Never too old to live • Christin

Le grand jour du départ était enfin arrivé et, en chargeant la voiture de ses affaires et du ravitaillement, Valentina devait admettre qu'elle était encore plus empressée qu'elle n'aurait pu le penser. Elle avait du mal, beaucoup de mal, à avoir des projets lorsqu'elle n'avait pas ses enfants, préférant sacrifier son temps pour travailler et ne pas avoir à le faire plus tard, lorsque les enfants étaient avec elle. Ces dernières années, depuis qu'elle était devenue mère à vrai dire, elle n'était pas sûre d'avoir un jour vécut pour elle-même, d'avoir un jour vécut sans penser à ses enfants, ni organiser son temps en fonction d'eux. C'était une chose de laquelle elle n'était pas coutumière, s'oubliant dans ses tâches, dans son rôle et, elle le savait, qu'elle devait réapprendre, n'ayant pas encore l'âge de vivre recluse sur elle-même.

Ce week-end soigneusement préparé avec Christin leur ferait, à l'une comme à l'autre, probablement du bien. Christin ayant pu faire garder ses filles, elles auraient tout le loisir de profiter de la campagne pour se ressourcer sans penser, le temps de quelques heures, à ces petits êtres dépendants d'elle. Tout le loisir de pouvoir boire comme si elles avaient seize ou dix-sept ans, oubliant tout à la fois les tracas et les responsabilités qui incombaient à des femmes de leur âge, à des mères de famille.

Ayant rejoint Christin chez elle et chargé les affaires dans le véhicule en vu de la seconde partir du voyage, consistant à rejoindre l'endroit que la brune avait loué pour leur séjour, la route avait été en fin de compte moins longue que Valentina n'aurait pu le penser et, en arrivant devant la bâtisse, elle doit admettre que cela valait le coup de choisir ce coin isolé, reculé.

Sortie de la voiture, elle observe la maison, la terrasse, le jardin, la nature environnante qui leur donne l'impression d'être seules au monde, quoiqu'un véhicule stationné laisse à penser que le propriétaire des lieux n'est pas loin, prêt à leur remettre les clés pour le séjour. Ici elles seraient bien. C'était le genre d'endroit idéal pour quiconque voulait se ressourcer, pour quiconque voulait, le temps de quelques heures, fuir la vie et les tracas.

"- Je crois que tu nous as trouvé la perle rare !" remarque Valentina, son regard parcourant encore la bâtisse. "Je suppose que nous y seront plus que bien !" souligne-t-elle avant d'esquisse un sourire. "Encore merci pour l'organisation de tout ça..."

Elles seront tranquilles, confirme Christin, et Valentina n’en doute pas une seule seconde mais, toutes deux étant mères, la brune s’est assurée qu’elles restent joignables en cas de problème. On ne sait jamais. Valentina ne peut qu’approuver ce choix. Même si ses enfants sont avec leur père et qu’il s’en occupe, à priori, elle sait aussi que parfois les choses sont un peu chaotiques avec lui. Et puis elle voudra pouvoir les appeler, surtout le soir avant qu’ils n’aillent se coucher. Ils en ont besoin. Elle aussi. Et Christin ressent probablement la même chose vis-à-vis de ses filles. Le besoin d’avoir un contact avec elles au moins une fois par jour, s'assurer que tout va bien.

”- Je vais me mettre en ne pas déranger quand-même histoire de filtrer un peu tout ça et ne laisser l’accès à mon téléphone qu’à mes très proches. On ne sait jamais, des fois qu’un collaborateur voudrait avancer sur un dossier ou un autre aujourd’hui…”

Qu’il s’agisse d’Adam ou d’un autre, elle n’avait guère envie de faire place au travail pour le week-end. Ce n’était pas le but, au contraire. Elles étaient justement là pour s’offrir une coupure, pour pouvoir se reposer et réfléchir, aussi, prendre du temps pour elle. Elle ne pourrait jamais y parvenir si elle laissait son téléphone sonner toute la journée.

”- Faisons comme ça !”

Elle s’active alors, allant chercher les valises dans le coffre, jetant un regard au bazar qu’elles ont emporté avec elles. Heureusement, pour un week-end, elles ont réussi à se montrer l’une et l’autre plutôt raisonnables, quoique pas suffisamment pour que Valentina puisse tout apporter d’un coup à la maison. Peu importe. Elle attrape sa valise et un sac de nourriture pour avancer vers la maison, saluant le propriétaire au passage comme ce dernier quitte les lieux, et pousse la porte avec l’épaule pour poser le tout dans l’habitation avant de ressortir chercher les bouteilles qu’elle avait préparé.

”- On a tout prit, c’est bon ?” demande-t-elle en vérifiant avant de fermer le coffre, attrapant ensuite la caisse de vin et un dernier sac.

