T'as trouvé un ami || AXWINI

Un papier entre ses mains, Axel regardait en boucle cette adresse qu’il avait lui-même griffonné… Il l’avait tellement griffonné rapidement qu’il n’était pas certain de ce qu’il avait indiqué. Peut-être, car sa main avait été victime de tremblement quand il s’était décidé à faire sa recherche. En navigation privée pour ne laisser aucune trace. Son cœur avait battu la chamade tout du long et il avait peut-être écourté les choses. Malgré les mots de sa sœur qui se bousculaient en boucle dans sa tête, Axel ne savait pas s’il était en mesure de trouver l’aide qu’elle voulait pour lui. Parlait-elle plutôt d’un psychologue ? Ça, c’était impossible pour le brun. Ça serait trop officiel… Le fait de se trouver en tête à tête avec une personne, à devoir parler, ça l’effrayait. C’est pour cette raison qu’il avait tourné ses recherches via des associations. Il ne savait pas ce qu’il imaginait exactement. Des réunions comme à la télévision ? Avec des dizaines de personnes qui racontaient leur histoire ? Avec la possibilité pour lui de se taire ou de parler ? Axel n’en avait aucune idée. Il ne s’était jamais informé sur le sujet avant. Il avait uniquement noté cette adresse sur un bout de papier quelques jours plus tôt.

Axel ne savait même pas pourquoi il s’y était rendu, il ne savait même s’il se trouvait au bon endroit. Et surtout… Il craignait d’être rejeté. Il n’avait pas effectué la bonne recherche, il le savait. Ces associations étaient pour les femmes victimes de violences conjugales, pas pour quelqu’un comme lui. C’est ce qui se répétait en boucle. Une personne comme lui n’était pas une victime. Il n’avait pas besoin d’aide, il aurait dû se débrouiller tout seul. Alors pourquoi ? … Pourquoi il ressentait autant le besoin de demander de l’aide, plus de trois ans plus tard ? … Pourquoi après tout ce temps, il ne savait pas aller mieux ? Pourquoi, il était là ? … Non, non. Il devait partir. Ce n’était pas pour lui. Brusquement Axel vit volte-face pour prendre la fuite, presqu’à la course. Malheureusement, l’impulsivité de son geste le fit foncer directement dans une personne présente dans le hall et il termina sa course au sol, échappant au passage, aux pieds de l'inconnue, son papier avec l’adresse griffonnée de la place. « Je suis désolé, j’étais… ailleurs… Je… Je ne devrais pas être ici... Je suis désolé, je vous ai fait mal ? » Il pinça les lèvres tandis qu’il osa lever les yeux vers la femme dans laquelle il venait de foncer.

Axel n’avait aucune confiance en lui. Il lui suffisait d’une erreur pour qu’il se trouve plus idiot comme jamais. Exactement comme à cet instant précis alors qu’il venait d’entrer en collision avec une inconnue, car il avait voulu aller trop vite. Il devrait arrêter ça, d’agir sur des coups des têtes. Ça ne lui avait jamais réussi. Sauf il y a plus de trois ans lorsqu’il avait décidé de quitter son appartement et sa France natale en pleine nuit pour « changer de vie ». Il avait changé de vie, oui, mais était-ce vraiment pour le mieux ? Parfois, il avait l’impression que la peur et le doute constant le menaient par le bout du nez.

Même si la femme lui assura que tout allait bien, Axel n’arrivait pas à s’en convaincre. Il l’observa de haut en bas, comme s’il pouvait voir le moindre signe de blessures chez elle. Il devait se calmer et respirer par le nez, il ne l’avait pas poignardé non plus. Dans le pire des cas, elle aurait une ecchymose. Il pouvait dormir sur ses deux oreilles ce soir. « Vous pensez ? Je ne sais pas, j’ai pas tout compris sur la page Internet de l’association. » Le brun passa une main nerveuse derrière sa nuque avant de finalement se redresser. Il avait tenté de lire en allemand avant d’utiliser Google translate vers l’anglais et ensuite vers le français. Généralement, il arrivait à comprendre le sens général d’une phrase. Ce qui avait été le cas, mais il n’avait pas tout compris. Certaines traductions n’avaient eu aucun sens dans son esprit. Il aurait peut-être dû pousser sa recherche plutôt que de se présenter comme cela dans un endroit, sans réellement savoir ce qu’il devait faire. « Un café…? Oui, s’il vous plait. » De retour sur ses pieds, il avait suivi la jeune femme sans réellement se poser de questions. Il s’attendait à arriver dans une salle avec une petite dizaine de personnes, mais non… « Il n’y a personne ? » s’autorisa-t-il à demander d’une voix remplie de doutes tandis qu’il observait à gauche et à droite. Il avait vu trop de films ou de séries, il avait un apriori sur ce qu’il était venu chercher ici.

