Rien n'est plus vivant qu'un souvenir || ADELKE

Cette journée était à double tranchant pour toi. De par sa réelle signification et de par la signification que tu avais voulue lui donner. Tu savais que tu ne t’en sortirais jamais. Tu savais que ce jour serait signe d’une journée en boule dans le fond de ton lit à remettre ta vie entière en question. Alors tu avais décidé que ça serait la date annuelle de ton plus grand événement caritatif de l’année. Tu avais décidé de te forcer à sortir ce jour, de mettre ton plus beau masque et d’amasser un maximum d’argent pour l’association que tu avais fait en l’honneur de ton garçon. Cette journée n’était pas toujours la plus simple pour toi, mais tu refusais de te laisser submerger par les émotions. Tu avais une image à préserver et jusqu’à maintenant, tu t’en sortais plutôt bien. Tu avais l’impression d’avoir le cœur plus léger année après année. Tu étais tellement fière à chaque fois de voir le succès de cet événement et surtout de voir les gens se soutenir. Et cela, même chez la concurrence. Pendant quelques jours dans l’année, la concurrence était mise de côté pour s’offrir un maximum de soutien et ça te faisait plaisir de voir ça. Ça te faisait également plaisir de côtoyer des gens que tu ne pouvais pas côtoyer habituellement.

Tu avais fait ton discours d’ouverture et malgré l’émotion, tu t’en étais pas trop mal tirée. Après tout, tu avais de l’expérience en animation, c’était presque naturel pour toi. La soirée se déroulait comme prévu, le dîner avait été très bien accueilli et les gens semblaient prendre du plaisir. L’alcool était, bien sûr, présent et c’était une grosse partie de vos revenus de la soirée. Les profits allaient à l’association. Il y avait également plusieurs personnes du milieu qui divertissait les gens sur la scène. Musiciens, acteurs, humoristes etc. Surtout des gens avec qui tu avais l’occasion de collaborer pour ton émission de radio et que tu aimais plus que tout. Sauf que comme à chaque année, tu avais ce moment de faiblesse. Celui après avoir reçu des dizaines et des dizaines de bons messages, des commentaires de soutien, des accolades etc. Celui où tu sentais la boule se former dans ta gorge et que tu refusais de laisser aller devant témoin. C’était ta philosophie. Tu finis par demander à ton ami et accompagnateur de la soirée de tenir ton verre et tu t’éloignas vers les salles de bain publiques. Oh bien sûr, pas dans l’optique de les utiliser, tu étais trop hypocondriaque pour ça. Tu préférais te retenir jusqu’à être à la maison, sinon tu gaspillais un maximum de papiers pour recouvrir le siège. Sauf que cette fois-ci, tu avais seulement besoin de relâcher un petit peu de pression. Dans le fond de la pièce, tu te sentis craquer et quelques larmes échapper à ton attention. Tu te raidis légèrement lorsque tu attendis la porte s’ouvrir. Tu te remis droite, dos à la porte et tu t’empressais de retirer du revers de la main toutes traces de ta peine.

Les doigts contre son nez, tu essayais vraiment de contrôler ta crise de larmes. La soirée était encore jeune, ce n’était pas le moment de ruiner ton maquillage, mais plus tu essayais et moins tu y parvenais. Tu te sentais submergée d’un coup par ce masque tu te forçais à porter année après année. C’était à se demander si vous ne devriez pas changer le jour de cet événement, mais… Non, jamais tu ne le permettrais. Tu étais plus forte que ça, tu avais surmonté toutes ses épreuves. Ce n’était pas pour craquer au bout la ligne.

Tu restas seule un instant, mais pas suffisamment pour te permettre de reprendre la face. Dans ton coin, tu restais silencieuse un moment, presque dans l’espoir que la nouvelle venue s’enferme dans une cabine et que tu puisses quitter la salle de bain sans être vue. Ratée. Vos regards se croisèrent. Tu aurais pu le détourner, tenter de cacher ton émotion, mais tu savais qu’il était trop tard. Pour une rare fois sans ta vie, tu préféras l’assumer. Tu l’accompagnas même d’un demi-sourire et d’un petit haussement d’épaules. Une réaction qui pouvait donner l’impression que tu voulais dire « oups » devant la situation. Tu ne détournas pas le regard lorsque la nouvelle venue te salua et te tendit un morceau de sopalin. Tu le pris pour le garder dans ta main, sans t’en servir, pour le moment. « Bonsoir. » Tu avais répondu d’une manière polie malgré la situation. « C’est gentil de proposer. J’ai seulement besoin d’un petit peu de temps. Ça ira mieux ensuite. » Tu le disais sans vraiment y croire toi-même. Sans doute que ça finirait par aller mieux, mais quand ? Tu sentais que tu aurais besoin de plus que quelques minutes et une bonne excuse pour justifier ton absence auprès de ton équipe qui s’était donné autant de mal pour cette soirée.

« Enchantée Adela. Je suis Elke. » Tu n’avais jamais assumé qu’on te connaissait. Souvent on te répondait « je le sais » lorsque tu te présentais, mais tu le faisais à chaque fois. Tu ne voulais pas donner l’impression d’avoir pris le melon, ça n’avait jamais été ça avec toi. « Je crois que c’est la première fois que je vous vois. Vous travaillez pour l’une des stations de radio ? » Tu savais que ce n’était pas une nouvelle au sein de l’association, tu connaissais tous les membres. Peut-être pas personnellement, mais tu prenais le temps de te présenter à chaque bénévole, surtout avant un événement de cette envergure. Si tu ne la reconnaissais pas, c’était sans doute qu’elle travaillait pour l’une des stations concurrentes à la vôtre. Ou que c’était l’accompagnatrice de quelqu’un.

