Aaynelia • Nothing's gonna hurt you baby

Passe à la tea room quand tu veux. Cornelia relit ce message, à deux pas du tea-room, hésitant à y entrer. Qui, dans ce monde, contacte son ex quand ça ne va pas dans sa vie ? Qui fait appel à une ancienne relation pour soigner les peines de coeur que d'autres leur ont imposé, sans la moindre arrière pensée ? Qui ? Probablement personne. Et pourtant, elle l'a fait. Elle a envoyé ce message à Aayden pour le voir, parce qu'elle a besoin de respirer. Besoin de se changer les idées. Besoin qu'on lui fasse penser à autre chose qu'à l'absence de Justin, alors que les entraînements de patinage prennent de moins en moins de place dans son emploie du temps, à l'approche de l'été. Elle a besoin de s'occuper l'esprit. Besoin de ne pas rester chez elle à ruminer, à penser à l'homme qui n'est plus dans les parages et pourtant dans toutes ses pensées. Et Aayden s'est rapidement imposé comme la personne idéale pour ça, parce que même si c'est son ex, même s'ils ne se sont pas vu depuis quelques temps déjà, il n'en reste pas moins l'une des personnes qui l'a toujours faites rire. Alors peut-être que venir le voir, lui, dans sa situation, n'est pas si stupide. Après tout, s'ils ne sont plus ensemble, leur rupture ne s'est pas faites dans les larmes ou dans les cris et, bien qu'ils ne se parlent pas vraiment, faute de se croiser bien qu'ils fréquentent la même patinoire, ils sont restés en bon termes. Il lui semble, en tout cas. Et les SMS du jeune homme tendent à le prouver.

Alors elle range son téléphone dans sa poche et se décide à parcourir les derniers mètres qui la séparent du tea-room relativement vide en ce début d'après-midi. Un jour de semaine, c'est plus que normal. Poussant la porte de l'établissement, elle observe les tables autour d'elle, presque toutes vides et son regard se pose finalement sur le comptoir derrière lequel, lui tournant le dos, Aayden semble occupé à préparer les consommations des deux filles assises à une table proche de la porte. N'osant pas le déranger, elle s'installe alors timidement à une table dans un coin de la pièce.

Voir Aayden lui ferait sûrement du bien. Ce serait une occasion de ne pas penser à Justin ou du moins de ne pas trop y penser, au moins pendant le temps qu'elle passerai avec le joueur de hockey. Bien sûr, ça n'était pas ce rendez-vous qui allait arranger tous ses problèmes, loin de là, elle n'était même pas sûre que cela soit possible, pour être honnête. Mais cela lui ferait penser à autre choses pendant un petit laps de temps et c'était déjà ça. Aayden était le genre de personne sur qui l'on pouvait compter pour plaisanter, pour faire rire et c'était tout ce dont elle avait besoin en ce moment. Peut-être aussi qu'elle avait voulu le voir précisément lui parce que, lorsqu'ils étaient ensemble, il y a quelques longs mois de cela maintenant, des années s'étant en réalité écoulées, il avait toujours provoqué chez elle un sentiment particulier, celui d'être en sécurité. Celui d'être protégée. Bien sûr la donne a quelque peu changée entre eux aujourd'hui et ce qui la tourmente n'a rien à voir avec le harcèlement lourd que les filles subissent dans l'espace public mais peut-être a-t-elle espéré, au moins un instant, que l'avoir près d'elle ferait renaître ce sentiment apaisant de n'avoir à se soucier de rien. De n'avoir rien à redouter.

Il se glisse dans son dos et elle n'a aucun mal à savoir que c'est lui, soufflant son prénom avant qu'il acquiesce joyeudement, prenant finalement place en face d'elle, prévenant que les petits gâteaux seront bientôt servis, ainsi que du thé. Elle esquisse un sourire léger devant sa prévenance alors même qu'elle n'a pas eu besoin de commander quoi que ce soit et estime rapidement qu'elle devra lui être redevable, une prochaine fois, par quelques moyens que ce soit.

