We don't meet people by accident ♦ ft Wilhelm

Installé sur son balcon, une cigarette entre les doigts et son carnet posé en équilibre sur la rambarde, Theo semblait perdu dans ses pensées. Les températures avaient chuté en ce début d'année mais ça ne l'empêchait pas de traîner en caleçon et sweat dehors. De toute façon, il était hors de question de fumer à l'intérieur. Non seulement il avait des colocataires maintenant mais en plus il détestait l'odeur qui s'incrustait partout. Le tabac froid n'était pas son odeur préférée, loin de là. S'il pouvait il aurait arrêté de fumer depuis un moment mais les mauvaises habitudes avaient la vie dure. Il ne pouvait s'empêcher de ressentir un manque quand il ne tenait pas ce petit cylindre entre les doigts, qu'il ne sentait pas la fumée s'infiltrer dans ses poumons. Il était accro aux gestes plus qu'à la substance. S'il pouvait trouver quelque chose qui remplacerait, il changerait sans hésiter. Il n'en pouvait plus d'entendre son entourage lui rappeler les méfaits de la cigarette sur son organisme.

En parlant de cigarette, celle-ci était en train de se consumer toute seule. Theo y avait à peine toucher, le regard braqué sur son carnet. Il devait s'occuper d'une pièce qui se déroulait pendant la Renaissance. Autant le dire tout de suite, le metteur en scène n'avait pas forcément bien suivi ses cours d'histoire. Il avait toujours trouvé ça d'un ennui à l'école alors ses bases n'étaient pas au top. Il avait à peu près les dates en tête et peut-être un artiste ou deux de l'époque mais c'était tout. Il avait besoin d'un expert, d'échanger avec quelqu'un de passionné. Il n'avait pas envie de faire n'importe quoi. Il aimait bien s'approprier l'ambiance des époques avant d'imaginer une mise en scène pour une pièce. Il ne pouvait pas faire n'importe quoi, il lui fallait des éléments pour faire comprendre un point essentiel de la pièce, l'époque. Il fallait toujours remettre dans le contexte une scène pour ne pas crier au scandale. Et là, vu la pièce en question, Theo savait que ça allait faire hurler certains groupes. Il voulait donc faire attention à ce qu'il faisait pour éviter le pire.

« - Euh … Theo, y a plus de dentifrice, si ? », Demanda son colocataire dans l'espoir que le brun lui annonce où il avait planqué le stock mais malheureusement il n'y avait aucune cachette secrète. Theo savait déjà depuis la vieille qu'ils allaient devoir sortir en racheter en urgence. Il n'aimait pas se balader avec les dents sales, c'était une sensation désagréable mais il n'aurait pas trop le choix s'ils étaient à cours de dentifrice...

« - Non y en a plus du tout », Lança-t-il en se tournant vers son colocataire. Theo écrasa la fin de sa cigarette et récupéra son carnet pour éviter de le voir basculer dans le vide par mégarde, avant de reprendre la parole. « Mais je vais sortir en acheter. Je dois passer quelque part de toute façon. »

Sur ces mots, Theo fila sous la douche pour se préparer. Il avait eu une bonne idée pour éviter de passer la journée à s'arracher les cheveux sur des bouquins d'histoire qui seraient aussi passionnants que ses anciens enseignants. Et puis il devait avouer que l'idée lui semblait très intéressante car il avait très envie de voir la réaction de la personne quand il se pointerait à son travail. Il enfila un jean noir, un t-shirt blanc et une veste, sans trop réfléchir. Il mettait souvent ce qui lui passait sous la main, cherchant plus à être à l'aise dans ses habits qu'à plaire à son entourage, même s'il était loin d'être négligé. Il était assez à la mode en général. Il n'y avait qu'à la maison qu'il osait se mettre vraiment à l'aise en restant en caleçon ou en boxer. Sa colocataire avait tendance à râler mais ce n'était pas pour autant qu'il acceptait de se couvrir un peu plus.

« - N'ayez crainte mes amis ! Je reviendrai avec du dentifrice quoi qu'il m'en coûte ! », S'exclama-t-il en prenant une pose théâtrale lorsqu'il croisa ses deux colocataires. Il ignora leurs soupirs mi amusé mi désespéré avant de sortir. Le froid le poussa à fermer son manteau pour éviter de sentir le vent s'engouffrer dans ses vêtements. Contrairement à son balcon, il n'était pas protégé des courants d'air.

En chemin il fit une halte dans un petit magasin pour acheter le fameux tube de dentifrice. Il ne pensa même pas à en prendre une deuxième pour avoir de l'avance. Erna s'en occuperait lorsqu'ils feraient les courses de la semaine. Elle était bien plus organisée que lui de ce côté là. Une fois son achat payé, il glissa la boîte dans sa poche et reprit sa route en direction du musée. C'était l'endroit où il allait trouver la personne qu'il cherchait, ou quelqu'un qui pourrait le renseigner. Il y avait forcément des passionnés d'histoire en dehors de celui qu'il comptait voir. Mais au fond, il avait très envie de revoir la personne qu'il avait rencontré un soir. Il était curieux de voir si une grimace allait orner son visage ou un sourire amusé. Quelle que soit sa réaction, Theo était persuadé qu'il allait s'amuser.

