquer sa langue en l'entendant. Evidemment, et maintenant que ça avait été dit, il s'en souvenait. «Je... Je suis navré, désolé.» Tellement à la ramasse sur la vie qu'il avait même oublié un indispensable de "Denden" comme il l'appelait quand il était plus jeune : le hockey et être un gardien. Evidemment, et encore une fois, dès que ça avait été dit, il se souvenait très bien de tout ça. Bon sang, il s'était déconnecté de la vie depuis combien de temps, exactement, pour tout avoir oublié ? «Le pire c'est que je le sais très bien mais... je... j'ai oublié.» avouait-il à demi-ton, en marmonnant dans sa barbe. Quel con !

«Ah ouais, tant que ça ? Après le hockey, c'est quand même assez violent parfois comme sport... Je me souviens de certains matchs, c'est presque à se demander comment vous tenez debout après tous ces coups..» Il fallait dire que les matchs avaient bien souvent des allures de catchs plus que de hockey, mis à part  qu'ils avaient une crosse en plus, et qu'ils poursuivaient un palet. C'était clairement pas le genre de match dans lequel Bastian s'engagerait en toout cas.

Parler d'Elise était inévitable, en réalité, depuis le temps qu'il n'avait pas vu Aayden. Dans ses souvenirs, des souvenirs très flous, il n'était pas venu à l'enterrement, à l'instar d'un certain nombre de la famille, qui n'avait pas pu se déplacer comme ils le souhaitaient. C'était douloureuc d'en parler, mais entendre les condoléances d'Aayden, ça comptait. Bastian lui offrit un vague sourire.
«Ma femme, oui. Et notre enfant à naître aussi...» Il posa sa main sur son épaule rapidement. «C'est rien, tu pouvais pas savoir. Je ne t'en veux pas.» La plaie "Elise" était encore ouverte, et encore bien présente, même si des petites choses de la vie venaient l'aider à cicatriser. C'était compliqué à annoncer, ce genre d'information, peu importait le temps depuis lequel elles étaient réelles.

«C'est pas grave, vraiment. Et puis... ça fait du bien d'en parler. Papa, maman, Mariana... Ils ont tous du mal à en parler, et ils font comme si elle n'avait pas existé, ou comme si c'était oublié. C'est douloureux, plus encore que le souvenir qui me donne l'impression de s'effacer, jour après jour.» Il était vrai que de se rappeler qu'elle avait bien existé, que cette douleur était réelle, ça ne faisait jamais vraiment de mal.

«La vie continue !» affirmait-il avec un nouveau sourire tout aussi bref.  «Je vois donc que toi aussi, la famille, c'est pas super ton truc quand même, hein ?» ajoutait-il en riant légèrement.

C'était compliqué, de reprendre contact avec la famille, encore plus encore quand on est un Sachs, encore plus encore quand on a vécu quelque chose qu'on souhaiterait oublier. Evidemment, il ne veut pas oublier sa femme, les belles années vécues avec elle, mais il voudrait oublier la douleur, la peine de l'avoir perdue. Il voudrait être en mesure d'accepter ce destin, et si les choses semblent s'aligner pour l'aider... Cela reste très difficile.

Il sourit à Aayden, un sourire difficile, mais pourtant bien réel. «Les miens aussi ont oublié. Ou peut-être que c'est sciemment zappé... Ils font mine de rien, et c'est loin d'être idéal... Mais bon, on fait avec hein.» Juliette, sa mère, avait parlé un peu plus tôt d'Elise, avant de remarquer que le regard de Bastian avait été attiré vers elle. Instantanément elle avait changé de sujet, et n'avait rien fait de plus.. C'était ça, le plus douloureux; Cette fausse indifférence, ce faux semblant d'aller bien.. Pas de devoir en parler à quelqu'un qui ne savait pas comme son cousin.


«Bienvenue dans la famille Sachs.» Ironisa-t-il. Il était plus vieux que Aayden, et il avait vu plus de choses dans le fonctionnement de leur famille. Peut-être qu'il perdait plus facilement patience que son cousin, ce pourquoi il avait un peu coupé les ponts avec le temps. Il rit légèrement, plus un rire d'agacement qu'autre chose, en entendant son jeune cousin. «Oh bah tu sais, l'anniversaire de Klaus, c'est un show annuel de la famille..» Son père avait tellement besoin de se faire voir qu'il en oubliait qu'on pouvait avoir une vie qui n'impliquait pas de réserver sa journée à passer du temps en famille, et le lendemain à manger les restes. Chaque année, Klaus prenait deux jours dans les alentours de son anniversaire, mais jamais la vraie date de son anniversaire, et bloquait tout le monde pour passer du temps ensemble. Quand on a de l'argent... On peut bien se permettre de ne pas travailler deux jours, sans compter férier le jour de son anniversaire pour le cercle plus restreint de la famille. Décidement, tout ça n'a pas manqué à Bastian.

«Mais du coup, t'es là tous les ans ?» grimaça-t-il, en réalisant qu'Aayden avait probablement vécu plus d'anniversaire de son oncle que Bastian de son père. Parce que lui, ça faisait bien 7-8 ans qu'il ne venait plus, ou en tout cas, trouvait des bonnes excuses pour s'absenter, et se contenter du jour J anniversaire.

En terme d'hypocrisie, il aurait fallu être aveugle pour ne pas réaliser. «Encore une fois, la famille Sachs. Je pense qu'autrefois, Sachs, ça devait vouloir dire quelque chose dans les termes hypocrites, c'est obligé.» tenta-t-il de dédramatiser, en riant un peu -et en s'étouffant avec son verre dont il avala une gorgée de travers.