It all depends on how we look at things || Lisa

Ce qui me choque le plus en passant les portes de la salle, c’est le brusque silence. Alors qu’il y a deux secondes encore lorsque j’étais entrain d’hésiter si oui ou non je devais entrer, les gens présent discutaient joyeusement entre eux, je trouve le silence presque assourdissant. Baissant le regard sous les regards perçant qui me scannent, je commence à m’avancer doucement vers le rond formé par les personnes présentes. L’un d’eux, un homme qui doit avoir la cinquantaine se lève subitement, par à l’autre bout de la salle et revient avec une chaise. Deux autres, une femme et un adolescent se décalent et laissent le premier poser la chaise entre eux. Lançant des coups d’œil furtifs autour de moi, je m’installe et essaie de ne pas penser au fait qu’ils soient tous entrain de me juger. «…présenter ? » tellement concentrer sur le fait de ne pas me laisser submerger par la paranoïa, je ne comprends qu’au dernier moment qu’on s’adresse à moi. Relevant la tête, je pose un regard interrogateur sur l’homme qui est allé me chercher la chaise. « Il est coutume que chaque nouveau se présente» reprend-t-il avec un sourire bienveillant «Ton prénom au moins et tu ajoutes ce que tu veux après »

Je soutiens son regard, hésite longuement puis, soupirant, je me redresse légèrement. « Oliver» dis-je finalement après un long moment de silence. « 32 ans et je … je suis sorti il y a 4 jours de ma dixième cure de désintoxication» expliquais-je, gardant le regard baisser et jouant avec mes mains. Je me fou quelques claques mentales en me traitant d’idiot, ne sachant pas pourquoi je réagis aussi timidement. J’ai toujours eu pas mal d’assurance, mais faut croire que ce derniers mois dans le centre à eu raison de moi. «j’ai juste envie de m’en sortir totalement cette fois et je …on m’a pas mal parler de ce groupe » je fini enfin par prendre mon courage à deux mains et lèves mon regard sur l’homme qui se trouve en face de moi.

Cheveux noirs, tempes grisonnantes, un regard noisette caché derrière des lunettes de lecture à l’armature brune, il ne s’est toujours pas départi de son sourire bienveillant et m’observe avec une certain insistance comme s’il voulait me pousser à me confier d’avantage «Le Dr. Becker, ça vous dit quelque chose je suppose ? » continuais-je, l’observant hocher doucement la tête « Très bien même. Un très bon ami à moi.» il remet ses lunettes en place sur son nez « t’es entre de bonnes mains avec lui » assure-t-il avant de se redresser, montrant ainsi que notre échange est fini.

La reste de la réunion, je la passe en silence, observant simplement les gens parler d’eux, de leurs problèmes, de leur vie, leur vécue et de ce qu’ils attendent de l’avenir. Il y a des grands dépressifs qui ne semblent avoir plus aucune confiance en leur avenir qui à l’air plus qu’incertain et ceux qui sont persuadé qu’ils vont s’en sortir. J’avoue que j’ai beaucoup de mal à me situer dans l’une ou l’autre catégorie, si bien qu’à la fin de la réunion, je n’ai qu’une envie : partir et m’isoler à nouveau dans mon appartement. Je range tout de même encore ma chaise car ça semble être la coutume de politesse ici puis passe à côté du buffet garni de bretzel, beignets et café et me dirige vers la porte, dans le but de partir le plus vite possible.

Elle n'aime pas être en retard, Lisa, quand elle est attendue. Mais elle n'a pas vraiment eut d'autre choix aujourd'hui alors que la réunion qu'elle anime tombe juste un peu après la fin de l'un de ses cours à la Bucerius Law School, qui a été déplacé pour rattraper une absence d'un professeur. La demoiselle ne s'attarde pas à l'école ce soir, rejoignant rapidement son véhicule pour s'engager dans la pagaille de la sortie des bureaux, roulant sur Altstadt pour gagner le point de rendez-vous. Fort heureusement, elle trouve une place à deux pas de l'entrée, sur le parking de la salle et en entrant, elle adresse un salut général aux personnes présentes, sans s'attarder, alors qu'elle rejoint une salle sur l'arrière, où un groupe est déjà rassemblé. Elle salut quelques habitués en prenant place, salut plus particulièrement Ludwig, son coéquipier. 20 ans que ce dernier n'a pas touché à la drogue, cette année. De quoi être fier de lui-même. Dans cette assemblée, Lisa est bien la seule qui n'a jamais fumé de son existence. Et pourtant elle ne manque jamais un rendez-vous. Elle est ici bénévolement, alors que sa mère lui a transmis depuis longtemps ce besoin d'aider les autres. Elle est ici parce qu'elle croit aux secondes chances, elle croit que l'on peut réparer de mauvais choix, changer de direction.

