Thanks, now barbecue (ft Astrid, Gabriel, Moïra)

Les journées, depuis ce fameux jour de Pâques, ont défilé à une vitesse hallucinante. Quatre mois se sont écoulés en une fraction de secondes et pourtant – pourtant – je ne parviens pas encore à réaliser les changements qui ont opéré dans ma vie. Le départ d’Enora ne m’a pas laissé un vide immense. Bien rapidement, j’ai eu à m’occuper du cas Astrid et de mes sentiments pour elle. Les mêmes que les siens, inchangés depuis notre toute première rencontre à Lyon en 2014. Dire que nous avons gaspillé toutes ces années me rend fatalement nauséeux. J’ai opté pour une relation bancale, hésitant entre ce que mon cœur souhaitait et ce que ma raison me dictait. Des années que nous avons oubliés ces derniers temps, comme l’évidence que nous sommes faits l’un pour l’autre nous crève les yeux.

Quand elle est partie en France, j’ai cru que mon cœur se brisait en mille morceaux. Je n’aurais jamais imaginé souffrir autant de la perte d’une personne. Parce que j’ai cru la perdre. Pour de bon. Lui avoir couru derrière a été la meilleure idée que j’ai eue, surtout pour connaitre pareils réveils. Un réveil à la douce fragrance de El’. Un réveil où je ferme mes yeux sur son visage si paisible et où je les rouvre sur ce même visage. Comme ce matin, comme tant d’autres depuis ce que j’appelle le chaos, où j’ouvre mes yeux sur son visage souriant et bienveillant. « Bonjour, toi. » lui murmuré-je, me tournant vers elle, prenant appui sur mon coude droit. D’une main légère, je lui effleure une joue avant de lui remettre une mèche derrière l’oreille. À peine ma main retombe sur le matelas que mes lèvres viennent goûter aux siennes. Cette même main se relève et presse la jeune femme plus près encore qu’elle ne l’est de moi. Oui, j’aime ces réveils. Pour rien au monde je ne changerai notre histoire, ni n’oublierai ce chaos qui a bien failli nous priver l’un de l’autre. Confiant, je me perds dans cette étreinte et ce baiser.

Lorsque l’on sonne à la porte, les draps du lit sont sans dessus-dessous. Plume s’agite et gratte à la porte du couloir. « Merde ! Il est quelle heure ?! » Je sursaute en grognant, me redressant souplement. Je tourne un regard effaré sur l’horloge qui indique 10h42. « Putain, c’est ta sœur ! » je m’écrie, sortant du lit en un bond. Vêtu de ma simple tenue de chair, je m’éclipse de la chambre pour ouvrir à Plume qui se précipite vers la porte d’entrée d’où une voix connue s’élève soudainement : « Je suis làààààà ! » Je lâche un nouveau juron avant de rebrousser chemin. Astrid est encore dans le lit, visiblement encore au septième ciel. « Elle est dans la maison… ! » je chuchote, les yeux ronds. Bon ok, Moïra est coutumière pour rentrer dans les chambres qui ne sont pas les siennes, mais Aline rentre carrément chez sa sœur, comme ça ! Normal. La pensée de ne pas avoir verrouillé la porte la veille se fraye un chemin dans mon esprit en même temps que j’attrape la première chose à portée de main. Une chaussette, bien sûr Gabriel ! Avec une chaussette tu vas cacher ta nudité ?! Soufflant, je la jette au loin avant de finalement me diriger vers la douche attenante à la chambre. « Tu viens ? Si on en sort les cheveux humides, elle ne se doutera pas de ce qu’on était en train de faire. » je remarque avant de grimacer. « Elle saura mais au moins on aura un alibi. » Sur ce, je file sous l’eau froide qui me fait pousser un nouveau nom d’oiseau.

Sa vie était devenue en tous points parfaite après sa grosse colère contre Gabriel et son voyage pour rentrer en France. Après avoir ressenti à l'encontre du jeune homme une gaine vive, en pensant qu'il ne voudrait pas quitter Enora malgré des sentiments évidents pour l'auteur, qu'il lui avait confié, l'homme avait décidé de la surprendre en la suivant à Lyon, en allant la retrouver, la récupérer, lui crier son amour. S'il l'avait repoussé ce n'était pas pour ne pas assumer ses sentiments pour la blonde mais bel et bien pour faire les choses correctement avec Enora et la quitter avant d'entreprendre quoique ce soit de sérieux avec la jolie française.