En clair. Axel ne savait pas ce qu’il faisait ici. Ni même ce qu’il devait faire. Il se répétait en boucle dans son esprit que ce n’était pas pour lui et qu’il devrait partir. Malheureusement, la vie en avait décidé autrement en lui faisant faire face à face avec une femme qui sembla remarquer immédiatement la détresse du brun. En même temps, Axel et la gestion des émotions… En plus d’être un livre ouvert de ses propres émotions, il devenait un livre ouvert pour les émotions des autres. Ça énervait beaucoup ses sœurs qui ne savaient pas lui cacher lorsque quelque chose n’allait pas. Dans sa détresse, Axel suivit la nouvelle venue dans une autre pièce et il s’attendait vraiment à autre chose… C’était bête en même temps d’avoir une attente quelconque d’un monde qui lui était entièrement inconnu.

« Je… Non, je… Vous pouvez fermer. » Que d’hésitations pour une simple question. Honnêtement, ça lui importait peu que cette porte reste ouverte ou non. Est-ce que ça changeait vraiment quelque chose ? « Les bénévoles ? Qu’est-ce qu’ils vont faire…? » Question peut-être stupide, mais elle avait illuminé légèrement son regard. Peut-être que c’est ce qui lui fallait au fond…? « Est-ce que je pourrais le faire moi aussi ? … Je… Aider les autres ? » Voilà. C’était plus facile pour Axel d’aider les autres avant de s’aider lui-même et bien vite le naturel revenait au galop. S’il n’était pas prêt à se faire aider, ni comment s’y prendre dans cet endroit, peut-être qu’il pourrait faire autre chose ? Ça lui permettait d’avoir un pied dans le milieu jusqu’à ce qu’il sente prêt à… Il ne savait pas à quoi. « Je suis doué avec un mousseur à lait… » Il regardait celui posé sur la table à côté de la machine à café. Il aimait toujours ajouter sa petite touche dans les boissons chaudes de ses sœurs. Via internet, il avait appris à utiliser correctement cet appareil. Ça ne changeait peut-être rien ici, mais tout était bon pour s’éloigner du sujet initial, non ?

Soudainement, tout semblait plus clair dans l’esprit d’Axel, mais c’était sûrement un faux sentiment de sécurité. Il n’était pas ici pour lui, il était ici pour les autres. Ça ne pouvait être que ça, n’est-ce pas ? Il allait devenir bénévole et tous ses problèmes allaient s’envoler. Voilà la pensée plus que naïve qui traversa la tête d’Axel à cet instant. « C’est noté pour Sandra. Je saurai me faire apprécier ou me faire oublier, ça va le faire. » Un demi-sourire naquit sur les lèvres du brun qui voyait finalement une porte sortie à travers cette histoire. Sauf que… La brune ne sembla le voir comme lui. Axel aurait cru qu’elle allait partir et qu’il pourrait se rendre à l’accueil, mais elle lui fit signe de s’asseoir et le brun obéit sans poser de question. Son regard posé dans celui de la jeune femme, il l’observa. Elle commença à parler et même sans terminer sa phrase, Axel comprit où elle voulait en venir. Le brun détourna les yeux dans la seconde tandis que son rythme cardiaque commença à accélérer dans sa poitrine.

