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 Le temps d'un café [Inga]

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Le temps d'un café [Inga]
Ven 2 Oct 2020 - 10:45

Les cours à l'Université n'ont pas encore commencé, pourtant c'est un sac sur l'épaule qu'Ida sort de chez elle en trombe. Il est dix-neuf heures, la lune a déjà remplacé le soleil depuis une bonne demi-heure et le vent vient de se lever. Parka sur les épaules, collants, robe en velours et bottines, tous noir, la demoiselle se dépêche de récupérer son arrêt de bus où le véhicule ne tarde pas à s'arrêter. L'anxiété remplace la jubilation qu'elle a senti toute la journée durant. Et si elle n'avait pas sa place ? Si elle ne savait pas quoi dire ? Si... Tellement de si que la demoiselle commence à flipper, assise à l'arrière du bus qui chemine direction le centre. Ida finit même par se dire qu'elle va rentrer, tout simplement. Les débats littéraires, ce n'est pas fait pour elle. Voici ce qu'elle se convainc alors que le bus s'arrête au Terminus. La gorge nouée, la demoiselle prend son courage à deux mains et se lève pour descendre, bravant la fraîcheur de la nuit et de l'automne qui s'installe doucement mais sûrement. Le bus ne fait qu'un aller simple. Soit elle attend celui qui le remplace, soit elle se dirige vers sa destination de base. Ida opte pour le seconde option, comme elle est déjà dans le centre. Elle avisera et, au pire, ne parlera pas ce soir. Elle sera observatrice, c'est pas mal pour un début. Rajustant son sac sur l'épaule, la demoiselle se dirige vers le café où aura lieu le débat littéraire.

« À bientôt, j'espère. » nous salue l'organisatrice, tout en les invitant à se joindre au petit buffet préparé pour l'occasion. Ida se lève de son coin et se dirige d'un pas furtif vers la sortie. Manger, c'est pas son fort. La soirée a été bonne. Excellente même. Pourtant, elle ne se sent pas spécialement à sa place, étant la plus jeune du groupe. Elle n'a pas pris part au débat, préférant écouter plutôt que de se montrer devant des inconnus. « Vous vous sauvez ? » s'interpose un grand blond, barrant la route vers la sortie à la demoiselle. « C'est la première fois que je vous vois, voulez-vous que je vous présente ? » lui demande-t-il, tout sourire. Gênée, Ida lui rend son sourire avant de hocher la tête en signe de négation. « Non, non, ça... » mais elle est coupée dans sa phrase quand son regard s'accroche sur une silhouette juste derrière l'homme. Une silhouette qu'elle connaît. Son sourire s'efface, tandis qu'elle balbutie un « Excusez-moi. » et contourne l'homme pour s'approcher d'une jeune femme. « In-Inga ? » demande-t-elle à la jeune femme qui lui tourne le dos, prise dans une discutions visiblement vive avec deux autres personnes.

Inga Dinckel. Jeune femme bien plus âgée qu'elle, mais avec qui elle a su établir une relation de confiance plus jeune. Une personne qui est sortie de sa vie – ou est-ce elle qui a disparue de celle d'Inga ? - depuis déjà cinq bonnes années... Une personne que la demoiselle ne s'imaginait pas rencontrer ce soir, lors d'un débat littéraire qui plus est. Le doute s’immisce en elle, pourtant, comme elle interrompt l'échange, demandant après une dénommée Inga. Peut-être n'est-ce qu'une femme qui lui ressemble bien trop ? Ou peut-être que ses souvenirs la trompent... Qui sait ?
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Re: Le temps d'un café [Inga]
Mer 7 Oct 2020 - 0:00