Depuis, les deux amoureux rattrapaient le temps perdu sans avoir encore rien annoncé à leurs proches, profitant de leur bulle de bonheur, égoïstement. Si cacher des choses à Aline n'était pas habituel pour Astrid, elle avait décidé de le faire cette fois, pour profiter d'abord de leur secret avec Gabriel. Comme cette fois où ils s'étaient mariés à Las Vegas, pour de faux, sans jamais le révéler à leurs soeurs. Ils avaient ce besoin de s'offrir ce début d'histoire un peu particulier, un peu spécial, à l'abris des regards. Cela leur permettait de rattraper le temps perdu à loisir. Et pour rattraper le temps, ils ne chômaient pas.

Astrid sourit en ouvrant les yeux ce matin là, bercée par la présence de son petit ami et la douceur des caresses de ce dernier sur sa joue, la douceur de ses mots, alors qu'ils s'éveillent ensemble dans le grand lit de sa chambre dans lequel, pourtant, ils éprouvent le besoin de se presser l'un contre l'autre chaque nuits, comme si ce lit était trop grand pour eux. Comme s'ils avaient peur de se perdre l'un et l'autre. Depuis leur retour de Lyon, ils avaient décidés de ne plus rien laisser les séparés. Ainsi Gabriel avait investit la villa le soir même, Plume sur les talons, bien décidé, comme son hôte, à profiter enfin de leur vie à deux et de l'histoire qu'ils s'autorisaient à avoir.

«- Bonjour, mon mari...» souffle la demoiselle ce matin là, un sourire aux lèvres.

Ils se marieraient un jour, c'était sûr. Ils n'en avaient pas reparlé depuis le temps mais cette ancienne blague avait ressurgir entre eux, plus vrai que jamais, illustration parfaite de leur amour et des promesses qu'ils s'étaient faites alors. De temps à autre elle aimait lui glisser ces mots doux au creux de l'oreille, les lui murmurer, comme pour réitérer sa promesses de lui dire oui un jour. L'expression qu'elle recueillait chaque fois valait alors tout l'or du monde.

«- Merde !»

Allongée, les draps autour d'elle témoin de leur réveil amoureux, la demoiselle soupire mollement comme sa soeur se manifeste. C'est vrai. Celle-ci organisait un barbecue chez son aînée ce midi. Et le couple était en retard. En plus d'être grillé, probablement. Pourtant la blonde ne se presse pas d'avantages. Cependant comme Gabriel signale que la youtubeuse est déjà dans la maison, Astrid se redresse d'un coup. Ils étaient cernés. Non pas que ça la dérange réellement mais elle aurait préféré annoncer la nouvelle à sa sœur autrement.

«- Bonne idée !»

La douche. Ils pourraient encore faire croire qu'ils avaient prit un bain matinal dans la piscine et qu'ils en sortaient à peine. Astrid se dirige rapidement vers leur armoire et attrape leurs maillots de bain avant de rejoindre l'homme dans la salle de bain, glissant sa tête sous l'eau, plus vite que jamais.

«- On le leur annonce ou pas ?» demande-t-elle en visant Moïra aussi. Et ses potes plus généralement. «Ok. J'ai pris nos maillots de bain si tu veux enfiler le tient on peut faire croire qu'on était à la piscine pour éloigner tout soupçon de "réveil" tardif.»

La jeune femme s'empresse de sauter dans son deux-pièces bleu roi, jetant un regard à son cher et tendre avant de le rejoindre et poser sa main sur l'épaule de ce dernier, pour embrasser ses lèvres.

«- Je t'aime. Et arrête de mater !» rit-elle avant de sortir pour rejoindre sa soeur précipitamment. «Aaaal ! Ça va ?» questionne la jeune femme, Plume cherchant les caresses de la youtubeuse en remuant fièrement sa queue.

