Isadora • Fantôme du passé

Chaque mois, le même rituel. Comme d’habitude, aujourd’hui, Cornelia a rendez-vous au Beauty Center pour refaire sa manucure, son habituel soin du visage, l’épilation de ses sourcils, l’entretien de sa chevelure et son traditionnel massage du visage, comme à chacune de ses visites. Pour le travail. Pour le travail parce que le patinage artistique demande naturellement beaucoup de technique et de maîtrise dans sa pratique, mais pas seulement. En réalité, c’est aussi un travail qui demande de présenter une certaine image. Et Cornelia n’est tout bonnement pas capable de perdre des heures chaque semaines pour s’occuper de s’épiler les sourcils, limer ses ongles ou les vernir, alors le travail des employés du centre est la meilleure solution, pour elle, pour avoir toujours une allure impeccable en toute circonstances. Ils se chargent de son apparence, elle s’occupe de travailler sa technique et d’entretenir sa grâce.

Pressant l’allure ce matin-là, en jetant un coup d’oeil à sa montre comme elle a rendez-vous au centre dès l'ouverture, elle réajuste son sac sur son épaule en même temps qu’une voiture passe près d’elle à vive allure, manquant de peu de l’éclabousser. Il a plu hier soir et toute la nuit. L’air est encore humide, le bitume trempé et les conducteurs indélicats au rendez-vous. Pas que cela la surprenne vraiment. C’est comme ça chaque fois qu’il pleut ou qu’il a plu. Il y a ceux qui font attention aux piétons. Et il y a les autres, aux volants de leurs grosses berlines, qui s’en foutent.

Une silhouette qui vient en sens inverse capte son attention alors qu’elle approche du centre esthétique et elle fronce les sourcils comme elle est soudainement saisie d’une impression de déjà vue. Il lui semble qu’elle connaît ce visage qui s’avance, sans pouvoir en être certaine cependant. Sans pouvoir savoir, surtout, où elle avait bien pu le voir auparavant et ce mystère l’intrigue, lui faisant froncer d’avantage les sourcils au fur et à mesure qu’elles se rapprochent l’une de l’autre.

Il y a quelque chose d’étrange là-dedans, de bizarre. Comme une intuition en alerte, qui lui signale qu’elle devrait savoir, qu’elle devrait comprendre, qu’elle devrait réaliser ce qui se passe, mais elle ne comprend pas. Elle est loin de comprendre. Si elle connaît vraiment cette fille, alors cela fait des années qu’elle ne l’a pas vu. Mais ce n’est probablement qu’une impression. Qu’une bête illusion. Secouant la tête, elle s’apprête à tourner pour atteindre la porte du Beauty center quand la réalité la frappe si fort qu’elle se retourne rapidement vers l’inconnue qui avance toujours, sans même qu’elle ne sache si cette dernière a réalisé, elle aussi, qu’elles se connaissent. Mais ça ne se peut pas… La personne à laquelle elle pense est portée disparue depuis des années. Elles étaient encore à l’école, à cette époque. Un jour, après la classe, elle avait disparu et n’était plus revenue. La maîtresse avait expliqué, alors, que quelqu’un l’avait enlevée. Elle ne l’avait pas dit comme ça, avait utilisé des mots que les enfants pouvaient comprendre, accepter, mais le résultat était le même. Non, ça ne pouvait pas être la même personne. On ne l’avait jamais retrouvée mais les recherches avaient été abandonnées depuis longtemps. Comme si tout espoir d’une issue favorable était perdu. C’était une de ces enquêtes qui croupissent des années en occupant des équipes. Et pourtant…

"- Isadora Richter ?!" la hèle Cornelia alors que la jeune femme vient de passer devant elle sans donner l'impression de l'avoir reconnue ou même remarquée.