Joarrett •• jingle hell

Les choses n'étaient pas évidentes. La vérité lui était tombée dessus si violemment, et bien qu'elle n'avait jamais été vraiment heureuse aux côtés de son père, il n'avait jamais vu sa mère aussi malheureuse. Elle s'était effondrée devant lui, et la colère contre tous ces menteurs qui se faisaient passer pour des gens qui les aimaient était montée. Il était resté près de sa mère, et certaines choses n'avaient fait qu'empirer. Comme le concert avec Inga. Comme parfois la relation avec son frère. Depuis qu'il savait ce qu'il s'était passé, et que ses parents s'étaient officiellement séparés, il n'avait pas revu son père. Dans le fond, il n'en avait pas vraiment eu envie. Alors, il avait toujours trouvé un bon prétexte pour ne pas le voir. Tout était bien mieux ainsi. Au moins, la colère semblait se tasser, bien que plus que jamais, il se sentait seul. Et ça n'était pas le regard voilé de tristesse de sa mère qui y changerait quoi que ce ne soit. Il avait même arrêté les cours pendant un temps, pour ne les suivre que grâce à ses camarades qui lui transmettaient ses notes. Joah n'allait plus qu'aux travaux dirigés et devoirs, sinon, c'était sûrement à peine si ses enseignants se souvenaient encore de son visage.

Alina lui disait sans cesse que la magie de Noël réparerait tout. Elle était croyante, parfois, il avait l'impression, bien qu'elle ne les ai jamais forcés à rien, les laissant libres, et laissant un doute planer dans l'esprit de Joah. Mais de la magie, il n'en voyait pas. Tout ce qu'il voyait, c'était que c'était le pire Noel de sa vie. Il avait vécu des choses parfois difficiles dans l'esprit d'un adolescent, mais ce mensonge dans lequel ils vivaient tous, dirigé d'une main de maître par son père, c'était loin de tout ce qu'il aurait pu imaginer. Et c'était terrifiant, effrayant. Désormais, rien ne serait plus pareil, c'était ça le plus dur. Garrett avait menti, plutôt que d'affronter la vérité, et d'éviter de faire du mal à tout le monde. Le plus difficile, ça avait été de réaliser que les dernières années qu'ils avaient vécu était du mensonge. Quand il pardonnait à son père pour le travail, il était en fait avec une autre femme. Et s'il n'était pas à la place d'Alina, ça le dégoûtait suffisamment pour ne pas avoir besoin d'imaginer ce que sa mère avait subi. Sans compter les fidèles menteurs aux côtés de son père. C'était une machination bien trop importante pour qu'il trouve le moyen de les pardonner. Il se sentait trahi, pour lui, pour Jay, pour leur mère, pour leur famille. Et rien ne pourrait jamais rien y changer. Désormais, c'était ainsi, et il les détestait pour ce qu'ils leur faisaient subir.

Il avait essayé, malgré tout, de préparer quelque chose pour Noël. Pour Alina. Pour Jeremy, aussi, s'il voulait se joindre à eux. Il avait acheté quelques cadeaux, fait un arbre de Noël, pendant que sa mère trainait, en pyjama, dans un chignon défait, sur le canapé, incapable de l'aider. C'était la première fois depuis... Et bien, le plus loin qu'il s'en souvienne, ça n'était jamais arrivé, c'était donc la première fois qu'ils ne faisaient pas le sapin ensemble, Alina, Jeremy et Joah. Autrefois, ils étaient aidés de Garrett, lorsqu'il était là, mais cette fois-ci, évidemment, c'était impossible, et inenvisageable.
Il avait essayé de préparer du vin chaud, surement la mixture la plus désagréable à boire lorsqu'elle était faite de ses mains, et avait souri quand Alina, en retenant une grimace, lui avait dit que c'était la meilleure chose qu'elle avait jamais goûté. Il n'en était pas vraiment persuadé, mais cette petite phrase montrait qu'elle notait ses efforts, et qu'elle essayait d'en faire aussi, malgré la difficulté de tout ça. Dans le fond, il ne savait pas ce qui était plus dur pour sa mère : être séparé du père de ses enfants, ou de voir un de ses enfants lui tourner le dos. Il préférait ne pas s'inquiéter de la réponse, et être là pour elle, quoi qu'il n'en soit, peu importait combien ça pouvait être difficile de la voir encore et encore se laisser sombrer, ou se laisser aller, sans que rien n'y change.