Après une bonne semaine de garde enchaînée, je suis officiellement en jour off. L’occasion pour moi de profiter au maximum et surtout de rattraper le temps perdu auprès de mes proches. C’est ça, quand on bosse dans les hôpitaux et le milieu médical, il faut savoir faire des concessions et surtout mettre sa vie personnelle de côté… Sauf si… Si on arrive à trouver une solution en fréquentant des personnes du même corps de métier. Rien que d’avoir cette pensée qui m’effleure l’esprit, ça réussit à me faire rougir. La première fois que je rougis pour un garçon. Ce garçon. Ce garçon que je viens de laisser ce matin après le petit déjeuner pour partir faire mon footing, mon sac à dos dans mon dos. Nous sommes partis ensemble hier alors j’ai laissé ma voiture sur mon parking et pour éviter tout soupçon de la part de mes amies et mon frère, je préfère débarquer avec un sac à dos rempli d’affaire pour leur faire croire qu’il faut simplement que je prenne une douche. Et après une course de 10 km, il y a de quoi. Pourquoi inventer tout un stratagème pour débarquer chez une de tes meilleures potes ? Parce que je suis la première à jouer les curieuses et à faire passer un entretien digne d’un interrogatoire de flics pour expliquer la voiture inconnue qui vient de me déposer dessus. Oui, je l'avoue et je suis fière, je suis la première à faire des choses que je ne supportais pas qu'on me le fasse. Enfin bref.

Une course de 10 km, la laisse de ma chienne berger australien autour de moi. Voilà que je débarque enfin vers la résidence où vit Mlle Morel. Merde, je suis peut-être légèrement à l'heure. Beaucoup trop même ! Il n'est même pas 11 h, mais comme le petit d'Andrew allait débarquer pour le weekend, j'ai préféré partir plus tôt pour qu'ils évitent de me croiser. D'où la raison de mon avance. Une première, à marquer dans les annales ! C'est la première fois que ça m'arrive et j'espère qu'on va quand même me féliciter. Généralement, mon frère est toujours à me reprocher mon manque de ponctualité. Comme quoi, il y a un début à tout.

C'est haletante et transpirante que je débarque devant chez elle. Tiens, Aline doit déjà être là d'ailleurs puisque la porte est à moitié ouverte alors, j'en profite en entrant à mon tour. «- Et bien ! Pour une fois que je suis à l'heure, voir même en avance, il n'y a personne pour accueillir ses invités ! .»

L'eau froide devient rapidement chaude et se déverse sur mon corps. Je ferme les yeux, savourant cet instant. J'entends d'une oreille la réponse d'Astrid qui me tire un sourire. Je n'ai que de bonnes idées, mais je le garde pour moi, non désireux d'ouvrir le débat. D'autant que la demoiselle a une répartie aussi aiguisée que ne l'est la mienne !

«- On le leur annonce ou pas ?» me questionne la jeune femme ce qui a pour effet de me faire ouvrir les yeux. Je la regarde, étonné de sa question. Cela fait des semaines qu'on garde précieusement secret notre relation. Une façon pour elle comme pour moi de savourer ces instants si convoités pendant des années. Un moyen également pour rattraper le temps perdu sans avoir à répondre aux sempiternelles questions dont Moïra et Aline vont forcément nous assommer. Des semaines qu'on est reclus en amoureux, il est peut-être temps de les mettre au courant, non ? « Elles sont loin d'être idiotes, elles vont vite capter, je ne m'inquiète pas pour ça. » je réponds, avant de lâcher un rire comme je la vois avec nos maillots de bain. « Je doute que ça marche, mais soyons fous ! » dis-je en riant, attrapant mon maillot que j'enfile prestement. Astrid me rejoint dans son maillot deux pièces d'un bleu roi profond. La couleur tranche avec sa peau d'albâtre et je ne peux m'empêcher de la regarder. Si Aline n'était pas là, je lui sauterai dessus, pour sûr. Je ravale mon envie, me laissant aller doucement contre le corps de la jeune femme. Que d'années perdues... « Je t'aime aussi. Et t'aime ça, que je te mate. » je rétorque, mutin. Astrid sort de la douche aussi vite qu'elle n'y est entrée. J'essaie de l'empêcher de sortir mais elle me file entre les mains. Je grogne de mécontentement avant d'éteindre l'eau. « La prochaine fois, on lui donne une heure plus tardive. » dis-je dans le vent comme la française a déjà disparu de la salle de bain. Fort bien, plus qu'à me sécher et les rejoindre.

