Sörelaïd * Everyone's crazy anyway

Dans la cours du kindergarten il est l'heure et les parents, les uns après les autres, viennent chercher leurs enfants. Au portail, Adelaïd surveille cette sortie, pour remettre les enfants à leur parent en toute sécurité, s'assurer qu'aucun enfant ne parte en compagnie d'un adulte qui n'est pas autorisé à venir le chercher... Et dans un même temps, elle jette un regard hâtif à sa montre alors qu'elle ne peut pas s'attarder longtemps, ce soir, comme elle a rendez-vous avec son psychologue. Quand elle en a parlé à ses collègues de boulot, la demoiselle a seulement évoqué un rendez-vous médical, en se fendant d'un sourire pour masquer ses cicatrices, son cœur battant la chamade et les traces imperceptibles mais vivaces, du drame qu'elle a eut à vivre au cours de son existence. Cette fausse couche qui hantait ses nuits, qu'elle cache à sa propre famille... Elle doit voir Monsieur Schmidt, ce soir, parler de ses fêlures, de ses traumatismes, libérer son cœur, soulager ses épaules du poids qu'elles supportent.

Elle laisse la place à l'une de ses collègues, pour aller rapidement chercher ses affaires. La brunette attrape son sac, salut un collègue qui passe et se précipite vers la sortie de l'établissement pour retrouver son véhicule, jetant ses effets sur le siège passager avant d'insérer la clé pour allumer le contact et se mêler à la dense circulation Hambourgeoise. Un regard à l'heure l'informe de son retard et elle grimace. Évidemment. Elle coupe donc en prenant le chemin le plus rapide pour essayer d'arriver malgré tout à l'heure et se gare finalement à  deux pas du cabinet du psychologue, payant le parcmètre avant d'avancer vers le bâtiment dans lequel elle entre, rejoignant l'étage. Au secrétariat, elle s'annonce et entre prestement dans la salle d'attente, au moment où l'homme venait, justement, la chercher. Poussant un soupir de soulagement, la demoiselle lui adresse un large sourire en le saluant, avant de le suivre dans le bureau, prenant place dans le canapé faisant face au fauteuil du praticien.

«- J'espère que vous allez bien ?» s'enquit la demoiselle avant de reprendre la parole. "Ilian vous a parlé de la vente de gâteau à l'école la semaine prochaine pour financer la classe verte du mois de mai ?" s'enquit la maîtresse.

Cette année, elle avait le fils de son psychologue dans sa classe, ce qui était bien loin d'être anodin pour l'un comme pour l'autre.

Une journée parmi tant d'autres. Mardi est peut-être le jour le plus complet me concernant professionnellement. Compliqué de mener une vie stable entre le professionnel et la vie d'un père célibataire. Pour pouvoir me consacrer entièrement à mon fils Ilian, le mercredi aka la journée des enfants; mes autres journées sont assez complètes et lourdes. C'est un sacrifice que j'ai décidé de prendre pour pouvoir profiter au maximum de mon bonhomme. En dehors des heures de kindergarten, Ilian est chez ses grands-parents ou chez ma soeur, mes parents étant à la retraite, ils prennent beaucoup de plaisir à s'occuper de leur petit fils. Quant à ma soeur, il est important pour moi qu'il passe du temps avec elle histoire qu'il puisse grandir avec une présence féminine. Sa maman, ma future ex femme, ayant de gros troubles psychiatriques est interdite de l'approcher. Voilà pourquoi, je suis un double papa poule.

Bref, Ilian ayant fini l'école et étant chez papi/mami suite à un message reçu de leur part en train de faire des crêpes, je suis plus tranquille et peux penser à ma prochaine patiente. Coïncidence, il s'agit de l'institutrice d'Ilian, quelqu'un que j'apprécie beaucoup et qui j'espère arrivera à remonter la pente. Papa répond vite fait à Ilian et me lève pour aller chercher ma patiente en salle d'attente. Tout sourire, je l'entraine dans mon cabine et referme la porte derrière nous pour préserver l'intimité de la séance. «- Bonjour Adelaïd, je vais bien et vous ? » lui demandai-je en m'installant dans mon fauteuil. Elle enchaîne et me parle d'Ilian, assez inédit de mélanger de cette façon ma vie professionnelle et mon fils mais cela ne me dérange pas. «- Oui, en effet ! Rappelez-moi de quel jour il s'agit, que je puisse me libérer pour être présent ? » Oui parce qu'en plus d'être un pur papa poule, j'essaie d'être présent pour son école. D'ailleurs, suivant les dates de cette fameuse classe verte prévue en mai, peut-être que je pourrai les accompagner.

Cela faisait déjà quelques années que la jeune femme consultait le docteur Schmidt et si avec le temps leurs rencontres se faisaient de moins en moins régulières, elle éprouvait toutefois encore le besoin de le consulter de temps à autre, sans pouvoir dire si c'était le psy ou l'homme qui lui manquerait le plus.

