Don't you worry child • Magda & Eleonora

Lorsque Isadora était enfant, l’emmener faire un tour au zoo d’Hambourg le samedi matin, lorsqu’elle ne travaillait pas, était une habitude pour sa maman, de sorte que sa chère fille puisse prendre l’air, s’amuser avec d’autres enfants et se régaler de voir les animaux. Même si les zoos étaient largement décriés et que la vie des animaux en captivité n’avait rien d’enviable, Eleonora s’en rendait bien compte, pour le plaisir de sa fille elle fermait les yeux sur des à côtés et des considérations désagréables, se donnant bonne conscience en affirmant que c’était aussi une occasion parfaite de sensibiliser les enfants aux animaux. Une occasion de les leur faire découvrir. Et si l’excuse était certainement bancale, elle avait tout de même servi quelques années.

Si sa fille n’est plus là aujourd’hui, cette habitude de promener le samedi matin dans le zoo d’Hambourg est resté pour la mère de famille, entretenant soigneusement le fantôme d’une fille disparue depuis trop longtemps, s’égarant dans un chemin de croix perpétuel, dont elle n’était pas certaine de pouvoir sortir un jour. Venir ici, cela n’avait rien d’exutoire, au contraire. C’était une torture. C’était raviver des souvenirs encore trop présents, trop brûlants, trop douloureux. Une manière comme une autre de se flageller pour ne pas avoir su protéger sa fille. Si elle n’avait pas travaillé ce jour-là, si elle avait pû aller chercher son enfant, alors aucune seconde d'inattention ne la lui aurait dérobé. Revenir ici, c’était en quelque sorte porter sa croix. Une expiation de ses péchés qui n’aurait de cesse que lorsqu’elle aurait retrouvé son enfant, si tant était qu’elle pourrait la retrouver un jour.

Lorsque les pleurs d’un enfant se font entendre, d’un coup, Eleonora sursaute, non sans se souvenir d’un jour où Isadora, elle aussi, avait pleuré ici même, étant tombée d’un jeu pour enfant. Les pleurs avaient rapidement cessé, l’enfant retournant jouer immédiatement. Aujourd’hui cependant, les pleurs ne s’arrêtent pas, bien au contraire, redoublant, si bien que la blonde en cherche l’origine, découvrant bientôt un enfant seul, pour qui aucun adulte ne semble s’inquiéter, qu’aucun adulte ne semble venir voir, si bien que la blonde approche alors, prenant sur elle, pour rassurer l’enfant.

“- Allons, allons, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu es tombé ?” demande-t-elle en cherchant sur ses genoux, les stigmates d’une éraflure, d’un hématome à venir.

Alors que l’enfant continue de pleurer, Elenonora jette un regard autour d’elle, essayant de voir si personne ne bronchait d’entendre un bambin pleurer. Ou pouvait bien être la maman ? Il n’était tout de même pas possible que ce petit garçon soit tout seul et pas possible, non plus, qu’aucun parent ne s’inquiète de ne plus voir son enfant ou de l’entendre pleurer. Mais rien. Et comme l’enfant répond, elle comprend vaguement que ce dernier n’est pas tombé, qu’il n’a rien, d’autant plus qu’elle n’a vu aucun début d’hématome sur son corps, aucune égratignure ou toute autre trace de chute. Non, il est seulement perdu. Perdu au milieu de ce zoo et cette confession est comme un coup au cœur pour la mère. Elle imagine sa fille avoir pleuré peut-être ainsi, il y a des années de cela, en ne voyant plus son père d’un coup, avant qu’on ne l’emporte. Elle imagine le désespoir de sa fille semblable à celui de ce petit garçon et son cœur se crève d’y penser. Pourtant, elle ne peut pleurer, elle ne peut penser à Isadora maintenant, ne peut pas se laisser aller alors qu’elle se doit, d’abord, de venir en aide au garçonnet, de l’aider à retrouver sa maman, avec qui il dit être venu au parc.

Comment peut-on perdre un enfant ? Ce n’est pas une question qu’Eleonora se pose. Malheureusement, elle ne sait que trop bien comment cela est possible alors que son propre mari a lui aussi perdu leur fille dans un parc, en détournant la tête seulement un instant. Lui aussi avait su perdre un enfant. C’était plus facile qu’il n’y paraissait et quoiqu’elle n’avait pas pardonné à son époux, quoiqu’elle ne lui pardonnerait jamais, elle savait en tout cas comment tout cela pouvait se produire.

Comme une femme approche, la blonde est prise d’un espoir que ce soit la mère, que la situation puisse en rester là, qu’elle puisse fuir et retrouver sa solitude, sa douleur. Mais les mots de l’inconnue réduisent ses espoirs à néant comme elle sous-entend ne pas être la mère de l’enfant, s’inquiétant de savoir si Eleonora le serait.