« Le bénévolat me semblait être une bonne idée… » Il n’avait aucun reproche dans le ton de voix de la brune, mais Axel avait ressenti le besoin de se justifier. C’était également sa manière de contrer le fait que la femme avait raison. Il n’était pas arrivé ici par hasard. Il avait voulu venir ici. Le fait d’aider les autres, c’était arrivé en deuxième. « Je… » Axel sembla pris de court. Il leva son regard vers la femme avant de retourner fixer ses pieds. Par habitude, ses mains se rejoignirent pour qu’il puisse jouer avec ses doigts, signe de nervosité. « Tout le monde a besoin d’aide d’une manière ou d’une autre, non ?... Je… Vous avez suffisamment de bénévoles si c’est votre critère de sélection ? » Une très légère pointe d’humour cachée dans cette tentative d’éviter le sujet principal de sa visite ici. « Je ne pensais pas que ça se passerait comme cela. Je… Je pensais qu’il y aurait un groupe, des gens qui parlent, d’autres qui écoutent et… Je ne suis pas prêt. » Voilà la vérité. Même après toujours autant de temps, il n’était pas prêt. « Je ne suis pas une femme… » Sa gorge s’était serrée à cette phrase. Son genre ne devrait rien changer et pourtant, c’est parce qu’il était un homme qu’on l’avait rejeté l’unique fois où il avait voulu s’ouvrir. Depuis, il restait avec cette pensée que sa situation n’était pas grave car il était un homme.

Ce n’était pas qu’il n’avait pas envie d’en parler, c’était beaucoup plus compliqué que cela. Il ne se sentait pas légitime de le faire. Surtout qu’il avait réussi à fuir de son enfer quelques années plus tôt. Il n’était plus une victime n’est-ce pas ? Il ne comprenait pas pourquoi il continuait d’être hanté à ce point par ses souvenirs et par cette femme. « Je ne suis pas une victime, je suis… » Il s’arrêta dans sa phrase. Qu’est-ce qu’il était ? Il n’en avait aucune idée. Ses doigts, par réflexe, avaient rejoint son avant-bras gauche pour toucher la cicatrice présente à travers son pull. Cette fameuse blessure où on lui avait dit d’arrêter de mentir et d’assumer qu’il avait été maladroit. Depuis, il essayait de se convaincre en boucle qu’il avait seulement été maladroit, que personne n’avait essayé de lui faire du mal ce jour-là.

On n’était pas victime toute sa vie. La brune semblait en être persuadée. C’est un regard presque enfantin qu'il jeta dans le sien avant de souffler : « Comment on arrête de l’être ? » Question presque contradictoire avec son affirmation des instants précédents. « Je m’appelle Axel… » Il pinça les lèvres avant qu’un rire nerveux ne s’échappa de ses lèvres. « Ça c’était une question facile. » Sa main rejoint sa nuque presque par malaise d’avoir dit ça. Sauf qu’il était comme cela Axel, lorsqu’il ne sentait pas confortable, il essayait de s’en sortir avec un humour parfois douteux. « Je… Mon allemand n’est pas encore très bien, mon anglais non plus d’ailleurs. Je… Je n’ai pas tout compris du rôle exact de votre association sur Internet, vous… Vous pouvez m’en dire davantage Ash ? S’il vous plait ? » Voilà une façon de dévier un petit peu la conversation. Axel essayait uniquement de se sentir plus confortable.

En parler… Ça semblait tellement facile lorsqu’Ash le disait comme cela, mais Axel n’était pas certain d’y parvenir. Il avait l’impression de s’être tellement enfoncé dans ses cachoteries qu’il ne savait plus comment s’en libérer aujourd’hui. Il avait tellement fait croire que tout allait bien qu’il se demandait encore comment il avait pu être aussi convainquant. Il n’avait pas l’impression d’être un excellent menteur et on avait cru chacune de ses excuses pour justifier son état. « J’ai tellement de colère en moi. » Le brun ne disait pas ça pour lui faire peur. Il n’allait pas se mettre en colère dans les prochaines minutes et chercher à tout détruire. C’était plutôt une émotion qu’il refoulait depuis longtemps maintenant. « Je suis en colère contre moi. Contre les autres aussi. J’ai… J’ai eu tellement mal et… Personne n’a été là. Et quand ils ont voulu être là, j’ai refusé. » C’était un premier pas qu’il faisait vers cette inconnue. Il ne pouvait pas en vouloir à elle n’est-ce pas ? Elle était la première qui prenait du temps pour lui. « Je suis partie il y a plus de trois ans maintenant et… ça me hante encore. » Il déglutit avant de détourner les yeux pour fixer ses pieds qui lui semblaient beaucoup plus intéressant. Axel avait l’impression de vivre un moment suspendu. Il n’était pas certain d’avoir vraiment parlé ou d’avoir seulement pensé très fort à le faire. Il avait rêvé tellement de fois de réussir à hurler sa souffrance sans pour autant réussir à laisser s’échapper le moindre mot de sa bouche.