Une fois sur les lieux, Theo se dirigea vers l'accueil où était un petit blond plutôt mignon. Était-ce un critère pour travailler ici ? Cette pensée l'amusa car il était persuadé que ça ne pouvait pas être ça. Il ne voyait pas un directeur embaucher à la tête du client, c'était ridicule ! Surtout en connaissant un tant soit peu l'assistant de celui-ci, il avait bien vu que ce n'était pas le genre à laisser quelqu'un s'occuper d'un musée sans qualification.

« - Bonjour, est-ce que Mr Wilhelm Wagner est présent aujourd'hui ? », Demanda-t-il à l'attention du blondinet qui l'accueillit avec un sourire. Un bon point ! Ça changeait de l'autre folle qui l'avait envoyé sur les roses lorsqu'il avait tenté de retrouver sa muse en se pointant à la patinoire pour lui rendre son carnet.

« - Bonjour, puis-je savoir ce que vous voulez à Mr Wagner ? »

Forcément, le garçon n'allait pas déranger son patron sans une bonne raison. Theo pouvait parfaitement le comprendre et il appréciait qu'on lui laisse une chance de s'expliquer plutôt que de l'envoyer sur les roses.

« - Je suis Theophilus Jansen, metteur en scène pour le théâtre Thalia, et j'aimerais pouvoir discuter avec Mr Wagner sur un point important de la pièce sur laquelle je travaille en ce moment. Il me connaît donc si vous pouviez voir quand je peux m'entretenir avec lui, ce serait parfait. »

Le garçon sembla accepter ses paroles puisqu'il décrocha son téléphone et composa un numéro. Il sembla patienter quelques instants avant d'annoncer simplement : « Mr Wagner ? J'ai quelqu'un pour vous à l’accueil. … Theophilus Jansen. »

"-Oui, ma chérie. Tu auras tes nouvelles pointes dans l'après-midi, je viens de les commander...Oui, du 37, blanche et de qualité allemande. Je dois te laisser, petit ange. J'ai un appel sur la ligne professionnelle. Je t'aime aussi. À ce soir.

Wilhelm reposa son portable privé, avant de soupire. Être le père d'un futur petit rat d'opéra n'était pas de tout repos, surtout depuis que sa chère petite fille avait auditionné pour la prochaine représentation de Casse-Noisette. Elle en faisait toute une histoire, mais son père l'avait toujours soutenu et se démenait pour lui donner du courage et la calmer en temps voulu. Pourtant, cela n'empêchait pas l'adolescente d'appeler son père en pleine journée de travail.

Depuis son divorce, le quarantenaire couplait éducation de ses enfants et son nouveau poste d'assistant. Entre rendez-vous pour nouvelles acquisitions et emmener les plus petits dans leurs cours respectifs ou encore à la crèche, on aurait pu croire que Wagner était débordé. Au contraire, il n'avait jamais été plus épanoui. C'était un homme qui croquait la vie à pleine dents. Et évidemment, on ne parlait pas des soirées organisées par ses rares amis pour lui trouver un nouvel amour.

Wilhelm ne le cachait pas. Il était autant attiré par les hommes que par les femmes et cela depuis toujours. Son air très classique renfermait un fervent serveur de la langue allemande ou anglaise voir française selon les personnes pour qui ses ardeurs étaient plus que positives. Autrement dit, quand ses enfants n'étaient pas à la maison, monsieur s'autorisait parfois une nuit voir deux accompagnées. Toujours suivi d'un petit-déjeuner cuisiné par ses soins.

"-Oui, Emmerich? C'est à quel sujet? s'exclama l'assistant de direction en posant son doigt sur l'interphone.

« Mr Wagner ? J'ai quelqu'un pour vous à l’accueil. … Theophilus Jansen. »

Sa respiration se coupa un instant. Jansen... Le metteur en scène? Celui qu'il avait rencontré l'autre soir dans un bar et avec qui il avait passé une nuit des plus torrides? Mais qu'est ce qu'il faisait là?

« Mr Wagner ? Vous êtes là? »

"- Que veut-il Emmerich?"

« Il aimerait vous voir par rapport à une de ses pièces. »

"- Emmène-le à mon bureau, s'il te plaît"

Deux minutes plus tard, Wilhelm se tenait debout, assis sur son bureau, attendant le jeune homme de 27 ans de pied ferme. Il fallait rester sérieux et ne pas s'abandonner à des ferveurs qu'il gardait pour les soirées. Théo venait le voir pour des raisons professionnelles, pas pour autre chose. Même si le silence semblait étrange depuis leur dernière entrevue.

