Sörelaïd * Everyone's crazy anyway

Bon sang, elle n'ose pas y croire mais ça va vraiment arriver. Elle va vraiment aller boire un verre avec Monsieur Schmitt. Ça semble insensé. Même dans ses rêves les plus fous, elle n'aurait pas osé croire une chose pareille possible. Qu'il l'invite, c'est déjà incroyable. Mais que cela soit vraiment vrai ? Alors ça, elle ne l'avait pas vu venir. Jamais en se levant ce matin elle n’aurait pu imaginer que la journée se terminerait ainsi, avec une invitation à aller boire un verre, de la part de son psychologue qui plus est. Mon Dieu mais, cet homme a-t-il seulement conscience de l'effet qu'il lui fait ? A-t-il seulement conscience d’à quel point ses émotions sont en paniques maintenant ? A-t-il seulement conscience de toutes les questions qui se pressent dans son esprit ? Se doute-t-il, un seul instant, d’à quel point elle n'est pas insensible à son charme ? D’à quel point elle a attendu ça un moment, sans même oser l'espérer ? Non, il n'a sans doute pas conscience de tout ça et c'est bien le plus fort dans cette histoire. Le plus incroyable.

Comme il la questionne sur un bar dans lequel aller s'installer, elle conseille le Paddy’s Teigg, dans lequel elle a déjà pu se rendre quelques fois pour prendre un verre par le passé et qu’elle trouve plutôt agréable. Enfin, pour ce qu’elle connaît de bars… Il faut bien dire que ce n'est pas le genre d’endroits qu’elle fréquente beaucoup. Elle est plus bibliothèque et salons de thé que bars et cafés. Mais elle n’osera sûrement pas se plaindre d’y aller aujourd’hui. Loin de là. Son cœur dans sa poitrine tambourine follement, comme elle réalise encore à peine ce qui lui arrive.

”- J’espère que vous aimerez ça !”

Si la trentenaire le vouvoie encore, comme s'ils étaient en séance, lui abandonne le vous, au profit du cul, souhaitant que ça ne la dérange pas, et le cœur d'Adélaïde s'emballe un peu plus encore. Bon sang, mais il peut lui dire tu tous les jours de sa vie s'il le souhaite… Elle n'osera toutefois pas le lui dire et se contente d’affirmer que ça lui va, en le gratifiant d’un sourire, avant de lui emboîter le pas pour rejoindre la voiture sur le parking, sur le siège passager de laquelle elle prend place quelques minutes plus tard, le cœur battant, alors qu’il lui ouvre la porte, galamment. Seigneur. Il va la consumer sur place sans avoir rien fait. Depuis quand est-elle devenue aussi fragile qu’une adolescente découvrant les premiers émois, les premiers amours ?

”- Oh je crois que nous pourrons retrouver notre chemin.” elle rougit légèrement.

Quelques minutes plus tard, assez facilement, il se gare à proximité du bar et quitte la voiture, pour rentrer dans l'établissement point de 16h, c'est encore un peu vide, il y a un tas de tables libres. Ils en choisissent alors une un peu à l'écart, au fond de la pièce, loin de l'agitation et des discussions alentour. Un cadre un peu intimiste ou presque pour la discussion à venir, pour ce premier verre ensemble. Et son cœur qui s’affole toujours dans sa poitrine. Elle le regarde, sans oser parler, rougissant seulement. Bon sang, quelle gourde !

C’est comme si sa demande était une blague, une plaisanterie de mauvais goût. Alors que ce n’est pas le cas, la proposition le démangeait depuis un bon moment, mais il n’a jamais sauté le pas. Ce soir, c’est l’occasion rêvée et il est heureux de voir que la réciproque est belle et bien là. Elle lui plaît beaucoup plus qu’il ne veuille l’admettre et naturellement, il n’a aucune idée de ce qu’elle ressent pour lui.

