Ulrich * Fill my pain

Se tenant devant le miroir de sa chambre, ses yeux scrutant chaque centimètre de son reflet, la quadragénaire pousse un profond soupir. Du haut de ses quarante-et-un ans, elle se sent fatiguée, l’âme lourde, épuisée d’une lutte sans fin contre ce stupide miroir, contre ce corps, cette silhouette qui est la sienne. Epuisée de cette lutte perpétuelle qu’elle ne semble jamais pouvoir gagner, peu importe combien elle essaie. Le poids de ces douleurs pesant sur ses épaules, elle se glisse dans la robe noire qu'elle a achetée il y a quelques semaines, espérant qu'elle la mettra en valeur. Evidemment, non. Pas à ses yeux. À ses yeux, même le tissu soyeux et l’effet gainant du vêtement ne peuvent rien faire pour elle. Elle lisse des plis invisibles, tire sur le bas de la robe, essaie de l’ajuster, sans jamais sembler satisfaite.

Nouveau soupir. Se laissant tomber sur son lit, assise, son regard tombe sur une vieille photo sur la commode. Un temps ancien, plus heureux, où elle se posait moins de questions. Où elle n’était pas aussi amère. Elle n’était pas fine, mais toujours bien plus qu’aujourd’hui. Sur ce cliché, entourée de sa fratrie, elle n’avait pas encore perdu son enfant. Sur ce cliché, elle était encore insouciante, imaginant que la vie serait belle. Elle ne l’avait pas vraiment été cependant, la laissant seule et sans enfants à son âge. Son plus grand regret, sans aucun doute.

Elle se force à détourner le regard, se levant en préférant se concentrer sur les dernières retouches de son maquillage, comme si la couche de fond de teint pouvait masquer les fêlures, les cicatrices invisibles qu’elle porte en elle. Faire semblant, c’est ce qu’elle fait souvent. Prétendre que tout va bien, même si ses proches ne sont pas dupes. Tomas ne l’est pas. Ulrich ne l’est pas davantage. Elle le sait. Pourtant, une fois de plus, elle s’imagine pouvoir tenir cette forme de représentation.

Effectuant silencieusement son trajet jusqu'au Barcelona Tapas à Altona, elle ne tarde pas à se garer à proximité de l’établissement, lissant sa robe une nouvelle fois avant d’attraper son sac à main, sortant de la voiture, pour rejoindre le bâtiment. Franchissant la porte, elle promène son regard sur la salle, cherchant son frère, le repérant finalement dans un coin tranquille. Se dirigeant vers lui, avec l’impression d’être regardée, désignée, pointée du doigt, elle presse l’allure tandis qu’il se lève, rencontrant bientôt le confort de ses bras qu’il a ouvert pour elle.

"- Bonsoir ! Je ne t’ai pas fait trop attendre ?" s’inquiète-t-elle de savoir comme ils s’installent.