Justin • Qui fait le malin tombe dans le ravin

Le marché de nuit de St-Pauli était tout sauf un marché normal. J'en avais conscience depuis des années. Peut-être même depuis toujours. Depuis que j'étais adolescent, je prenais plaisir à me promener dans les allées du marché nocturne, chinant les bonnes affaires, repérant les bibelots les plus originaux qu'il était donné de voir dans les environs. Ici, il y avait une ambiance particulière. Les gens étaient sympathiques, et tous appréciaient de partager ce moment de convivialité à la nuit tombée. Pour ma part, je n'étais pas vraiment ce qui pouvait s'apparenter à une collectionneuse. Loin de là. Ma mère avait bien plus de bibelots que je n'en aurais jamais. D'ailleurs, quand je prenais quelque chose ici, la plupart du temps, c'était pour ma mère. Car ce que je cherchais plus que tout en ces lieux pour ma part était de l'inspiration. Ça et là, il y avait tout un tas d'œuvres d'art qui pouvaient nourrir mes dessins, ma propre créativité. J'en étais friande. C'est ce qui m'appelait plusieurs mercredi soirs pour faire un tour ici. L'appel de l'art. Du beau. De l'ancien.

Comme je me penche pour admirer un vase de Chine, en porcelaine, un cri dans la foule me fait relever le menton. Un peu plus loin, une femme s'égosille, alors qu'un type s'est mis à courir après être passé près d'elle. À sa main, une chaîne de sac. Un sac à main. Ni une ni deux, sans réfléchir, je me lance alors à la poursuite de l'homme qui vient de me passer devant. Un voleur. Un putain de voleur, comme c'est étonnant !

"- Toi là ! Arrête toi !" ordonnais-je "Crois moi mon gars je vais pas te lâcher comme ça ! Rend ce sac et tout va très bien se passer ! Joue pas au plus malin !" annonçais-je, courant encore.

S'il espère me semer, il se met le doigt dans l' œil. Malgré mes 40 ans, je m'en sors encore très bien à la course. Et de toute évidence, je ne suis pas seule à courser l'impudent, comme j'aperçois une silhouette sur sa droite qui court également.

"- Croit pas qu'on va te laisser t'en tirer, connard !"

Justin ignorait totalement comment il avait pu se trouver dans une telle situation, dans un marché de nuit où il ne connaissait absolument rien du tout, loin des endroits qu’il avait pour habitude de fréquenter la nuit. Lui préférait les endroits où l'on dansait à en perdre la tête, les endroits où la musique était tellement forte qu’elle pouvait empêcher qui que ce soit de penser de façon normale, rationnelle. Mais là, dans une autre rue de ce quartier, il avait été emmené par une jolie fille qu’il avait eu le malheur d’aborder. Pourquoi fallait-il qu’il soit si sociable, au juste, pour se retrouver dans de telles situations en ignorant totalement comment s’en dépatouiller ? En passant autour des étales, en répondant aux paroles de celle qu’il accompagnait, il cherchait un moyen de s’en aller de façon tout à fait polie, s’ennuyant à mourir dans ce genre d’endroits alors qu’il ne prenait pas non plus vraiment le temps de vraiment s’y intéresser.

Puis soudainement, il entendit des cris. Bien évidemment, tout le monde tourna la tête pour observer ce qui se passait mais peu de monde semblait à même de lever le petit doigt, ce qui était tout à fait aberrant lorsque l’on voyait une personne en détresse, une personne qui venait de se faire dépouiller. Sans prendre le temps de s’excuser ou même de réfléchir, le jeune homme se it à courir à la poursuite du voleur, évitant comme il pouvait les personnes présentes. Il ne fit même pas attention à la personne qui était en train de poursuivre le mécréant également. Tant que quelqu’un réussissait à l’arrêter, rien était plus important. Pour courir, avec ses petites baskets de ville, il n’avait pas les chaussures adéquates mais cela ne l’empêchait pas de filer à travers la nuit. Soudainement, alors que le voleur semblait commencer à perdre un peu en vitesse, visiblement pas préparé à courir si soudainement, si vite ou à être poursuivi par quelqu’un qui se serait intéressé à ce qui se passait, Justin l’eut à portée de bras. Enfin, en tendant le bras, il réussit à attraper la capuche de l’autre. Il s’arrêta comme il pu ce qui coupa la respiration au voleur au passage, ce qui n’était pas forcément voulu, et le fit se stopper pour respirer. Justin l’attrapa par le poignet pour le serrer, un regard méchant, qu’il ne se connaissait pas, posé sur l’homme. « Je crois que tu as quelque chose qui ne t’appartient pas. »

Si le type qui continue de courir comme un diable s’imagine que je vais le lâcher et le laisser tranquillement disparaître dans les rues de la ville avec son butin, il se fourre le doigt dans l'œil, complètement ! Je ne sais pas ce qu’il en est pour la silhouette que j’aperçois lui courir aussi après mais pour ma part je ne compte pas le lâcher si facilement et il peut me croire, j’ai encore un très bon cardio pour mon âge, entretenu par l’activité physique. Ok, je suis plus branchée moto et levé de pintes, je l’admet. Mais je me débrouille encore bien pour la course. Enfin, je crois. Suffisamment pour pouvoir maintenir la cadence, en tout cas et continuer de courir sans cracher mes poumons. Jusqu’ici tout du moins, même s’il ne faudrait pas non plus qu’il me fasse courir comme ça encore une vingtaine de minutes. J’espère bien le coincer avant, ce sale type ! Mais il semble que je ne sois pas assez rapide, en tout cas, pour réussir à l’attraper. Chaque fois que j’ai l’impression de m’en approcher, de l’avoir à portée de main, j’ai l’impression qu’il file entre mes doigts, qu’il m’échappe. Bordel. Il ne perd vraiment rien pour attendre. Quand je l’attrape, je vais m’le faire, c’est certain !

