Cette solitude, cette angoisse, cette peur de l'heure suivante.

Il y a quelque chose de terrifiant à être seul, plus même qu'à se sentir seul. Et à présent c'est ma vie. Cette solitude, cette angoisse, cette peur de l'heure suivante, de la nuit qui vient et du matin qui suivra.

Misonéisme. Du grec miso- : « qui hait » et néo : « nouveau ». Tendance d'esprit ou attitude systématique d'hostilité à l'innovation, au changement. Antonyme : philonéisme.

Depuis peu, le quotidien d'Anaëlle s'est transformé, il a été complètement bouleversé. Le retour d'Iris dans sa vie avait changé bien des choses. Pas seulement parce que sa meilleure amie était à nouveau au ville, mais bien parce qu'à présent, elles travaillaient ensemble. Et si Anaëlle était ravie d'avoir la cadette des Vahid quotidiennement à ses côtés, cela entrainait la disparition d'une autre personne, tout aussi importante pour elle. Avec les années, Alrik avait fait sa place dans sa vie, il s'y était installé, d'abord sur la pointe des pieds, puis avec de plus en plus d'assurance. Et il avait pris ses distances. Après plusieurs années d'une franche amitié, Anaëlle avait l'impression d'être de retour aux semaines qui avaient suivi son agression, lorsqu'ils commençaient à se voir, sans trop savoir si ce qu'ils faisaient était bien ou non. Petit à petit, ils avaient fini par se prendre au jeu. Alrik était devenu son nouveau pilier, là où Iris la forçait à sortir des sentiers battus, à prendre sur elle pour surpasser ses peurs, Alrik passait un bras autour de ses épaules, et lui soufflait que tout allait bien se passer. Et lorsqu'il le faisait, Annie arrivait presque à s'en convaincre elle-même.

Alors souffrait-elle de cette nouvelle distance, qui s'était installée bien malgré eux ? Oui, bien sûr. Égoïstement, elle aurait voulu que le retour d'Iris ne change rien entre le policier et elle. Pour autant, elle comprenait. Elle comprenait qu'il soit réticent à venir à la librairie, et y voir son ancienne petite amie. Elle comprenait aussi que d'une certaine manière, il avait pu lui en vouloir de ne rien lui avoir dit. Tout cela, elle le comprenait, et le respectait. Mais elle aurait également voulu ne pas avoir peur de l'appeler, ou hésiter pendant deux heures avant d'oser lui envoyer un message. Chose complètement ridicule, jusqu'à preuve du contraire, il ne lui avait jamais raccroché au nez. Mais elle était comme ça. Elle se posait toujours bien trop de questions avant d'oser faire quoique ce soit, elle hésitait, et finissait toujours par passer à côté de ce qu'elle désirait. Par peur de rater. Par peur d'essayer. Et malheureusement, les deux seules personnes qui parvenaient à la sortir de ses angoisses était intimement liées à ces dites angoisses. Elle n'allait tout de même pas demander à Iris si elle devait appeler Alrik ou non, et elle n'allait pas appeler le premier concerné, pour lui demander s'il l'autorisait à l'appeler.
Par ailleurs, elle ne se voyait pas parler garçon avec ses frères. Sans compter qu'Alrik n'était pas ce genre de garçon. Mais ça, ses frères ne le comprendraient pas. Les jumeaux se moqueraient assurément d'elle, et les deux autres s'étoufferaient dans leurs verres, à l'idée d'imaginer leur jeune soeur avec un homme. Peut importe l'identité du dit homme, et de la nature de leur relation. Donc Anaëlle était seule face à ses questions, et Archibald, dit Archie le chien, n'était pas de très bons conseils. Peu importait l'idée de sa maitresse, sa réponse était toujours la même, il collait sa truffe humide contre sa cuisse. Difficile d'interpréter un avis dans cette situation.

