Appel de Garrett à Lisa - 08.20

Mollement, la demoiselle zappe sur la télévision, avachie dans le canapé du salon. Il n'y a rien à regarder. Rien de bien. Rien sur le câble. Rien sur Netflix. Rien sur les chaînes classiques. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, affirmait Lamartine. Lisa confirme volontiers que c'est bel et bien le cas. Ce ne sont pas les chaînes de télévision qui ne proposent pas grand-chose, c'est la demoiselle qui n'a le goût et l'envie de rien. C'est elle qui se sent mal, ce soir, qui se se sent triste, le cœur appesantie par l'absence, par le manque,  alors qu'elle croit Garrett à Berlin pour le travail et dans l'incapacité de lui revenir avant le lendemain soir. Parti la veille au matin, c'est un de ces jours sans, pour la demoiselle. Un de ces jours où le monde ne tourne plus rond,. Que ne donnerait-elle pas pour avoir l’esprit occupé par quelques dossiers, par quelques affaires, par quelques procès. Mais il n'y a rien, rien qu'elle puisse se mettre sous la dent et son regard, morne, tombe sur son classeur ouvert sur la table basse, qu'elle observe comme le condamné observerait la hache. Non. Pas ce soir. S'en est assez. Lisa le referme d'un geste brusque avant de soupirer, se roulant en boule sur le sofa, reportant son attention sur l'écran, zappant allègrement, sans succès une fois de plus.

Enfin, le téléphone sonne et le cœur de la jeune femme s'emballe dans sa poitrine, l'écran lui confirmant que c'est bel et bien l'objet de toutes ses attentions qui appelle enfin, lui donnant l'impression de faire s'envoler toute la pression de la journée, toute le peine de son cœur ankylosé. Une chimère, pourtant. Le mal, pernicieux, continu de rôder, à l’affût, prêt à lui sauter dessus. Prêt à l'engloutir toute entière.

lance-t-elle, semblable à un appel désespéré. Il est si loin, alors, trop loin d'elle. Le réaliser fait de nouveau mal, brise son cœur, faisant monter les larmes dans ses yeux et elle se retient de chevroter quand elle reprend la parole.

Son appel, enfin. Lisa a l'impression de l'avoir attendu toute la journée celui-là. Et peut-être que c'est bien le cas, alors qu'il lui manque terriblement.

S'il lui manque ? Oh oui plus qu'il ne peut le penser. Ces voyages à Berlin relèvent parfois du supplice, quand elle aspirerait à une petite vie tranquille avec lui, sans jamais l'avoir plus de la moitié de la semaine. Lisa pince les lèvres, au moment de répondre.

Elle donnerait tout pour qu'il soit là tout de suite. Ici avec elle. Mais elle doit prendre son mal en patience jusqu'au lendemain. S'astreindre à ne pas lui demander de rentrer. Elle sait que ce n'est pas facile pour lui non plus, loin de se douter des réelles raisons de son absence.

Elle ment Lisa. Pour ne pas lui dire qu'elle se languit, qu'elle est clouée dans son canapé à ne rien faire, à attendre que le temps passe.

Lisa ment. Effrontément. La télé a beau être allumée, la jeune femme ne trouve sur celle-ci rien de bien, rien qui l'intéresse, rien qu'elle ait envie de regarder. Rien qui parvienne à lui changer les idées alors que seul le manque se fait sentir. D'un naturel plutôt jovial d'ordinaire, ce soir l'étudiante ne parvient pas à se débarrasser de ses démons, de cette impression de vide, d'incomplet. Il manque quelque chose à son existence pour aller mieux, pour aller bien. De la stabilité. Une vie normale. Ne plus vivre loin de son amoureux trois à quatre jours par semaine. Si seulement. De ses tourments pourtant, la jeune femme préfère ne pas en parler à son cher et tendre, prenant sur elle pour ne pas l'accabler lui-même, persuadée -par une confiance aveugle- que ce n'est pas de sa faute, qu'il est sincère quand il dit que seul le travail est responsable de cette situation.

Lisa obtempère sans décoller le téléphone de l'oreille, éteignant le poste avant de se lever pour rejoindre leur chambre, s'affalant sur le lit de celle-ci en s'enveloppant dans son plaid aux couleurs de sa maison à Poudlard.

La demoiselle tente de plaisanter. Le coeur n'y est pas, alors que le désir de l'embrasser, de se lover entre ses bras, se fait sentir sans pouvoir être comblé, sans pouvoir être assouvis. Dire qu'elle devrait attendre le lendemain pour cela. Tout de suite, ça semblait être comme une torture. Une torture qu'elle tente tant bien que mal de lui dissimuler.

Lisa écoute, hochant la tête même s'il ne peut pas le voir et se recroqueville sous le plaid, restant quelques instants silencieuse à attendre qu'il parle, écoutant le bruit régulier de sa respiration au bout du fil. Et son coeur se serre de le sentir si près tout en étant aussi loin, de le savoir là au bout du fil sans qu'elle ne puisse être entre ses bras. Il était parti depuis trop longtemps déjà, lui imposant une troisième et dernière nuit sans lui avant son retour. Si elle avait passé la soirée de la veille avec sa maman, l'absence et le manque avaient de nouveau envahies tout son horizon.

