A² * Never gonna give you up

Lorsqu’elle avait lu le message de sa meilleure amie lui annonçant la visite surprise de Jim et l’état dans lequel elle était à la suite de celle-ci, Adélaïd n’avait pas tardé à rassembler ses affaires pour prendre la route, s’arrêtant dans une petite épicerie sur le chemin de Finkenwerder où résidait Abigaïl pour acheter quelques provisions dont elle se doute que son amie aura besoin. Pour les peines de cœur, quoi de mieux que la visite d’une personne que l’on aime, un film et des pots de glace ? Probablement rien, même si naturellement ce n’est pas ça non plus qui répare un cœur brisé. Car le cœur de la policière l’est, sans nul doute, après toutes les épreuves qu’elle avait eu à traverser au cours de ces derniers mois et dont l’enseignante connait parfaitement la difficulté, pour en avoir traversé des semblables un peu plus d’une décennie plus tôt. Même si son compagnon d’alors n’était à l’évidence pas l’homme de sa vie. Peu importe. Elle ne savait que trop bien ce que cela faisait que de perdre un enfant, perdre pied. Elle ne savait que trop bien ce que c’était que de s’imaginer mère sans jamais le devenir. Que de préparer sa vie pour la venue de cet enfant, sans pouvoir jamais le tenir dans ses bras. Elle avait vécu ça, elle aussi. Mais elle avait eu moins de temps que son amie pour se projeter dans cette maternité avant de voir ses illusions s’effondrer.

Entrant sans frapper dans l’appartement qu’elle connaît trop bien, où Abigaïl a emménagé depuis son retour en ville, la brunette pose ses achats sur la table avant de partir à la recherche de sa meilleure amie qu’elle retrouve comme elle l’avait dit dans son message, avachie dans le canapé du salon, duquel elle semblait n’avoir pas bougé.

”- Abi ?” souffle-t-elle en approchant, s'asseyant à côté d’elle. ”Je suis là…” murmure l’enseignante, avant de la prendre dans ses bras.

Au milieu du salon de son amie, une tornade semble avoir frappé alors que des bris de verres sont répandus sur le sol, de même que le liquide qu’il contenait et qui, ayant imbibé le parquet, le fera probablement gondoler. De petits travaux seraient peut-être nécessaires pour rénover l’espace. D’autant plus que cette trace ne partirait pas avec un coup de chiffon, si tout ça était incrusté. Mais ce n’était définitivement pas le plus important dans l’immédiat et ce n’est d’ailleurs pas ce qui retient l’attention de la brune. Seule la silhouette de sa meilleure amie avachie sur son canapé compte et capte son regard. Et l’enseignante la rejoint alors, l’enveloppant de sa présence et de son affection, la soutenant comme elle le peut. Elle est là, dit-elle, le pensant réellement, offrant à la brune une épaule pour pleurer, une oreille pour l’écouter. Abi pouvait tout lui dire, vraiment tout. Elle pouvait soulager son coeur auprès d’elle, elle en avait parfaitement conscience. Mais songeant qu’elle avait peut-être besoin d’un peu d’aide pour se confier, d’une invitation, l’enseignante le lui rappelle, par quelques sous-entendus.

Comme Abi affirme que sa relation avec Jim est terminée à présent, que l’homme est venue la voir pour mettre un terme définitif à leur histoire après les horreurs qu’ils ont traversé, Adelaïd glisse une main qui se veut apaisante dans la chevelure de sa meilleure amie. Malheureusement, elle ne sait que trop bien comme la perte d’un enfant peut perturber un couple et le détruire. Elle ne sait que trop bien à quel point l’un et l’autre souffrent de la situation et si Abigaïl n’avait pas été sa meilleure amie, elle aurait été parfaitement incapable d’en vouloir à Jim de perdre les pédales. Mais la flic étant sa meilleure amie, bien sûr, la donne était différente et voir Abi dans cet état était pour elle un crève-cœur duquel elle n’était pas prête d’absoudre l’américain.

”- Je sais que c’est difficile…” souffle la trentenaire, berçant son amie entre ses bras. ”Il t’a dit pourquoi ?” poursuit-elle, curieuse de cerner au mieux la situation et pouvoir aider Abi, quand bien-même elle n’avait pas été très douée pour s’aider elle-même.

Quel foutoir. Une fois que sa meilleure amie posera un pied à l’intérieur de l’appartement, elle pourra découvrir de ses propres yeux la tempête Powell qui a tout basculé sur son passage. Les bris de sa bouteille de bière gentiment offerte par Abi lors de son arrivée mais aussi et surtout, le cœur en miettes de l’officier de police. C’est une dur à cuire. Ca n’a jamais été dans sa nature de se laisser dans ses propres sentiments sans contrôler ses sentiments. Pourtant, ce soir, elle ressent ce besoin d’évacuer et naturellement, ça passe par les sanglots. Elle souffre, elle a mal. Elle s’était habituée à vivre à des milliers de kilomètres de son homme oui, mais pas de le perdre définitivement. Comment égarer le seul amour qui a pu compter dans ta vie ? En traversant la pire des épreuves. La perte d’un bébé. Et voici où ils en sont. Nulle part et partout à la fois. Abigaïl a les yeux rougis à force de trop cogiter et surtout devoir se faire à l’idée que son horizon ne serait plus tourné vers Jim. La plaie est si récente que ça lui est impensable à envisager. La seule personne qu’elle a besoin de voir la rejoint enfin, elle niche sa bouille dans son cou en lâchant davantage les larmes qu’elle avait pris soin de calmer depuis la rupture.