"- Merci" souffle-t-elle comme une collègue du jeune homme s'avance déjà, posant un plateau sur la table avant de s'éclipser.

Elle les laisse bavarder et en piochant un biscuit, Aayden entre immédiatement dans le vif du sujet, s'inquiétant de savoir ce qui lui arrive non sans la faire cligner des yeux plusieurs fois. Ma grande. Ma grande. Elle sait qu'il a dix ans de plus qu'elle, mais depuis quand est-ce qu'il parle comme un daron ? Elle ne relève pas et se contente d'annoncer d'un air las.

"- Mon meilleur ami vient tout juste de partir vivre en Asie alors..."

Justin est parti. Elle a encore du mal à réaliser et pourtant, elle sait que c'est vrai. Elle sait qu'il est déjà loin, depuis quelques jours déjà. En fait, ça fait même quelques semaines qu'il est parti. Quelques semaines qu'elle se sent triste, qu'elle déprime, à la pensée de son meilleur ami à l'autre bout du monde. L'Asie semble être terriblement loin. C'est loin. S'il avait annoncé partir pour Berlin, ça aurait été une chose. Ce n'est jamais qu'à quelques heures de train, une heure en avion... Elle aurait peut-être géré les choses différemment. Mais là... Là son meilleur ami est loin, vraiment très loin et il n'y a rien qu'elle puisse faire contre ça.

Elle hoche la tête comme Aayden demande si Justin est parti parti et si elle sait pourquoi. Il comprend ce qu'elle traverse, évidemment. Elle le sait. Il suffit qu'il imagine un monde dans lequel Lisa, son pilier, n'est plus à Hambourg, pour comprendre la tempête intérieure que son ex petite amie peut subir. Il ne sait pas exactement ce que c'est, Lisa n'étant jamais partie plus de quelques jours, mais il peut le deviner malgré tout.

Cornelia pousse un soupir. Le jeune homme se fustige, se trouvant idiot de poser ces questions mais il ne l'est pas. Elle comprend ce qu'il a voulu dire. Sa mère a posé à peu près les mêmes questions. Est-ce qu'elle sait pourquoi son meilleur ami est parti. Est-ce qu'il est vraiment parti aussi, pour longtemps. Elle accepte le gâteau qu'il lui tend et se pince les lèvres. Ça semble surréaliste. Et pourtant...

"- Ouai, il est parti pour suivre son père. Il... Il a eu une mutation alors..." elle hausse les épaules.

Alors Justin a suivit. C'est normal. Elle aurait fait la même chose. Mais qu'est ce qu'il peut lui manquer. Qu'est-ce que l'idée de ne plus jamais le revoir peut faire mal. Elle déglutit. Elle ne s'y attendait pas, en plus. Ça avait été très soudain. En une semaine il était parti. Pas vraiment le temps de se préparer à tout ça.

Ouai, elle ne va pas très bien c'est le cas de le dire et l'homme peut comprendre ce qu'elle ressent parce qu'il partage aussi une amitié très forte, elle le sait, avec Andreas et Lisa, ses meilleurs amis, qu'il ne se verrait pas perdre non plus. Et encore. Il connaissait Lisa depuis bien plus de temps qu'elle n'avait connu Justin, alors ce serait peut-être plus dur encore dans son cas. Elle ne sait pas. Mais elle sait en revanche que l'homme comprend ce qu'elle peut vivre, ce qu'elle peut ressentir, cette douleur qu'elle a dans le cœur. Ouai, elle sait. C'est pour ça qu'elle est venue le voir. Parce qu'il peut comprendre. Parce qu'elle savait qu'il la soutiendrait. Qu'il trouverait peut-être même le moyen de lui changer les idées, de lui faire penser à autre chose. Elle est là parce que la princesse avait besoin de son chevalier et que, malgré ses travers, Denden avait toujours mit un point d'honneur à jouer ce rôle. À la protéger. De tout et de tout le monde. Parfois même d'elle-même, quand elle avait cru perdre le patinage. Quand elle avait pensé que sa carrière était finie.