Et puis, était venue la dernière semaine avant le réveillon de Noël. Il avait eu l'impression qu'il s'agissait désormais d'un compte à rebours, une course contre la montre pour ne pas arriver à ce jour fatidique et triste. Pourtant, Joah s'était plongé dans l'élaboration d'un bon repas. Il avait même fait la dinde comme sa grand-mère lui avait montré quand il était plus jeune. Il avait tout préparé pour que la soirée du réveillon de Noël soit parfaite. Mais l'échéance de ce jour l'inquiétait et le préoccupait. C'était la première fois qu'il attendrait de pouvoir faire le jour de Noël, sans son frère, et sans son père. Garrett s'était toujours débrouillé pour être là le 24 ou le 25, souvent les deux jours. Et c'était étrange. Vraiment pas le genre de sensation qui plaisait à tout le monde.

Et puis un jour, le 23 décembre, Alina avait évoqué la pire chose qu'il aurait pu imaginer. «Tu vas voir ton père quand, pour Noël ?» Les simples mots de sa mère l'avaient presque pétrifié, paralysé sur place.«Jamais ?» avait-il répondu, en riant un peu jaune. Il refusait quoi que ce ne soit de sa part, et il ne voulait pas. Sa mère s'était redressée, et avait défait le chignon qui faisait ses cheveux, laissant tomber des mèches grasses et sales. «Tu sais, c'est pas une bonne chose, de le laisser tomber. Je comprends que tu veuilles rester avec moi, pour que je ne sois pas seule. Mais il reste ton père, et c'est important que vous continuer d'avoir des liens, que vous vous voyez.» avait-elle argumenté, en laissant pantois l'air de Joah. «Je m'en fiche. Je n'irais pas.» Il était monté dans sa chambre, et avait été la porte fermée toute la soirée, jusqu'à ce qu'il se décide, comme un enfant, à sortir, et à descendre les escaliers, pour aller se blottir dans les bras de sa mère. «Mais j'ai pas envie que tu restes seule.» Il avait les larmes aux yeux rien qu'à imaginer que le 25, il serait avec son père. Mais à chaque jours, suffisait sa peine. Et il avait encore un jour à être tranquille avec Alina, à essayer de profiter, comme si les moments durs venus et à venir n'allaient pas arriver.

Le 24 avait été un jour saint, presque consacré, aux yeux de Joah. Il était bien, même si ce Noël était un peu particulier. Il avait passé la journée à espérer que Jay laisserait le bout de son nez apparaître à la porte. Il lui avait même préparé des cadeaux ! Mais ça n'était pas arrivé. Pendant un temps, il avait laissé son esprit aller à Inga, en regrettant de ne pas la voir, avant de se souvenir que sa méchanceté, sa cruauté, avait laissé son père garder le secret qui les aura tous détruits, au lieu de l'encourager à être courageux, et à faire ce qu'il fallait.
Mais la journée s'était bien passée, sa mère avait même recommencé à vivre normalement. Elle s'était douchée, habillée, et avait recommencé à sourire, à être comme avant, malgré le voile de tristesse, moins important dans son regard. Et tout comme pour lui, son frère lui manquait. La soirée aussi, avait été normale. Et s'il n'arrivait pas à faire du vin chaud qui soit bon, il avait au moins réussi la dinde. Il était parti se coucher tôt, et avait eu un réveil assez tôt.

Le matin encore, il avait hésité à se préparer pour aller chez son père. Sa mère avait réussi à le convaincre, une fois de plus, en ébouriffant sa tignasse qui ne demandait plus qu'à être coupée, désormais, et en déposant un baisé sur son crâne. Il n'était pas vraiment prêt, mais si ça pouvait faire plaisir à sa mère, alors, il le ferait. Il s'était habillé, puis avait pris sa moto, et s'était rendu chez son père, en prenant dans son sac à dos les cadeaux pour Jay, savait-on jamais qu'il ne le trouve là bas, puisqu'il n'était pas venu lors de son Noël avec sa mère. Il n'avait rien pour Garrett, et il l'avait fait exprès : pour la symbolique de n'avoir plus rien à lui offrir en tant que fils. Parce que c'était ainsi que la colère le faisait ressentir. Et il se fichait bien de ce qu'en penserait son père. Une fois arrivé, il leva son casque, et ne prit même pas la peine de remettre ses cheveux, dans le désordre à cause du trajet, en place.

Il tapa à la porte, et quand Garrett vint lui ouvrir, il ne prit pas la peine d'un sourire même faux, il le regarda de haut en bas, et soupira. «Salut.» Lâcha-t-il sans la moindre considération.

( Pando )

Les relations sont des liens invisibles, des liens que tout peut briser avec facilité. Il suffisait que l’une personne se détourne pour briser totalement ce qui la liait à l’autre. C’était aussi simple que cela. Il pouvait parfois se trouver quelques circonstances un peu plus compliquées encore. L’une des deux personnes pouvait s’accrocher dans un vide total pour ne rien avoir de bon en retour. Une personne qui s’était détournée n’avait plus de raison de revenir sur ses pas. Elle avançait en laissant le cadavre de la relation derrière.