Elle a tout juste le temps de s'installer qu'un homme entre à son tour. Ludwig se lève, va chercher une chaise et le cercle s'élargit, pour accueillir cet Oliver, sans que Lisa ne se doute du lien bien particulier qui la rattache à ce dernier. Elle lui adresse un sourire bienveillant, quand il se présente. Dix cures de désintox. Lisa est compatissante, consciente que ce ne doit pas être facile. Consciente aussi qu'il doit y avoir un traumatisme profond, ancré, quelque chose qu'il ne leur dévoilera sûrement pas, pas aujourd'hui en tout cas. Pour tomber dix fois, il faut avoir un sacré bagage. Un voile passe, dans le regard de la jeune femme et elle s'interroge sur ce qui pousse un trentenaire à être à ce point désespéré.

La réunion passe, et Lisa se fait moins discrète, plus rassurante. Tout à tour, accompagnant Ludwig, elle a une parole rassurante, bienveillante, pour chaque personne qui s'exprime. Et son sourire, ce sourire qui met du baume au cœur diraient certains. Lisa a eut de la chance dans sa vie, dans ses malheurs et elle en a bien conscience. Elle sait qu'elle doit à sa mère d'être la femme droite et intègre qu'elle est devenue. L'étudiante sait qu'elle doit à Ruth de ne pas avoir mal tourné, de ne pas avoir sombré. Perdre un frère, perdre un père... Continuer à avancer, rester debout. Marquée au fer rouge dans son âme, avancer tout de même.

Il est toujours de coutume, après la réunion, qu'ils s'attardent autour d'un buffet. Lisa en profite généralement pour discuter un peu plus, un peu plus intimement parfois. Certains préfèrent confier certaines choses en tête à tête, non pas face à tout le groupe. Alors Ludwig et Lisa les écoutent, tour à tour. Et ce soir, elle remarque le nouveau venu qui s'écarte, qui ne cherche pas à se mêler au groupe. Lisa décide de l'approcher, pour savoir si tout s'est bien passé, si ça l'a aidé.

«- Oliver ?» appelle-t-elle en arrivant à sa hauteur. «Qu'en avez-vous pensé ? La réunion vous a un peu aidé ?» questionne la jeune femme.

La réunion est intéressante et les histoires des uns et des autres me confortent dans l’idée que je ne suis pas non plus mal lotit. Certes, j’ai fait une bonne dizaine de cure et ça n’a jamais été très concluant, mais au moins j’ai toujours réussi à garder le moral. Sauf cette dernière année qui était la pire de toute mon existence. Beaucoup de vague de dépressions, plusieurs réussites suivies de rechute encore plus violente jusqu’à la décision personnelle de me laisser une dernière chance en cure. En y entrain début novembre, je me suis juré que si cette cure là ne fonctionne pas, j’en finirais avec les drogues et avec moi-même. Sans doute essaierais-je de me prendre la vie avec une over dose. Quitte à mourir, autant le faire après avoir plané et avoir oublié tous mes soucis pendant quelques minutes. Je ferais en sorte de le faire dans un endroit reculé où personne ne pourra me sauver et voilà. En vrai je ne pense pas manquer à qui que ce soit. Sauf peut-être Gabi mais je suis sûr qu’elle sera plus heureuse sans son oncle drogué, alcoolique et dépressif.

A la fin de la réunion, j’avoue n’avoir aucune envie de me mêler à la foule et me gaver de donuts et de café. Je pensais que la réunion me ferait du bien –et c’était le cas aussi, quelque part, au début- mais maintenant tout à coup, je me sens comme vidé. L’énergie que j’avais au début s’en est allé, laissant place à l’humeur morose qui m’abrite régulièrement depuis que je sui sortie la semaine dernière.

Mais, alors que je me dirigeais vers la porte pour laisser le groupe derrière moi, c’est une voix féminine qui m’interpelle soudainement. Et en me tournant je reconnais rapidement la femme qui était à côté du chef. L’observant, j’essaie de me remémorer son nom, mais ma mémoire me fait défaut depuis que j’ai prit une merde pire que l’héroïne qui m’a mis dans un état second pendant plusieurs jours. Ou alors n’ais-je tout simplement pas entendu son nom ? Enfin peu importe. A sa question, j’hausse simplement les épaules.