"- On va essayer. Je ne sais pas si ce sera possible. Maman m'a proposé que nous allions en vacances là-bas pour nous permettre de nous voir mais... Je ne sais pas si nous pourrons vraiment le faire. Je ne sais pas si ça lui fera plaisir, non plus."

Parce que lui, qui est parti, là-bas, il va refaire sa vie. Il rencontrera de nouvelles personnes, se fera de nouveaux amis et peut-être même qu'à terme, il n'aura plus besoin d'elle. Il ne conservera auprès de son cœur que quelques souvenirs du temps qu'ils auront passé ensemble, mais n'aura pas besoin de plus. Pas besoin d'entretenir cette amitié au-delà des frontières. Et ça lui fait peur.

"- J'ai peur qu'il me remplace. J'ai peur de le voir partager avec quelqu'un d'autre ce que nous avions jusqu'ici..."

Essayer. Prendre un billet et voir. C’est risqué. Et c’est un risque que Cornelia n’est pas vraiment prête à prendre. La peur de découvrir que ses doutes sont fondés, qu’elle a eu raison d’avoir peur. Que oui, Justin a une vie loin d’elle maintenant, une vie dont elle ne fait plus partie. Elle a peur de voir qu’il a trouvé de nouveaux proches pour la remplacer. Peur de voir que, désormais, il a une nouvelle meilleure amie. Quelqu’un d’autre avec qui il se fait de nouveau souvenir, oubliant les leurs. Quelqu’un d’autre avec qui il fait ce qu’il faisait autrefois avec elle et cette seule idée lui fait mal. Elle secoue la tête, triturant la peau de son poignet. Prendre un billet et voir, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire et elle se rend compte qu’elle a peur du changement. Peur des choses qui évoluent. Peur, surtout, des choses qui ne sont plus comme avant. Peur des sentiments qui viennent et qui s’en vont. Qu’est-ce qu’elle fera, perdue en Asie, si elle se rend compte qu’elle n’a plus, aux yeux de Justin, la même importance qu'autrefois ? Elle en sait trop rien.

Il avoue que c’est une des raisons pour laquelle il n’a jamais accepté un transfert et elle lève un sourcil, surprise, parce qu’elle ne savait pas que ce cas de figure s’était présenté. Est-ce que c’était arrivé pendant l’année où ils avaient été ensemble ? Est-ce qu’il l’avait simplement passé sous silence à l’époque aussi ? Est-ce qu’il s’était contenté de ne rien dire pour ne pas les inquiéter, ni elle ni Lisa ? C’est une possibilité. Il évoque les peurs de Lisa, ses doutes, ces traumatismes avec lesquels elle est obligée de vivre par la faute de son père et desquels elle ne s’est jamais vraiment guérie, contraignant Aayden à agir en fonction, à ne jamais lui donner la moindre raison de croire qu’il puisse vouloir l’abandonner. Ne jamais lui donner la moindre raison de croire que ça pourrait arriver. Qu’un jour il pourrait simplement s’en aller.

"- Elle… le sait ?"

Alors qu’on leur apporte un plateau, elle laisse son regard courir sur celui-ci sans oser avancer la main, consciente de tous les calories que contiennent ces trucs et, comme elle aurait pu s’y attendre, parce qu’il s’était toujours comporté comme ça, l’homme l’enjoint à manger sans se soucier du poids qu’elle pourrait prendre, affirmant qu’elle en a besoin. Rien de nouveau, il avait déjà ce discours autrefois. Quand il détestait la voir “s'affamer” pour rentrer dans ses costumes et réussir ses portés.

Se saisissant d’un cookie qu’elle porte à ses lèvres, elle croque distraitement dedans, sans oser le regarder, mâchant un peu plus longtemps qu’elle ne le devrait, comme elle se perd dans ses pensées et le silence presque confortable qui les enveloppe. Ce n’est qu’après avoir avalée sa bouchée qu’elle pose le cookie sur une serviette, fixant alors celui-ci.