Cela vaut pour tout type de relations. Pour des personnes aux relations intimes tout comme familiale ou amicale. C’était le cas de Garrett et Joah. Et pourtant, elle pouvait être différente selon les points de vue. Entre eux, qui s’était détourné en premier ? Celui qui avait totalement trompé ses enfants et sa femme ou celui qui avait fait le choix de ne rayer l’homme qui était son père de sa vie ? Cela avait été très dur pour Garrett. Il était très proche de son père. Enfin, c’était une relation plutôt étrange. Mais jamais il n’aurait osé lui tourner le dos, absolument jamais.

Les choses étaient différentes ? Peut-être, oui. Garrett avait menti, avait eu une double vie pendant près de 5 ans. Il s’était bien caché de sa famille, avait monté une autre vie de toute pièce. Des choses dont il ne se serait jamais su capable. Qu’il n’avait jamais voulu. Il reconnaissait totalement son égoïsme, désormais.

Le plus dur à vivre, ça n’avait pas été de se retrouver face à son mensonge mais plutôt de sentir le vide, de sentir l’absence des personnes que l’on aimait. Loin de lui, le juge avait dû laisser Lisa, celle dont il était tombé amoureux. Mais également ses trois garçons. Il n’avait pas été idiot. Pourquoi est-ce qu’ils auraient envie de passer un peu de temps avec celui qui les avait trahi et qui finalement, quittait la maison la moitié de la semaine pour rejoindre une autre femme qu’Alina ? Il avait trahi toute sa famille. Dans sa tête, dans son coeur, il y avait une seule chose sur son avenir dont il était certain. C’était que ses enfants, il n’aurait certainement plus la chance de les voir sourire, de passer de bons moments avec eux. Avec le bourreau de leur famille.

Garrett n’avait jamais été un bon père, il ne s’en cachait pas du tout. Ses trois enfants, il ne les avait pas élevés. Il ne leur avait presque rien transmis de son savoir, de ce qu’il connaissait, de ce qu’il aimait. Les deux jumeaux avaient grandi dans les bras de leur mère qui avait dû se comporter avec amour et fermeté à cause de son mari bien trop absent, pris par le travail. Un mari qui n’était présent que le week-end, ces années-là.

Jeremy est revenu. Il avait toujours été plus proche de Garrett que ses deux autres frères. Il est revenu. L’a-t-il pardonné ? Peut-être pas. Mais pas Joah. Quel genre père abandonnerait ses enfants si l’un d’entre eux acceptait de revenir lui parler ? Pas Garrett, en tout cas. Pour le plus jeune des trois, il ne pouvait pas faire grand chose. Il lui envoyait un message de temps en temps en attendant le jour où le procès du divorce allait arriver. Où la question de la garde serait apportée. Il ne la réclamait sûrement pas, non. Il ne tenait pas à se battre avec Alina. Il demanderait au jeune homme ce qu’il préférait. Rester avec maman ou avec lui. Et il aviserait en fonction, s’il devait se battre ou non. Le plus important, c’était qu’il soit avec le parent qu’il souhaitait, en voyant tout de même l’autre de temps en temps, tout de même.

Des messages, Joah en avait reçu de très nombreux. Garrett n’avait jamais lâché l’affaire. Sobre ou bien moins sobre, il lui en avait envoyé. Il voulait avoir de ses nouvelles, il voulait voir son garçon. C’était tout simplement insupportable pour lui que de se dire qu’il devrait désormais vivre loin de l’un de ses garçons, qu’il devrait en laisser un vivre, le laisser construire une famille, son avenir loin de lui. Il devait être présent. Il était grand temps qu’il ne prenne, enfin, le rôle qu’il devait avoir.

Joah passerait, le 25. Enfin, peut-être. Jusqu’au moment fatidique où il entendrait la sonnerie résonner dans l’appartement, le juge ne pouvait pas l’affirmer. Pas le moins du monde. Il l’espérait au plus profond de lui. Et ainsi, la soirée du 24 avait été très agréable, quoi qu’avec une pointe d’angoisse légèrement grandissante dans le ventre de l'homme. A Jay, il avait demandé qu’il en profite pour aller voir Alina. Parce qu’elle était sa mère, qu’elle ne méritait pas non plus qu’il lui tourne le dos. Elle devait avoir besoin de ses enfants, autant que Garrett. Autant que les trois garçons avaient besoin de leurs parents.

