Aline & Gabriel * Je dirais que nos empreintes ne s’effacent jamais des vies que nous avons touchées.

« Nous nous revoyons donc le 16 décembre. » je lâche, un sourire sur les lèvres. Je referme promptement le dossier que je glisse en direction de ma cliente. « Je vous laisse ceci, j'ai un double à la boutique. » Nos verres terminés, je me redresse sur ma chaise avant de demander si elle a des questions. Je ne fais pas ce genre de formalités, habituellement, préférant rencontrer mes clients directement dans ma bijouterie à l'abri de regards indiscrets. Mais Madame Cliffer en a décidé autrement, d'autant que sa proposition de création d'une parure pour sa fille bientôt majeure semble extrêmement importante à ses yeux. Tout comme ses cinq diamants et six rubis qu'elle m'a laissé il y a une semaine. Oui, une parure qui vaut son pesant d'or, vaut bien une rencontre décidée par la cliente, non ? « Merci beaucoup pour votre patience, Monsieur Fisher. J'ai hâte de voir la parure que vous allez créer de toutes pièces. » affirme ma cliente avant de prendre congé.

Je me retrouve alors seul, à cette table dans ce salon de thé qui semble attirer par mal de monde. Avec ce magnifique soleil qui nous réchauffe par sa présence, c'est tout-à-fait normal après tout... Je décide d'envoyer un sms à Enora, l'invitant à me rejoindre si elle le souhaite. Après tout, aujourd'hui, je n'avais qu'un seul rendez-vous à assurer et il fait si beau que m'enfermer ne me semble pas la meilleure idée du siècle. « Un autre thé ? » s'enquiert une serveuse à qui je réponds par l'affirmative avant de zieuter mon smartphone qui vient de vibrer. Bon, journée seul visiblement ! Ma copine est avec une de ses amies à faire du shopping. Je repose mon téléphone après lui avoir souhaité une bonne journée. Pour ma part, ça va être tranquille. Je compte bien finir ma tasse et pourquoi pas aller flâner dans les rues. Si j'avais un chien, je pourrais aller le promener... Mais je me bagarre avec Enora pour la faire plier. Les animaux, quels qu'ils soient, elle les exècre. Allez savoir pourquoi ! Le thé arrive et la porte tinte une énième fois, indiquant de nouveaux clients. Il marche à fond ce salon de thé. Va peut-être falloir que j'y traîne un jour Astrid, puisqu'elle a déposé ses valises il y a peu à Hambourg.

Cette idée illumine mes yeux comme j'attrape une nouvelle fois mon smartphone avant de cliquer sur la conversation El'. « J'ai trouvé un salon de thé, je pense que ça peut te plaire ! » j'envoie avant d'ajouter : « Si tu es dispo et si ça te tente, j'y suis actuellement. » Une journée en compagnie de ma meilleure amie ? C'est sûrement la meilleure des idées que j'ai pu avoir. Bon, après avoir proposé à Enora, bien sûr...

Je sirote ma boisson, en attente d’une réaction de mon amie. Réaction qui ne manque pas d’arriver. Alors que je m’attends à un texto, la jeune femme m’appelle directement. Je décroche, amusé. « Fisher à l’appareil, en quoi puis-je vous être utile mademoiselle Morel ? » Mon amie m’informe alors avoir gagné à la loterie, le lot se trouvant à neuf heures, près de la vitre. Elle raccroche alors et, tout sourire, je me mets en quête de ce fameux lot. Une tête blonde au sourire ravageur accroche mon regard et je me fends d’un sourire avant de me lever, tasse en main, pour rejoindre Astrid. Quelle probabilité pour qu’on se trouve dans le même salon de thé à la même heure, le même jour ? Elle doit être proche de zéro, pourtant, il se trouve que nous sommes tous deux dans cet établissement, frais et dispo !

Lorsque je m’approche de sa table, je constate qu’elle n’est pas seule. Une jeune femme, aussi blonde et jolie que l’est Astrid, se tient en face d'elle. Je présume, par leur ressemblance, que c’est Aline, la sœur cadette de El’. « Bien le bonjour mesdemoiselles. » dis-je, non sans rigoler de la question des plus indiscrètes posée par Aline avant que je n’arrive. Je suis peut-être plus âgé qu’elles, mais il se trouve que mon ouïe est des plus fines ! J’embrasse sur la joie Astrid avant de me présenter à la jeune femme que je suppose être Aline. « Gabriel, un très bon ami de Astrid. Et non, on ne couche pas ensemble. Du moins, plus maintenant. » J’ajoute malicieux. « Aline, je présume ? »

La sœur cadette de la française ne doit visiblement pas se souvenir de ce visage qu’elle a entre-aperçu derrière de grands rideaux à Lyon en 2014, puisqu’elle ne me remet pas. Je ne m’en offusque pas, songeant comme le monde est petit tout de même. Quelle aubaine de rencontrer la sœur de mon amie après toutes ces années. Astrid m’en a dépeint un portrait des plus affriolants et je me suis fait à l’idée qu’Aline était une Moïra en plus jeune et en blonde. Mettre enfin un visage sur un nom, c’est tout de même préférable, surtout quand on entend beaucoup parler de cette personne. « Je ne vous dérange pas, au moins ? » je m’assure avant de prendre place aux côtés de mon amie, à l’abri des rayons de soleil qui chauffent. Aline ne semble d’ailleurs visiblement pas gênée par ces derniers, lézardant derrière la baie sans l’ombre de sueur. « Je ne souhaite pas perturber votre journée… shopping. » je m’esclaffe en apercevant la ribambelle de paquets et sacs installés confortablement sur les deux chaises libres et d’autres jonchant le sol. « Bon sang, on m'avait conté une légende selon laquelle les françaises aiment flâner et faire du lèche vitrine, mais là vous allez dévaliser Hambourg à vous deux ! » je rigole tout en m’installant.