C’est un peu lourd. Suffisamment pour qu’elle arrive dans le salon les joues rougies par l’effort mais, sans se démonter, elle avance jusqu’à la cuisine pour y déposer la caisse de bouteilles et le sac, commençant à investir le réfrigérateur.

”- J’y pense, il n’a pas fait d’état des lieux ?” s’enquit la blonde, ignorant qu’il avait été fait deux jours auparavant.

Si la remise des clés a été aussi rapide, ce n’est pas sans raison, évidemment, comme Christin le lui révèle rapidement, expliquant être venue avec son père déjà l’autre jour pour vérifier que tout était en ordre. Et naturellement le papa en question avait pris son rôle d’agent témoin très au sérieux en faisant son numéro devant le type, dont la blonde imagine aisément qu’il a dû un peu flipper. Le père de Christin étant dans les forces de l’ordre, il est peu probable, de fait, qu’elles soient ennuyées au cours de leur week-end. Peu probable que quoi que ce soit ait été laissé au hasard.

"- Non, effectivement, je pense que la dernière chose que veuille ce pauvre propriétaire soit de se mettre à dos à la fois ton père et ton mari !" rit-elle.

Elle imagine que ce doit être bien d’avoir un père protecteur comme ça et un mari qui se soucis de soi mais… L’un n’a jamais été ainsi et l’autre ne l’était plus depuis les débuts de leur mariage, s’effaçant petit à petit de son quotidien pour n’être plus qu’une espèce de fantôme cohabitant avec elle plus qu’un réel époux. Et puis… le divorce était arrivé et maintenant… Elle n’avait tout simplement plus d’hommes dans sa vie pour inquiéter qui que ce soit à l’idée de s’en prendre à elle. Ses frères étaient à Berlin avec son père et ce dernier n’allait pas soudainement se soucier de sa fille partie vivre à l’autre bout du pays et élevant ses enfants loin des valeurs traditionnelles des Herwig, leur permettant plus de libertés qu’elle n’en avait eu.

"- C’est une excellente idée !"

Fêter leur début de week-end avec un apéritif est la moindre des choses et elle a conscience que Christin n’attendait pas vraiment de réponses, déjà consciente d’avoir l’accord de la blonde pour ça. D’ailleurs, elle est déjà en train de remplir deux verres posés sur le comptoir, en tendant finalement un à la blonde avec laquelle elle trinque.

"- A notre week-end !"

Elle trempe ses lèvres dans son verre, appréciant la saveur de la boisson un instant avant de reposer celle-ci pour aider son amie dans leur installation, riant un en l’entendant dire qu’elle n’était pas vraiment fan de cuisine. C’est vrai, elle en a conscience, alors que la blonde elle-même passe des heures à cuisiner les repas, tenant à ce que tout soit fait maison pour ses enfants. Elle a moins de discipline pour elle-même, toutefois.

"- Elle est légendaire !" remarque la blonde, taquine, en donnant un coup de lavette sur les tables, par acquis de conscience comme par maniaquerie, avant de le rincer dans l’évier puis prêter main forte à vider les sacs. "Je me chargerais de la cuisine si tu veux. Et je te nomme cheffe sommelière !" affirme-t-elle. "Je vais aller voir si les lits sont prêts ou s’il nous faut les faire." prévient-elle avant de gagner l’espace nuit.

Ce n’est un secret pour personne, Christin n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une grande cuisinière dans la mesure où elle n’aime pas spécialement ça. Donc qu’elle ait prévu des plats rapides à préparer n’étonne pas le moins du monde Valentina. Elle,ne juge pas, consciente qu’il y a des tâches qu’elle déteste réaliser, elle aussi, bien qu’elle y soit obligée. Si elle n’avait pas ses enfants, peut-être qu’elle ne se donnerait pas autant de mal pour garder une maison propre, pour être toujours à jour dans le lavage du linge et ce genre de choses… Alors pour reposer Christin et lui permettre de profiter de son week-end, elle peut bien lui proposer de prendre la préparation des repas à sa charge, d’autant plus contrairement à Christin, elle ne déteste pas ça.

"- Je savais que nous étions faites pour nous entendre !" sourit la blonde, Christin confirmant que cheffe sommelière est un poste qui lui plaît plutôt bien.

En attendant, avant de penser à dîner, encore faut-il s’installer. Le coffre étant vide, la blonde décide d’aller jeter un coup d’oeil dans les chambres, histoire de s’assurer que celles-ci sont prête à les accueillir, puis elle revient dans la pièce principale.

"- Ils sont faits et sentent bon le frais."

Bien sûr, elle a vérifié. Elle le fait toujours quand elle ne dort pas chez elle, parce qu’on ne sait jamais. On voit tellement de dérive dans certains hôtels qu’elle ne donne jamais aveuglément sa confiance pour dormir dans un lit inconnu. .La dernière chose dont elle ait envie, c’est de ramener dans ses bagages des punaises de lit, ou pire.