C'est avant que l'homme arrive que Wilhelm reçut un énième appel sur son téléphone privé, auquel il répondit évidemment.

"- Oui?... Emilia, tu exagères! Je t'ai dit que j'avais des rendez-vous aujourd'hui, je ne peux pas t'avoir au téléphone en permanence! Je sais que tu es stressée, mon ange... Bien sûr que tu peux avoir le rôle principal, cela va de soit...

Il n'entendit cependant pas la porte s'ouvrir....

Theo délaissa quelques instants l'agent d’accueil pour regarder autour de lui. Il était venu plusieurs fois ici mais jamais de son plein gré -la plupart du temps ce fut pour des sorties scolaires. C'était probablement la première fois qu'il venait de lui-même sans avoir eu quelqu'un pour lui souffler l'idée. Et encore, il ne pouvait pas dire qu'il venait vraiment au musée puisqu'il était là pour retrouver Wilhelm, un amant d'un soir. Mais au moins il n'était pas là pour l'embêter pendant son service, il était là pour le travail. Il avait besoin d'un passionné d'histoire pour le renseigner. Ce n'était pas tous les jours qu'il était sérieux, il fallait en profiter !

Ce fut la voix du blondinet qui attira à nouveau son attention du côté de l'accueil. Ce dernier lui annonça qu'il allait le conduire jusqu'au fameux Mr Wagner. C'était assez amusant d'appeler quelqu'un avec qui il avait passé une nuit torride par son nom de famille. Il avait très envie de dire Wilhelm mais il préférait éviter de se faire refouler à peine arrivé. Il ne savait pas trop ce que l'entourage de son amant savait à son sujet. Il fallait avouer qu'ils n'avaient pas trop eu le temps d'échanger des mots. Leurs langues s'étaient rapidement déliées mais pour un tout autre langage. Et puis il n'était pas là pour recommencer, il avait autre chose en tête à cet instant précis.

Après avoir déposé un panneau annonçant le retour de l'agent d'accueil d'ici quelques minutes, ils partirent en direction du bureau du directeur adjoint. Ils empruntèrent de longs couloirs interdits aux visiteurs non accompagnés. Theo avait l'impression de s'aventurer dans les coulisses d'un spectacle, même si l'ambiance était différente. Mais il appréciait toujours autant voir l'envers du décor. C'était presque plus attirant pour lui que le spectacle en lui-même.

«  - Merci  », Souffla-t-il lorsque le garçon lui annonça que son patron se trouvait derrière cette porte. Il le laissa repartir, n'ayant pas besoin qu'on l'annonce. Il préférait largement le faire lui-même. Il ne savait pas trop si Wilhelm allait bien le prendre mais au moins il avait eu quelques minutes pour se préparer à l'idée que le metteur en scène était là. Theo aurait pu lui laisser un peu plus de temps pour se préparer s'il avait accepté d'échanger son numéro. Mais le brun avait tout fait pour ne pas laisser la conversation en arriver là. Il n'aimait pas laisser les gens se rapprocher un peu trop, il préférait gérer lui-même la distance.

«  - ... Je sais que tu es stressée, mon ange...  »

Sourcil levé, Theo se demanda à qui parlait Wilhelm. Il avait reconnu sa voix même s'il ne l'avait entendue qu'une seule fois. Il était toujours très attentif aux sons autour de lui, probablement une déformation professionnelle. Ne pouvant s'en empêcher, il ouvrit la porte doucement, pénétrant dans la pièce alors que son amant était occupé. Wilhelm ne sembla même pas le voir.

«  - Bien sûr que tu peux avoir le rôle principal, cela va de soit...  »

Theo avança dans la pièce, regardant autour de lui. Il avait pu voir Wilhelm nu et profiter d'une nuit torride en sa compagnie mais au fond il ne le connaissait pas vraiment. Même si ce n'était qu'un bureau c'était un bon début pour repérer quelques affaires plus personnelles. Le metteur en scène aimait bien repérer les petits détails dans la vie des personnes ça lui permettait de rajouter un peu plus de vie aux mises en scène des pièces sur lesquelles il travaillait.

«  - Bonjour  », Souffla-t-il lorsque Wilhelm raccrocha enfin son téléphone. Theo observait un coin de la pièce, tournant ainsi le dos à son interlocuteur. Il n'avait pas honte d'examiner ainsi les lieux. Il ne faisait pas ça par simple curiosité, c'était pour son travail qu'il était si attentif.

«  - Est-ce que tu aurais des toilettes  ?  », Demanda-t-il en se tournant vers le directeur adjoint, «  J'aimerais bien me brosser les dents. Je n'ai pas pu le faire avant de partir donc sur le chemin j'ai fait un petit détour pour acheter du dentifrice. Et je pense que ce sera plus agréable pour toi si j'ai une haleine fraîche si on doit parler, parce que crois-moi j'ai plein de questions pour mon travail  !  »