”- Oh bon sang !”

Je m’exclame en apercevant le mouvement du type qui courait à mes côtés et qui bondit presque sur l’autre gars, attrapant sa capuche avant de lui saisir le poignet, l’empêchant de poursuivre sa course. Me stoppant moi aussi, je remarque que je suis essoufflé. Comme quoi. Ce serait peut-être pas du luxe de me remettre un peu au sport et de calmer la cadence avec les demis de bière. C’est pas un point de côté que je sens, là ? Possible. Probable. Je l’ignore volontiers.

”- Un sac, si t’as besoin qu’on te fasse un dessin, pauvre tache !” crachais-je. "T'as pas honte de t'en prendre à plus faible que toi ? Voler c'est déjà mal, mais voler une petite mamie !"

J'sais pas ce qui m'retiens de lui en coller une, à ce gros con. Peut-être que je sois plutôt pacifiste, en général. Ouai.

L’injustice est une chose qui me dépasse, que je ne comprends pas et que j’ai beaucoup de mal à pardonner, quand toutefois j’y parviens. Mais alors s’en prendre à plus petit, plus faible que soi, c’est quelque chose qui me dégoûte plus que tout. Que l’on puisse s’en prendre à des personnes sans défense, ça me sidère. Et me révolte en même temps. S’en prendre à un enfant, une personne porteuse de handicap, une personne âgée… sont autant de comportements que je trouve détestables et plutôt condamnables. Des comportements que je ne sais pas accepter. Qui me mettent en rogne. Et comme l’autre type a attrapé le voleur, je ne me fais pas prier pour réclamer le sac à ce dernier, lui en mettant plein la tête au passage, qu’il comprenne à quel point il avait été merdique, s’il se prenait pour un caïd. Tout ce qu’il avait réussi à faire, c’était me donner des envies de l’éclater, même si je ne le ferais pas, de toute évidence. Aujourd’hui, au moins, il aurait manqué son forfait. Il devait être un habitué de ce genre de vols à la tire et, cette fois, nous avions déjoué ses plans, moi et mon acolyte inconnu du jour.

Comme il ne semble pas coopérer pour rendre le sac à qui de droit et que le jeune homme qui l’a arrêté semble avoir besoin qu’on lui vienne rapidement en aide, de sorte qu’il ne puisse pas nous échapper, je me glisse plus près du type, évitant un coup de coude de peu, mes doigts se refermant sur les lanières du sac à main sur lesquelles je tire pour les faire venir. Mais l’homme maintient une prise ferme sur celles-ci et j’ai bien du mal à lui reprendre ce sac pour le rendre à la petite vieille qui doit être restée au milieu de la rue, dévastée, à moins qu’un passant n’ait eu l’idée de l’emmener voir la police. Un  peu d’aide de leur part pour coffrer ce type ne serait pas du luxe. Une petite nuit à l'ombre ne lui ferait pas de mal et lui remettrait peut-être les idées en place.

”- T’as pas bientôt fini oui ? Tu t’épuises pour rien à te débattre, on aura ce sac que tu le veuilles ou non et on le rendra à ta victime !” L’agacement dans ma voix est manifeste. ”Donc je te conseille de te calmer, ou je laisse mon pote te maintenir et j’appelle les flics pour qu’ils viennent te cueillir. S’ils ne sont pas déjà prévenus !”

Et justement, on entend une sirène au loin.

S'en prendre à plus petit que soi est un comportement tellement moche, tellement petit, que je ne peux pas le comprendre. Ça me dépasse complètement. Comment peut-on s'en prendre à des personnes qui n'ont même pas le moyen de se défendre, la possibilité de se sortir de leur situation ? C'est le genre de chose que je ne comprendrai jamais. Le genre de chose qui me met en rogne, aussi. Faut croire que le monde est vraiment devenu fou. Qu'il ne tourne vraiment pas rond. En était-il autrement un jour ? Je ne pourrai le dire, je n'étais pas là autrefois pour en juger. Les livres d'histoire, toutefois, ne laissent guère de place aux spéculations sur le sujet. Les guerres, la misère, la famine et toutes ces choses affreuses qui avaient marquées l'histoire du monde… Comment croire qu'un jour il avait pu aller droit ? C'était presque impossible. Il ne restait qu'à espérer qu'un jour, tout ça n'existerait plus. Que l'humanité deviendrait enfin meilleure.

Quoiqu'il en soit pour cette fois, au moins, ce malfrat est pris, bel et bien maintenu par mon acolyte justicier au nom inconnu. Il dormira certainement dans une cellule ce soir parce que même s'il rend le sac de sa victime je ne compte pas réellement le laisser filer. Je n'aurai peut-être même pas à agir en ce sens puisque l'on entend déjà les sirènes de police et qu'il ne se dépêche pas tant pour nous rendre ce sac. Avec un peu de chance, ce serait les forces de l'ordre qui l'obligeraient à le restituer par la force avant de l'emmener croupir à l'ombre.

”- Peut-être qu'il a envie de passer la nuit au chaud, ma fois…” dis-je comme il ne semble pas nous prendre au sérieux quand à l'arrivée de la police, dont la sirène s'approche pourtant dangereusement.