Le temps d'un café
IDA & INGA


Absence totale de productivité. Il n'y a pas de meilleure formule pour décrire la journée qui vient de s'écouler. J'ai passé les dix dernières heures clouée sur mon canapé à disparaître sous mon plaid, les yeux rivés sur les meilleures productions audiovisuelles que les algorithmes du monde moderne avaient à m'offrir. Je regarde l'heure puis le pyjama dans lequel je m'étais réveillée ce matin et je me mets à rire. L'année dernière, à la même date, je tenais une conférence à San Francisco devant un millier de personnes et je m'apprêtais à rencontrer le nouveau gouverneur de Californie. Tout ce chemin parcouru pour en arriver à ne plus laisser ma marque que sur les coussins moelleux de mon sofa. La vie n'est qu'une gigantesque supercherie, c’est tellement absurde que je m’en esclaffe. Je me lève pour aller préparer la troisième théière de la journée et remarque que mon portable est négligemment posé dans mon placard, devant les bocaux d'oléagineux. Incrédule, je hausse les sourcils puis jette un œil sur mes notifications en quête d'une dose de dopamine. J'ouvre le dernier message reçu. « On te voit ce soir, hein ? On parle de Jane Austen, tu vas te régaler. À tout à l'heure ! Adrian. » J'esquisse un sourire perplexe, me demandant si j'avais véritablement envie de passer la soirée à voir sa tignasse blonde se prendre pour le Darcy du café littéraire où il semblait m'attendre de pied ferme. J'attrape mon téléphone et rejoins le coin salon, oubliant la raison qui m'avait amenée à l'autre extrémité de la pièce. Mon corps entier semble englué dans la chaleur rassurante de mon intérieur mais je sens que cet événement m'appelle. Est-ce l'attrait des exercices d'éloquence, vestiges de mon existence passée ? Est-ce l'appel de la vie sociale, le besoin de réanimer mon cerveau ou la volonté de clouer le bec à ces personnes qui ne comprennent rien à l'œuvre de Jane Austen ? Probablement tout ceci à la fois. Sans réfléchir, je troque mon pyjama contre un jean et un pull. Une vingtaine de minutes plus tard, je me retrouve dans ce fameux café que je connais trop bien, en pleine joute verbale avec un type qui tente de persuader l'auditoire que l'œuvre de l'autrice britannique n'est absolument pas engagée, cherchant à m’interrompre dès que mon argumentaire excède les dix secondes. Et le grand blond se gausse.

Le débat m’a donné faim. Mon estomac hurle d’autant plus que je n’ai quasiment rien mangé de la journée. Je fonce vers le buffet, grappille une poignée de nachos et jette mon dévolu sur le bol de guacamole, échangeant quelques banalités avec une connaissance. Je sens soudain une main se poser sur mon bras. Je tourne brusquement ma tête et reconnais immédiatement le visage de mon adversaire de la soirée. Je fais un pas en arrière, rompant tout contact physique avec ce personnage qui ne m’inspire aucune sympathie. Il me sourit et me lance d’un air fier : « Il me serait facile de pardonner votre orgueil s’il n’avait gravement blessé le mien. » Je me fige quelques secondes, les yeux écarquillés, tout à fait outrée par sa récupération opportuniste et malvenue de cette citation culte puis, après une tentative infructueuse d’autocensure, je laisse mon rire s’élever dans la pièce. « Pardonner mon orgueil ? Vous en avez, de l’aplomb. Si le vôtre ne supporte pas que je parle plus fort que vous, c’est votre problème, pas le mien. » Le quidam semble prendre la mouche, ses yeux s’emplissent d’une agressivité nerveuse. « C’est bon, c’était de l’humour, visiblement un peu trop subtil et savant pour vous. Pas besoin de réagir comme une hystérique. » Je sens monter en moi une rage mêlée de lassitude, lassitude car je connais par cœur le script de la querelle stérile qui s’annonce. Mon regard offusqué croise celui de la femme qui assiste stupéfaite à la scène puis mon attention se reporte sur le type. « Bravo Monsieur, ça c’est de l’argumentation. Je suis navrée de ne pas avoir cajolé votre ego en relevant votre citation douteuse mais Austen s’est déjà suffisamment retournée dans sa tombe pour ce soir. »  Je vois son dépit faire trembler ses membres et crisper sa mâchoire. Alors qu’il s’apprête à répliquer une énième ineptie, une voix féminine prononce mon nom et le coupe dans son élan, privant l’assemblée de sa verve. Je ne peux m’empêcher de sourire, louant cette heureuse intervention.