« Elle était pas mal, oui » répondais-je, alors que ce n’était pas du tout la question «Par contre je ne peux pas dire maintenant si elle m’a réellement aidé » reprenais-je, enfonçant mes mains dans les poches de mon jeans «Je veux dire … Ludwig m’a l’air d’être un chouette type mais les histoires des autres elles ...je …je sais pas. C’est un peu déprimant quand même … » avouais-je avec un petit sourire désolé. « Enfin, je reviendrais, bien évidemment. Je pense que ça va prendre un peu de temps avant de pouvoir savoir que tout ça, les réunions et tout, ça sert réellement à quelque chose» j’humecte légèrement mes lèvres, mon regard glissant sur les gens agglutinés au buffet « et tu … t’appelles comment ? désolé j’ai une mémoire de poisson rouge » dis-je sur un ton moqueur qui se voulait être léger et tranquille.

Lisa espère aider les autres, c'est pour cela qu'elle est bénévole dans l'association. Parce qu'elle aime aider son prochain, comme sa mère le lui a montré par le passé. Parce qu'elle a envie de se sentir utile, dans son existence. N'est-ce pas pour ça aussi après tout qu'elle a choisit un métier humain comme le sien, par besoin d'aider les autres, d'aider de jeunes enfants dans le divorce de leurs parents, eux qui sont bien trop souvent les grands oubliés de ce genre d'affaires, parce que les parents veulent faire ce qu'il y a de mieux pour leurs chérubins, mais que la colère masque leurs yeux ? Lisa avait été victime du système, à sa manière, parce que le système l'avait privée de son père, elle ne l'oublierait jamais. En refusant la garde alternée à Sloan Hampton, le système avait fait que l'enfant l'avait pas vu son père pendant dix-sept ans. Dix-sept longues années au cours desquelles il lui avait fallut se construire malgré l'absence de son père et une peur insoutenable d'être abandonnée de nouveau, un jour, par un autre proche.

C'est pour ce besoin d'aider qu'elle est là et qu'elle cherche à s'assurer, souvent, que tout roule pour ceux qui viennent en réunion. C'est ce qui lui fait rejoindre Oliver, après la réunion du jour, le petit nouveau, histoire de voir ce qu'il a pensé de cette réunion, voir ce qui peut le déranger. Le soucis d'une première réunion, c'est que certains décident de ne pas revenir après, s'ils ne sont pas convaincus. Lisa est particulièrement vigilante, de fait, aux premiers regroupements de chacun. Pour s'assurer qu'ils ne passent pas à côté de quelque chose, avec son collègue.

«- Je dois admettre qu'on entend pas toujours des choses très agréables. Certains ont des bagages plus lourds que d'autres c'est certain et il faut parfois s'accrocher, je le reconnais... Mais souvent le fait de parler, sans être jugés, parce qu'on a tous ses problèmes... cela fait du bien.»

Lisa, à une époque, avait parlé de son père et de ses peurs au groupe. Rien à voir avec leurs addictions aux drogues passées. Elle n'était pas comme ceux qu'elle entendait en réunion. Pourtant elle avait déjà dût justifier de sa capacité à les comprendre. Un membre avait demandé ce qu'elle pouvait y comprendre, elle, à la douleur, avec sa petite existence parfaite, sa maman toujours près d'elle, sa carrière toute tracée, sa bonne tête, son sourire à vous ouvrir cent portes... Et parler de tout ça, sans être jugée, pouvoir parler librement lui avait fait un bien fou. Elle avait parlé de son frère, aussi, ce jumeau qu'elle n'avait pas eut le temps de connaître, parce qu'il n'avait pas survécut à leur naissance. Le plus beau des sourire cache parfois des blessures plus profondes.

«- Oui il faut revenir, c'est toujours un peu difficile au début de passer au-dessus de tout ce qu'on entend, mais parler fait généralement du bien. On fait toujours attention aux nouveaux, à ce qu'ils en ont pensés... Pour pouvoir nous adapter au besoin de chacun. Au besoin, on vous écoute aussi en tête à tête si vous préférez ne pas dire certains détails devant tout le monde.»

Elle a un sourire, alors que l'homme dit avoir une mémoire de poisson rouge, quand il redemande le nom de la demoiselle. Il a oublié, elle s'est présenté en début de réunion, mais ce n'est pas grave en soit.

«- Moi c'est Lisa. Je l'ai dis au début, mais je comprends... Ludwig devait être plus sexy à écouter.» taquine la jeune femme. Elle n'est pas sérieuse, elle sait qu'il peut ne pas avoir entendu pour un tas de raisons. «Sinon pour lutter contre la déprime post-réunion, en général le buffet est plutôt efficace et vous fait rencontrer les gens un peu moins... dramatiquement. En général on plaisante bien, après. Mais si c'est vraiment grave, il faut essayer l'humour, la comédie par exemple. Et ça c'est une recommandation de mon accréditation totalement imaginaire de docteur !»