Je m'essuie rapidement avant de passer une main dans ma tignasse qui n'en fait qu'à sa tête. Une serviette sur l'épaule, un short de bain ajusté à ma taille, je referme la porte de la salle de bain. Lorsque je rejoins les sœur Morel, j'ai la surprise d'apercevoir le minois de ma sœur. « Bien matinale, Momo. Tu ne vas pas nous faire croire que tu viens de courir. » je m'exclame en rejoignant Astrid, blagueur. Moïra est encore trempée de sueur. « Bonjour Aline, ravie de te revoir. » je m'empresse d'ajouter à la cadette Morel, un sourire bienveillant sur les lèvres. « Tu veux peut-être qu'on vide ta voiture des courses ? » je m'enquiers, désireux de m'occuper les mains, comme elles me démangent d'enlacer mon amie.

Leurs sœurs n’étaient pas idiotes, c’est vrai. Ils n’auraient probablement pas besoin de le dire, elles comprendraient toute seules, surtout qu’ils risquent de semer quelques indices, plus ou moins malgré eux. La tension serait probablement palpable entre eux et leur secret assez mal gardé. Aline et Moïra attendaient impatiemment qu’ils soient ensemble, tous les deux. Alors elles ne manqueraient probablement pas de voir les signes, de repérer les petites habitudes qu’ils avaient prises, le panier de Plume dans un coin… Toutes ces petites choses qui avaient changés ces dernières semaines.

"- Ouai, c’est pas faux. Je nous donne pas énormément de temps pour se faire griller..."

C’était la première fois que leurs deux sœurs les voyaient tous les deux ensemble, depuis que Gabriel avait rejoint Astrid à Lyon. Nul doute qu’elles remarqueraient probablement quelque chose. En tout cas, ils couraient plus de risques que leur secret ne soit découvert. Et dans un même temps… ça n’était pas si dérangeant que ça. Il valait de toute façon mieux que leurs familles soient au courant maintenant – encore que les parents Morel n’avaient plus vraiment de doutes sur la question – ce serait plus pratique pour la suite. Officialiser, c’était aussi un moyen de ne plus se quitter du tout. Depuis la France, c’était quelque chose qu’ils ne savaient presque plus faire. Pour écrire, il arrivait souvent qu’elle s’installe dans la boutique du joaillier, ignorant les cafés où elle traînait autrefois. Ils rentraient chez elle ensemble, rejoignaient ensemble leurs amis… Officialiser leur permettrait aussi de se rendre ensemble dans leurs familles, sans que les questions ne se posent. Mais c’était aussi renoncer à leur tranquillité.

Comme Gabriel se rapproche d’elle, la blondinette frissonne instantanément alors que le souffle de son cher et tendre vient caresser sa peau comme il confesse son amour, lui aussi. Elle adore l’entendre le dire. Il faut dire que ces mots, elle les a trop longtemps attendu, dans la bouche de l’homme. Esquissant un sourire comme il poursuit, elle opine de la tête. C’est vrai, elle adore qu’il la matte et elle mentirait si elle disait le contraire. Probablement parce qu’elle a trop longtemps attendu ces regards avant de les obtenir. Qu’elle les a trop longtemps ignorés, surtout, quand il l’en couvait pourtant.

"- Ouai. J’adore !"

La demoiselle lui échappe, entendant à peine ses mots comme elle quitte la salle de bain. Ouai, la prochaine fois, ils donneront une heure plus tardive à sa sœur. Mais dans l’immédiat, elle se doit d’accueillir Aline, à la jambe de laquelle plume remue déjà la queue en jappant joyeusement.

