MY MUSIC WILL TELL MORE ABOUT ME THAT I EVER WILL ▸ GAELLE

Jouer au Paddy’s était une initiative qu’Arthur avait prise dans l’optique de se diversifier. Il ne savait pas trop comment s’y prendre, à l’origine. Lui, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, a toujours porté un intérêt particulier, presque maladif, au classique. Sans doute à cause de sa mère qui en raffolait aussi et qui le trainait à toutes sortes de concerts pour le forcer à écouter des heures d’opéra ou de concertos. Le classique emplissait sa vie, ses cours, ses concerts, ses répétitions, les nouveaux morceaux toujours plus compliqués qu’il tentait d’apprivoiser, les vieux disques tournant dans son tourne-disque, les musiques téléchargées sur son ipad. Et puis un jour, il s’était demandé s’il ne se mettrait pas un peu à apprendre du contemporain – et sur une suggestion assez osée d’un ami d’ami, il avait franchi le cap en se décidant à se produire de temps en temps dans l’établissement, dont la propriétaire l’avait accueilli à bras ouverts. Elle était elle-même, semble-t-il, une fan de musique, capable de chanter à l’occasion, et l’ambiance qui animait le pub plaisait définitivement à Arthur – il n’avait pas hésité longtemps avant de se décider à intégrer l’aventure.

Il y est, ce soir, vêtu d’une chemise bleue et d’une veste en jean sur un pantalon chino lui-même bleu, les cheveux un peu en bataille et les yeux cernés de n’avoir pas assez dormi au cours des derniers jours, mais il y est. Il n’a manqué aucun rendez-vous, et comme toujours, il fait le job – il joue. Il joue tout seul, ou avec des musiciens qui se décident à l’accompagner, ou avec une chanteuse qui saute le pas. Il joue ce qu’on lui demande, et prend plaisir à entendre, parfois, les gens présents pousser la chansonnette quand les notes qu’il entame sont un peu connues, qu’elles rappellent quelque chose, ou qu’elles sont même un grand classique. Il joue jusqu’à avoir trop chaud, jusqu’à avoir soif, jusqu’à ce que les gens, peu à peu, quittent les rangs du bar. Il penche sa tête vers le micro, quand il est un peu plus tard, et que les rangs des présents sont moins remplis. « Dix minutes de pause et je reviens », qu’il lance en se redressent, glissant son avant-bras sur son front pour en enlever la sueur. Il se dirige vers le bar – il meurt de soif – où il retrouve Gaelle, accoudée, sans doute soulagée que la vague stressante de monde soit passée et que la soirée se dirige vers son grand final. « Bonsoir Gal’ » il lance, en s’armant d’un sourire. C’est ce genre de type, Arthur, le genre qui vous affuble des surnoms sans vous demander votre avis. Un peu rustre, parfois – mais le fond de la pensée est bon, nul ne peut en douter. « Tu veux pas venir chanter ? » il demande en penchant un peu la tête pour l’observer. « Quand j’aurais bu un litre d’eau… Il fait chaud ou c’est moi ? » Et il éclate de rire, l'idiot.

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D’un revers de la manche, Arthur essuie la sueur qu’il soupçonne de perler sur son front. Il prend une inspiration et lâche un léger soupir d’aise – il aime ça, lui. Jouer jusqu’à l’épuisement, foutre toute son énergie dans l’accomplissement d’un morceau, dans l’accueil du public, dans la satisfaction, l’émotion des gens. Il adore ça, même – ça l’empêche de trop réfléchir à sa vie, et surtout, en ce moment, à toutes les conneries qu’il peut faire. Et puis, jouer ici lui apporte une autre forme de satisfaction, bien différente de celle qu’il connaît avec les concerts de classique dans une salle plus pimpante, plus… solennelle. Quand il donne un concert de ce type, Arthur n’a pas le droit à la moindre erreur – il en va non seulement de la cohérence du morceau, mais également de la cohérence qu’il peut avoir lui, avec un orchestre ou un chef d’orchestre. La moindre fausse note pourrait ruiner une série de concerts par exemple. Ou sa réputation de jeune prodige – plus si jeune que ça, si l’on en croit sa date de naissance sur sa carte d’identité. Ici, au Paddy’s, Arthur n’aime pas faire d’erreurs non plus. C’est la première fois qu’il joue dans le bar, et il est hors de question qu’on le foute dehors parce qu’il n’est pas assez bon. Il déteste même l’idée qu’une fausse note se glisse ou que ce soit dans les morceaux qu’il joue. Il a une sacrée tendance perfectionniste, le blond – et il est assez exigeant avec lui-même. Il ne supporte pas l’idée de ne pas maîtriser ce qu’il joue. Mais en même temps, la pression est quand même moins forte que s’il était où que ce soit ailleurs – et c’est ça sans doute qui le rend plus détendu, plus propice à lancer toute sa bonne énergie dans l’accomplissement de ces morceaux.

« La soirée se passe très bien, merci », il lance en hochant la tête. Il est assez à l’aise de nature avec les gens, bien qu’il puisse passer, de temps en temps, pour un peu trop réservé. « Je suis vraiment content de jouer ici – et je crois que les gens accrochent pas mal ? » il demande en penchant un peu la tête. « En tout cas, moi j’accroche ! » il lance en riant un peu, en attrapant le verre d’eau préparé pour lui. Il a chaud, oui, le mot est faible d’ailleurs. « C’est un type qui m’a aidé à m’installer tout à l’heure qui m’a dit que tu te débrouillais en chant ? » il demande en penchant un peu la tête. « Y’a une chanson que tu maîtrises en particulier ? » Nouveau sourire, il hoche doucement la tête en avalant une gorgée d’eau fraiche qui lui arrache un frisson. « Non, ça n’aide pas. Mais ça fait rien, je me dépense en même temps, comme ça », il lance, amusé. « Alors, ça fait combien de temps que tu tiens l’établissement ? »

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