Les larmes coulent. Cela ne s’arrête plus. La respiration saccadée, il faut qu’elle reprenne plusieurs fois son souffle pour envisager de se calmer. Elle ferme les yeux à l’écoute de ses mots. « Je suis incapable de trouver le bonheur ailleurs qu’à ses côtés.. Il n’arrive toujours pas à le comprendre.» souffle la jeune femme, en recommençant à pleurer. « Il n’a pas accepté que j’explique mon départ par lettre. Du coup, par rapport à moi, lui a eu le cran et le courage de venir jusqu’à moi pour poser les termes de notre relation. » Elle attrape la main de sa meilleure amie pour la serrer fort. « Tu n'imagines pas à quel point je peux l'aimer. Je n'ai jamais songé une seule seconde quand j'ai emménagé ici que je souhaitais tourner ce chapitre de ma vie et passer à autre chose. »

Évidemment, le monde d’Abi est sens dessus dessous si Jim n’est plus là et Adelaïd peut le comprendre, même si elle n’avait pas vraiment ressenti la même chose lorsque tout s’était terminé avec son ex. Pas du tout la même chose, à vrai dire, de quoi lui faire prendre conscience que cette relation d’alors était très superficielle en fin de compte, en tout cas pas le grand amour comme c’était le pas pour sa meilleure amie et l’homme de sa vie. De ce constat toutefois la brune ne souhaite pas s’encombrer pour le moment, ce n’était pas elle qui avait besoin d’aide mais bien sa meilleure amie. Ce n’était vraiment pas le moment de flancher elle aussi sur ses erreurs passées et ses croyances évincés.

”- Oh Abi..” souffle la brune en la cajolant encore. ”Tu le lui as dit ?” s’enquit-elle en repoussant légèrement sa meilleure amie afin de pouvoir la regarder dans les yeux.

Les larmes dévalant les joues de la policières toutefois, sa meilleure amie s’empresse de la ramener tout près d’elle, la prenant dans ses bras de nouveau en espérant que ce serait suffisant, dans l’immédiat, pour qu’Abigail se sente soutenue et puisse se calmer un peu. Elle n’était pas seule dans cette épreuve et l’enseignante espérait qu’Abi en avait conscience. Elle espérait que ce serait assez pour que la brune puisse se calmer un peu, alors que ses sanglots l’étouffaient quelque peu.

Si Abi avait pris de la distance avec son cher et tendre en lui laissant une lettre, il était évident qu’elle aimait toujours Jim, qu’elle ne pouvait pas vraiment faire sa vie sans lui. Après la perte de leur bébé, bien sûr, elle avait eu besoin de temps, de prendre du recul… Mais pas d’abandonner totalement leur relation. Cependant, elle avait laissé Jim seul face à ses propres douleurs, c’était indéniable. Une remarque qu’Adélaïd garde néanmoins pour elle, consciente que son amie n’avait pas besoin d’entendre ça aujourd'hui et souhaitant être un réel réconfort pour elle.

”- Il aurait fait tout ce trajet uniquement pour ça ?” s’étonne toutefois la brune en cajolant encore son amie. ”Tu sais combien de temps il compte rester ?”

Bien sûr, Jim sait à quel point Abigaïl l’aime. Il sait tout ce que la brune vient de dire à sa meilleure amie, mais l’officier de police songe qu’elle lui a fait trop de mal pour que tout ceci compte, à présent. Il est vrai qu’en partant comme elle l’a fait, Abi a certainement détruit un peu plus un homme qui essayait de se reconstruire après la perte de leur bébé. Mais elle ne l’avait pas fait de gaieté de cœur. Elle l’avait fait pour se sauver, se protéger, réussir à avancer. Si Abigaïl avait tant eu besoin de revenir auprès des siens, c’était que la douleur qui était la sienne était trop grande, trop violente, trop profonde. Cela n’excusait pas tout, encore moins aux yeux de Jim, mais les motivations qui avaient été les siennes étaient compréhensibles, tout comme l’était la réaction de l’homme à présent. Au milieu de ce feu désormais, Adelaïd devait essayer d'apaiser sa meilleure amie, de la consoler dans son tourment, encore ébranlée tant de sa rupture sur laquelle l’homme avait mis des mots, que sur les événements traumatiques de son passé, ressurgissant désormais.

”- Dans la vie, ça arrive qu’on déçoive les gens qu’on aime, mais ce n’est jamais irrattrapable." assure la brune.

Elle peut comprendre que l’homme soit déçu, elle peut comprendre qu’il soit blessé, mais elle sait aussi que les deux s’aiment et qu’ils peuvent rattraper les choses, qu’ils peuvent repartir sur un bon pied. Elle sait que ce n'est jamais facile de traverser une telle épreuve, puisqu’elle a connu la même chose, la même situation. Son couple ne s’est pas relevé, mais celui de sa meilleure amie… Elle croit qu’il le peut. Elle veut que cela soit possible. Elle veut que sa meilleure amie ne traverse pas les mêmes épreuves qu’elle a traversées elle-même. Elle veut croire que la vie sera plus douce avec elle. Que les choses vont s’arranger. Alors, tant bien que mal, comme elle peut, elle essaie de consoler la jolie brune et de la réconforter, la conseiller du mieux qu’elle peut.

”- Ce n’est rien, tu y réfléchiras plus tard.”

Est-ce qu’il aurait vraiment pu faire le trajet depuis les USA seulement pour mettre un terme à leur histoire ? Il aurait vraiment fait 21 ou 22 heures de vol uniquement pour lui dire en face que tout était terminé entre eux ? La jeune femme en doute. Cela ne lui semble pas possible. Mais peut-être. Après tout, qu’est-ce qu’elle en sait vraiment ? Peut-être que sa peine avait été trop grande pour qu’il ne fasse pas l’aller-retour.

”- Peut-être pas ! Tu veux essayer de l’appeler, pour être sûre ?”