Appel de Garrett à Lisa - 16.11.20

Toute la journée, Lisa avait attendu cet appel au moins autant qu'elle l'avait redouté. Au vu de son état psychologique en ce moment, accepter la proposition de recevoir cet appel n'était peut-être pas plus sage que si elle avait accepté de rencontrer directement Garrett. Mais au moins il ne verrait pas son allure chétive, amoindrie par le mal. Il ne verrait pas ses joues humides de larmes. Il ne verrait pas son regard fuyant et toutes les émotions que ses yeux pouvaient trahir... Et pourtant... Avec cet appel, la demoiselle a parfaitement conscience qu'elle peut exposer toutes ses faiblesses au juge. Qu'il pourra lire en elle comme dans un livre ouvert, si elle ne se méfie pas. Quand elle devrait garder la face. Leur dernière discussion, le soir de la tempête, prouvait fort bien pourtant qu'elle n'était pas prête pour ça. Quelle n'avait pas les épaules pour se préserver. Les mots de Garrett la touchaient bien trop quand elle aurait aimé rester de marbre, se protéger.

Le téléphone sonne. Et la demoiselle l'observe un instant en hésitant comme une photo de vacances s'affiche sur l'écran. Son cœur manque un battement. Et elle ferme les yeux, contrôlant sa respiration avant de décrocher.

Allô ?

Lisa retient son souffle jusqu'à entendre la voix de Garrett lui répondre enfin. Elle peine à y croire après avoir passé trois semaines sans. Ce n'était jamais arrivé avant aujourd'hui. Jamais. Ils se voyaient le soir ou s'appelaient quand il était absent. Ils n'avaient jamais passé plus de deux jours sans s'entendre. Il y avait des couples qui, en se disputant, ne s'adressaient plus la parole pendant un certain temps. Eux ne se couchaient jamais fâchés. Lisa prend cette voix au bout du fil comme une claque dans la figure. Son Garrett. Enfin pas son. Elle devait oublier.

T'es bien informé... remarque Lisa comme il évoque son arrêt maladie. Ça va ment-elle. Et toi ?

Elle entendait sa voix. Enfin. Depuis la rupture ce n'était plus arrivé alors qu'elle n'avait pas prit la peine d'écouter les messages laissés sur son répondeur. Et l'entendre, d'un coup, faisait bizarre. Son cœur en cavalait dans sa cage thoracique, n'ayant pas l'habitude qu'ils ne se parlent pas.

Comme il évoque l'arrêt maladie de la demoiselle cette dernière ne peut pas s'empêcher de faire une petite remarque sur la qualité de ses infos, avant de comprendre le pourquoi du comment qui vaut à Garrett de recevoir une pique.

Oh, t'as prit le risque que les collègues - pardon ta femme - découvrent qu'il y a un truc !?

C'était peut-être un peu tard maintenant. Trop tard pour ne plus cacher leur relation, trop tard pour "officialiser" celle-ci aux yeux des collègues. Elle avait été bien conne de penser que leur attention avait pour but de lui épargner les remarques déplacées que l'on pourrait lui faire.

Il insiste encore, demandant après son état. Mais que pouvait-elle dire au juste ? Je vais mal, je passe mes journées à pleurer, je perds du poids, je bouge à peine de mon canapé ? Non.

Tu veux pas le savoir.

De toute évidence, Garrett n'avait pas comprit le sous-entendu de Lisa en incluant sa femme dans la conversation. Si elle voulait dire par là que toutes leurs mesures préventives ces dernières années avaient pour seul but de ne pas se faire prendre par sa femme et no protéger l'étudiante, elle devrait le dire sans détour.

Ouai. Pas grâce à toi. remarque l'étudiante en supposant que si la famille de Garrett est au courant, c'est par le biais de Jeremy.

Le divorce. Lisa reste muette au bout du fil. Elle était responsable d'un divorce. Il avait déposé ses papiers le matin même. La jeune femme accuse le coup. La nouvelle ne parvient pas à la réjouir. Cela ne change rien pour elle. Strictement rien. Il a mentit. Et même s'il veut faire les choses correctement maintenant, c'est trop tard. Il pourrait lui faire mal, encore. Elle secoue la tête.

Tu sais... Que ça ne change rien ? Pour nous...

