What the hell ? * Esme

"- T’es sûre que ça va le faire ?" demande la brune, jetant un coup d'œil en direction de sa meilleure amie qui vient tout juste de la rejoindre. "J’ai jamais fait ça moi !"

Quand Esmeralda avait appelé en catastrophe pour demander si elle était disponible pour aider sur un défilé, la brune n’avait pas hésité une seconde pour répondre par l’affirmative. Evidemment, elle ne s’était pas imaginé que l’aide pourrait être de remplacer au pied levé une mannequin qui s’était tordue la cheville en pleine répétition du show, à quelques heures seulement de celui-ci. Si elle a déjà posé pour l’objectif d’amis photographes, elle n’a en revanche jamais défilé sur le moindre podium. Encore moins devant un public et en portant dix centimètres de talon, minimum. Alors forcément, enveloppée dans son peignoir, ses cheveux épinglés de part et d’autres en attendant que la coiffeuse puisse venir s’occuper d’elle, la brune ne peut pas s’empêcher de douter un peu, alors que sa meilleure amie commence à la maquiller.

"- Personne ne t’a répondu ?"

Forcément, quand on maquille sur des défilés, on se fait des contacts. Elle imagine donc qu’Esme a les numéros de quelques vraies mannequins dans son répertoire. Mais c’est elle qu’elle a choisi d’appeler, probablement consciente que sa meilleure amie ne pourrait pas lui refuser, pas les laisser en galère. A moins qu’elle ne soit pas le premier choix de la maquilleuse, mais qu’aucune autre n’ait répondu, contrairement à elle. Ou qu’elle ait été la seule disponible, étant de repos au musée, ce samedi.

"- On va croiser les doigts pour que je ne me casse pas quelque chose. T’as vu la taille des talons qu’elles portent toutes ?"

Même si elle en a déjà porté, elle a conscience, cette fois, que ce n’est pas la même chose. Elle sera sous l'œil des projecteurs, devant des centaines de personnes qui auront le regard braqué sur elle, peut-être même l’objectif capturant le moindre de ses mouvements et sa chute potentielle. Elle n’a pas franchement envie de finir sur internet en devenant un meme. Elle aimerait éviter, autant que faire se peut.

Toutes les étoiles sont alignées ? Elle en a de bonnes, Esme ! Vicky n’a tout simplement jamais défilé, elle n’est même pas sûre de savoir comment on fait. Enfin, elle en a déjà vu, des défilés, des mannequins et tout ça, à la télé et même parfois en vrai, mais pas au point de savoir comment imiter leur démarche et ne pas se couvrir de ridicule devant tout le monde. Parce que c’est ça le plus gros risque, après la possibilité, évidemment, de se casser quelque chose. Elle le voit venir gros comme une maison, en fait. Alors qu’Esme, elle, a plutôt confiance en ses capacités. Même trop. Au point de s’imaginer que la jolie brune pourrait ne plus vouloir quitter les podiums. C’est pas vraiment le plan, dans l'absolu.

"- Abuses pas !" plaisante la brune. "Tu me vois faire les couvertures des magazines, avec la presse toujours à nos baskets ? Quel enfer, ils ne sont même pas libres d’aller prendre un café au starbucks tranquille, des fois ! Je tiens pas forcément à ce que mon père découvre toutes mes conquêtes par les racontars du boulot et les premières pages des magazines !"

Parce que la vie de star, de ce qu’elle en voit dans les magazines, ressemble à un truc assez pesant, mine de rien, même s’ils ne sont pas forcément tous à plaindre. Il n’en reste pas moins que globalement, ils ne s’appartiennent plus vraiment mais appartiennent à leur public, aux fans, aux photographes qui capturent le moindre de leurs moments.

"- T’as pensé à moi en premier ?!"

Elle lui adresse un sourire d’ange, petit démon qu’elle est, affirmant qu’elle n’avait pas besoin de chercher quelqu’un d’autre, puisque sa meilleure amie avait répondu présente pour l’occasion, lui retirant cette épine du pied. Fort bien. Mais à quel moment avait-elle pensé à l’appeler elle en premier ? Comment avait-elle pu penser directement à sa meilleure amie et non pas aux mannequins professionnels que son métier lui avait fait rencontrer ? Cela aurait été le choix le plus évident. Mais Esme avait besoin de garder ce boulot, d’une valeur sûre qui ne lui ferait pas faux bond. Ouai.

"- Et tu t’ai donc dit que pour l’occasion t’allais embaucher la fille susceptible de se casser une jambe ?" rit-elle.

Parce que vu les talons, c’est un risque. Même si elle a l’habitude de dire que ce n’est pas la taille qui compte, c’est vrai. Disons que ça dépend clairement des circonstances. Elle fronce les sourcils en direction de sa meilleure amie, d’ailleurs.