Le matin était bien trop vite arrivé au goût de Garrett. Tout autant que cette angoisse qu’il n’avait pas ressentie depuis qu’il avait passé les examens de magistrature. C’était une partie de son avenir, qui allait se décider en ce jour. Tout devait être parfait. Parfait pour le jeune homme. Parfait parce que c’était un père et son fils qui se retrouvaient après des semaines de haine et de séparation.

Alors le penthouse avait été préparé avec attention. Ils allaient se retrouver seulement à deux, ils pourraient discuter de tout ce que Joah voudrait. Il était peut-être temps que l’homme ne s’ouvre, maintenant. Il n’avait rien de plus à perdre, bien au contraire. L’appartement avait été parfaitement rangé, le repas préparé, la table mise. Les pièces étaient encore pleines des décorations installées par toute la petite famille, Lisa comprise. Garrett avait pris une douche, s’était fraîchement taillé la barbe et avait enfilé un costume, sans cravate.

Pour ne pas entendre le silence régnant dans les différentes pièces, un fond sonore à base de musiques de jazz résonnait. Garrett s’était installé dans un fauteuil, regard rivé sur l’horloge. Joah allait venir. Il allait venir, hein ? Est-ce qu’au final, ce ne serait pas le cas ? Les secondes, les minutes avançaient. C’était long, intenable pour le berlinois. Et si, finalement, c’était le seul moment où ils pourraient se retrouver ? Et que Joah décide de ne pas la saisir ?

Ses craintes, ses pensées se stoppèrent en même temps qu’il entendait frapper à la porte. Il n’y avait plus une seule seconde à perdre. Il sauta d’un bond sur son fauteuil pour rejoindre la porte et l’ouvrir bien trop rapidement pour cacher son enthousiasme. Joah était là. La dernière personne avec laquelle il souhaitait se réconcilier. Son grand garçon… Il fut incapable d’empêcher un sourire d’étirer ses lèvres. Il était tellement content. Visiblement, ce bonheur n’était pas partagé. Mais cela ne faisait rien. Ils pourraient tout de même passer un petit moment.

“Bonjour, Joah. Je suis tellement content que tu sois venu finalement !” dit-il en se poussant pour le laisser entrer.

Il le regarda bien évidemment entrer. Il prit sa veste ainsi que son casque pour le débarrasser avant de lui prendre le poignet pour l’emmener dans le salon, qu’ils s’installent ensemble, qu’ils puissent discuter un peu. Lui sur le canapé, le regard posé sur le visage de son fils, il n’arrêtait de toute façon pas de le fixer.

“Tu as passé un bon réveillon ? Comment tu vas ?”

( Pando )

Sa présence devant cette porte, il ne l'avait pas complètement souhaitée. Cet effort, il le faisait pour sa mère, et aussi un peu pour ses frères. Il ne voulait pas leur rendre la vie compliqué. Et c'était une bonne chose qu'Alina ait l'occasion de passer un peu de temps avec Jeremy, bien que pour une raison inconnue il avait décidé de tourner le dos à leur mère quand leur père menait une double vie depuis plusieurs mois, plusieurs années. Une demi-décennie, plus exactement. Donc pendant un cinquième de leur vie, Garrett avait joué au papa modèle, épuisé par le travail, occupé, jamais vraiment présent pour se taper une autre femme. Heureusement, il ne leur avait pas été annoncé qu'elle était enceinte, parce que ça aurait été encore pire pour Joah. Il aurait fait ses bagages, et serait tout simplement parti, loin. Loin de cette ville, loin des mensonges des soi-disant adultes, qui finalement faisaient plus de conneries que Jay, Joshua et Joah confondus, alors qu'ils étaient encore très jeunes, et que Joah avait tout de même un magnifique palmarès à son actif. Pourtant, ils avaient réussi à faire pire. Ce que Garrett avait fait, pour l'instant, ça laissait un trou béant sans son coeur.

Rester devant la porte, et faire croire à sa mère qu'il était venu, c'était une idée qui lui avait traversé l'esprit. Plus d'une fois, fallait dire. Il n'arrivait pas à se dire que, tout ce qu'il allait devoir faire, c'était faire comme si de rien n'était, et partager un repas avec le connard qui lui servait de père. Il avait le coeur en sang, et l'impression que sa vie n'avait plus de sens, mais pour faire plaisir à ce monstre pendant ce jour si sacré pour la famille qu'était Noël, apparemment c'était normal. Il en voulait à Alina, quelque part, de l'avoir poussé à se présenter ici. Et s'il ne lui avait pas fait la promesse d'essayait, il aurait très vite rebroussé chemin. Garrett n'avait qu'une chance : la loyauté de son fils envers sa mère était telle qu'il était incapable de lui mentir en la regardant droit dans les yeux. Et il aurait été incapable de lui faire croire qu'il était venu, s'il avait fini dans un bar minable. C'était le seul intérêt qu'avait cette visite à ses yeux : permettre que les relations mère/fils se déroule bien. Et laisser l'occasion à Alina de revoir Jay, s'il avait bien voulu, lui aussi se présenter chez eux.