Je me retourne et soudain, l’atmosphère se transforme. L’odeur des fleurs de lys mêlée à celle des petits fours à la pâte feuilletée encore brûlante et du champagne hors de prix sature ma mémoire olfactive. Je sens autour de nous la présence de spectres d’un autre temps. Instinctivement, je me redresse et corrige mon port de tête. Je la reconnais. Ses yeux m’avaient toujours marquée. « Ida Engelwald ? » J’élargis mon sourire, enthousiasmée par ces retrouvailles. Je n’ai jamais tout à fait saisi pourquoi je m’étais attachée à cette jeune fille de presque vingt ans ma cadette. Après tout, nous avions seulement partagé quelques conversations lors d’événements mondains. J’avais pourtant toujours eu l’impression qu’une aura particulière se dégageait d’elle, comme si elle détonnait dans cette masse qui m’insupportait, comme si nous détonnions ensemble. C’était imperceptible pour les autres mais pour moi, cela relevait d’une forme d’évidence tacite, impalpable, instinctive. Nous étions complices et je me devais d’être son alliée. Elle était souvent la mienne. Lorsque je n’en pouvais plus de m’écharper avec ces adultes dont les discours me donnaient la nausée, je partais m’assoir avec elle dans le coin de la pièce et je l’écoutais parler, je me nourrissais de cette lucidité et de cette clairvoyance qu’ont souvent les gamins. Ida a toujours les mêmes yeux mais elle n’est plus une enfant. « Qu’est-ce que tu as grandi… » Je me fais la réflexion que je parle comme une vieille, cela me désole autant que cela m’amuse. Je ne peux m’empêcher de remarquer sa silhouette famélique mal dissimulée par sa tenue d’ébène et une foule d’interrogations se bousculent dans mon esprit. Je décide de les chasser, pour l’instant du moins, de peur que mes yeux ne trahissent mes pensées. « Qu’est-ce que tu deviens ? Ça fait tellement longtemps ! » Je la prends doucement par le bras pour l’écarter du malotru qui rumine encore derrière nous, me délectant à nouveau de la manière dont nos retrouvailles lui avaient coupé l’herbe sous le pied.


Dernière édition par Inga Dinckel le Sam 31 Oct 2020 - 21:46, édité 1 fois
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Re: Le temps d'un café [Inga]
Mer 14 Oct 2020 - 21:43
La soirée débat littéraire sur l’un des auteurs les plus connus de la Terre entière, est-ce cliché ? Pour Ida, nullement. Jane Austen a su, à bien des égards, faire entrer le roman dans l’ère de la modernité. Il va donc de soi d’en parler, d’en discuter et d’en débattre. La demoiselle, pourtant, a l’impression de faire une redite de son cours de littérature comparée. Si elle aime bien ce cours, elle ne suit que d’une oreille ce qu’il se dit dans le café. Entre ceux qui pensent avoir la science infuse et les autres qui sont convaincus de ce qu’ils disent, la blondinette se renferme sur elle-même et ne prête que peu d’attention au débat. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles elle ne la capte pas avant, la Dinckel et sa verve cinglante.

Pourtant, Ida tique. Elle interrompt l’homme pour se diriger vers le petit groupe où elle en est sûre, au moins à quatre-vingt-dix pour cent de l’identité de la jeune femme. Alors elle demande, elle interpelle, interrompant l’échange visiblement passionné qui réside entre eux. La jeune femme se tourne et lui montre ainsi un visage connu d’il y a des années maintenant. Un visage qui a vieillit, nul doute là-dessus, comme les années se sont écoulées depuis la dernière fois qu’elles se sont vues. Pourtant, Inga reste Inga. Par son port de tête qu’elle redresse instinctivement en croisant le regard azur de la demoiselle. Par ses yeux qui s’illuminent, hantés par les spectres d’un temps ancien, sûrement oubliés dans un recoin de son esprit. Par sa tignasse brune, toujours aussi indomptée que lorsqu’elles se retrouvaient à ces soirées mondaines dont ni l’une ni l’autre ne souhaitaient y mettre un pied ! Le visage alors fermé de la jeune femme s’éclaire et un sourire vient étirer ses lèvres tandis qu’elle prononce le nom de la demoiselle. Cette dernière esquisse un sourire à son tour, rassurée de ne pas avoir commis d’impaire. Après tout, quel était le pourcentage de chance de tomber sur Inga Dinckel dans ce café ?!

