Joah * “L'amitié est l'union enrichissante de deux êtres.”

Ces derniers temps, Joah traversait une période difficile, après avoir découvert l'infidélité de son père et la double vie de ce dernier. Affrontant le divorce de ses parents depuis, le jeune homme avait besoin de se changer les idées. Besoin de penser à autre chose. Victoria était plus ou moins passée par là, la tromperie en moins. Elle savait tout du moins ce que c'était que de voir ses parents divorcer, même si le divorce de ses parents n'avait rien à voir avec celui des Dinckel. Son père et sa mère ne s'étaient pas quittés par manque d'amour. Ils ne s'étaient pas quittés parce que leur mariage ne fonctionnait pas ou plus. Ce n'était pas pareil. Mais ça n'empêchait pas Victoria de comprendre que cela puisse être difficile pour Jérémy, pour Joah, pour Joshua. Et si elle n'avait connu le second, réellement, que le temps d'une nuit tout en entretenant des liens d'amitié avec le premier, ça ne l'empêchait pas de vouloir proposer à Joah une main secourable, une épaule dans cette situation.

Elle avait tout prévu pour leur journée, pour permettre à Joah d'évacuer les tensions dans un cadre sécurisé. Pratiquant le tir depuis des années avec son père, Victoria avait pensé que cela pourrait peut-être aider Joah à évacuer ce qui le tracassait, à faire sortir un peu de ce qu'il avait sur le cœur, de cette contrariété, de cette colère, qui le rongeait. Et puis, entre deux maniements d'arme, Victoria serait là pour l'écouter. La journée serait entièrement consacrée au jeune homme.

En se garant devant la maison unifamiliale de son ami du côté de Finkenwerder, Victoria attrape son téléphone pour envoyer un message au jeune homme, le prévenant de son arrivée pour l'apercevoir, quelques instants plus tard, fermer la porte derrière lui et traverser la cour pour rejoindre la voiture. Lui ouvrant la porte passager, Vicky attend qu'il s'installe.

"- Salut ! Prêt pour cette après-midi ?" s'enquit-elle sans avoir l'indeélicatesse de demander poliment si ça allait, consciente que ce n'était pas vraiment le cas.

Cela faisait une éternité qu'elle n’avait pas vu Joah, c’était l’impression qu’elle avait en le regardant traverser la cours pour rejoindre la voiture, tant il semblait transformé depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu, qui remontait facilement à l’anniversaire des jumeaux, fin Août. Il lui semblait que Joah était plus mince que la dernière fois, plus pâle aussi, comme s’il était malade. Ce n’était pas pourtant une quelconque maladie qui le frappait, sinon la mélancolie. Il traversait une passe difficile, à n’en pas douter. Peut-être plus difficile qu’elle ne l’avait pensé. Est-ce qu’elle pouvait vraiment lui venir en aide ? Elle en doute. Si l’histoire impactait forcément aussi Jeremy, il lui semblait tout de même que son ami encaissait bien mieux le coup que son jumeau. Mais ils n’avaient pas le même rapport avec leur père, l’un et l’autre, ni même avec leur mère. Pour Jay, cette histoire sonnait comme une délivrance. En choisissant le parti de son père, en décidant de lui pardonner, il se détachait en même temps de sa mère, cette mère qui l’avait tant blessé, tant déçue, en ne sachant pas l’apprécier et portant Joah aux nus.

Il était évident que la fratrie ne vivait pas les événements de la même manière. Si Victoria ignore totalement l’état dans lequel peut être Joshua, le plus jeune des frères, elle constate en tout cas qu’entre Jay et Joah, c’est comme le jour et la nuit. Là où l’un semble se porter comme un charme ou presque, c’est comme si, pour le second, la vie avait perdu tout son sens. Et Joah faisait peine à voir, à se traîner ainsi jusqu’à la voiture, les lunettes de soleil vissées sur son nez ne parvenant pas à cacher les stigmates de sa douleur. Assise au volant à l’observer, Victoria encaisse le coup. Elle eût préféré le voir en meilleure forme. Elle eût préféré qu’il vive la chose comme Jay pouvait la vivre lui-même. Mais ce n’était pas le cas. Et si quelques coups à boires et soirées entre amis avaient pu aider Jeremy, elle n’était pas certaine que ce soit suffisant pour Joah. Tout comme cette après-midi ne le serait sûrement pas, quand bien-même elle retenait le temps avec lui pour lui donner davantage le temps d’extérioriser ce qu’il avait à extérioriser.

”- Parfait ! Tu vas voir, ça va être cool !” annonce la jeune femme en espérant que ça le sera effectivement à ses yeux.

Si elle allait bien ? Oui. Bien sûr. Ce n’était pas elle qui voyait ses parents divorcer et qui se sentait mal à cause des mensonges qu’ils avaient pu avoir. Mais elle devait bien admettre qu’un poids, soudain, semble lui peser sur les épaules comme elle a eu tout le loisir de voir comment était le jeune homme. Plus mal qu’elle ne le pensait. Est-ce qu’elle aurait les épaules pour l’aider ? Pour trouver les mots qu’il fallait, au besoin ? Il avait sûrement besoin de parler. Est-ce qu’elle aurait les épaules pour ça, s’il en manifestait l’envie ? Et qu’est-ce qu’elle pourrait dire, alors qu’elle ne sait de l’affaire que ce que Jay lui en a dit ? C’est peu, trop peu pour qu’elle puisse vraiment connaître la situation.

”- Moi ? Mais ça va toujours !” affirme la demoiselle en lui adressant un grand sourire.