Cela faisait une dizaine d'années à présent qu'elle avait fait sa fausse couche. En une décennie elle avait largement eut le temps de travailler sur ce traumatisme qui prenait moins de place dans son existence. Mais elle avait bien d'autres troubles, Adélaïd, comme son incapacité à s'accepter comme elle était, son incapacité à s'apprécier. Elle ne parvenait pas à s'aimer. C'était trop difficile pour elle. Inconcevable. Inconcevable alors que son corps, son reflet, ne trouvaient jamais grâce à ses yeux dans le miroir.

Elle se détestait. Et pire encore elle avait honte. Honte de ces troubles qu'elle lui dévoilait et qui lui faisaient penser que jamais, jamais, le docteur Schmidt ne pourrait s'intéresser à elle alors même qu'il avait piqué son intérêt depuis bien longtemps pour sa part. Comment pourrait-il cependant s'attacher à quelqu'un comme elle ? Quelqu'un d'aussi instable, d'aussi malade ? Elle ne se voile pas la face, Adélaïd. Elle sait parfaitement que malade, elle l'est. De ces maladies si dures à soigner, parfois incurables et vous accompagnant jusque dans la tombe.

"- Je vais très bien, merci." affirme-t-elle avant d'orienter la discussion sur l'école, brièvement, alors que le fils de Sören est justement dans sa classe. "Ce sera lundi prochain, j'ai mis le petit policopié dans le carnet de liaison."

Elle n'avait pas à s'en faire. Contrairement aux d'autres parents, monsieur Schmidt prenait toujours le temps de signer le carnet de liaison. Il aurait vu l'information le soir même ou le lendemain. Elle ne pouvait pas en dire autant de certains parents mettant parfois deux semaines à signer les papiers en retard sans forcément les lires.

Observant l'homme alors que le silence retombe entre eux, Adélaïd se gratte le bras d'un air gênée, attendant que l'homme commence, initiant ainsi le rendez-vous.

Des années que je vois Adelaïd en tant que patiente. Dix ans après la perte de son enfant, je remarque le changement, l’amélioration qui s’est faite avec le temps. Elle a l’air d’aller beaucoup mieux, même si une aide est toujours bonne à prendre. Je suis soulagé à l’idée que ce traumatisme s’enterre petit à petit. Depuis, elle comme moi avons fait du chemin depuis. Entre temps, je suis même devenu papa et je l’admets, il m’a fallut quelques mois après la naissance de mon enfant pour le lui annoncer. Un sujet délicat et sensible la concernant, il valait mieux la préserver.
Il y a la perte de son enfant, et il y a le reste. De nombreux troubles la tourmentent notamment concernant son physique. Cela revient à chaque fois dans nos séances. Son poids, son corps qui la répugne. Ce n’est pas à moi de la juger, j’essaie simplement de l’aider, de l’accompagner dans ses tourments. Pourquoi se déteste-t-elle à ce point ?

Elle a tout pour plaire. C’est une personne agréable, souriante, courageuse à cause des obstacles qu’elle a traversé. « Je suis ravie de vous savoir en forme » lui répondis-je, un sourire en coin. Elle évoque mon fils, l’être qui me rend le plus heureux au monde alors forcément, mon visage s’illumine. «Très bien, vous faîtes bien de me le signaler ! Je jetterai un œil en rentrant ce soir. »

Les journées sont longues. Ma vie vit à cent à l’heure, entre les séances avec mes patients et ma vie de père célibataire. Il est ma priorité et c’est pour cette raison que j’ai souhaité m’investir au maximum dans la vie scolaire. Je l’admets, il m’arrive d’oublier de regarder son carnet de liaison par manque de temps. Je me rattrape rapidement.

Je finis par sortir mon bloc note pour la fixer. Il est temps d’entamer la séance. « Alors Adelaïd, à nous. » commençai-je. « Alors comme ça, vous allez très bien. Est-ce qu'il y a une raison particulière ou est-ce que vous avez rompu cela pour ne pas éveiller ma curiosité ? »  

Après des années de consultation, Adélaïd sait parfaitement qu'elle ne peut pas tromper son psychologue et que ce dernier se doute bien qu'elle ne va pas si bien qu'elle l'affirme. Avec elle, comme avec beaucoup d'autres, il a l'habitude de cette réponse toute faite, que les gens répondent vaguement, quand on leur demande si ça va. Cette réponse si simple mais qui ne donne pas vraiment le fond de leurs pensées, la réalité de ce qu'il traverse. Par politesse, pour ne pas ennuyer, rares sont ceux qui aiment à se plaindre, rares sont ceux qui affirment ne pas aller si bien que ça, rares sont ceux qui sont honnêtes pour répondre à cette question. Et Adélaïd est comme les autres. Au point qu'elle n'avait pas parlé de sa fausse couche à sa famille ou sa meilleure amie comme elle n'avait pas eut le temps de les prévenir qu'elle était enceinte. Elle avait traversé cette épreuve seule, continant à sourire pour cacher le mal, affirmant que ça allait. Qu'elle était juste un peu fatiguée, qu'elle avait des soucis au travail, mais que dans l'ensemble, elle allait bien. Et puis elle avait quitté son compagnon, ou il l'avait quitté, elle ne savait plus bien. Les gens tout autour d'elle avaient commencés à bien voir qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, mais Adélaïd n'avait jamais vraiment dit de quoi il s'agissait. Elle avait prétendu que ça irait, que ça allait et elle avait continué de traverser les événements avec son sourire de façade. Devant son psychologue pourtant elle aurait put être honnête ce soir. De toute façon il remarque bien qu'elle ment. Il sait bien le cas désespéré qu'elle est. Adélaïd a parfaitement conscience de ce qu'il doit penser d'elle. Alors elle parle de la Saint-Valentin et de sa meilleure amie. De la grossesse brutalement avortée de celle-ci. De cette fausse couche qui la renvoyait à la sienne.