Son sourire s’élargit comme Inga s’étonne de la poussée de la demoiselle. « Et toi, qu’est-ce que tu as vieillie. » rigole-t-elle, ironique. Inga lui demande alors ce qu’elle devient, la prenant par le bras pour l’éloigner du groupe, comme elle le faisait jadis. Ida la suit et c’est enjouée qu’elle se livre : « Je suis à la Fac, enfin, je commence cette année. » commence-t-elle avant de froncer les sourcils. « Pourquoi t’es partie du jour au lendemain ? » demande-t-elle de but en blanc avant de soupirer. « Sans toi, les soirées mondaines étaient bien trop sérieuses. »

Inga avait disparu du jour au lendemain, laissant une Ida dépitée de ne plus avoir d’acolyte avec qui parler et s’échapper de ces mondanités exaspérantes. Elle avait mal vécu son départ et n’avait assisté qu’à deux ou trois repas avant de finir par de plus s’y rendre, décidant ainsi de ne plus suivre sa famille. Kathryn avait essayé, pourtant, de la convaincre de venir plus d’une fois, évoquant comme Angelika s’y amusait, elle. Sauf qu’Ida n’était pas Angy. Elle ne l’est d’ailleurs toujours pas et ne sera jamais comme son aînée.
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Re: Le temps d'un café [Inga]
Jeu 22 Oct 2020 - 12:34



Le temps d'un café
IDA & INGA


J’éclate de rire lorsqu’Ida me rappelle à mon grand âge. « Je ne vais pas te contredire. Je mets de la crème anti-rides maintenant, imagine ! » Je soupire avec ironie, irrésistiblement propulsée vers le passé. A l’époque de nos soirées mondaines et malgré sa jeunesse, elle avait déjà cette vivacité d’esprit qui la rendait bien plus intéressante à mes yeux que les hypocrites décrépis dégoulinants de fourberie autour desquelles tout le monde semblait graviter. J’avais joué le jeu, pourtant. Bien trop longtemps. Il y avait cet accord tacite entre mes parents et moi depuis l’adolescence, ils toléraient jusqu’à un certain seuil ma révolte et mes frasques mais je leur devais en contrepartie ces quelques heures mensuelles de spectacle social. J’ai un souvenir vivace de ce week-end qui avait suivi mon exclusion temporaire du lycée suite à mon épique sauvetage des souris du laboratoire de sciences naturelles. Pendant mes trois jours d’enfermement dans la grande demeure familiale, je n’avais communiqué avec mes parents qu’à travers des silences pesants ponctués par des regards insolents et des répliques provocantes. Le samedi qui avait suivi, j’avais pourtant passé une soirée entière engoncée dans une robe de cocktail inconfortable à débattre d’architecture russo-byzantine avec mon père et l’adjointe au maire en charge de l’urbanisme. Je l’avais laissé me prendre par le bras et m’embrasser sur la joue devant tout le monde alors que je le détestais du plus profond de mon âme. C’était une affaire de coutume, c’était ce que je me devais de faire, ce que je ne laissais pas être matière à réflexion. Le dernier bastion d’un héritage déjà condamné.