Quittant son stationnement, Victoria s’engage dans la circulation Hambourgeoise en quittant la demeure de son ami pour prendre la direction du centre du tir, du côté d’Eimsbuttel. En avait-il déjà fait ? Vicky n’en savait rien. Mais si ce n’était pas le cas, elle pouvait parfaitement lui proposer une initiation, comme son père l’avait fait pour elle il y a longtemps. Elle avait déjà demandé qu’on leur prépare un stand, d’ailleurs. Depuis el temps qu'elle fréquente l'établissement, on la connait bien. Les employés, le patron... Elle sait qu'elle peut se permettre d'avoir quelques petites demandes, quelques petites exigences... Privilège des V.I.P. en quelque sorte ou des clients fidèles, simplement. C'était presque pareil, au final.

”- T’as déjà eu l’occasion d’aller dans un stand de tir ?” s’enquit-elle, le regard rivé sur la route, lui dévoilant ainsi leur activité de l’après-midi.

Ils allaient passer tous les deux une bonne journée. Il y avait plutôt intérêt, d'ailleurs, au vu de l'état dans lequel elle récupère le jeune homme. Il devenait urgent qu'elle lui change les idées, par quelques moyens que ce soit. Heureusement, le stand de tir lui permettrait probablement de se défouler un peu et de laisser ses problèmes au vestiaire, au moins le temps de tirer. Lorsque Adrian avait eu la mauvaise idée de quitter la ville du jour au lendemain sans même la prévenir, c'était ici qu'elle avait atterrit pour dégommer quelques cibles. Et cela avait fonctionné. Cela l'avait détendu. Il fallait dire que l'endroit lui était familier, qu'elle connaissait bien le personnel. C'était presque un peu sa famille dans les parages. Son père l'amenait là depuis qu'elle était assez jeune, si bien qu'elle connaissait bien les armes et les employés du stand, certains étant même devenus des amis. Voire des exs. Alors peut-être que cela avait joué dans le fait que, en sortant de là, elle se sentait un peu mieux, un peu débarrassée d'un poids. Mais elle espérait tout de même que cela fonctionnerait également pour Joah et qu'il pourrait sortir de là plus léger qu'il y était entré. De toute évidence c'était une nécessité et ce d'autant plus qu'elle l'avait arraché à un record pour le moins particulier, qui lui tire une grimace de dégoût.

”-  T'es dégueulasse !” assure-t-elle en riant. ”Au pire si t'aime pas, je t'offrirais un tour entre mes draps pour remonter le niveau !" ajoute la brunette en plaisantant.

Elle, bien sûr, allait bien. Toujours bien assure-t-elle, attirant une petite remarque de la part de Joah. Évidemment c'était un peu exagéré. Il n'y avait strictement personne qui puisse aller toujours bien, en toutes circonstances. Bien sûr, Victoria avait elle aussi pris son lot de claques dans la gueule dans sa vie. Mais la plupart du temps, elle était d'un naturel positif, lui permettant de garder la tête haute. De conserver son moral. Le sourire ne disparaissait ainsi jamais très longtemps de son visage. La vie était beaucoup trop courte pour la gâcher avec de la tristesse, de l'amertume, de la colère. Beaucoup trop courte pour ne pas en profiter et la vivre à fond.

”- Ouai, on appelle ça des elfes ! Me manque plus que les petites ailes, j'aurais trop d'allure avec !” plaisante encore la demoiselle.

Tandis que la jeune femme roule, elle ne manque pas de questionner Joah, un peu pour tâter le terrain quand à l'activité qu'elle pensait lui proposer. Elle était encore à temps de changer si le stand de tir n'était pas une possibilité, si ça risquait de ne pas lui plaire. Sait-on jamais. Mais au contraire, le jeune homme semble emballé quand elle en parle et Victoria hoche la tête d'un mouvement bref et gracieux - son côté danseuse - avant de lui accorder un regard rapide, reportant immédiatement les yeux sur la route.

”- C'est là que nous allons ouai. Rien de mieux que de se défouler sur quelques cibles...” assure-t-elle, censurant toutefois la fin de sa phrase. "C'est mon père qui m'a appris à tirer. Je t'ai déjà dit qu'il est dans l'anti-terrorisme ?” questionne Vicky en lui accordant un rapide regard de nouveau. ”Bref, il m'emmène là depuis que je suis ado ! Tu vas voir, ça défoule !”

Et c'était un peu son jardin secret. Pas de la même manière que la sculpture, qui était vraiment inconnue de ses proches, mais c'était en tout cas une activité qu'elle pratiquait et dont elle parlait peu. Une activité qu'elle partageait du reste rarement avec ses amis. Ça ne branchait clairement pas tout le monde.

Arrivant à destination, Victoria se gare sur le parking avant de sortir du véhicule, claquant la porte derrière elle. Elle appuie sur sa clé avant de s'éloigner, passant son sac par-dessus son épaule en même temps qu'elle rejoint la bâtisse, dont elle pousse bientôt la porte, se tournant vers Joah.

”- Après toi !”

Et elle entre à son tour, fermant la porte rapidement tandis qu'une odeur caractéristique vient infiltrer ses narines. Derrière le comptoir, elle reconnaît les silhouettes de Dick et Ricky, à qui elle adresse un grand sourire avant d'approcher, les saluant en même temps.

”- Salut les gars ! Vous allez bien ? J'aurais besoin d'un pack débutant pour l'beau gosse là, vous avez quoi à lui proposer ?” s'enquit-elle rapidement en désignant Joah d'un bref mouvement de la tête.