"- C'est ça."

Oui, cette année pour la Saint-Valentin, alors que sa meilleure amie était avec elle, ce qui était inhabituel puisque d'habitude Abigail passait cette journée avec son cher et tendre, Adélaïd avait pensé à son bébé. Ce bébé qu'elle n'avait jamais vu naître, dont elle n'avait pas pu faire la connaissance.

"- J'étais très heureuse pour elle. Et pour une fois... Je n'étais pas... Jalouse d'une amie enceinte." avoue la trentenaire. "Et la perte je... Je ne m'y attendait pas. Elle est arrivée à l'aéroport, le ventre plat. Je n'étais pas prête..."

Tant d’années à apprendre à la connaître, à la déchiffrer, à découvrir ses failles, ses peurs, ses douleurs, les maux qui la ronge. Tant d’années à la suivre en tant que psychologue que je sais quand elle ment, quand elle dit la vérité ou quand elle me cache quelque chose. Après tant d’années, je me pose encore la question intérieurement de pourquoi, pourquoi continue-t-elle de ne pas oser, de ne pas oser se confier sur ses malheurs. Pourtant, elle sait que je suis là pour ça, à l’écoute et que juger ne fait pas parti d’une compétence requise pour passer un éventuel diplôme en psychologie. Je suis son psychologue, j’ai besoin de savoir comment elle va ou quand elle ne va pas bien. Tant de choses sont cachées en elle. Sa fausse couche… J’étais le seul au courant et après un lourd travail sur elle, elle a réussit par se confier sur ce malheur qui l’a rongé et qui lui a valu la fin de son couple. Elle n’est pas la seule, elle est simplement humaine.

« Les mauvais souvenirs ont du refaire surface, il est normal de réagir ainsi. »

Je finis par croiser mes jambes. Mon stylo, toujours dans ma main, j’en profite pour le faire tourner entre mes doigts tout en l’écoutant attentivement. Ce n’est pas la première fois qu’elle évoque sa meilleure amie, mais bien la première où elle s’éternise davantage à ce sujet.

« Vous ne serez jamais prête pour cela et le fait que ce malheur tombe sur votre meilleure amie, cela a du vous ronger davantage. Est-ce que votre meilleure amie est au courant de votre fausse couche ? Aux dernières nouvelles, vous n’avez jamais réussi à en parler à quelqu’un… » fis-je en marquant une pause avant de poursuivre en faisant une petite touche humoristique. « A moins que vous osiez cacher des choses à votre psychologue préféré !»    

Naturellement la fausse couche d'Abigaïl ne pouvait que l'impacter. Si elle n'avait pour une fois pas été jalouse en apprenant qu'une de ses amies était enceinte, si au contraire elle avait été plus ravie d'apprendre que sa meilleure amie attendait un bébé, qu'elle portait la vie, découvrir son ventre plat à l'aéroport avait été en revanche pire que tout. Cela avait ravivé énormément de funestes souvenirs tout d'un coup. Évidemment, Adélaïd s'était revu des années en arrière, lors de sa propre fausse couche. Elle avait été chamboulé pour sa meilleure amie. Elle avait été évidemment touchée.

"- Oui... C'est exactement ça. Quand je me suis retrouvé face à son ventre plat, face à son ventre vide..." elle souffle, cherche ses mots. "Alors je me suis sentie vide moi-même. Si vide et si profondément triste pour elle."

Elle lui avait même donner les coordonnées de son psychologue, de sorte que sa meilleure amie puisse aller le consulter si elle en avait besoin. Et elle espérait vraiment que celle-ci le ferai, car même si elle avait l'impression que cela ne lui ferait rien, cela lui ferait, en réalité, probablement du bien, de pouvoir parler de tout ça à un professionnel. Adélaïd l'avait bien vu elle-même en tout cas, quand elle avait traversé une période semblables. Et elle espérait que si sa meilleure amie consultait en effet, cela lui ferait autant de bien que cela lui en avait fait à elle. Que cela lui permettrait de soulager sa peine, autant que cela avait soulagé elle.

"- Elle est au courant de ma fausse couche depuis ce jour-là. Quand je l'ai vu... J'ai perdu tout mes moyens et j'ai finis par tout lui raconter. Parce que je lui ai donné vos coordonnés, si elle en avait besoin et..."

Et forcément il avait fallu qu'elle explique à sa meilleure amie comment il se faisait qu'elle avait d'aussi bons renseignements sur un psychologue. Psychologue à qui elle adresse un sourire, d'ailleurs, comme il s'auto-proclame comme étant son psychologue préféré.

