Un tatouage, c'est plus qu'un dessin sur la peau - feat. Will

L'esprit perdu sur mon dessin, installé à ma table de travail, j'esquisse les lignes du prochain tatouage de l'un de mes clients les plus fidèles, Nicola, duquel je n'aurai bientôt plus un seul centimètre de peau à couvrir de mes œuvres. Combien lui en ai-je dessiné, déjà ? Quelques uns. Beaucoup. Trop ? Il n'y en a jamais trop. Un passionné trouve toujours de nouvelles idées, a toujours de nouvelles envies. Et il n'y en a jamais trop. Je connais ça moi aussi. Plus d'une centaine d'œuvres recouvre mon corps. Les miennes, parfois. Celles d'autres artistes, le plus souvent.

La sonnette de l'entrée me tire de ma rêverie. Combien de temps me suis-je perdu dans les traits de mon esquisse depuis que j'ai regardé mon téléphone ? Cela m'a paru être quelques secondes. Ce sont des dizaines de minutes, en réalité. Me levant donc, je range un peu ma table de travail et me lave les mains pour effacer les traces de crayon gris, avant de rejoindre mon client dans l'accueil du salon. Un visage connu, qui n'a rien à voir avec ma pratique du tatouage, pour une fois, puisque c'est un de mes proches amis qui se tient là, devant moi, désireux d'enfin sauter le pas du dessin indélébile. Après avoir tatoué Philipp il y a quelques temps déjà, d'un magnifique fer à cheval, il semblerait que ce soit au tour d'Anton de tester mon dermographe, pour mon plus grand plaisir.

"- Anton ! Bien et toi ?"

C'est le grand jour, celui du choix de son dessin, même s'il n'a pas encore d'idée. Je hoche la tête, le sachant déjà pertinemment. L'avantage de s'occuper de ses amis, c'est qu'on les connaît bien, pas uniquement dans leurs goûts, mais bel et bien dans leur personne toute entière. Dans leurs habitudes. Dans leur caractère.

"- Ok. Pas la moindre idée de ce que tu voudrais donc ? Tu as déjà une idée de l'emplacement ?"

Je l'invite à prendre place, désignant un siège alors que je m'installe sur un autre, mon carnet à croquis sur mes genoux, mon crayon en main. Alors que je l'écoute, j'ébauche déjà les premières lignes de l'idée qui me vient, basée sur sa personnalité, ce que je sais de lui.

"- Tu as déjà une idée de ce que tu aimerais qu'il représente ?"

"- Ah ça... L'impression de n'avoir rien à faire, de tourner comme un animal en cage..." je ris. "Je connais ça !"

J'adore le dessin et cela occupé la plupart de mon temps. Mais lorsque je ne suis pas en train de dessiner j'ai le besoin de m'occuper autrement, pour ne pas virer complètement folle. Je suis du genre à ne pas pouvoir tenir en place, sinon. C'est peut-être pour ça que j'aime autant la moto. Pas besoin cependant de faire foncièrement quelque chose de très énergique. Je peux simplement voir des amis. Mais j'ai besoin de m'occuper. Un peu comme lui. On est pas amis pour rien, à l'évidence.

Faire un tatouage n'est jamais une chose anodine et jamais un motif ne devrait être choisi au hasard. Pourtant, je devais bien avouer que sur mon propre épiderme, il y avait plusieurs dessins que je n'avais pas forcément bien réfléchi. Parfois, je m'étais tatoué moi-même sur un coup de tête et parfois, j'avais laissé faire des collègues en afterwork ou en salons éphémères. Parfois, en formation, il nous arrivait de vous entraîner les uns sur les autres et j'avais donc sur ma peau quelques vestiges de cette époque. Tous mes choix n'étaient pas forcément mûrement réfléchi, par conséquent, mais je préférais pour mes clients que ça le soit. Il n'y a rien de plus horrible à mon sens, dans mon art, que d'arborer un dessin que l'on ne supporte plus ou que l'on assume pas. Je mettais donc un point d'honneur à ce que mes clients choisissent bien leur motif et réfléchissent bien avant de se faire tatouer. Plus encore s'il s'agissait d'amis. Cela m'ennuierait beaucoup qu'Anton vienne me voir dans quelques temps pour se faire retirer son tatouage. Mieux vaut l'éviter et ce d'autant plus que la manœuvre est assez douloureuse. Ma cheville s'en souvient encore, pour l'avoir expérimenté.

Laissant mon ami parler, il finit par se rendre compte, en réalité, qu'il a beaucoup plus d'idées qu'il n'y paraît. En fin de compte, il ne part pas vraiment de zéro puisqu'il sait qu'il voudrait que cela raconte un peu sa vie, finalement. Que cela évoqué l'armée et la chirurgie. Je hoche la tête. Ses mots m'inspirent.

"- Hé bien tu vois que finalement tu as des idées ! Pour le texte il faudra voir l'emplacement et le dessin final, voir si ça s'imbrique bien. Mais finalement ça fait pas mal d'éléments !"

D'ailleurs, je commence à dessiner. Une arme de laquelle j'aillis non pas une balle mais un rythme cardiaque, que je lui montre en même temps que j'esquisse, déjà, autre chose, que je finis apr froisser, insatisfaite.