"- You use my own spells against me, Chambers ?" cite la demoiselle, levant un sourcil. "J’espère bien qu’il le sera ! Le plus beau plâtre de tout l’insta !"

Mais au moins, elle aura du contenu pour son instagram. Avec un peu de chance, Erik pourra même la remarquer dans son feed. Histoire de.

"- Ah ouai !? Cool ça ! Ils sont pas vraiment dans le partage, d’habitude…"

Elle deviendrait la reine de la subtilité, alors ? C’est elle qui le dit seulement. Elle a surtout des chances de faire la une des magazines, oui. La subtilité n’est pas vraiment dans son caractère. Elle est plutôt exubérante, volubile, pas le genre de fille que l’on peut ne pas remarquer, pas le genre de fille à côté de laquelle on peut passer sans la voie. Pas du tout. Elle est là, Vicky, elle prend de la place. Elle n’est pas vraiment discrète. Pas qu’elle ait un jour voulu l’être. Pas qu’elle ait un jour eu l’intention de l’être. Alors elle n’est pas certaine que son père ne saurait rien, parce qu’elle ne pourrait pas aller contre sa nature. Et même si elle fuyait à Berlin pour fuir la presse, elle doutait que ce soit suffisant, si bien que le propos de sa meilleure amie ne manque pas de la faire rire.

"- Surtout que, pour que ça fonctionne, il faudrait que je parte suuuuuuuuper loin ! Genre les USA, tu vois ?" remarque la brune, amusée, plus pour taquiner sa meilleure amie que parce qu’elle y pense sérieusement.

Elle est née ici, Vicky, et même si voyager est sympa, elle n’a pas vraiment l’intention de partir vivre ailleurs, de toute façon. Ni ailleurs en Allemagne, ni ailleurs dans le monde. Ses racines sont à Hambourg. Et elle aime ses parents, ses proches, bien trop pour s’arracher à eux, de toute façon. Même pour protéger son intimité et ses fréquentations. Non, elle suppose qu’elle ferait avec. Mais elle ne pourrait pas garantir que son père ne ferait pas un malaise s’il venait à découvrir le comportement de sa fille avec les garçons. Sa mère se voile moins la face, c’est certain. Mais pour son paternel, elle est toujours une sorte de petite princesse dont il n’imagine pas qu’elle puisse être à ses heures une redoutable séductrice.

"- Mais j’suis pas mannequin moi, Esme ! Contrairement à certains autres de tes contacts. J’suppose…" remarque la brune.

Parce que quand on a besoin d’un mannequin, la première chose à faire est sûrement de contacter des professionnels, des mannequins qui savent faire, qui savent exactement comment défiler, comment ce milieu fonctionne. Mais non. Esme pour sa part avait décidé de demander à sa meilleure amie. Elle avait décidé de voir d’abord si cette dernière était dispo, avant de penser à contacter des filles qui, elles, savaient comment faire. Et tout ça parce qu'elle était jolie ? Elle l’était certainement, mais défiler et bien présenter sur un podium, ce n’était pas vraiment la même chose que d’être simplement belle.

"- … Mais quelle calculatrice tu es !" s’alarme ma demoiselle en entendant sa meilleure amie évoquer ce à quoi elle prétend avoir pensé.

Bon, elle va quand même espérer ne pas se péter une jambe ou une cheville, tant pour elle que pour sa meilleure amie. Elle n’est pas certaine que les responsables le prendraient aussi bien qu’Esme le dit, pas certaine qu’ils n’en tiendraient pas rigueur à cette dernière d’avoir fait appel à une amateure pour ce travail. Alors elle va devoir faire comme si c’était normal, comme si tout ça était parfaitement naturel pour elle. Comme si elle avait déjà fait ça toute sa vie. Plus facile à dire qu’à faire.

"- Dans le doute, parce que je ne suis pas sûre qu’ils le prennent aussi bien que tu dis, on va éviter que ça arrive, hein ? Même si c’est en échange d’un joli plâtre."

Ils avaient besoin de quelqu’un rapidement, qui puisse remplacer l’absente au pied levé, alors ils n’ont apparemment pas fait les difficiles et la jeune femme a pu négocier l’utilisation des photos officielles par sa meilleure amie pour ses réseaux sociaux. Une chance puisque ce n’est pas dans leurs habitudes habituellement. Mais une chance toute relative, puisqu’en contrepartie… ils ne la payent pas, proposant seulement qu’Esme partage son chèque. Comme si la brune allait accepter ça. Elle pince les lèvres.

"- Ils sont culottés, ils comptaient payer la première comment ?" demande-t-elle agacée. "Peut-être pour ça qu’elle n’est pas venue… faut pas avoir des oursins dans les poches quand on veut faire les choses bien, être juste… mais bon…" elle soupire. "Et c’est hors de question que tu me donnes quoi que ce soit de ta poche, t’en fais pas !"