"- Mon seul psychologue, à dire vrai !" remarque la demoiselle.

Nous avons travaillé pendant tellement de temps sur sa fausse couche. Alors lorsqu’elle m’explique les dernières actualités la concernant et notamment la perte du bébé de son amie, je fronce les sourcils par crainte qu’elle ne replonge une nouvelle fois dans son terrible cauchemar que nous avons réussit à adoucir au fil des années. J’essaie d’aller plus loin, en lui posant des questions pour la sortir de cette zone de confort pour qu’elle se confie réellement sur ses craintes, sur les sentiments qu’elle a ressenti lors de l’arrivée de cette fameuse amie à l’aéroport.

« Vous êtes toujours aussi généreuse avec les autres, en ayant de la compassion. C’est une qualité que j’apprécie énormément chez vous et c’est de moins en moins commun. »

Je griffonne quelques mots illisibles sur mon cahier. Ces mots que moi seul comprend et c’est amplement suffisant. Elle poursuit et je hoche la tête alors qu’elle m’explique que cette nouvelle a été comme un bouleversement, ce qui lui a permit de raconter ses vieux démons qui la hante encore.

« Ôtez-moi d’un doute Adelaïd, pourquoi ne l’avoir jamais dit à qui que ce soit ? Il s’agit de votre meilleure amie, je me doute que l’un et l’autre devez êtes très proches. Qu’avez-vous ressenti lorsque vous vous êtes dit « Et si je devais me confier à la dite amie ? » Est-ce que c'était plutôt de la honte, de la tristesse, de la peur ? » lui demandai-je, la fixant dans les yeux avant de poursuivre. « En tout cas, je vous félicite : le simple fait de recommander le fait de parler à quelqu'un à votre amie est un très bon signe encourageant pour vous ! » fis-je avec un clin d'oeil.

« Vous m'en voyez flatté et je suis très content de voir tous les progrès que vous avez fait au fil de ces années. Cela nous a prit du temps, mais comme on dit : petit à petit, l'oiseau fait son nid ! » lançai-je en souriant.

Naturellement, la nouvelle de la perte du bébé de sa meilleure amie avait été terrible pour Adélaïd, la replongeant plusieurs années en arrière, quand elle-même avait perdu l’enfant qu’elle portait. Ils avaient travaillé dessus tous les deux, au cours de ces dernières années, et c’était une réelle chance que l’enseignante n'ait pas renoué avec ses cauchemars après cette perte tragique. Parce qu’elle n’était pas prête à la nouvelle. Qu’elle l’avait frappée en plein visage, lorsque Abigaïl était arrivée à l’aéroport. Parce que la vérité s’était exposée nue devant elle, sans crier gare, sans prévenir, la prenant de court, la saisissant à la gorge. Tous les éléments avaient été réunis, alors, pour qu’elle courre ce risque de replonger dans ses démons. Pour que la perte d’Abigaïl devienne aussi un peu la sienne, comme une histoire - funeste - qui se répète.

Les joues de la trentenaire rougissent comme son interlocuteur la comble d’un compliment et elle n’ose pas répondre, se contentant d’un sourire en jouant avec ses doigts, déstabilisée. Là, tout de suite, elle se sentait en même temps parfaitement stupide de réagir d’e la sorte face à quelques mots innocents, disséminés au détour de l’entrevue. Ce n’était rien. Rien qui justifie qu’elle sente son coeur palpiter aussi violemment dans sa poitrine, comme une adolescente qui connaîtrait ses premiers émois.

”- Je… Je n’ai jamais vraiment envisagé de le lui dire.” avoue la brune, baissant la tête. ”Même avec elle, même avec mes frères et soeurs… c’était trop difficile.” assure-t-elle. ”parce que… ça devenait trop vrai vous savez ? Et puis… j’avais peur ?” poursuit l’enseignante. ”Je crois que je n’aurais jamais supporté de ressentir le poids de leur pitié...”

Un clin d'œil. Intérieurement, son cœur fait un looping, alors même qu’elle s’interdit d’en laisser paraître sur son visage le moindre signe. Mais pourquoi fallait-il donc que son psychologue se trouve être le plus séduisant, le plus canon, le plus sexy de toute la ville ? Et surtout, pourquoi fallait-il qu’elle en soit stupidement amoureuse, comme si elle avait la moindre chance, entre son allure et tout ce qu’il avait pu l’entendre raconter ?

”- J’ai… j’ai pensé que peut-être, vous savez, cela pourrait l’aider…” explique la brune, tordant ses doigts en même temps.