"- Ouai, petite baignade comme tu vois !" la demoiselle esquisse un sourire. Et sa sœur ne manque pas de poser – déjà – des questions, devinant que l’aînée n’était pas seule. "Oh non non, j’avais un peu de compagnie."

Astrid n’en dit pas plus, comme Moïra se pointe à son tour, surprenant tout le monde. Hé bien, elles étaient toutes deux relativement matinale… ou ils avaient vraiment prit leur temps ce matin, elle ne saurait trop le dire. Elle tire la langue à sa cadette en riant.

"- Laisses moi le temps d’arriver voyons, c’est une grande maison !" remarque la demoiselle en riant. "Bien couru Moïra ?" questionne la demoiselle.

La voix de Gabriel retentit dans son dos comme l’homme arrive et Astrid fait ce qu’elle peut pour ne pas le regarder comme il salut Aline, trouvant un moyen de filer rapidement en proposant de vider le coffre de la voiture. Excellente idée. Et de son côté, la jeune femme peut trouver une occupation elle aussi.

"- Très bonne idée, je vais faire de la place au réfrigérateur ! Moïra, tu viens m’aider ?"

Prolonger le mensonge – enfin, le non-dit plutôt - ne me semble pas être idiot du tout. Pourtant, je connais parfaitement Moïra et son flair légendaire… À coup sûr, elle va comprendre qu’Astrid et moi, c’est redevenu à la normale, même plus que la normale. Mais que voulez-vous, garder secret encore un peu notre relation nouvelle c’est une façon de nous protéger. Surtout, de conserver cette bulle à deux, encore rien qu’un peu. Mais Astrid comme moi ne sommes pas dupes ! Aline est aussi intelligente que ne l’est ma sœur et à elle deux, autant dire que conserver notre relation secrète c’est comme montrer à un aveugle un beau paysage : quasi-mission impossible ! « Oh ça non. Si on tient un quart d’heure, c’est un exploit ! » J’assure non sans rire.

La douche passe bien trop rapidement à mon goût et je grimace lorsqu’Astrid m’échappe. L’un comme l’autre avons attendu ces instants bien trop longtemps pour ne pas en profiter pleinement… Et pourtant, nous n’avons pas le choix, comme Aline se trouve être bien matinale aujourd’hui, nous pressant d’inventer je ne sais quel alibi pour justifier ma présence en ces lieux. Je suis joueur, je compte bien faire durer le suspense le plus longtemps possible ! El’ s’habille en quatrième vitesse – enfin, se pare de son maillot de bain – et me laisse seul comme un idiot. Je me magne à en faire de même, avant de rejoindre les deux sœurs dans le salon où Moïra semble également arrivée. À croire qu’elles se sont donné le mot !

Je salue la benjamine Morel, avouant au passage le plaisir de la voir. Je passe sous silence le dernier message reçu de sa part. Message qui sur le moment a fait vriller mon cœur. Elle me salue à son tour et je peux réprimer un rire face à ses salutations des plus formelles. Je ne pipe mot, cependant, vrillant mon regard sur ma sœur.

À la vue de la benjamine Fisher, je ne peux que rire ironiquement de sa tenue sportive. Une boutade bien sentie après, ma sœur me rend la pareille, me demandant des comptes quant à mon arrivée matinale également. « Baignade matinale. Je prends exemple sur toi, vois-tu. » dis-je ironiquement. « Je prends soin de mon corps. » j’ajoute, songeant à ce réveil aux côtés d’une Astrid aussi désireuse de moi que je ne le suis d’elle. Moïra nous regarde tour-à-tour avant de constater notre rabibochage récent. « Non, tu penses ? » je rétorque en lui tirant la langue ostentatoirement.

J’avoue que la dernière fois que j’ai vu Moïra, j’étais au plus mal. Enora venait de confirmer notre rupture, m’avouant par la même occasion ne m’avoir jamais aimé. Elle venait de vider notre chez-nous, ne me laissant que quelques affaires et Plume – encore heureux, pour cette dernière ! Aline, peu de temps après m’avait envoyé un sms qui m’avait fait perdre le peu de raison qu’il me restait, m’annonçant de but-en-blanc le départ de Astrid. Astrid s’était envolée pour Lyon, me laissant dans l’incapacité d’éclaircir notre relation. Ouais, à y repenser, ma sœur était restée à la version « Gabriel cœur brisé, dépressif à la limite de la folie »… Me voir ici, tout sourire, sûrement heureux – parce que je le suis ! -, ça doit lui faire un petit choc quand même.