Du temps… Tu en avais besoin, mais tu n’en avais pas nécessairement. On attendait ta présence dans ce gala, c’était d’une certaine façon ton gala. Tu étais celle qui avait récupéré l’association après ta séparation avec ton fiancé. Vous l’aviez fondé ensemble, touchés tous les deux par les mêmes événements. Vous auriez pu collaborer ensemble, si votre séparation s’était passée autrement. Malheureusement, il n’avait pas facilité les choses et vous aviez tout séparé. Aujourd’hui, vous n’aviez plus le moindre contact et franchement ? C’est mieux comme cela. Tu savais être rancunière. Sauf qu’aujourd’hui, tu pensais autant à ton fils qu’à l’ex-fiancé que tu avais eu. Toutes les émotions se bousculaient et même quelqu’un d'aussi fort que tu laissais paraître ne savait pas tout gérer. Et malheureusement, quelqu’un comme toi ne possédait tout le temps dont elle souhaitait pour se repoudrer le nez. On pourrait presque croire qu’une amie ou une collègue inquiète t’avait suivi, mais non… Tu te retrouvas aux côtés d’une inconnue qui ne put passer à côté de ton état.

Un demi-sourire t’échappa lorsqu’elle précisa qu’elle te connaissait. Même si c’était une évidence en tant que participante à ton événement, tu ne prenais jamais les choses pour acquises. Tu gardais constamment les pieds sur terre, c’était mieux pour ton mental. Tu ne voulais pas non plus avoir les projecteurs sur toi alors bien vite tu t’informas sur le statut professionnel d’Adela. « Super. Vous êtes animatrice ? » demandas-tu presque mal d’avoir à le faire. Habituellement, tu essayais d’être à la page sur les animateurs des autres radios, mais depuis quelques temps, tu avais moins de temps. Tu étais en pleine préparation de ton émission de musique hivernal. « Je suis contente que ce style de soirée nous permette d’oublier la concurrence. » Ça, tu le pensais vraiment. Tu n’aimais pas spécialement les guerres entre les stations, mais vous en faisiez tous parti lorsque vous vous retrouviez sous contrat. « Je crains que non, mais c’est gentil de proposer. Je pense que je vais aller prendre l’air quelques minutes. » Tu serais moins exposée que de rester dans la salle de bain où une autre personne pouvait arriver dans les prochaines minutes. « Vous m’accompagnez ? » Tu avais plus de chance d’atteindre l’extérieur sans être interrompue si tu étais accompagnée de quelqu’un. « Je peux vous demander n’importe quoi ? Vous prenez vraiment ce risque ? » Tu eues un petit sourire. Après tout, tu pouvais être une tortionnaire, non ? … Non ça ne te ressemblait tellement pas. Tu n’avais pas cette réputation. « Racontez-moi votre histoire Adela. » Voilà ce que tu demandais. C’était ton côté « animatrice » qui reprenait le dessus. Tu n’aimais pas particulièrement parler de toi, préférant offrir toute ton attention aux autres.

« Nous sommes d’accord sur ce point. Merci de vous prêter au jeu. » Comme souvent, après un moment d’émotions, tu avais repris du poil de la bête. Tu avais chassé la tristesse de ton visage pour laisser planer un doux sourire. Il ne sonnait pas si faux que cela. Tu avais l’habitude de mettre de côté ce que tu ressentais devant un public plus ou moins large. C’était l’expérience, le métier.

Dans l’optique de libérer la salle de bain et de s’éloigner de possibles regards curieux, tu proposais à ta nouvelle rencontre d’aller poursuivre votre discussion à l’extérieur. Tu avais vraiment besoin de prendre l’air et tu avais encore quelques minutes avant qu’on ne commence à paniquer sur ton absence. La soirée était lancée après tout, elle ne demandait plus vraiment ta participation. Tu avais fait le plus gros déjà. Maintenant, il suffisait de célébrer, non ? Marchant vers l’extérieur, tu écoutais attentivement Adela qui commença par présenter ses origines. Française et mexicaine. Était-ce ce qui justifiait le léger accent de la brune ? Si elle avait grandi en France, c’était une possibilité.

« Oui, j’ai un chat. » fut ta première réponse lorsqu’Adela te retourna ta question. Tu pris quelques secondes à profiter du dehors laissant tes doigts frôler la brique froide du bâtiment. « Nous avons quelques points communs. Notamment au sujet de l’aventure, de la nouveauté, de la rancune et surtout de la hausse de l’immobilier. » Qui aimait devoir payer plus cher pour le même service ? Littéralement personne. « J’ai un grand frère et j’ai eu des dizaines et des dizaines de petits frères et de petites sœurs. Mes parents étaient famille d’accueil. J’ai trois petits frères qui ne nous ont jamais quitté. » Pour toi, tous ces gens étaient de ta famille. Qu’ils soient restés une semaine ou deux ans. Ça ne changeait rien. Tu avais créé des liens avec chacun de ses enfants. Ça avait fait partie de ton enfance et c’est ce qui avait forgé la femme que tu étais aujourd’hui. « Félicitations pour le nouveau membre à venir dans votre famille. Est-ce que ton frère et ta sœur sont en Allemagne aussi ? Où avez-vous grandi ? » Tu t’étais retournée de manière à observer la jeune femme, curieuse d’en savoir plus sur l’animatrice. « Je dois absolument te le dire. Cette robe est incroyable sur toi. Elle te va à ravir. Tu as dû faire tourner beaucoup de têtes ce soir. » Honnête, tu l’étais tout le temps. Que ce soit de manière positive ou négative. Adela était magnifique et elle devait le savoir. Point barre.