La nuit des Etoiles ♔ Björn Von Rosen

Je jette un nouveau regard au carton d’invitation doré entouré d’éclats blancs, comme des étoiles. L’élégante police d’écriture s’étale sur le faire-part en lettre noire ce qui tranche avec l’arrière-plan.



J’ai accepté de me rendre à cette soirée de charité plusieurs semaines auparavant. J’ai également fait réserver une place supplémentaire pour Mark. Néanmoins, ce dernier m’a annoncé ce matin que le père de son épouse, Mieke, leur rend une petite visite surprise. Il ne peut donc pas envisager de leur faire faux bond ce soir pour aller ‘admirer des gugusses endimanchés jouant de la clarinette’. Ai-je besoin de préciser que voir son beau-père rend mon cher ami un tantinet nerveux ? Je souris à cette pensée. Vu les délais légèrement serrés, je n’ai pas cherché un autre cavalier, bien que la perspective de me rendre à ce genre de soirée seule ne m’enchante pas. Les moments où le spectacle se déroulera devant nos yeux seront sans aucun doute grandioses, mais les moments d’entracte me sembleront bien longs à devoir sourire poliment et à agir courtoisement. Mon métier repose sur cette capacité à paraitre. Je joue une pièce de théâtre perpétuelle et mon Sganarelle m’accompagne le plus souvent possible, bien que celui-ci aurait préféré être un Hidalgo.

Je me remémore nos cours de théâtre de terminal et souris à ce souvenir. Nous n’étions pas spécialement doués, mais cela nous amusait. Le piano a largement ma préférence. J’ai commencé à le pratiquer sous l’impulsion de mes parents à un jeune âge. Je ne suis pas devenue un petit génie de la musique pour la cause. Cependant, j’adore les sonorités de l’instrument, la complexité de certaines mélodies et les sentiments qu’un tel instrument peut transmettre. J’aime autant en jouer que d’assister à des concerti. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de voir à l’œuvre les étudiants de l’Université de musique et de théâtre et j’ai également apporté ma contribution à leur travail. C’est sans doute pour cela que j’ai reçu cette invitation.

Je porte à nouveau mon regard sur le carton posé sur mes genoux. Cette soirée promet d’être riche. Je porte ensuite mon regard à l’extérieur de la voiture et remarque que nous sommes déjà dans le défilé de voitures devant l’édifice de l’Opéra d’État. Après quelques minutes, mon chauffeur m’ouvre la portière et je m’avance sous le porche aux piliers dorés en suivant le tapis rouge. Quelques flashs crépitent et impriment dans les mémoires des appareils la tenue que j’ai choisie pour ce soir. J’ai opté pour une robe en dentelle noire dont la doublure ocre parait sous les volutes du tissu. Elle n’a rien de bien extravagant si ce n’est que le haut du vêtement épouse les formes du corps avant de s’évaser à partir de la taille. Ma chevelure libre et légèrement ondulée est ramenée sur la droite de mon visage grâce à une barrette en diamants à l’arrière de ma tête. J’ai également privilégié un maquillage léger et naturel. Je souris aux quelques photographes présents avant d’entrer dans le bâtiment.

Une fois à l’intérieur de l’édifice, je présente mon invitation et suis les indications des différents grooms présents. Ils ne portent pas la tenue stéréotypée de la profession, mais sont simplement vêtus de noir et de blanc. Je me dirige vers le premier étage où se tient le cocktail. Quelques tables hautes et blanches sont dispersées entre les piliers immaculés ce qui donne une touche très épurée à la pièce. Les larges fenêtres laissent entrer les dernières lumières de la journée et donnent une vue sur la rue fourmillant de monde. Je salue quelques connaissances avant d’être accostée par un jeune homme rougissant me proposant un programme de la soirée. Je lui lance un léger sourire ce qui semble l’embarrasser encore davantage. Je n’engage aucune discussion et en attire peu. Je les affronterai à l’entracte.

Après avoir dégusté une coupe de champagne, je demande à une jeune fille de m’indiquer mon siège. Elle tient parfaitement son rôle et me conduit dans la salle de spectacle. Celle-ci est impressionnante par son modernisme. Assez éloignée des standards avec ses balcons modernes et ses murs tapissés de lambris, elle conserve les sièges de velours rouge. J’ai réservé deux places au centre du premier balcon. Je choisis toujours cette place. Mark dit que c’est mon côté royal qui prime et j’ai, depuis longtemps, abandonné de lui présenter mes arguments. J’admire encore la salle quelques minutes avant de porter mon regard sur la scène. Celle-ci, dévoilée grâce aux rideaux ouverts, est aussi très épurée avec un fond noir et la fausse remplie de chaises et de pupitres. Au centre de la scène, on peut apercevoir quatre chaises dorées et finement travaillées. Sans doute la soirée commencera-t-elle par un quatuor à cordes. J’observe distraitement ce qui se passe dans le parterre avant de me tourner vers mon siège. Je m’assois à ma place et commence à consulter le programme. La couverture ressemble à l’invitation, avec son fond doré et ses étoiles, mais elle ne porte que le nom du gala au centre et le mot programme en bas. À l’arrière on peut voir le logo de l’université ainsi que celui de l’opéra.

« - Cette place est libre ? me demande un homme en pointant le siège à mes côtés qui aurait dû être occupée par mon cavalier.
- Oui, je vous en prie. lui réponds-je en souriant courtoisement. »

Je me replonge dans le programme et découvre les morceaux qui vont être interprétés ce soir et les noms des artistes.