Il fit mine de saluer son père quand la porte s'ouvrit. La joie de Garrett lui brulait la peau. Lui il n'était pas à sa place ici, et il le ferait comprendre à Garrett. S'il avait volontairement ignoré ses appels et ses messages, c'était pas pour se retrouver face à lui. Et pourtant, le voilà malgré tout.

Il toisa son père en l'observant concisément de la tête au pied. Il avait l'air de bien vivre pour un gars qui avait éclaté sa famille juste pour son petit plaisir. C'était révulsant. «Je suis pas venu pour toi, calme toi.» Son ton était sec, particulièrement cassant, mais surtout, et c'était le plus brutal, sans appel. Que Garrett ne se fasse pas de film. Il n'était pas venu avec un cadeau. Le seul qu'il était capable de lui offrir réellement, c'était de le tolérer, et de tolérer d'être dans la même pièce sans lui foutre un coup de poing dans les dents. Il n'avait pas vu ce qu'il avait fait de la mère de ses enfants. De Joshua. De Joah. C'était à peine s'il avait retrouvé le chemin de la douche, et s'il avait pleinement usage de ses jambes. Il n'allait plus à la faculté, non plus. Il ne faisait l'effort de manger que pour ne pas inquiéter sa mère et le frère qui avait bien voulu rester à la maison. Et aussi qui, pour l'instant, n'avait pas vraiment le choix.

En entrant, il jeta un nouveau coup d'oeil à son père. Il avait fait l'effort de s'habiller, là où Joah, que ce ne soit dans la tenue vestimentaire ou la manière dont s'articulaient ses membres, faisait volontairement acte de présence de mauvaise volonté. Il s'était habillé d'un jogging et d'un t-shirt trop large. Il avait même pris avec une fierté totalement démesurée, le t-shirt que son père détestait le plus, et qui avait un trou sur la côte. C'était son préféré, à Joah, pourtant. Mais avec les temps qui courraient dans sa vie, il ne l'en aimait que plus. Surtout avec son père qui aurait voulu le jeter à la poubelle. Il avait mis une veste de sport, qu'il retira, en faisant exprès de lever les bras pour mettre en évidence le trou et le t-shirt qui portait. Autrefois, il enlevait ses chaussures en entrant. Il ne prit pas la peine de demander à son père pour garder ses baskets blanches dans l'appartement. C'était sûrement la seule chose qui faisait "habillée" sur lui, et qui n'était pas dans un état terrible. On pouvait dire, du coup, dans un sens, qu'il avait fait un effort : ces vêtements alliés ensemble étaient fait exprès pour déplaire à Garrett.

Il soupira, agacé par les questions de son père. Il s'avachit sur une chaise, qu'il aurait presque pu casser en se laissant tomber dessus. Joah croisa les bras, et eut un petit sourire narquois, jaune et plein de reproche. «Oh. Parce que tout à coup ça t'intéresse ? Ecoute, Maman et moi on a passé un réveillon pas trop mauvais, vu les circonstances que t'as laissé. Et toi, alors ? T'avais ta pouf au rendez-vous ? Tu l'as exhibée devant tout le monde ? Oh j'imagine aussi que ta soeur devait être là. Un manifique ramassis d'hypocrisie pour Noel.» cracha-t-il à son père, sans honte, mais surtout, en restant calme, et ça, même lui, ça le terrifiait, cette manière qu'il pouvait avoir de rester calme tout en étant immonde avec son père. Bon, sauf que lui, il l'avait mérité.

( Pando )

Les adultes n’étaient pas les personnes les plus sages du monde. Beaucoup se prenaient pour des personnes responsables qui n’avaient de compte à régler avec personne. Mais ce n’était pas vrai, bien au contraire. Pour la plupart, ils avaient des proches. Une famille, des amis. Et s’ils devaient être en accord avec eux-mêmes, l’objectif principal n’était pas de blesser ceux que l’on aimait, en général.
Ces cinq dernières années, Garrett avait foiré sur toute la ligne. Enfants, femme, soeurs, amis et même amante déguisée en petite copine, il avait fait souffrir absolument tout le monde, d’une façon ou d’une autre. Il était totalement normal qu’il récolte le fruit de ce malheur qu’il avait semé autour de lui. Maintenant, il devait faire en sorte de tout réparer. Ou essayer, c’était la moindre des choses, lorsque l’on brisait quelque chose. Il avait brisé sa famille, brisé l’amour que ses enfants pouvaient lui porter, briser cette confiance déjà fébrile qui était entre eux.