Pourquoi il lui disait ça ? Ça n'enlève pas le mal. Ça ne retire pas la culpabilité. Ça ne lui fait pas oublier que pendant cinq ans il a menti. Qu'il a trompé une femme.

T'aimerais pas la réponse.

Que Garrett divorce ne changeait rien à ce que la demoiselle avait subi. Est-ce que cela changeait quelque chose à leur avenir ? Il aurait fallu que Lisa ait la force de dire que non. Son cœur, pourtant, dans sa cage thoracique, hurlait le contraire. Bien sûr que cela changeait quelque chose. Elle avait beau lui en vouloir, elle avait beau être meurtrie, être atteinte au plus profond de son cœur, il n'en restait pas moins qu'elle était amoureuse de lui. Cette vérité emplissait tout son espace, elle le ressentait chaque jour.

Si Lisa est honnête, elle doit bien admettre que oui, savoir qu'il divorce lui fait plaisir. Son cœur a manqué un battement en l'apprenant. Le temps pour elle de prendre la mesure de ce qu'il disait. Mais cette pensée, dans un même temps, la fait culpabiliser.

Il fallait qu'elle reste forte. Il lui avait fait du mal. Revenir vers lui était lui donner l'occasion de lui en faire encore. Si Garrett avait été capable d'infidélité, il était tout à fait possible qu'il recommence. Il était tout à fait possible que l'homme lui fasse de nouveau mal. Lisa devait penser à cela. Elle souffrait trop pour accepter qu'il la blesse encore.

Au bout du téléphone, Garrett ne semble pas être au mieux de sa forme. Et les mots qu'il prononce atteignent directement la demoiselle. À tel point que les larmes recommencent à couler sur ses joues. Lisa sent l'émotion du juge dans sa voix, devinant presque les larmes qu'il contient. Un déchirement. Il semblait souffrir. Mais elle ne pouvait pas oublier ni sa propre peine, ni sa propre douleur. Elle devait se protéger. Essuyant ses propres larmes, elle renifle.

Tu sais... Que l'alcool c'est... C'est pas une solution.

Entendre Garrett renifler, avoir conscience de ses pleurs, de ses larmes, était plus terrible que ce que Lisa n'aurait jamais pu imaginer. D'autant plus terrible qu'elle était impuissante face à ces larmes qu'elle imaginait couler sur les joues du juge. D'autant plus terrible que par la force des choses, c'était elle qui les causait. Par son absence. Par leur histoire brisée.

À l'entendre et le savoir dans un tel état, l'idée de le rejoindre au penthouse et de tout oublier se faisait forte. Les mots d'Inga lui revenaient en tête, en même temps. Ceux qu'elle avait lu dans le SMS. Mais une part d'elle, la plus craintive, lui interdisait de céder aux élans de son cœur. Garrett avait purement et simplement brisé son coeur. Elle ne pouvait pas passer outre. Elle ne pouvait pas sacrifier sa douleur pour réduire celle de l'homme.

Les mots de Garrett lui crèvent le coeur. Lisa étouffe dans sa chambre, se laissant tomber sur son lit. Les larmes coulent le long de son visage sans qu'elle ne cherche à les retenir. Il avait été ivre. Il buvait. Il se foutait dans des états pas possible. Et elle pouvait arrêter ça. Elle le pouvait oui. Mais une part d'elle s'y refusait. Pour se protéger, elle ne devait pas céder. Quand bien même c'était difficile. Pourtant, elle renifle.

"- Un jour... Oui... Je pense." souffle-t-elle. pas tout de suite.

Mais était-ce parce qu'elle ne s'en sentait pas la force ou parce qu'elle avait peur de céder, alors, en voyant son mal de ses propres yeux ? Lutter pour ne pas aller le rejoindre était déjà difficile. Près de lui, elle ne donnait pas cher de sa sagesse. Il lui manquait déjà tellement que ses résolutions pourraient fondre comme neige au soleil. Elle devait attendre que ça lui passe. Attendre que cet amour se meurre.

Bon sang. Qu'il est douloureux de le fuir et le désirer en même temps. Qu'il est douloureux de vouloir se protéger tout en souhaitant pourtant courir le rejoindre. Qu'il est douloureux, surtout, de l'entendre pleurer, d'entendre ses mots qui, tout en voulant la réconforter, sont comme des pierres jetées à son cœur. Qu'il est douloureux de le chercher chaque jour tout en sachant qu'il n'est pas là. Qu'il ne doit pas être là.