Lorsqu’Ida était rentrée dans ma vie, je m’astreignais encore à fréquenter ces événements une à deux fois par mois. Je m’y rendais par habitude, ignorant ce que je venais réellement y chercher. C’était un jeu nostalgique sans conséquences, une comédie légère au parfum de naphtaline que de remettre le masque de fille parfaite qui me collait au visage lorsque j’étais enfant. C’était du moins ce dont je tentais de me persuader. Dès les premiers instants, le regard clair et perçant de la jeune Engelwald avait ébranlé quelque chose en moi. Je crois qu’elle me rappelait la gamine que j’étais, la gamine qui s’était trahie en disparaissant pour chercher à plaire à tout prix, la gamine que je trahissais encore et encore à chaque fois que je m’obligeais à jouer ce rôle. A cette époque, je pensais souvent à elle et à ses yeux. Elle avait nourri le brasier interne qui m’avait donné la force de plaquer le droit pour partir vivre ma vie, enfin. C’est probablement de la Inga caustique, assertive et cinglante qui se plait à secouer ces soirées mondaines ennuyeuses à souhait dont Ida se souvient. Elle ignore sans doute qu’elle a participé à lui donner naissance.

Ida me parle de ses projets et je ne peux m’empêcher d’être subjuguée par la vitesse à laquelle le temps file. Je n’étais guère plus jeune que la future étudiante qui se tenait devant moi lorsque cette dernière était venue au monde. J’esquisse un sourire, notant à nouveau que je pense comme la vieille que je suis en train de devenir. Elle fronce soudain les sourcils et m’interroge sur la raison pour laquelle j’avais brutalement déserté les événements mondains. Je marque un temps d’arrêt, me demandant si elle s’exprime encore sur le ton de l’ironie ou si elle est vraiment sincère, si j’ai vraiment pu, su marquer la vie d’une adolescente. La réciproque est pourtant un fait avéré. Je me sens obligée de me justifier, culpabilisant presque de m’être ainsi évaporée. « C’était plus dur de venir après mon déménagement à Hambourg, tu sais j’étais toujours sur la route, entre un train et un avion… » Mes lèvres se pincent. Ce n’est qu’une partie de la vérité, il y avait eu un facteur déclenchant. Ida n’a plus treize ans, elle a l’âge de comprendre. « … et après avoir contribué à faire perdre l’équivalent du PIB des Seychelles aux membres de notre très chère communauté, je ne me sentais plus vraiment la bienvenue. »

C’était ma première grande victoire d’activiste, une victoire qui m’avait value ma réputation dans le milieu militant, une victoire qui avait signé mon divorce avec le microcosme aristo-bourgeois berlinois. C’était il y a un peu plus de cinq ans. Notre association avait empêché l’implantation imminente d’un site de production d’une firme pharmaceutique allemande dans une zone du pays à l’écosystème vulnérable, faisant perdre des sommes astronomiques aux investisseurs et actionnaires qui considéraient ce projet comme une valeur sûre. Notre tâche avait largement été facilitée par les informations confidentielles que j’avais su glaner au fil des mois pendant ces événements où gravitaient les hommes et femmes d’affaire les plus riches et influents du pays. Les puissants parlent beaucoup trop lorsqu’ils se sentent en sécurité dans le confort de leur entre-soi. J’avais su remettre le masque, j’avais su lancer des perches, j’avais su tendre l’oreille. Lorsque l’affaire avait éclaté, le regard que le milieu portait sur moi avait brutalement changé. Je n’étais plus la gosse de riches juste assez rebelle pour être divertissante mais somme toute attendrissante et inoffensive. J’étais devenue l’ennemie, la traitresse, le danger. J’étais devenue libre. Il y en avait eu d’autres, des coups d’éclat mais celui-ci m’avait permis de rompre mes chaînes. Égoïstement peut-être car j’avais laissé une alliée derrière moi. Qu’en avait-elle perçu, qu’en avait-elle compris, qu’en avait-elle pensé, la jeune fille qu’Ida était alors ? Quelques secondes s’égrènent tandis que je reste captive de mes songes. Parler du passé me fait bien trop souvent cet effet, je m’y perds si aisément. Je fronce les sourcils et me concentre à nouveau. « Mais assez parlé de moi, qu’est-ce que tu étudies ? » Un serveur distrait mon attention, passant devant moi avec un plateau débordant d’amuse-gueules. Je le décharge avec enthousiasme de trois toasts puis ressens le besoin de justifier ma gloutonnerie. « Je crève de faim, ces débats stériles m’ont épuisée. » Fichue relique de mon formatage social, ce besoin constant de me justifier d’avoir un estomac. Les plantes vertes ne mangent pas.
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Re: Le temps d'un café [Inga]
Ven 26 Mar 2021 - 21:15
« Je me disais aussi que tu en avais bien peu ! » éclate de rire Ida, retrouvant une ancienne comparse et amie dans cette boutade. Le temps avait passé. L’eau avait coulé sous les ponts et pourtant, Inga restait la même que dans ses souvenirs. Même si les deux femmes avaient évolué et grandi depuis l’époque, se retrouver c’était comme lorsqu’on mettait la main sur une ancienne photographie ou un objet du passé. L’un comme l’autre rappellent que trop bien ce moment passé, faisant jaillir des odeurs, des éclats de vies d’une autre époque. La nostalgie envahissant la jeune femme, elle finit par demander des comptes à la jeune femme. Si elle s’était sentie abandonnée, c’est bien la sensation de vide encore présente dans son cœur qui vient de lui faire sortir ces mots. Mots, malgré tout, qu’elle ne ravalera pas pour tout l’or du monde. Elle a besoin de réponses.