En ce jour, Joah aurait pu décider de ne pas entrer. Motivé par Alina, le juge ne se faisait pas d’illusion, il aurait parfaitement pu faire croire à sa mère qu’il était allé voir son père. Ca aurait grandement blessé ce dernier mais ce n’était pas le plus important en ce jour. La joie qu’il avait ressentie en le voyant derrière sa porte était tellement grande… Mais ce plaisir n’était pas partagé. Et ça, Joah le renvoie très bien à son père. Ça ne serait pas simple. Mais ils allaient pouvoir discuter un peu, aujourd’hui. Ils allaient pouvoir passer du temps rien que tous les deux et peut-être que les tensions finiraient par tout doucement se calmer.

Les provocations étaient là. Joah exprimant clairement le fait qu’il ne soit pas présent pour le bon vouloir de son père. Il ne se faisait pas d’illusions du tout. Il n’était pas idiot. Cela ne pouvait pas l’empêcher tout de même d’être heureux de le voir. Il le laisse entrer dans l’appartement pour refermer la porte derrière lui. Pour ces retrouvailles, il avait imaginé bien des choses mais beaucoup loin de la vérité. Ça avait été une façon de se rassurer un peu. Parce que cette journée, il l’avait longuement préparée. Il voulait que tout soit parfait et en même temps, il voulait prendre le temps de s’ouvrir un peu à son garçon. Parce qu’il ne voulait pas refléter un père heureux qu’il n’était pas. Il ne voulait pas le brusquer et c’était assez délicat alors qu’il ne savait pas comment faire.

Prenant doucement la veste de sport pour la ranger et ne pas la laisser traîner, le regard du père passa sur ce haut trouer. Sa mâchoire se serra doucement et en même temps, il laissa un petit rire tendu sortir de ses lèvres. Joah était bien trop loin d’être idiot. Il avait préparé cette journée aussi, visiblement. Mais pas dans le même objectif que son paternel. Mais il y avait pensé également. C’était une attention à côté de laquelle il ne pouvait pas passer. Il n’allait rien dire mais elle allait lui planter un pique directement dans le cœur.

Sur la table de salon près d'eux avait été posé un plateau de charcuterie pour l’apéritif ainsi qu'un de fromage. Quelques petits légumes avaient été coupés et déposés dans des coupelles. Mais pas trop, non plus. Ce n’était pas la partie préférée de l’apéritif les légumes.
Ses yeux se levèrent vers le petit monologue qui lui était offert. Il ne dit rien, écoutant, encaissant. Qu’est-ce que le jeune homme serait doué pour devenir avocat ! Ça lui irait très bien, vraiment. Mais les circonstances ne se prêtaient pas vraiment à l’admiration. Il ne fronça pas les sourcils comme il le faisait habituellement. Il n’avait pas envie de hausser le ton avec le jeune homme. C’était une chose qu’il faisait beaucoup trop souvent avec Joah et ça ne lui plaisait pas. Pas du tout.

“Je n’ai jamais cessé de m’intéresser à vous, arrête de dire ça. Pourquoi tu insultes ta tante et Lisa ? Elles n’ont rien à voir dans la haine que tu me portes. Inga m’a simplement soutenu comme tu aurais pu le faire pour Jay. Et Lisa n’était au courant de rien. Elle ne connaissait pas votre existence ni celle de maman… D’Alina.” dit-il en soupirant légèrement. Joah prenait donc du plaisir à lancer toutes les vérités comme ça ? C’était blessant. Il n’était tout de même pas venu pour ça, si ?

Garrett se leva rapidement. Et partant vers le frigo, il récupéra une bouteille de champagne qu’il avait mise au frais. Il retourna s’asseoir sur le canapé tranquillement pour la déboucher, semblant assez pensif. Il se mit à remplir leurs deux flûtes avant de répondre.

“Je sais que j’ai fait une bêtise. Une très grosse bêtise. Mais elle est faite et je ne peux pas retourner en arrière, personne ne le peut. J’aimerais retrouver mes garçons… Me réconcilier avec vous trois, au moins un minimum. Vous êtes tellement chers pour moi Joah, vous n’auriez jamais dû vivre tout ça…Je voudrais m’excuser mais on va pas se le cacher, j’ai jamais vraiment su comment m’y prendre avec vous. Et mes excuses, tu n’en voudras sûrement pas. Mais quand même, merci d’être venu. Si on pouvait discuter un peu aujourd’hui au moins normalement, ce serait déjà beaucoup. Tiens, ta flûte.”