Apprendre à se faire confiance, pour Adélaïd, c'est loin d'être facile. De la confiance en elle, la jeune femme n'en n'a jamais eu. La trentenaire a toujours été un peu ronde, un peu gourmande, un peu pointée du doigt dans la cour de récréation. Plus jeune, elle était la tête de turc de son école, en raison de son surpoids. De fait, la confiance en elle n'avait jamais été son fort. Ça n'avait jamais pris et même si sa meilleure amie avait bien essayé de la booster plusieurs fois, de lui faire prendre conscience de la jeune femme remarquable qu'elle était, elle n'avait jamais réussi. Adélaïde songeait toujours que sa meilleure amie comme ses frère et sœur était simplement trop peu objectifs à son égard. Apprendre à avoir confiance en elle, à son âge est donc plus que difficile, pour ne pas dire que c'est totalement impossible, totalement inaccessible. Et pourtant, elle aimerait. Elle voudrait être cette femme débordante d'assurance qu’ellle peut croiser par moment dans les rues. Elle adorerait être cette femme magnifique, sûre d’elle et de son pouvoir de séduction.  Cette femme que rien ne semble pouvoir faire vasciller, cette femme qui semble n’avoir jamais aucune difficultés, en tout cas pas avec son corps. Mais la vie ne lui a pas souri, ne lui as pas réussi et lui a imposé des difficultés inimaginables dont elle porte encore aujourd’hui les stigmates dans son mental.

Elle a toujours peur. Toujours. Oui. Toujours peur de l’image que les autres ont d’elle, comme le souligne son psychologue. Elle a incroyablement peur, perpétuellement, du regard que l’on peut poser sur elle, de ce que l’on peut penser à son égard. Toujours peur de ce que l'on peut dire à son égard. Peur de la pitié des autres, peur de leurs moqueries, peur de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas être dans le moule. Adélaïd a peur, elle a toujours eu peur. La peur l’accompagne depuis toujours. Elle fait partie de son quotidien.

”- Ce serait un mensonge si je répondais que non.” remarque la jeune femme en baissant la tête.

Et il est parfaitement inutile de chercher à mentir à son psychologue, elle n'avancera jamais ainsi. Il n'est pas là pour qu'elle lui mente, pas là pour qu'elle lui sorte la même soupe aux autres. Elle doit tout lui dire, avoir confiance en lui, c'est seulement comme cela que sa thérapie pourrait marcher, si tant est qu'elle puisse quitter cette thérapie un jour. Cependant, elle n'était pas certaine d'en avoir vraiment envie : terminer sa thérapie, cela voulait aussi dire ne plus jamais voir son thérapeute. Un thérapeute pour qui son coeur battait depuis des années désormais.

Elle esquisse un sourire comme l'homme à sûr qu'il serait ravi de venir en aide à une personne qui la rend heureuse. Elle mérite d'aller mieux, elle mérite d'aller de l'avant. Elle mérite ce qu'il y a de mieux et ce qu'il y a de mieux pour sa psychologie, pour se reconstruire après le drame qu'elle a vécu, c'est évidemment Sören.

”- Merci…”

Avec elle-même, Adélaïd était toujours très critique. Elle avait toujours peur de ce que les autres allaient dire, toujours peur de son reflet dans le miroir, toujours peur de la vérité. Elle était certainement envers elle-même bien plus horrible que ne l'avaient été certains jeunes de son passé, mais c'était plus fort qu'elle. La bienveillance envers elle-même lui était totalement impossible, impensable.. Si elle en était capable, largement, pour ses amis, l'appliquer dans son propre cas était totalement impossible pour elle. Adélaïd était toujours cette jeune femme inconfiante, inconsciente de ses propres grâces et elle le serait probablement toujours. Parce qu'elle n’est pas capable de penser autrement, parce qu'elle n'était pas capable de penser mériter autre chose que ces élans violents à son encontre. Si elle répondait non aux interrogations de son praticien, la brunette avait conscience qu'elle mentirait éhontément. Depuis le temps, le docteur Schmidt la connais mieux que personne. Peut-être même mieux que sa famille. Il saurait alors que la jeune femme mentait. Il saurait qu’elle racontait n’importe quoi. La vérité était là. Nue, cuisante, sans appel. Elle avait toujours peur de quelque chose. Toujours si peu confiance en elle, finalement. Toujours cette faculté à se déprécier, à redouter ce que l’on pourrait dire, ce que l’on pourrait penser, ce que l’on pourrait faire, même involontairement.

Lorsque le docteur reprend la parole, essayant de la rassurer, le cœur de l’enseignante manque un battement en discernant les mots qui sont les siens, qui glissent dans son oreille, viennent caresser son âme. Rayonnante. Il la trouvait rayonnante. Comment pouvait-il le penser ? Comment pouvait-il même le dire ? Quand bien même cela pouvait n’être que pour lui faire plaisir, comment pouvait-il tenir un tel discours ? Comment pouvait-il avoir pour elle des mots aussi élogieux ? Pour elle, il était inconcevable que l’homme soit honnête dans son propos. Inconcevable qu’il pense réellement ce qu’il disait à son égard.

Allez boire un verre. Elle suffoquerait presque. Cependant, l’esquisse de cette proposition tout juste dessinée, l’homme la dissipe rapidement, la détruisant comme il affirme que ce n’est pas possible. Dans son esprit, naturellement, la jeune femme suppose qu’il n’en a tout simplement pas l’envie. Comment lui en tenir rigueur ? Comment lui en vouloir ? Elle ne se le proposerait pas elle-même. La déception, cependant, la brune ne sait la contenir sur l’instant, ne pouvant s’empêcher une exclamation la trahissant.