Les soirées mondaines, à l’époque où elle n’était encore qu’une gamine, Ida n’en a plus qu’un vague souvenir. De ce qu’elle se rappelle à brule-pourpoint, c’est bien la vivacité d’esprit de la jeune Dinckel – pourtant plus vieille qu’elle de quelques années. À elles deux, elles refaisaient le monde, rigolaient à n’en plus sentir leurs abdos et surtout s’accompagnaient l’une l’autre dans cette mascarade que leur jouaient leurs entourages. Si Ida avait perçu quelques brides de conversation au sujet de son amie lors des soirées qui suivirent sa fuite, encore trop jeune, elle n’avait compris que peu de choses. Pour le coup, seule l’absence criante de Inga se faisait remarquer et elle avait fini par fuir à son tour ces soirées mondaines…

Inga marque un temps d’arrêt qu’Ida remarque. La demoiselle attend patiemment une réponse qui vient tout aussi brutalement que ne l’est sa question. Si le début d’explication laisse sceptique la jeune femme, la suite, cependant, fait sens. Ida en avait vaguement entendu parler… Le Crash Rosenstrauss était connu de tout étudiant ayant suivi des cours d’économie. Encore plus si ce dernier est issu d’une famille aisée. « C’était toi ?! » s’exclame-t-elle, laissant ses lèvres s’étirer en un sourire étonné. « Whao. Je comprends mieux pourquoi tu t’es évaporée du jour au lendemain, madame Ennemie n°1. » ajoute Ida avec malice, non sans faire allusion à un autre type de livre.

« Ce que j’étudie ? Un peu de tout. Beaucoup de littérature, cela dit. Mais ça ne doit pas t’étonner, je suppose… » répond la jeune femme avec ironie. Son envie d’un jour ouvrir sa maison d’édition étant présente depuis la première fois qu’Ida a ouvert un livre. Alors qu’elle répond, la brune se jette sur un serveur qui passe trop près d’elles et déleste le plateau de trois toasts. Ida sourit à sa justification, ignorant au passage l’appel sourd de son ventre. « Moi, c’est de soif que je crève ! » rétorque-t-elle en attrapant au vol deux flutes de champagne. « À nos retrouvailles ! » lance-t-elle après avoir donné l’un des verres à son acolyte.
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Re: Le temps d'un café [Inga]
Lun 5 Avr 2021 - 22:28