( Pando )

Autant ne pas se mentir, il aurait préféré être n'importe ou, tant que c'était ailleurs qu'ici. A tout moment, Joah serait capable de prendre ses jambes à son cou, et de partir, tel un voleur. Il n'avait toujours pas digéré ce qu'il avait appris, les mensonges et la trahison de son père, soutenue par cette chère Tatie Inga. La famille avait explosé par pur égoïsme du frère et de la soeur, qui avaient maintenu une façade sans tache. Mais la vérité finissait toujours par exploser, il le savait, il l'avait vécu lui aussi, bien qu'il n'ait jamais caché aucun secret de la même ampleur que ce que Garrett et Inga n'étaient en mesure de réaliser. Des mensonges, encore et toujours, c'était tout ce qu'ils étaient capable d'offrir à Jay, Josh et Joah. Tu parles d'une famille !

Il y avait tellement de colère en lui qu'il s'étonnait encore de ne pas avoir fait faux bond à son père, et de ne pas avoir finalement fait demi-tour pour se trouver une vraie activité intéressante dans laquelle il n'y aurait pas l'une des personnes qu'il détestait le plus. Etre infidèle, ça pouvait arriver, il ne disait pas. Sûrement que ça aurait pu lui arriver à lui aussi, s'il avait été en couple. Mais s'inventer une vie, mentir des deux côtés... Au moins il comprenait ses absences et son manque d'intérêt pour sa famille. Parce que même s'il était parfois là pour proposer des activités à ses trois fils, il se démarquait plus par son absence que son intérêt. Et peut-être que c'était l'amertume de Joah qui parlait, mais il savait très bien qu'il y avait une part de vérité dans les mots qu'il s'apprêtait à cracher au visage de son père, comme un juron. «Magnifique façon de montrer son intérêt pour ses enfants que se désintéresser d'eux, et d'aller voir ta maîtresse..» Son regard se durcit tout en s'assombrissant. «Ta soeur ne vaut pas mieux que toi. Elle a gardé le secret juste parce que ça ferait du mal à maman. Elle aussi pourrie que toi, t'en fais pas.» Il savait, il avait très bien vu que le courant n'était jamais passé entre Alina et Inga. Il avait toujours gardé secret son ressentiment à cet égard, par respect pour chacune d'elle qu'il aimait très fort, mais maintenant qu'Inga n'avait plus d'importance à ses yeux, il pouvait très bien le dire. Elle n'avait jamais fait le moindre effort pour voir la merveilleuse personne qu'Alina était. C'était tout le temps des simagrées, et jamais de la vérité. Et elle se fichait de blesser ses neveux, qui remarquaient très bien la supercherie. Ils n'étaient pas totalement idiots.«ça n'empêche que vous vous êtes remis ensemble ? Donc dans le fond, ta Lisa, là, ça la gêne pas de massacrer une famille. Vous vous êtes bien trouvés.»

Il était resté le cul vissé sur son fauteuil, parce que s'il se décidait à bouger, c'était pour retrouver sa moto, et pour rentrer, ou peut-être aller hurler sur le bord de l'Elbe pour enlever tout le malheur qui lui saisissait l'estomac. Comment en étaient-ils arrivés là ? Avant, il adorait son père. Et ça le sciait en deux de voir comment les choses avaient évolué. Mais il n'avait rien d'autre en tête que la colère qui émanait de la présence de son père devant lui. Devoir faire comme si de rien était, ça le foutait en l'air. Joah n'était pas de ce genre de personne là, en temps normal. Mais il avait promis à sa mère.

Quand Garrett revint avec une bouteille de champagne, Joah haussa les épaules. Ok, c'était Noel, mais de là à ouvrir une bouteille avec lui, il y avait tout un monde, non ? Il repensa aux mots d'Alina et finit par se laisser aller à sa promesse. Pas de problèmes avec son père. Faire des efforts. Même si dans le fond, il estimait que ça n'était pas à lui d'en faire. Alors, il prit sa coupe, alors qu'il finit par rire jaune. Sérieusement ? Comme un réflexe, il reposa sa coupe, et se releva, enfin, sur ses deux pieds. «Arrête. T'as pas le droit de dire ça. Si t'avais fait des efforts pour être là plus souvent, t'aurais le droit de dire que tu sais pas t'y prendre avec nous. Aujourd'hui, si tu sais pas comment faire, c'est parce que t'as jamais essayé. C'est injuste que t'aies le culot de sortir quelque chose comme ça..» Il passa sa main sur son visage. Non mais le toupet ! Il n'y croyait pas.«Mais j'ai pas envie de discuter normalement avec toi. T'avais qu'à y penser avant au lieu de nous mentir droit dans les yeux, à Josh, Jay et moi.. Et à maman. T'avais qu'à prendre plus de temps pour être avec nous si tu voulais discuter normalement.» Son visage se déforma légèrement, avant qu'il reprenne, amer, austère et d'un ton froid, sec et cassant. «J'aurais jamais du venir. Tu vois, c'est maman qui m'a forcé à me pointer. Comme quoi sur les deux, il y en a au moins un qui respecte l'autre.» Et désormais, c'était du vrai dégoût qui s'était installé sur son visage déjà démissionnaire sur la mission confiée.