”- Pourquoi ?”

Sören a fait un vrai travail avec Adelaïd. Une oreille attentive, celle que tous les psys doivent avoir pour oser exercer cette fonction, mais aussi un confident. Au bout de toutes ces années, il pourrait prétendre avoir réussi, mais non, il reste encore la moitié du job. La plus importante pour elle. Elle a réussi à accepter la perte de son bébé pendant la grossesse, il reste encore Adelaïd en personne. Une âme qui a force de trop entendre les moqueries des autres à propos de son physique a fini par penser l’identique de ce qu’elle est. Toujours à se rabaisser et à douter d’elle, de sa beauté, de ce qu’elle est tout simplement. Si Sören est quelqu’un de patient en général, c’est difficile d’accepter de tels propos de la part de ses patiences qui souffrent. Est-ce la simple raison qu’il soit humain avant d’être psychologue et au service des autres ?

En tout cas, s’il y a une réponse à cette question, il souhaite se montrer humain la concernant. La preuve en est avec ce sous-entendu de boire un verre. Il l'a toujours trouvé très à son goût, mais sa devise est de ne pas mélanger relation professionnelle et vie privée. Et aussi parce que la relation avec sa femme qui se rapproche doucement du passé, il aime les femmes, mais ne veut pas que cela perturbe l'enfance de son fils qui a déjà beaucoup souffert du comportement de sa mère. Il lui confie alors son avis masculin à ce sujet, mettant son côté psychologue de côté. Rayonnante, oui, c'est le mot. Et il aimerait lui en dire davantage, combien il la trouve sublime lorsque ses fossettes et ses lèvres se forment pour décrocher un sourire. « Parce que ce serait contraire aux principes de mes fonctions, même si bien malgré moi, j'aimerais les outrepasser » lui confie-t-il, assez gêné de s'être livré à ce point. Il fait une pause avant de se lancer : « Finalement, avec du recul...  Admettons que je vous propose d'aller boire un verre, quelle serait votre réaction ? Ca vous dit ou est-ce que vous allez refuser en pensant que vous ne méritez pas cela ? »  

Contraire au principe de ses fonctions… Et alors ? Est-ce que c’est une raison ? Une bonne raison ? Ils pouvaient bien fermer les yeux là-dessus, non ? Le cœur de l’enseignante bat la chamade. S’il n’était pas son psychologue, il l'inviterait vraiment à aller boire un verre ? Comme un homme invitant une femme . Pas par pitié mais par réelle envie de l’inviter à boire un verre ? Les questions se précipitent dans l’esprit de la brune, alors que ces mots la bouleversent. Le ferait-il vraiment ? En aurait-il vraiment envie ? Elle ne pourrait pas le dire. Cela lui semble bien trop dingue, bien trop utopiste, bien trop… comment dire ? Peut-elle vraiment être si rayonnante qu’il le prétend ? Elle en doute tant, Adélaïd. Du plus profond de son être.

Outrepasser les principes de sa fonction, l’homme affirme en avoir envie bien malgré lui et le cœur de la trentenaire s’accélère considérablement dans sa poitrine. Est-il honnête ou ne veut-il que la rassurer ? Le pense-t-il vraiment, du plus profond de lui-même ou veut-il seulement faire quelque chose pour la demoiselle, lui permettre de retrouver un peu de confiance en elle, de cesser de se dévaloriser ? C’est l’idée qui frappe son esprit. Mais il l’empêche de pousser ses réflexions plus loin, comme il reprend la parole.

Admettons qu’il lui propose d’aller boire un verre. Ce qui semble fou, complètement fou, dans l’esprit de l’enseignante. Quelle serait sa réaction ? Elle crèverait intérieurement, assurément. Comme une adolescente avant un premier rendez-vous et elle appellerait Abigaïl, complètement paniquée, pour que cette dernière lui vienne en aide. Elle la solliciterait pour tout. La rassurer, l’aider à trouver sa tenue… Tout, vraiment tout. Mais à lui, que lui dirait-elle, s’il venait à lui faire une telle proposition ? Bien sûr que ça lui dirait. Bien sûr qu’elle crèverait d’envie de dire oui. Mais ça ne voudrait pas dire qu’elle pense le mériter. Loin de là. Monsieur Schmidt était tellement… trop parfait…

"- Admettions que vous le proposez." répète l'enseignante. "Je... ça me dirais, oui." souffle-t-elle.

Mais pourquoi le feriez-vous ?

Elle ne s’y attendait pas. Pas le moins du monde. Jamais elle n’aurait pensé que le docteur Schmidt pourrait l’inviter à aller boire un verre. Et elle aurait encore moins pensé qu’il puisse être sérieux. Qu’il puisse réellement lui proposer un rendez-vous autour d’un verre. Qu’il puisse vraiment avoir envie de la voir en dehors de ses heures de travail, dans un tout autre contexte que celui dans lequel ils avaient l’habitude de se retrouver, tous les deux. Non, ce ne pouvait être rien de plus que les dérives de son esprit, loin de la vérité. Elle ne pouvait que rêver qu’il prononce un jour ces mots, mais jamais les entendre réellement. Ou peut-être que si, justement, elle le pouvait. Comme l’homme affirme qu’il craignait qu’elle lui mette un stop, sous-entendant qu’il était sérieux dans sa proposition, les lèvres de la brune dessinent un “o” de surprise. Il avait dit “admettons”. Il avait seulement fait une supposition, à l’origine. Elle ne s’était pas attendu à ce que celle-ci se mue en une invitation réelle.

