Appel de Garrett à Lisa - 14.09.20

Un message vu. Un message vu. Garrett resta le regard collé sur l'écran allumé de son téléphone. Une minute, deux minutes... Lisa ne répondait pas. Elle ne répondait pas du tout. Il s'excusa donc auprès de ses collègues avant d'attraper sa petite boule de pain pour l'emmener avec lui alors qu'il sortait du restaurant.

Il n'était pas encore une heure de l'après-midi, la jeune fille devait donc normalement répondre. Il s'éloigna un peu pour ne pas croiser l'un de ses collègues voulant simplement se griller une cigarette puis appela la demoiselle, tranquillement, mâchant le bout de l'ongle de son pouce.

À son bureau de travail, Lisa accuse encore le coup, ses doigts jouant nerveusement avec un trombonne tandis qu'elle noircit la page de ses observations sur le dossier qu'elle traite, sans pourtant avoir la tête au travail. Comme si Garrett avait foncièrement besoin de lui rappeler qu'ils ne se verront pas le soir même. Comme s'il avait besoin de lui rappeler alors que c'est ainsi trois à quatre soirs par semaine.

Ses collègues partant déjeuner, elle évite soigneusement leurs regards comme elle ne bouge pas d'un iota, affirmant qu'elle a commandé. Cest faux. Mais ils ne sont pas obligés de savoir qu'elle ne compte pas prendre de pause. Qu'elle attend juste qu'ils partent, alors qu'elle laisse le message de Garrett sans réponse.

La porte à peine fermée, elle profite de sa solitude retrouvée. Brièvement. La sonnerie de son téléphone la coupe comme elle renifle et posant son regard sur l'écran elle fait son possible pour retrouver une contenance avant de décrocher.

Le téléphone du juge met quelques instants avant de se connecter au réseau. Puis une sonnerie retentit avant qu'enfin, le quarantenaire n'entende la voix de sa douce. Un soupir de soulagement lui échappa avant qu'il ne finisse son morceau de pain, l'avalant avant de parler, tout de même.

Tu as l'air étonnée que je t'appelle ? Lisa... Chaton.. Je suis vraiment désolé de t'avoir dit ça comme ça, vraiment. Je sais bien que c'est aussi dur pour toi que pour moi... J'ai pas réfléchi du tout avant de t'envoyer ça, pardonne moi s'il te plaît.

Était-elle étonnée que l'homme l'appelle ? Dans le fond, pas vraiment. Garrett était le genre d'homme à réparer ses erreurs et la réconforter chaque fois qu'elle n'allait pas bien. Qu'il l'appelle n'était pas très étonnant en soit. Mais il l'avait fait au moment le moins opportun pour elle. Quand il risquait de découvrir l'état dans lequel elle était à présent. Et elle refusait de lui gâcher son anniversaire comme ça.

Juste que ça faisait mal. Que ça rappelait son absence. Que ça rappelait toutes ses absences et ce manque régulier. Parfois les journées passaient vite et elle n'avait pas le temps de se morfondre. Son naturel y était pour beaucoup. Mais d'autres fois... C'était bien plus difficile pour elle. Notamment pour les événements spéciaux.

Comment mentir à une personne qui partageait ta vie depuis plus de 5 ans désormais ? C'était chose très compliquée. Chaque jour qui passait, ça l'était un peu plus pour le juge. Parce que les mensonges faisaient malheureusement partie intégrante de leur relation sans que la jeune Lisa ne s'en aperçoive.
Pour ce qui était des réactions de l'autre, ils se connaissaient désormais bien trop. Beaucoup trop pour ne pas se douter de la façon dont allait l'autre. C'était vrai dans un sens comme dans l'autre.

Garrett jeta la fin de son pain dans une poubelle près du restaurant alors qu'il marcha pour s'en éloigner un peu, pour aller au calme, s'appuyant contre un bâtiment alors qu'un léger soupir échappait à ses lèvres.

" C'est juste que tu voudrais être avec moi autant que j'ai envie d'être à l'appart aujourd'hui... "

Le silence ce fut quelques secondes. La gorge du juge se nouait, il se détestait de faire ce qu'il faisait. C'était beaucoup trop fréquent à son goût et il détestait cette double vie. Si seulement il pouvait recommencer, faire les choses autrement...

" Je suis désolé Lisa, je t'aime. N'en doute jamais, s'il te plaît. "

Elle avait la gorge nouée. Pourtant elle ne devait pas pleurer. Pas maintenant. Il fallait qu'elle se fasse violence quelques minutes, le temps de cet appel. Il fallait qu'elle taise ses larmes et sa peine. Elle ne voulait pas lui infliger ça le jour de son anniversaire, pensant la situation tout aussi difficile pour lui, loin de se douter qu'il serait en réalité très bien entouré le soir même.

Mais ce n'était pas seulement ce soir. C'était tout les soirs, qu'elle voulait être avec lui, le retrouver en sortant du cabinet Rosenthal. Toutes les nuits qu'elle voulait passer entre ses bras et tous les matins, qu'elle aurait aimé le regarder avant qu'il ne se réveille. Elle ''avait cependant pas droit à autant.

Être désolé ne le rendrait pas plus présent ce soir, ne lui permettrait pas de souffler ses bougies avec elle. Elle ne pouvait qu'espérer qu'il trouve ses petits mots et ses petits cadeaux, à défaut de pouvoir les lui offrir elle-même. Être désolé ne le fera pas revenir à Hambourg. Mais elle garde pour elle ses remarques. C'était son anniversaire. Et il ne pouvait rien à cette absence.

