Les parents d'Astrid sont venus pour passer quelques jours, installés dans la villa. Leur présence ne te fait jamais vraiment râler : ils te font ressentir que tu fais partie de la famille, et jusqu'à présent, malgré certaines divergences d'opinion, tu n'as jamais eu de souci avec eux. Leur séjour se passe bien, même si tu es un peu distrait. Tu te rappelles constamment ta visite à l'hôpital quand Aline t'avait demandé de la rejoindre pour venir la récupérer pendant une indisponibilité de la part de ta fiancée pour s'occuper de cette tâche.

Sauf que ce jour là, le médecin et son interne avaient parlé dans le couloir de leur patiente, pendant qu'Astrid attendait dans la salle de consultation et le médecin titulaire avait lancé à son second "allez, on rentre, on essaie de rester optimiste pour elle, d'accord ?" avant d'ouvrir la porte. Toi, t'avais un peu balisé. Et dans la voiture, sur le chemin du retour, t'avais préféré rester silencieux la plus grande majorité, avant de finalement desserrer dents et lèvres, et t'avais demandé des explications à la jeune blonde. T'étais pas du genre à mettre devant le fait accompli, mais tu peinais à comprendre son silence. Elle t'as expliqué, ce jour là, ce qu'il y avait, et qu'elle ne voulait pas en discuter. Non, elle n'en avait pas envie, elle culpabilisait de ne pas aller bien, et ne voulait pas inquiéter la famille. Mais c'était encore pire, ce qu'elle faisait. Et si son état se dégradait d'un seul coup, et qu'elle rendait sa famille morte d'inquiétude à son égard, alors qu'ils auraient pu être là, et la soutenir depuis le début ?

Toi, tu craignais surtout qu'elle regrette son silence, et qu'elle regrette les conséquences que son silence pouvait avoir. Tu avais peur qu'elle souffre davantage, surtout psychologiquement.
Et depuis ce fameux jour, vous ne vous êtes pas revus, Aline et toi. Jusqu'à ce que M. Et Mme Morel ne proposent un repas familial, à faire des grillades sous le soleil du jardin de la villa. Aline a donc pointé le bout de son nez, et tu as fait comme elle : mine de rien. Mais tu ne sais pas mentir. Et tu n'aimes pas ça, tu préfèreras toujours une vérité qui fait du mal à un mensonge qui fait du bien. Car il fait du bien sur le moment, mais quand il s'efface pour laisser place à la vérité, celle-ci est pire que douloureuse : la souffrance qu'elle inflige devient insupportable.

Franck s'occupait des grillades pendant qu'Astrid et sa mère s'engageaient dans une conversation animée, mais très respectueuse. Tu as jeté un coup d'oeil circulaire, réalisant qu'il manquait la salade et de l'eau... Et Aline. Tu es rentré dans la cuisine d'été, pour aller t'occuper de la salade et de remplir la carafe d'eau, pendant qu'Aline revenait dans la cuisine, surement après avoir fait un tour dans la salle de bain. Tu soupires en t'arrêtant de faire ce que tu faisais, pour t'adosser aun plan de travail, tes mains accrochées sur celui-ci. «Tu vas continuer à faire comme si de rien n'était, je présume ?» Oui, ton ton est moralisateur. Oui, ça n'est pas terrible comme technique d'approche. Mais tu ne peux t'empêcher de penser à Astrid et sa famille. A ta famille quelque part. Et tu as de la peine de voir qu'elle ne partage pas ses soucis avec eux, qu'elle cache une si grande partie de ce qui la préoccupe en ce moment.

La blonde s'est arrêtée à tes mots, et tu sais très bien qu'elle va rétorquer quelque chose de cinglant. C'est écrit sur son visage. Mais tu ne vas pas laisser faire. «Sérieusement, Aline... C'est pas la bonne solution, même si tu en as l'impression...» Tu jettes un coup d'oeil dehors. Personne ne semble avoir remarqué votre absence, pour l'instant. Alors à toi de faire en sorte de l'empêcher de s'esquiver de cette discussion que tu savais déplaisante pour elle, mais qui est inévitable pourtant.