”- S… Sérieusement ?”

Elle n’en croit tout simplement pas ses oreilles. Ce n’est pas possible. Ce n’était à l’origine que des suppositions visant à la rassurer vis à vis de son poids et du mal-être dont il la sait victime, à cause de celui-ci. Rien de plus. Il ne pouvait pas être sérieux. Même s’il avait déclaré qu’il l’aurait invité si elle n’avait pas été sa patiente, avant de finalement le faire, elle n’avait pas envisagé que cela puisse être la vérité. Et elle reste alors à le regarder, les yeux grands ouverts, écarquillés, n’osant pas réellement croire ce qu’elle venait d’entendre.

”- Vous… me faites marcher ?”

Bon sang. Là, tout de suite, l’enseignante se sent vraiment être sur une pente glissante. Un peu plus et il n’aurait aucun mal à comprendre l’effet véritable qu’il peut lui faire et qui n’a rien à voir avec leur statut de patiente et de professionnel. Elle n’était pas sûre de vouloir qu’il le découvre, toutefois. Elle était même sûre de ne pas le vouloir, à vrai dire.

”- Alors ça…”

Bah quoi ? Le docteur Schmidt n’a pas le droit de proposer d’aller boire à un verre à Adelaïd Schuylers. Pour quelle raison ? Elle ne correspond pas à son type de femme ? Il n’en a jamais vraiment un. C’est sa patiente ? Bon ok, se voir en dehors des séances psy/patients n’est peut-être pas une bonne idée, voir même interdit. Mais qui sera là pour contrôler ? L’homme lui sourit en jouant avec son stylo, guettant sa réaction qui se fait de plus belle. Elle est surprise et insiste d’ailleurs s’il est bien sérieux.

« Hm, oui. Après mures réflexions, ça fait un moment que j’ai envie de vous proposer d’aller boire un verre » explique-t-il en souriant. « On pourra parler de tout et de rien sans avoir l’étiquette du psychologue.  Y compris discuter sur mon fils à l'école... » Il a toujours ce sourire béat, fier lorsqu’il évoque son fiston.

Elle insiste. Pourquoi ne serait-il pas sérieux ? Il fronce les sourcils alors que sa surprise est toujours présente sur son visage. Il ne voit pas pourquoi. Et non, ce n'est pas une mauvaise blague ni une caméra cachée pour se foutre de sa tête.

« Pas le moins du monde… A moins que vous pensiez que c’est une mauvaise idée. Je comprendrai et je ne vous en tirerai jamais rigueur » lance-t-il en levant les bras au ciel pour prouver son innocence.  

« Alors, c'est un oui ou est-ce que je vais me prendre le premier refus de ma vie ? » lance-t-il pour plaisanter et détendre l'atmosphère.

Il avait envie de lui proposer d’aller boire un verre. Depuis un moment. Adélaïd le regarde perplexe, encaissant le coup. Alors ça par exemple… Elle ne s’y serait jamais attendu. Jamais. Elle n’avait jamais imaginé la chose possible, vraiment jamais. Comment un homme comme lui… pourrait avoir envie de fréquenter une femme comme elle, de l’inviter à prendre un verre ? Cela ne lui semblait pas possible. Mais il affirme en avoir envie depuis un moment. Et elle ouvre un peu la bouche dans une expression de surprise, sous le coup de l’instant. Bon sang. Alors ça, par exemple…

Était-ce une blague ? C’est la question que pose la brunette, encore perplexe, s’attendant presque à ce que l’homme lui révèle que c’était une caméra cachée. Mais non. Il est parfaitement sérieux dans sa proposition, affirmant toutefois que si elle trouvait l’idée mauvaise, ils s’abstiendraient et ne lui en tirerait pas rigueur. Mais il n’était pas question de ça pour la trentenaire. Son incapacité à répondre de manière cohérente n’était pas lié à son manque d’envie de lui donner une réponse favorable, loin de là.

”- Je… ne m’y attendais pas.” finit-elle par dire, comme il demande si elle disait oui, ou lui donnait le premier refus de sa vie. Comme si elle, Adélaïd Schuylers, pouvait dire non à un homme comme lui, quand elle n’était déjà pas à sa hauteur. Impensable. ”O… Oui” balbutie la brune, cette impression de ne pas vraiment comprendre ce qui se passe persistant cependant.

C'était complètement surréaliste à ses yeux que Monsieur Schmidt puisse avoir envie de passer un peu de temps avec elle en dehors du canapé. Il en connaissait toutes les névroses. Elle était une patiente. Il savait tout d'elle, avait conscience de toutes ses faiblesses, de tout ce qu'elle s'inspirait à elle-même. Comment lui pouvait vouloir prendre un verre avec elle, quand elle ne s'inviterait même pas elle-même ?