”- Non. Je l’ai entendu pleurer, je suis venu voir s’il n’était pas tombé, s’il ne s’était pas blessé !” explique la blonde. ”Mais non. Il ne trouve plus sa maman.” explique la blonde. ”Il venait de me l’expliquer quand vous êtes arrivé, mais je ne vois personne qui semble le chercher...” souffle-t-elle en tournant sur elle-même de nouveau. ”Je me demande s’il ne faudrait pas prévenir les autorités… Ils ont peut-être reçu un appel de la mère qui le chercherai...”

Alors que l’enfant continue de pleurer, l’inconnu le prend dans ses bras, le portant en essayant de le réconforter à son tour, comme la panique semble gagner le petit garçon de plus en plus, rendant urgent de retrouver ses parents. Pourtant, autour d’elle, il ne semblait y avoir aucun parent affolé à la recherche de son enfant. Aucun adulte semblant chercher ce petit, à se demander comment il avait fini ici, au milieu de ce zoo. Ce qui n’aiderait ni à le calmer, ni à retrouver ses parents. En revanche, l’emmener à l’accueil du parc zoologique semblait être une bonne idée. Là-bas, ils pourraient faire une annonce pour retrouver les parents de l’enfant. Ces derniers se présenteraient alors rapidement.

”- Je vous suis !” affirme la blonde, emboitant le pas de l’inconnue portant l’enfant.

Comment pouvait-on laisser un enfant tout seul ? Eleonora ne le sait pas. Mais elle ne sait que trop bien comme parfois, il suffit d’une seconde d'inattention pour qu’un drame se produise. Par son expérience d’infirmière comme par son expérience de mère, elle ne sait que trop bien que tout n’est pas toujours aussi facile qu’on peut le croire. Que l’on fait de son mieux. Que son mieux n’est pas toujours suffisant. Malheureusement. Peut-être que sa propre fille avait été seule comme ça, elle aussi, avant de disparaître. Peut-être que quelqu’un l’avait trouvé comme elles avaient trouvé ce petit garçon. Peut-être que ce quelqu’un n’avait pas eu les mêmes bonnes intentions à l’égard d’Isadora que de ce petit garçon. Toutefois, elle ne pouvait ni ne voulait faire part de tout ça à l’inconnue.

”- Je ne sais pas.” choisit-elle alors de répondre, sobrement.

Alors qu’elles avancent en direction de la réception, l’enfant pleurant toujours, Eleonora ne dit rien, se contentant de les suivre alors que la brune tente, comme elle peut, de réconforter l’enfant, sans grand succès, bien qu’elle lui promette qu’elles allaient retrouver sa maman. Naturellement, si une annonce dans le zoo ne donnait rien… elles passeraient tout simplement à la vitesse supérieure. Les forces de l’ordres pour leur part pourraient sûrement savoir qui était ce petit garçon, retrouver où il habitait et où étaient ses parents.

”- Peut-être qu’il est entré dans le zoo parmi les visiteurs, il est si petit qu’on ne l’aura pas vu à l’entrée…” remarque la blonde. ”Peut-être habite-t-il à quelques pâtés de maison… Les enfants sont parfois surprenants… Est-ce qu’il ne faudrait pas tout de suite prévenir aussi les autorités compétentes ?”

Eleonora est bien placée pour le savoir, avec les enfants ce n’est pas toujours très simple. Ils échappent si rapidement, parfois, à la surveillance d’un adulte, qu’il n’est pas impossible que l’enfant se soit simplement perdu tout seul. Il aura suffit que sa maman soit dans une rue, au téléphone, et tourne la tête à peine une seconde pour que son enfant lui échappe. Une seconde pour le perdre de vue, pour qu’il finisse par se glisser dans le zoo et soit maintenant retrouvé par les deux femmes, complètement paniqué et en larmes de ne pas voir sa maman auprès de lui. Oh oui, comme c’est rapide un enfant, comme il a tôt fait de vous échapper. Eleonora est bien placée pour le savoir. Trop bien placée. Une remarque qu’elle garde pour elle cependant. Cette femme n’avait pas besoin de savoir qu’elle avait perdu toute trace de sa fille, pour un simple instant d’innatention que son mari avait eu.

”- D’accord, dans ce cas allons le voir.”

Si la maman avait simplement perdu l’enfant de vue, elle devait être paniquée à l’heure qu’il était. La police devait déjà avoir été appelée et être auprès d’elle, d’ailleurs, à débuter son enquête. Il fallait donc peut-être d’ores et déjà prévenir les autorités. Cet Ulrick le leur dirait. La mère, si l’enfant lui avait échappé dans le zoo, était peut-être déjà avec lui, d’ailleurs, en larmes, à décrire son petit garçon et la tenue qu’il portait au moment où il avait disparu.

”- Pressons-nous, je n’ose penser à la détresse de cette maman.”