Alors que je change de sujet et décide d’aider Aline à décharger sa voiture, Astrid accapare ma sœur de son côté. Coffre ouvert, je souffle de surprise : « Bon sang, tu as prévu pour un régiment ! » je m’étonne face aux sacs entassés. « Oh fait, merci pour ton sms. » dis-je timidement, tandis que je vide de moitié son coffre. Sans elle, après tout, qui sait où nous serions tous aujourd’hui ?

S’ils tenaient un quart d’heure ce serait un exploit, c’est vrai. La demoiselle doute qu’ils puissent tenir bien trop longtemps. Leurs sœurs espéraient trop les voir ensemble depuis trop longtemps pour qu’elles ne repèrent pas immédiatement les signes évidents qui pouvaient le prouver. Ils ne se comportaient plus tout à fait comme avant, en prime, depuis qu’ils étaient ensemble. Ils avaient probablement prit des habitudes qui n’étaient pas les leurs auparavant. Des habitudes qu’ils ne comptaient pas leur cacher. S’ils étaient grillés, tant pis. Il fallait de toute façon bien que leurs sœurs l’apprennent. Qu’elles l’ignorent encore des semaines relevait de l’impossible.

Rejoignant sa sœur dans le salon, elles ne sont rapidement plus seules comme les Fisher arrivent l’un après l’autre, Aline saluant l’ainé d’une manière bien formelle qui tire un petit rire à sa grande sœur. Monsieur Fisher. Rien que ça. Astrid ne peut s’empêcher de pouffer, ne parvenant pas à réprimer son rire contrairement à son petit ami. Mais il ne répond rien, ne permettant pas à la blondinette de rire davantage. Quoique. Parce que la cadette Fisher lance le bâton à son frère qui s’empresse de le saisir, assurant qu’il prend soin de son corps. Et quel corps ! Astrid s’abstient de tout commentaire alors qu’elle n’a eut de cesse de voir ce corps de très, très, très près ces derniers temps.

La remarque de Moïra, soudain, ramène Astrid au secret qu’elle cache, avec Gabriel, à leurs deux sœurs. Leur rabibochage. Et comment. Ils sont plus que rabibochés, c’est le cas de le dire. Et la remarque de Gabriel souligne l’incongruité de la situation. L’ironie de son propos veut tout dire. Et Astrid surenchérit.

«- Comme tu vois oui…» souffle la demoiselle.

Mais trêve de bavardages, ils ont quelques petites choses à préparer et Astrid décide de mettre Moïra à contribution tandis que son cher et tendre s’empresse, lui, d’aller porter assistance à Aline. Parfait. Moins elles sont ensemble toutes les deux et moins vite leurs cerveaux ne fonctionneront. Toutes les deux ensemble, ce serait comme de la dynamite, les questions de l’une attisant les réflexions de la seconde. Continuer de cacher leur histoire avait quelque chose d’excitant. D’amusant. Combien de temps leurs cadettes mettraient-elles ? Peut-être plus d’un quart d’heure finalement. Ils y étaient presque.

«- Oh oui je vois ça, quels muscles ! » rit Astrid, avant d’ajouter. «Sans problèmes !»

Sans problème si ce n’était que les affaires de Gabriel étaient dans la salle de bain, qu’il occupait cette villa désormais. De quoi très probablement activer plus encore les réflexions de Moïra. Peut-être que le secret tiendrait plus d'un quart d'heure mais pas au-delà de cette douche.

Nul doute. Nous voir tous les deux réunis met la puce aux oreilles des deux cadettes ici présentes. Je ne suis pas idiot, Astrid non plus et Moïra et Aline sont loin d'être dupes. Néanmoins, nous jouons le jeu, comme si de rien n'était et je rejoins les trois femmes après cette douche bien trop rapide à mon goût. J'aurais bien aimé avoir davantage de temps avec El'. En tête-à-tête, bien évidemment !