Le temps d'un café
IDA & INGA


L'ennemie n°1. Je souris à l'invocation de cet archétype que je n'avais jamais cherché à incarner et que j'ai mis du temps à apprivoiser. « Tu comprends pourquoi j'ai dû me rabattre sur les cafés littéraires pour continuer ma carrière de pique-assiette ? » La surprise d'Ida face à cette révélation m'amuse autant qu'elle m'intrigue. Il demeure donc sur cette planète quelques membres de mon cercle social d'origine qui ignorent que j'ai été déclarée coupable de faits de haute trahison en vertu des Tables de la Loi des puissants. Plus j'y songe et plus je réalise que ce n'est pas totalement surprenant. Ida était jeune à l'époque, trop jeune pour qu'on la mette dans la confidence. Elle avait sans doute perçu l'ambiance sans les détails. Ce genre d'affaire, c'est un secret de polichinelle. Tout le monde sait mais personne n'ose remuer le couteau dans la plaie ni attirer la lumière sur soi, sur ses bourdes, sur ses torts. Dans ce dossier, je n'avais rien inventé. J'avais à peine creusé la surface. Il m'avait suffi de laisser la vanité humaine parler. Ceux qui auraient pu se lamenter ostensiblement d'avoir tant perdu avaient eux-mêmes fauté. Ils fanfaronnaient, fiers comme des paons alors qu'ils étaient en train de se faire doubler par une gamine. Mon nom était devenu tabou et, en parallèle, ma famille avait remué ciel et terre pour le laver, le désolidariser du scandale. La militante qui avait ébranlé l'empire Rosenstrauss était devenue une figure désincarnée, anonyme, dissimulée derrière l'ONG qu'elle représentait. C'était mieux pour tout le monde, y compris pour moi. Pour tout le monde sauf pour Ida, peut-être. A ses yeux d'adolescente, je n'avais laissé derrière moi qu'un épais mystère.  « Je pensais que tout le monde voyait la gigantesque cible dessinée sur mon front. Je pensais que tu savais. » J'esquisse un sourire troublé puis nous passons aux banalités d'usage, banalités qui sont loin d'être anecdotiques à mes yeux.

Je me suis souvent demandé ce qu'elle devenait, cette jeune fille qui avait tant marqué mon paysage à l'époque si bien qu'elle était presque devenue une figure symbolique de mes souvenirs. Le temps file et on ne le prend pas, puis il est trop tard. Il nous semble qu'il est trop tard du moins et on confond l'intérêt sincère que l'on peut porter au sort de l'autre avec de la curiosité déplacée. Je souris lorsqu'Ida me parle de ses études, j'aime l'entendre considérer comme une évidence le fait qu'elle suive ses rêves d'autrefois. Mes sourcils se haussent. « Dans notre milieu, il n'y a rien de moins étonnant que de renoncer à ses passions pour suivre un chemin déjà tracé... » C'était la trajectoire que j'avais froidement suivie jusqu'à mon brutal demi-tour en plein milieu de l'autoroute du succès à la Dinckel. « Mais tu as raison, pas toi. Je ne t'ai jamais imaginée finir dans une boutique de mariage à tenter de résoudre le dilemme ancestral entre mousseline et taffetas. »  Je ne pouvais pas me targuer de connaître intimement Kathryn Schneider mais à l'époque de nos soirées mondaines, ce que je percevais de sa relation avec Ida me faisait parfois penser à celle que j'entretenais avec ma mère lorsque j'étais adolescente. S'agissait-il d'une forme d'identification outrancière ou de l'une des clés de notre complicité si particulière ? Je n'avais jamais su trancher.

Les plateaux de nourriture éveillent mon appétit et interrompent nos retrouvailles. Ida quant à elle jette son dévolu sur les flûtes de champagnes et je saisis avec plaisir celle qu'elle me tend. « A nos retrouvailles ! » Nous trinquons puis je plonge mes lèvres dans le liquide pétillant. C'est tout à fait particulier de partager un verre d'alcool avec une personne qui, dans mes pensées, est restée une enfant. Le sourire sur mes lèvres et le silence que je laisse s'étirer trahit mon envolée pensive. « Tu vis ici ou tu es juste de passage ? » Hambourg avait attiré dans ses filets de nombreux berlinois de mon passé et si je m'étais installée ici pour rejoindre mon frère, j'avais moi-même fini par succomber à son charme. Peut-être pourrions-nous créer un club. Du moment qu'il y a du champagne et du guacamole, je suis partante.
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