( Pando )

Les liens d’une famille, c’était très complexe, des choses qu’il était très compliqué de décrire. Des liens qui changeaient d’une famille à une autre, d’une personne à une autre. Personne ne pouvait comparer les relations, c’était totalement différent, même entre plusieurs frères, par exemple. Et faire du mal à une personne de sa famille, c’était très difficilement pardonnable, surtout lorsque cela provoquait une rupture, totalement ce qui c’était passé pour la famille Dinckel.

Dans la pièce, un certain malaise régnait. Garrett n’avait pas forcément envie de faire bonne figure, de faire comme si tout allait parfaitement bien. Parce que ce n’était pas le cas. Mais si les deux hommes étaient réunis, c’était aussi pour pouvoir en discuter. Malgré la haine et la colère qui émanaient très clairement de Joah, le père de famille avait envie de croire qu’il pourrait s’expliquer un peu, qu’ils pourraient réussir à adoucir la soirée au moins un peu. La relation entre les deux hommes avait toujours été très houleuse, ils étaient comme ça. Joah haussait la voix et Garrett qui était pourtant très calme le faisait également pour pouvoir se faire entendre au moins un minimum. Aujourd’hui la colère du plus jeune était totalement légitime, le quarantenaire n’avait pas du tout prévu de s’énerver, juste de lui dire les choses.

Les attaques personnelles, Garrett pouvait les encaisser à la perfection. Enfin les encaisser et ne rien dire pour se défouler plus tard. Mais très certainement pas les attaques envers les personnes qu’il aimait, que ce soit Lisa ou Inga, il pourrait se battre comme une vraie harpie en ce qui les concernait. Alors forcément, dès que Joah insulta très clairement sa tante, ses sourcils se froncèrent et il secoua doucement la tête, totalement interdit. « Ca, je ne te le permets pas, Joah. Tu n’imagines pas le nombre de fois où ta tante a essayé de me résonner, de me pousser à vous parler. Mais je ne l’ai jamais fait. Ça lui a énormément couté de vous mentir très clairement, à tes frères et toi. Qu’elle apprécie maman ou pas, elle a fait tout ce qu’elle a pu. »

Tout de même, c’était Noël. Et si la veille ils avaient fait un repas végans, aujourd’hui c’étaient des plats que Joah aimait, qu’avait préparé Garrett. Et avoir son grand garçon près de lui était une très bonne excuse pour ouvrir une bouteille de Champagne, qu’ils soient en bons termes ou non. Le berlinois n’allait très certainement pas ouvrir des bières ou des bouteilles bas de gamme. Oh que non. Le père de famille n’eut absolument pas le temps d’attraper sa flûte que Joah posait la sienne et se levait. Il releva le regard pour l’observer et l’écouter, secouant immédiatement la tête, très clairement pas d’accord du tout. « Excuse-moi ? Ne fais pas comme si je trompais Alina depuis votre naissance. Certes je faisais mes études à côté mais je vous ai quand même élevé. J’ai changé vos couches et reçu du vomi tout autant qu’elle. Ne m’accuse pas de ce que je n’ai pas fait, j’ai passé énormément de temps avec vous. Pas à la maison, certes, mais quand même. J’ai fait tout de que j’ai pu. J’ai détesté vous mentir et j’ai pratiquement jamais menti à votre mère, elle n’est pas idiote du tout. Je ne peux pas réparer ce que j’ai fait maintenant, c’est trop tard. Cependant, je peux essayer de faire ce que je peux pour réparer l’avenir. » dit-il en secouant légèrement la tête. Il finit par prendre la main du plus petit pour le tirer un peu vers le bas, pour faire en sorte qu’il s’assoit de nouveau. « Tu ne veux pas discuter normalement, d’accord, c’est pas ce que je te demande. On est là, rien que tous les deux. Donc tu peux me dire tout ce que tu veux, je t’écoute. Après ça je te laisserais partir si tu as envie si c’est ce que tu veux, mais au moins qu’on perce l’abcès avant de le laisser s’infecter totalement. »

( Pando )