Depuis les derniers événements qui nous ont réconcilié tous deux, nous n'avons pas pris une seule seconde pour expliquer à nos sœur respectives - et familles - notre situation. Si les parents Morel doivent s'en douter, étant donné tout ce qu'il s'est passé à Lyon, il n'en est rien pour mes parents qui eux, ont du rester sur Pâques et la tension qui y régnait ce jour-là entre nous deux... Pour ce qui est de nos sœurs, je ne doute pas qu'elles flairent notre couple à 2 kilomètres ! D'autant qu'il faut l'avouer, sans Aline, je n'aurais jamais su que Astrid partait pour la France et sans Moïra, je n'aurais pu quitter Hambourg sur un coup de tête comme je l'ai fait. Je leur en suis reconnaissant, à elles deux. Profondément.

Donc oui, je ne suis que déçu par le fait que notre petite bulle éclate aujourd'hui, avec la présence de nos cadettes, mais je suis bien heureux de les revoir après tout ce temps.

Voir Moïra arriver tout en sueur me tire un commentaire, tout de suite contrer par ma jeune sœur qui me demande ce que je fais ici. Si je m'en sors aisément, je ne doute pas des milles et une questions qui sont pendues à ses lèvres. Détective Morel à l'action !

Un sourire s'étire sur mes lèvres alors que nous nous séparons en deux groupes. Je poursuis Aline jusqu'à sa voiture et nous nous affairons à la vider dans un silence troublant. Silence que je rompts en la remerciant pour son texto. Elle me répond simplement par un "De rien." avant de s'arrêter brusquement. Son regard perçant vient se poser sur moi et, bras croisés, elle me regarde sans un mot. C'est certain, les deux femmes ne sont pas sœurs pour rien. Je sais par sa posture et son regard pesant que je vais me faire cuisiner.

Je pose le dernier sac hors de son coffre et m'arrête à mon tour. "Oui ?" j'ose lui demander sur un ton angélique.

Frère et soeur se chamaillent, comme de bien entendu, en même temps que les deux cadettes commencent à jouer les inspecteurs de police, rendues curieuses par le fait de voir Gabriel et Astrid tous les deux ensemble. Il faut dire que entre eux, dernièrement, ça n'allait pas fort. Tout du moins pour elles, aux dernières nouvelles. Gabriel venait tout juste de se séparer de sa compagne et avec Astrid il s'était disputé. Ça, c'est ce que les deux sœurs savaient de l'histoire pour le moment. Elles ignoraient toutes deux que depuis, alors qu'ils s'étaient retrouvés tous les deux à Lyon, la situation avait changée, comme elles ignoraient qu'ils étaient tous les deux ensemble. Ensemble ensemble. Vraiment ensemble. Naturellement, après cette journée, elles seraient parfaitement au courant, aussi bien l'une que l'autre. Parce que le secret ne pourrait leur être caché aussi longtemps. Astrid en avait parfaitement conscience. Il était même curieux qu'aucune des deux sœurs n'ait déjà mit le doigts sur ce qui se tramait. Mais dans le fond, Astrid le savait, cela ne saurait tarder.

Comme Gabriel décide d'aller aider Aline avec la voiture, Astrid reste avec Moïra, toute deux faisant de la place dans le réfrigérateur, la cadette Fisher ne tardant pas à faire remarquer que les choses semblaient aller drôlement mieux entre son frère et la française, ce qui lui faisait plaisir, disait-elle. Astrid n'en doutait pas le moins du monde.

"- Beaucoup mieux oui !" avoue Astrid avec un sourire, confirmant les mots de son amie sans trop en dire.

La dernière fois... la dernière fois c'était terrible. À Pâques ils s'étaient disputés, puis la jeune femme avait tout simplement fuit l'Allemagne quelques jours plus tard, en croyant que Gabriel venait de devenir papa, qu'il avait adopté un enfant, alors même qu'il ne lui avait absolument pas parlé de ce projet. Mais il l'avait suivit en France et finalement les choses s'étaient arrangées entre eux, leur histoire prenant une nouvelle tournure après leurs retrouvailles, alors qu'Enora n'était plus dans le champ. Une tournure qu'elle avait longtemps espéré, rêvé. Au moins autant que Moïra et Aline, en réalité.