Les sourcils d’Axel se froncèrent lorsque la femme changea aisément de langue pour s’exprimer dans un français impeccable. Un léger soupir de soulagement lui échappa. Ça allait être beaucoup plus simple pour lui. Même si Axel arrivait à se débrouiller, il avait toujours l’impression d’être jugé lorsqu’il t’exprimait en anglais ou en allemand. « Vous parlez français… Ça m’aiderait beaucoup, oui. » Il pinça les lèvres avant d’hausser les épaules. « J’aimerais connaître la mission de votre association. À qui vous venez en aide exactement… Dans quelles circonstances aussi. » Au fond de lui, il avait la sensation qu’il n’était pas au bon endroit et il avait besoin d’en savoir plus.

Axel n’était pas certain que ça soit vraiment normal de ressentir autant de colère et cela, même si Ash lui affirma le contraire. L’homme n’arrivait pas à expliquer pourquoi il se sentait comme cela. Il n’avait jamais été réputé pour être un homme colérique ou sang chaud. Pourtant, à cet instant précis, pour une première ouverture, il se confia sur cette colère qu’il n’était même pas conscience d’avoir ressenti avant. « Bien sûr que si… J’aurais dû partir. J’aurais dû dire non, j’aurais dû… Je ne sais pas… » Le brun avait du mal à croire qu’il s’était laissé malmené aussi longtemps. Sans rien faire. Comment avait-il pu se laisser écraser comme cela ? Au point que ça devienne normal dans son quotidien d’avoir peur de rentrer chez lui. Encore aujourd’hui, c’était normal pour lui de regarder constamment au-dessus de son épaule lorsqu’il marchait dans la rue.

« Vraiment ? Je veux dire… En parler, qu’est-ce que ça change réellement au fond ? Ça ne va pas effacer ce qui s’est passé. Comment ça peut aider… à aller mieux ? » C’était sans doute des questions idiotes, totalement contradictoire avec sa présence ici. Mais elles démontraient en même temps les profondes blessures avec lesquelles Axel essayait de vivre. Le regard de l’homme s’était posé sur la main d’Ashwini sans réussir à bouger à son tour. Elle affirmait qu’il ne pouvait pas avancer en ne parlant pas. Axel pinça les lèvres et attrapa le deuxième téléphone présent dans sa poche. Il le déposa sur la table et il le fit glisser vers la main de la brune. « C’est mon téléphone… d’avant. Je n’ai jamais réussi à couper la ligne. Et elle continue de m’écrire. Régulièrement. » L’homme sentit sa gorge se nouer à cet aveu. « C’est complètement stupide. » Pourquoi il parlait de ça ? Pourquoi il se sentait soudainement autant en confiance alors qu’il cachait toute la vérité depuis si longtemps ? Pourquoi soudainement, il voulait hurler sur tous les toits qu’il souffrait ?

Attentif, plus que jamais, Axel l’écouta se confier sur la mission de son association avant de murmurer, plus pour lui-même : « Je ne suis pas au bon endroit… » Son cerveau avait voulu comprendre ce qu’il avait voulu comprendre. Les lèvres pincées, il se sentait de plus en plus coupable de son erreur plus elle avançait dans son récit. « J’ai beaucoup de mal à réaliser que de nos jours, les femmes ont encore besoin de lutter contre leurs droits ailleurs. Ça me semble tellement surréaliste ce qui se passe. » Une mine triste s’était affichée sur son visage. « Je suis vraiment navré de tout ce que vous avez subi. Je… Le monde est injuste. » C’était l’impression qu’il avait Axel. Il n’avait sûrement pas les bons mots. Est-ce qu’il y avait vraiment des bons mots dans une situation comme celle-ci ? « Il y a des hommes dans votre association ? Je… Je me sens plus légitime de lutter pour une cause plus grande. » Plus grande que lui-même.