La gorge du juge se noua totalement. Il voulait mettre fin à cet appel, mettre fin à son déjeuner entre collègues, annuler son procès pour aller rejoindre Lisa dans leur penthouse, la rejoindre pour passer des moments d'amour et de tendresse en sa compagnie. Qu'est-ce qu'il en mourrait d'envie. Mais il ne le pouvait pas. Ne pas faire ce que l'on voulait faire, il en avait marre. Il voulait arrêter tout ceci. Si seulement c'était si simple…

"A mi-temps… C'est comme ça que tu nous vois ? Je m'en veux totalement de te donner cette impression… Je t'aime à temps complet moi. Je t'aime. N'en doute pas s'il te plaît."

Au son de la voix de Garrett, la demoiselle devine que les mots malheureux qu'elle a eut ont fait un petit choc au juge et elle baisse la tête en réalisant qu'elle l'a peut-être blessé. Ce n'était pas son intention, surtout pas aujourd'hui. Lisa regrette les mots qu'elle a eut, que l'homme a mal prit. Cela n'a rien à voir avec leur amour. Seulement avec sa présence.

Je sais chaton, je sais. Excuse moi... C'est... c'est pas de ton amour dont je parle. souffle-t-elle.

Non, ce n'était pas de son amour qu'elle parlait, mais bien du temps qu'ils pouvaient passer ensemble, dont elle était privé une moitié de la semaine.

Le fessier entre deux chaises. Voilà exactement où pouvait être assit le juge. Il suffisait qu'une personne pousse un peu trop pour qu'il prenne un peu plus place pour que l'autre côté ne s'écroule. Les mots de Lisa, il les comprenait parfaitement. Il savait bien ce qu'il l'obligeait à subir. Il lui arrivait bien trop souvent de l'appeler alors que la jeune étudiante se retrouvait triste d'être seule, le soir lorsqu'il était absent.

Entendant les mots, un fin sourire étira ses lèvres. Il ne fallait pas que son chaton ne le prenne ainsi, oh que non. Il glissa ses doigts dans sa chevelure en levant les yeux en direction du ciel.

Excuse-moi, je sais bien... Je... Je vais faire ce que je peux pour réduire mes absences, d'accord ? Je vais essayer d'y mettre fin...

Essayer de mettre un terme à ces absences, essayer de faire en sorte qu'ils puissent désormais vivre normalement, comme n'importe quel autre couple. Lisa ne demandait pas mieux que cela, pas mieux que de pouvoir avoir une vie normale, comme n'importe quel autre couple, sans que les allers-retours à Berlin ne les séparent continuellement. Seulement, elle savait aussi ce que cela impliquait.

"- Mais c'est ton travail. Et je sais que tu aimes ce que tu fais..." souffle-t-elle. "Je veux pas... être un frein... à ta carrière."

Non, ça, jamais. Lisa n'était pas prête à demander de tels sacrifices de la part de son cher et tendre. Elle ne voulait pas être la femme qui l'empêchait de poursuivre ses rêves. Cela faisait parti de son travail, ces déplacements, même si c'était lourd parfois.

Les yeux de Garrett étaient perdus dans le vide. Quelque part dans une rue hambourgeois, tantôt sur une personne en train de marcher, tantôt sur un bus qui passait au pas. Ce n'était pas du tout la vie qu'il faisait croire à la douce femme qu'il avait au bout du fil. Il était capable de tellement de mensonges. Il détestait totalement ça. Au bout du fil, il écoutait avec beaucoup d'attention la voix triste de la femme qu'il aimait. Ca lui brisait le cœur, totalement. Il sentait chaque miette se détacher une à une. Ou plutôt, il avait cette effroyable sensation.

L'évocation de sa carrière le fit rire doucement. Tous deux ne voyaient pas les choses de la même façon.

"Un frein à ma carrière ? Chaton, tu n'es sûrement pas un frein à ma carrière. Je n'ai pas envie de monter plus haut, de toute façon. Ou peut-être plus tard. Il est temps que je te place en première place dans mes priorités. Tu n'es pas juste faite pour me tenir compagnie quand j'en ai besoin. Je vais essayer d'arranger tout ça, Lisa."

La situation était loin d'être évidente, pour Lisa comme pour Garrett, alors que le travail de ce dernier - du moins Lisa le pensait-elle - ne leur permettait de vivre ensemble qu'une moitié de la semaine. Et pour Lisa, il semblait ainsi assez difficile pour l'homme de mettre un terme à ses absences comme il le dit. Ses absences qui viennent s'immiscer entre eux en ce jour si particulier de l'anniversaire de Garrett, un moment spécial que Lisa aurait voulu passer avec ce dernier. Au lieu de cela, les kilomètres les séparaient et la maladresse de l'homme avait fait le reste, en interprétant mal les intensions de sa belle. Elle ne voulait pas impacter la carrière de ce dernier. Garrett, cependant la rassure, évoquant son absence de désir de grimper plus haut les échelons de son travail et son souhait, en revanche, de faire d'elle sa première des priorités. Se doutait-il seulement qu'elle avait l'impression de l'être déjà ? Il faisait tout pour elle ou presque. Il n'y avait que ces absences pour gâcher, de leur amertume, la vie des deux tourtereaux. Comme il parle, encore, d'arranger ça, Lisa esquisse un sourire àl'autre bout du fil.

"Ce sera bien..." souffle la demoiselle en se projetant dans la douceur d'une vie à deux où les voyages ne viendraient plus grignoter leur temps.