Sören prend la direction du Paddy’s Teig. De tempérament plutôt solitaire, avec la garde de son fils, fréquenter les bars est devenu quelque chose qui lui arrive très peu. Voir même jamais ! Le peu de temps libre qu’il a, il en profite pour s’accorder du repos. Sortir et boire des bières ? C’est le bien cadet de ses soucis, même si ce soir, il en a réellement envie. Un sourire en coin se dessine sur son visage alors qu’elle le vouvoie, il la reprend en la menaçant de son index. « Que tu aimeras ça ! La consultation s’est terminée depuis une demi-heure maintenant, je ne suis plus ton psychologie, ne l’oublies pas » ajoute-t-il, accompagné d’un petit clin d’œil.

Ça compte beaucoup pour lui de faire la différence. Elle n’est plus sa patiente et il espère qu’à travers ce changement de vouvoiement au tutoiement, Adelaïd arrivera à passer au-dessus et à jouer le jeu. C’est important pour lui qu’elle ne voit plus comme son psychologue, mais pourquoi pas l’envisager en tant que plus que cela. Un ami, peut-être ? L’homme se gare sur le parking et l’accompagne jusqu’au bar. Lui tenant la porte, c’est la moindre des choses pour lui. Pas une façon d’être galant, une simple formalité. Son éducation, peut-être.

Les deux s’installent sur les banquettes. L’ambiance est plutôt calme, sûrement par rapport à l’heure. Tant mieux, au moins, ils pourront discuter tous les deux. Il sourit alors que ses joues se mettent à rougir. « On t’as déjà dit à quel point tu étais sublime lorsque tu rougis ? Mince. Je vois que je vais peut-être trop loin… N’hésites pas à me le dire si ça te gène. »

Elle doit bien l'admettre, elle a espéré que l'homme choisisse plutôt le Paddy's, parce que le bar Le Lion est celui tenu par son frère et sa belle-sœur, qu'elle adore certes mais qu'elle préfère ne pas croiser dans l'immédiat. Pas avec lui. Pas ce soir. Il faudrait qu'elle réponde à leurs questions intrusives dès leur prochaine invitation et elle ne doute pas que celle-ci arriverait vite, trop vite, s'ils la voyaient en compagnie d'un homme, ce qui n'est pas arrivé depuis... Hé bien depuis son ex compagnon, il y a quinze ans de cela. Celui qui aurait dû devenir le père de l'enfant qu'elle portait. Celui qui avait faillit faire d'elle une mère, qu'elle n'avait finalement pas été.

Il la reprend comme elle le vouvoie, affirmant que la consultation étant terminée, il n'est plus son psychologue, au moins pour la soirée. Il est vrai que s'ils doivent prendre un verre ensemble il sera plus agréable de se tutoyer, mais elle a du mal à réaliser que ça puisse être vrai. Que tout ça puisse être réel. Qu'elle aille vraiment prendre un verre avec lui, comme ça. Qu'il lui demande vraiment, sérieusement, de le tutoyer. Comme s'ils étaient amis. Comme s'ils étaient proches. Elle en pique un fard.

"- C'est vrai, désolé..." s'excuse-t-elle, encore intimidée.

Il se gare sur le parking le plus proche du Paddy's et elle descend rapidement de voiture, prenant un bol d'air frais avant de le suivre jusqu'au bar duquel il lui ouvre la porte, l'invitant à entrer. Le remerciant, elle arrête son regard sur les banquettes, celles-ci étant un peu à l'écart des tables prises par d'autres clients et ils décident rapidement de s'y installer, la brune posant son sac à main à côté d'elle avant de reporter son regard sur lui, piquant un nouveau fard comme elle peine à croire à ce qu'il se passe. Il semble s'en amuser, pour sa part, et la rougeur sur ses joues s'accentue face à son commentaire.

"- Jamais." souffle-t-elle.

Et elle n'a pas l'habitude de recevoir de commentaires si élogieux sur sa personne. Cela fait bien longtemps que ça ne lui arrive plus, qu'elle les repousse en bloc. Qu'elle doute de leur sincérité, quand ils viennent de ses proches. Mais c'est vraiment la première fois depuis longtemps qu'un homme, qui ne soit pas un de ses frères, la complimente de la sorte.

"- Non, non il n'y a... aucun problème." souffle-t-elle en retrouvant son souffle, qu'elle s'ignorait retenir.