Oh non, elle ne veut pas y penser. Elle ne connaît que trop bien cette douleur, cette sensation de sentir son coeur être arraché. Elle ne sait que trop bien ce que c’est que d’être à la place de ces parents, malheureusement. Aussi était-il préférable qu’elles aillent au plus vite avec ce protocole, d’autant plus que l’enfant, lui, pleurait toujours à chaudes larmes.

”- Eleonora.” répond-elle comme elles installent l’enfant dans le bureau, attendant l’arrivée du fameux Ulrick sur la silhouette duquel une porte s’ouvre bientôt, le laissant paraître devant elles. ”Bonjour monsieur.” salue la blonde. ”Nous avons trouvé cet enfant en larmes au beau milieu du parc zoologique.” commence-t-elle à expliquer.

D’où cet enfant était-il parti ? Combien de mètres avait-il fait, entre sa maison et lui ? Et s’il était monté dans un bus ou un autre ? Il était si petit, qu’on aurait pu ne pas le voir monter à bord. Si petit qu’il aurait pu se glisser innocemment entre les passants, avant de descendre. Dans un monde où plus personne ne fait attention au monde tout autour, où personne ne fait attention à qui que ce soit, le nez rivé sur leurs smartphones et autres appareils, il était envisageable que personne ne l’ait vu. Qu’une mère soit en train de hurler quelque part, après avoir remarqué que son fils avait disparu de son champ de vision, en une poignée de secondes. Parfois, ça va si vite un enfant. Elle en sait quelque chose.

Laissant Magda prendre les commandes et s’adresser à son collègue de travail, qu’elle semble bien connaître en tout cas, Eleonora se contente de rester pour sa part auprès de l’enfant qu’elle espère rassurer par sa présence comme par les paroles rassurantes qu’elle tente de prononcer, sans pouvoir s’empêcher de transférer les émotions de l’instant sur ce qu’il s’était passé pour elle, pour sa fille, il y a des années de cela. Elle aussi, avait dû se sentir perdue, lorsqu’elle avait disparu. Avait-elle pensé que sa mère ne viendrait jamais la chercher ? Avait-elle perdu espoir de revoir ses parents un jour ? Avait-elle eu aussi mal que ce petit garçon devait avoir mal ce soir ?

”- On va retrouver ta maman… Mais il faut que tu nous aides, petit bonhomme…” souffle la blonde, lui caressant la tête. ”Tu veux bien me dire comment tu t’appelles ?” demande-t-elle encore.

Justement, la réponse à peine obtenue, la brune revient vers eux, posant la même question que se posait Eleonora. Avec un prénom, ils pourraient faire quelque chose. Ils pourraient passer une annonce dans le parc zoologique, probablement et attirer alors l’attention des parents.

”- Léo. Il s’appelle Léo.”

Léo, le prénom d’un petit garçon très fort. Eleonora hoche la tête. Tout est bon pour rassurer l’enfant, pour calmer ses larmes et lui permettre d’aller mieux. Tout est bon pour le réconforter. Lui donner confiance, pour qu’il accepte de coopérer, permettant de retrouver ses parents au plus vite. Un prénom, c’est déjà bien. Mais s’il pouvait leur donner plus de pistes, une direction dans laquelle chercher… Ils pourraient peut-être faire plus de choses et peut-être même trouver d’où il venait. S’ils trouvaient une adresse, alors ce petit garçon serait sauvé et rapidement de retour chez lui. C’était tout ce qu’elle pouvait lui souhaiter. Souhaiter que la mère de ce dernier soit bientôt rassurée, aussi, de le voir lui revenir.

Comme la brune lui propose un paquet de bonbons ou une barre chocolatée, le petit garçon tend une main timide en direction du paquet, qu’il tente d’ouvrir pendant quelques secondes, avant que la blonde n’intervienne pour lui donner un petit coup de main. Lui rendant le paquet, elle le regarde affectueusement porter une friandise à sa bouche, ses larmes se calmant peu à peu, noyées dans le sucre. Le remède, dit-on, à tous les maux. Probablement pas pour la blonde mais pour certains, elle voulait bien l’entendre.

Distraitement, la blonde perd sa main dans la chevelure du petit garçon, essayant de l'apaiser ainsi alors qu’il continue de manger, bientôt sollicité de nouveau par la vétérinaire qui lui pose quelques questions, curieuse de savoir comment il avait pu arriver au zoo. Et ce dernier répond alors de manière un peu décousue, comme le font les enfants, à base de “en fait”. Une seconde, elle se souvient comme les “en fait” d’Isadora pouvaient durer de longues minutes. Une pensée qu’elle chasse, comme son cœur se serre. Ce n’était pas le moment d’y penser, si elle voulait se rendre utile pour ce petit garçon.

”- Et donc tu ne sais plus où tu as vu ta maman la dernière fois ?” demande doucement la blonde comme l’enfant parle des animaux, de ce qu’il a vu, sans être vraiment précis dans ses mots.