"- J’suis désolé. De t’embêter avec tout ça."

Parce que dans l’fond, ses états d’âmes, ce sont plus vraiment ses affaires à lui. Parce qu’elle le gêne peut-être. Parce qu’il avait peut-être d’autres projets pour son après-midi, initialement. Il l’avait traité comme une princesse autrefois, c’est vrai, mais ça n’était pas une raison pour courir encore vers lui quand elle avait un problème, aussi réconfortante sa présence soit-elle.

Il hausse les épaules pour toute réponse et la demoiselle sait ce que ça veut dire. Non, Lisa ne sait pas. Non, il ne lui a jamais parlé de ça. Il ne lui a jamais laissé savoir qu’il avait refusé des opportunités pour elle. En même temps, Lisa aurait probablement mal vécu cette information. Cornelia sait qu’elle s’en serait sûrement voulu et pousser un de ses proches, surtout Lisa, à s’en vouloir, est tout sauf ce qu’Aayden peut vouloir. Non, il n’a rien dit, bien entendu et elle sait pourquoi il ne l’a pas fait. C’était même évident. Elle n’aurait pas dû poser la question. Elle connaissait déjà la réponse, au fond, ou pouvait en tout cas la deviner assez simplement.

Aayden est gentil. Profondément gentil. Et avec Lisa, il est protecteur. Pas qu’avec Lisa, d’ailleurs. Avec elle aussi. La preuve en est qu’il est là aujourd’hui alors qu’il n’a pas vraiment de raisons pour ça. Ils ne sont plus ensemble. Ils ne sont plus en couple. Pourtant il a répondu présent quand elle a eu besoin de lui. Et elle n’est même pas sûre qu’il n’ai pas arrangé son emploi du temps pour ça, le connaissant. Alors que dans le fond… Dans le fond, ils ne sont plus si proches. Ils ne sont plus que deux âmes qui ont parcouru un bout de chemin ensemble et qui pour une raison ou une autre, se sont séparées. De son propre fait, à elle. Pas de quoi se réjouir, ni être fière. Quand elle l’avait décidé, ça semblait être la chose à faire. Lui rendre sa liberté. Lui permettre d’avancer dans sa vie, pendant qu’elle briguerait des médailles. Au final, il n’avait pas vraiment obtenu ce qu’elle lui avait souhaité. Elle pas tant non plus, en définitive. Elle préfère ne pas y penser.

"- T’étais pas obligé…" fait-elle remarquer.

Parce que c’est vrai. Rien n’obligeait Aayden à être si doux avec elle. Rien n’obligeait Aayden à répondre présent, à la traiter encore comme la princesse qu’elle avait été avec lui. Pour preuve, il l’appelait même encore comme ça. Comme si rien avait changé. Quand plus rien n'est pareil. Quand plus rien ne le sera plus jamais. Elle se mordille la lèvre inférieure, sans dégager son poignet de la prise du goalie, le laissant au contraire le masser. Distraitement, les doigts de sa main libre viennent à sa rencontre, se mêler à ceux du hockeyeur.

"- J’ai toujours pu compter sur toi, oui…" acquiesce-t-elle, hochant la tête en même temps. "T’étais sûrement le meilleur de nous deux…"

Parce qu’elle… Elle l’avait plantée, en quelque sorte. Elle lui avait fait mal. Elle s’était fait mal, aussi. Bien sûr, elle n’avait pas décidé ça pour lui faire du mal, au contraire. Ça n’était que de l’amour. La conscience de le ralentir. De le freiner. De ces dix ans qui les séparaient. Lui, il avait l’âge de construire une famille. Elle, tout juste celui de construire une vie. Un avenir. Ils n’en étaient pas aux mêmes points. Pour autant, au bout du compte, aussi honorable soit sa pensée… Elle pousse un soupir.

"- Je suis désolée."