"- Non c'est bon tu peux y aller."

Comme Moïra demande à pouvoir utiliser la douche, la jeune femme acquiesce d'un mouvement de tête avant de confirmer sa réponse par quelques mots, même si elle sait qu'il ne devrait pas s'écouler 5 minutes, alors, avant que la jeune femme ne revienne dans la pièce, en hurlant ce qu'elle avait découvert. Parce que dans la salle de bain, il y avait plein d'affaires à Gabriel, maintenant. Beaucoup trop de choses pour que l'on puisse supposer qu'il avait juste laissé deux trois trucs pour dormir là cette nuit. Beaucoup trop de chose pour qu'une enquêtrice comme Moïra ne le devine pas, d'autant plus qu'ils n'avaient pas vraiment prit le temps de ranger la salle de bain en la quittant.

Décidemment, ces deux-là attisent ma curiosité. Par pur politesse, je prends sur moi et garde toutes les questions qui me trottent en tête pour moi. Ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas croisé Aline, la sœur de mon amie alors je laisse ma curiosité de côté. Pas pour l’instant, aucun problème à ce sujet. Je souris à ses mots et approuve d’un signe de tête : « Bien sûr, passes-moi ton téléphone, je me souviens de mon numéro qu’au moment où je l’écris » lançai-je d’un ton désespéré. Elle l’a entre les mains, ne comptant pas lui arracher des mains, je le récupère au moment où elle me tend ce dernier. Ainsi, j’en profite pour rentrer ce dernier.

Quant à mon frère, je ne cesse de le dévisager du regard ou plutôt de le questionner pour essayer d’avoir des réponses à mes questions. Je me mords la lèvre car le dit frère finit par s’éloigner pour sortir à l’extérieur et débarrasser les affaires. Je ne m’avoue pas vaincue pour autant puisque je me retrouve seule avec mon amie Astrid. Depuis le temps que je la cherche avec son attirance pour son soi-disant meilleur ami. Généralement, j’ai toujours raison. Alors, lorsque nous rangions les affaires dans le réfrigérateur, je lui pose enfin la question.

« Beaucoup mieux, à quel niveau ? » lançai-je, un sourire se dessinant au coin de mes lèvres.

Sautillant sur place, d’une jambe à l’autre, je la regarde en l’implorant pour qu’elle me donne plus de détails. Ils ne s’en rendent pas compte. Depuis le temps que j’ai besoin d’avoir ce genre de nouvelles. Mon dégoût pour Enora, la petite amie de mon frère, la fameuse journée de Pâques qui a plutôt tourné au vinaigre. Pourtant, elle n’en dit pas un mot. Je lâche l’affaire, si elle ne veut pas en parler, je ne vais pas la forcer. Ou plutôt lui mettre le couteau sous la gorge pour la faire parler ? Mon frère ne me le pardonnerait jamais, mais cela peut être une option pour Lys.

Une douche s’impose après cette séance de footing pour arriver à destination. Lorsqu’elle me donne l’autorisation, je lui souris et file prendre mes affaires de rechange pour me diriger dans la salle de bain. La salle de bain… Une pièce remplie d’indice. Les affaires de mon frère qui traine de partout, autant vous dire que pour Inspecteur Moïra, c’est le bonheur. Les coïncidences sont bien trop présentes. Cette chaîne, je la reconnaitrais entre milles puisque c'est moi qui lui a offert pour un anniversaire, ou pour le féliciter le jour de sa remise de diplôme. Je ne m'en souviens plus ! Passée mon exaltation, je file sous la douche et en ressort quelques minutes après. Une fois habillée, je m’empresse de récupérer la chaine de mon frère qui traine autour du lavabo pour le mettre autour de mon cou.

Je retourne voir les Loulous en prenant mon air des plus innocents. « C’est dingue, Lys, je viens de trouver exactement la même chaîne que toi ! »