Le téléphone vissé contre son oreille, Lisa l'écoute, son coeur mourrant d'amour en entendant qu'il l'aime. Elle ne devait cependant pas succomber à ces mots, à ces sanglots. Pourquoi, dans le fond ? Elle n'était plus sûre de le savoir elle-même. Sa vie ne ressemblait plus à rien, n'avait plus aucune logique. Elle ne savait pas bien ce qu'elle attendait d'elle. Ou de lui. Elle avait mal oui. C'est certain. Pourtant Garrett n'avait de cesse de racheter sa dette. Et ses remords étaient sincères. Cette idée l'obsédait, tout en s'opposant à la pensée selon laquelle, quand-même, il l'avait trahit pendant cinq ans.

"- S'il te plaît... Arrête... arrête de pleurer..."

C'était tellement difficile de l'entendre, de sentir les sanglots dans sa voix, d'entendre ses remords. Tellement difficile qu'elle pleurait elle aussi, touchée par l'état dans lequel elle le sentait, par sa propre douleur et par le manque de lui.

De ce que Garrett disait, Lisa n'en retenait bien sûr pas que ses larmes. Mais celles-ci étaient ce qui la blessait et la touchait le plus. Entendre Garrett pleurer au bout du téléphone, imaginer l'état dans lequel il était, les états dans lesquels il se mettait lui-même, était difficile pour elle. Savoir qu'il buvait - trop - à cause de son absence, des mensonges qu'elle avait découvert, de son besoin de distance, ça la faisait souffrir. Elle souffrait de savoir qu'il souffrait, souffrait de souffrir elle-même, souffrait de ne pas pouvoir être avec lui. Un tas de choses jouaient en sa défaveur. Il était marié, Lisa ne pouvait se le sortir de la tête. Quand bien-même elle parvenait à lui pardonner, leur histoire en était devenue impossible. Sûrement. C'était le père de Jeremy. Elle n'avait pas les épaules pour ça. C'était trop flippant. Trop angoissant. Elle ne savait même plus où elle en était.

Non, mais ça fait mal... souffle-t-elle.

Mal oui. Comme tout le reste. Comme l'absence, le manque, le poids du mensonge. Son monde était sans dessus-dessous à présent.

Lisa... Lisa n'avait pas changé. De ce qu'il entendait au bout du fil, elle était toujours la même. Très certainement en train de se demander comment il a réussi à en arriver à se mettre dans de tels états, à se faire du mal de le voir ainsi. Ce n'était pas ce que voulait le quarantenaire. Il se fichait bien que Lisa puisse le voir faible. C'était ça aussi, aimer. Voir la personne dans tous ses états, sans filtre. Mais il ne supportait pas qu'elle se fasse du soucis pour lui. Lui, est-ce qu'il en avait eu toutes ces années alors qu'il savait très bien tout le mal que ses mensonges allaient faire ? Visiblement pas assez. Il poussa un petit soupir.

"N'ai pas mal pour moi, Lisa. Tu devrais me dire que c'est bien fait pour moi, que je le mérite. C'est moi qui devrais être en train d'essayer de m'occuper de toi là, et non l'inverse. Bon Dieu Lisa, arrête de te faire du soucis pour moi alors que je viens totalement de détruire ta vie et presque sans aucun scrupule..."

Dire que c'était bien fait, qu'il l'avait mérité ? Lisa n'était pas comme ça, quand bien-même elle souffrait, le malheur des autres ne la ravissait pas. Et puis après ? Souhaiter que qui que ce soit se trouve en détresse, que qui que ce soit ait mal, n'adoucirait en rien sa propre peine. Affirmer et penser que Garrett méritait d'être malheureux pour ce qu'il avait fait ne lui apporterait rien. Cela ne pouvait même pas apaiser son cœur, même pas permettre qu'elle aille mieux.

Je n'en aurais pas moins mal... souffle-t-elle au bout du fil.

Il avait détruit sa vie c'est vrai. Il l'avait mise plus bas que terre, l'avait trahie, s'était quelque part servit d'elle. Il avait fuit son quotidien dans leur relation sans penser aux conséquences pour elle lorsque le vérité serait connue, c'est vrai.

Te souhaiter tout le malheur du monde ne changerait rien... remarque-t-elle.