Se posant dans le canapé, un verre en main, elle esquisse un sourire face à la remarque de Christin. Pour une femme comme son amie, qui vit tout le temps avec ses enfants, le calme doit manquer, oui. Pour sa part… Hé bien, elle essaie d’en prendre l’habitude, tant bien que mal, même si ça n’est jamais évident. Adeline et Oliver lui manquent bien trop souvent.

"- Mh tu serais surprise de savoir à quel point le bruit peut nous manquer, en réalité…" souffle-t-elle, fixant la baie vitrée. "Parfois, c’est juste beaucoup trop calme."

Beaucoup de parents pensent que le silence est tout ce qu’ils veulent. Valentina n’est pas forcément d’accord. Ils ne savent pas la chance qu’ils ont de ne jamais l’entendre, ce silence. Ils ne savent pas la chance qu’ils ont d’avoir toujours leurs enfants avec eux. Enfants qui grandissent trop vite, du reste. Les siens prennent de l’âge. Bientôt, elle le sait, ils commenceront à vouloir voir leurs amis les week-end, partir avec ces derniers… Avant qu’elle n’ait le temps de dire ouf, ils seront adultes. Et d’ici là… D'ici là, elle n’aura pu passer avec eux que la moitié du temps qu’il reste, leur père ayant l’autre moitié du temps.

Naturellement, Christin ne pense pas à mal en disant ça, cependant. La blonde le sait parfaitement. Elle-même ne se rendait pas non plus compte de la chance qu’elle avait autrefois, non plus. Parce qu’on le prend pour acquis. On n'imagine jamais que ça puisse changer. Qu’un jour le bruit puisse manquer.

"- Tu sais que si je peux les garder quand tu en as besoin, pour une sortie ou un rendez-vous quelconque, c’est avec plaisir."

Un jour, leurs enfants seront grands oui. Ils le deviendront beaucoup trop vite, elles en ont conscience. Avant qu’elles aient le temps de dire ouf. Valentina a l’impression de les voir de plus en plus grands à chaque fois qu’ils reviennent de vacances avec leur père… Une impression, peut-être. Ou seulement la réalité. Qu’on le veuille ou non, le temps passe. Et il passe vite.

"- Je ne suis définitivement pas prête pour ça !"

Mais elles sont mères. Elles sont mères et ne pas vouloir voir cette réalité en face est normal. Elles sont mères et parler de leurs enfants est normal, pour elles. Même au début d’un break visant à se détendre et penser un peu à autre chose qu’aux enfants, initialement. Valentina fait la moue.

"- Définitivement vieilles. Et gâteuses." affirme la blonde. "Ces mères qui ne savent pas décrocher de leur statut de mères..." Elle grimace, avant de se redresser. "Allons ! Sinon on va finir par pleurer avant même d'avoir finit notre premier verre !"

Si elles continuent sur cette voie, la blonde n’est pas sûre qu’elles ne finissent pas par pleurer, déprimer, avant d’avoir fini leur première verre, à la simple pensée du temps qui passe, de leurs enfants qui ne sont déjà plus des bébés mais de grands enfants et qui menacent d’être bientôt ado. parce que ça arrivera plus rapidement qu’elles ne le pensent et sûrement trop rapidement pour elles, en réalité. Valentina ne se sent pas prête pour ça. Et en même temps, elle sait qu’Adeline est déjà plus proche de l’adolescence que des couches. Il ne manque plus que quelques années pour qu’elle devienne une de ces filles qui veulent sortir, se maquiller, chantent des chansons d’amour avec les copines enfermées dans la chambre. Et qui ont leurs premières peines de cœur. Tout ce pour quoi Valentina n’est pas prête.

Parce qu’elle ne tient pas à passer à côté de son week-end faute d’être d’humeur, aussi bien pour l’une que pour l’autre, la blonde suggère de changer de sujet et Christin accepte sans mal, allumant un peu de musique. Juste de quoi créer un petit son d’ambiance, un petit fond sonore, avant d’interroger la blonde, curieuse de savoir comment elle va et, au-delà, ce qui peut se passer dans sa vie ces derniers temps. Malheureusement, Valentina n’est pas certaine que sa réponse sera satisfaisante. Loin de là.

"- Hé bien j’ai bien peur de ne pas avoir grand-chose de croustillant à raconter." elle pousse un soupir. "Je vais bien mais… Il ne se passe rien dans ma vie, disons. J’ai bien peur de n’être définitivement jamais plus rien d’autre qu’une pauvre mère célibataire, divorcée d’un époux qui refait tranquillement sa vie de son côté. Les hommes ont toujours plus de chances que nous passé quarante ans, c’est vrai... Ils séduisent encore tandis que nous ne sommes bonnes qu'à mettre au rebus, s'occuper des enfants et faire la popotte..."

Ce qui, globalement, ne change pas tant de la situation de femme mariée, à bien y penser.

"- Max rentre bientôt ?" change-t-elle de sujet.