Sören lui pose cette fameuse question. Qu’ils aillent prendre un verre tous les deux. Il l’observe, un sourire timide se dessinant au coin de ses lèvres. Le psychologue remarque bien qu’elle semple perplexe face à cette proposition. Comme si une femme comme lui ne pouvait se résumer à proposer de sortir avec un homme comme lui. L’homme ne voit pas en quoi, en aucun cas il n’a une étiquette à avoir. S’il la connaît en tant que psychologue et patiente, elle ne sait rien de lui dans la vie privée excepté le fait qu’il soit papa d’un garçon qui est dans sa classe.

Une blague. Une caméra cachée. Il n’y a rien de cela. Juste un plaisir qu’il a envie de se faire lui qui n’a pas côtoyé de femmes depuis son ex femme.

« Disons que c’est la surprise du jour, pour clôturer notre séance. » annonce-t-il en jetant un coup d’œil à sa montre qui lui confirme ses dires. « Vous avez prévu quelque chose après ? Si ce n’est pas le cas, on peut y aller maintenant, qu’en pensez-vous ?  ».

Fin de séance, donc. Le rôle du psychologue est rangé au placard, dans tous les sens du terme, puisqu’il range son cahier de séance dans le tiroir de son bureau.

En arrivant au cabinet pour son rendez-vous ce jour-là, Adélaïd ne s’était certainement pas attendu à la tournure que celui-ci allait prendre. Elle n’avait pas imaginé un instant que son thérapeute pourrait lui faire ce genre de propositions. Encore moins qu’il puisse en avoir envie. Comment un homme comme lui pouvait, du reste, souhaiter passer un peu plus de temps avec elle et aller partager un verre ? Elle ne se le figurait pas. Cette demande, à ses yeux, était incroyable, presque un miracle. Une intervention divine. Quelque chose qu’elle n’avait, en tout cas, pas vu venir. Et même si l’homme affirme que c’est le cadeau du jour pour clôturer cette séance, elle a encore un petit peu de mal à croire que c’est vrai, que ça arrive bel et bien. Bon sang. Ils allaient vraiment aller boire quelque chose ensemble, dans un cadre convivial, amical, qui n’aurait rien à voir avec ses troubles ou le travail de l’homme ? Ce serait merveilleux. C’était bien le genre de surprise qu’il pouvait réitérer pour elle, mais dont elle saisit parfaitement le caractère exceptionnel. C’était le genre de choses qui n’arriverait probablement pas deux fois.

”- Non je… je n’avais rien de prévu.” affirme-t-elle.

Rien qu’elle ne puisse pas remettre à plus tard, en tout cas. Si elle refusait d’y aller tout de suite, elle aurait rencard avec les cahiers du jour de ses élèves à corriger, puis avec diverses préparations d'atelier à poursuivre. Rien de bien excitant ni de bien urgent, donc. Encore moins qui justifie qu’elle laisse passer sa chance aujourd’hui.

”- On peut y aller.” confirme-t-elle donc en passant la hanse de son sac à main par-dessus son épaule, se redressant de son siège, prête à sortir. "Vers où souhaitez-vous aller ?"

Elle n'en revient pas, c'est le cas de le dire. Comment est-il possible que cela arrive ? Comment est-il possible que Monsieur Schmidt veuille sérieusement prendre un verre avec elle ? Adélaïd n'aurait jamais crû cela possible. Et à vrai dire elle ne le croit toujours pas, a bien du mal à se rendre compte que tout ça est vraiment réel, même si elle accepte de le suivre. Comment pourrait-elle seulement penser à refuser ? C'est tout bonnement impossible. Combien de fois a-t-elle furtivement imaginé un avenir possible avec lui ? De trop nombreuses fois pour refuser aujourd'hui cette invitation, c'est certain, malgré sa peur, ses doutes, ses craintes.

Quand il se vante de pouvoir la kidnapper, affirmant en être ravi, son coeur manque un battement. Comment est-il possible qu'il puisse sembler si sincère dans ses propos ? Comment est-il possible que cela lui fasse vraiment plaisir d'aller prendre un verre avec une personne aussi insignifiante qu'elle peut l'être et aussi loin que possible des standards de beauté ?

"- B... Bien sûr, prenez le temps dont vous avez besoin." balbutie-t-elle en l'observant comme il commence déjà à trier ses dossiers.

Restant assise quelques instants sur son siège, la brune le regarde trier précautionneusement ses affaires dans dire un mot jusqu'à ce qu'il se lève. L'imitant alors, elle passe son sac à main par-dessus son épaule et frissonne tandis qu'il passe son bras dans son dos, enveloppant ainsi la trentenaire en même temps qu'il la questionne.

"- Oh je... J'admets que je sors rarement prendre des verres mais... Je connais au moins de nom le Birdland, le Paddy's Teigg... Il y a le bar le Lion mais c'est peut-être un peu trop fréquenté, moins... Cosy ?"