Ainsi donc, Annie était seule. Elle était plus entourée qu'elle ne l'avait jamais été, et pourtant, elle se sentait plus seule que jamais. Oui, Iris était là, comme si rien n'avait jamais changé, comme si elle n'avait jamais partie. Oui, Alrik était toujours là, mais Anaëlle ne pouvait pas faire comme si rien n'avait changé. Tout avait changé. Peut être pour le meilleur, mais elle avait horreur de ça.

Pour palier à toute cette situation pleine d'angoisse, Anaëlle s'enfermait dans ce qui la rassurait le plus. La routine. Il lui avait fallu quelques semaines, mais sa nouvelle routine était bien rodée. Elle lui donnait de la force, elle lui donnait le courage de traverser la ville pour rentrer après le travail, alors que le soleil était déjà couchée. La perspective de retrouver son chez-elle, où elle se sentait en sécurité, faire sa promenade habituelle du soir avec Achie, s'asseoir près de la cheminée avec un livre qu'elle dévorerait sans retenue, voilà ce qui l'encourageait à affronter chaque journée.

“ - Viens ici Archie, c'est l'heure de ta balade ! Archie ? ”
Pas ce soir. Ce soir, alors qu'elle sortait de sa douche, les cheveux encore humide, Archibald ne se précipita pas à la porte fenêtre lorsqu'elle ouvrit, pour le faire entrer. Chaque soir, elle le faisait sortir le temps de sa douche, le temps de le faire patienter, avant sa vraie balade. Chaque soir, il rentrait comme un diable sortait de sa boite dès qu'elle l'appelait. Ce soir là, il n'y a que le silence qui lui répondit. Il faisait nuit noire, et pourtant, la faible lueur du lampadaire suffit à lui faire voir le portillon ouvert. Comment avait-elle pu être si stupide ? Comment avait-elle pu ne pas remarquer qu'il était ouvert, avant de laisser sortir Archibald ? Son fidèle compagnon était un jeune chien, joueur et sociable, il câlinerait même le plus agressif des chats, alors bien sûr que si l'idée de passer le portillon lui traversait l'esprit, il le faisait.

Anaëlle se retrouva donc en pleine rue, tremblante, apeurée, pensant à son pauvre chien, seul et perdu dans la nuit. Il devait être terrorisé.
Ne t'emballe pas, Anaëlle, si Archie fait partie de ta vie, c'est parce que c'est toi, qui est terrorisée à l'idée d'être seule dans la rue. Pas lui. Lui, il doit vivre sa meilleure vie.
Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de tergiverser inutilement, alors qu'elle errait, la laisse sans son propriétaire entre les mains. Et s'il était perdu dans la forêt ? Et s'il avait rencontré un loup ? Et s'il était pris dans un piège à loup, ses petites pattes coincées entre les dents de métal ? Y avait-il encore des loups en Allemagne ? Et si quelqu'un de mal intentionné l'avait enlevé ? Et si c'était cette vieille madame Geyer, sa voisine, qui avait ouvert le portillon, agacée par ses aboiements ?
Inconsciemment, ses pas la guidèrent vers une maison un peu plus loin dans la rue, et alors qu'elle levait la main pour frapper à la porte, espérant tomber sur le résident principal, et non pas sur sa soeur, sa lèvre se mit à trembler. Son instinct lui soufflait d'aller là où elle était en sécurité. Quand il y avait une tempête, Alrik était son refuge. Lui, il trouverait une solution. Lui, il n'aurait pas peur de courir en pleine rue, et il l'aiderait à retrouver son Archibald. Alors dès que la porte s'ouvrit, et que ses yeux tombèrent dans ceux de son ami, comme une petite fille, sa gorge se noua, sa lèvre inférieure tressauta d'avantage, et elle leva des mains tremblantes, lui présentant ainsi la laisse en cuire d'Archibald. Il était agent de police, il comprendrait.  

@Alrik Müller

Codage par Libella sur Graphiorum