Les yeux fermés comme il l'a demandé, la patineuse imagine sa présence. Ses bras autour d'elle, ses lèvres dans sa nuque. Si seulement. Le fantôme de ses rêveries est trop spectral pour qu'elle puisse s'abandonner réellement à ces songes. Mais elle n'en diras rien, désireuse de ne pas l'accabler.

Elle y est. Il n'a absolument aucun mal à l'imaginer sur le lit, la tête posée sur l'un de leurs coussins, sous son plaid extrêmement doux. Lui sur son transat, il ferme les yeux pour rester silencieux quelques secondes, quelques instants. Il est entrain de s'imaginer à ses côtés. Il entend également sa respiration et le léger vent lui donne presque la sensation de le sentir contre son épiderme. C'est tout ce qu'il souhaitait. L'espace de quelques secondes, il se dit qu'il pourrait s'endormir en s'imaginant un moment si doux. Mais la voix à l'autre bout du fil le ramène à la réalité alors qu'il ouvre les paupières de nouveau.

" Je regarde le ciel. "

Il laisse une petite seconde passer avant de reprendre, d'une voix extrêmement douce.

" Mais j'aime être près de toi, là. M'allonger juste derrière toi pour te prendre dans mes bras. Sans te voler ton plaid pour te garder au chaud. Je te chuchoterais des mots d'amour dans l'oreille en te serrant fort contre moi. "

Il regardait le ciel. Elle avait envie d'être avec lui. Elle l'imaginait couché dans l'herbe du jardin d'un hôtel Berlinois, lui permettant de se blottir contre lui et observer ce spectacle en sa compagnie. Ils se contenteraient de laisser parler leurs émotions, sans avoir besoin de parler pour communiquer. Elle se contenterait d'écouter sa respiration régulière, d'observer le ciel, de sentir son parfum. Malheureusement son désir ne pouvait pas être comblé. Pas ce soir. Il faudrait remettre à une date ultérieure leur romantique observation des astres.

Plus que tout, elle voulait surtout l'entendre. Elle voulait s'imprégner du son de sa voix, des tonalités de ses octaves et se laisser bercer par ses mots.

Un mensonge de plus, encore. Pas le fait qu'il parle du ciel, non. Il le regardait bel et bien. Un bruit dans la maison lui fit tourner la tête. Simplement Joah qui venait récupérer quelque chose dans le frigo. Il retint un soupir de soulagement avant de reporter son attention sur le ciel.

"Que je te décrive le ciel ? Je ne le vois pas très bien parce qu'il y a beaucoup de lumière. La lune est vraiment grosse ce soir et très lumineuse. Ça doit être… La gibbeuse descendante ce soir. Il y a quelques étoiles. Je ne les vois pas très bien, je suis fatigué et je n'ai pas mes lunettes… Un soir, il faudrait qu'on aille se perdre dans le désert au Chili. Il paraît que c'est là-bas qu'on voit le mieux les étoiles. Ca te plairait ?

Lisa se laisse bercer par les mots de Garrett, focalisant toute son attention sur son souffle, sur le son de sa voix. Ainsi, d'une certaine façon, l'homme est avec elle sans l'être ce soir, comblant le manque tant bien que mal. Lisa essayait toujours d'être forte, d'accepter ses moments d'absences et de les gérer au mieux. Elle essayait de ne pas se laisser envahir par les émotions négatives. Mais il n'était pas toujours évident de passer plusieurs jours loin de celui que l'on aime. C'était vrai pour les jeunes couples mais ça l'était aussi pour les plus anciens. Elle espérait que ce soit terminé un jour, qu'ils puissent consacrer toutes leurs semaines l'un à l'autre.

Oui !

Bien sûr qu'elle avait envie de se rendre au Chili avec lui ou n'importe où ailleurs pour observer les étoiles. Bien entendu qu'elle avait envie de voir du pays à ses côtés et profiter d'un peu de temps avec lui. Rien ne lui ferait plus plaisir.

Reste avec moi souffle-t-elle.

Là, à l'écouter parler, avec un peu de chance elle finirait par s'endormir. Elle n'avait pas dîné, encore. Tant pis. S'il n'était pas avec elle, la jeune femme voulait en avoir l'impression en s'endormant.

Attend

Elle se lève, se dirige dans la salle de bain pour récupérer le flacon de parfum masculin trônant sur l'étagère. Il en reste un spectre olfactif trop léger sur les draps, après déjà deux nuits d'absence. Alors elle en vaporise un peu sur le lit, posant ensuite le flacon sur la table de chevet avant de se lover de nouveau sous le plaid, éteignant les lumières.

Je suis là !

Garrett avait juste à fermer les yeux pour imaginer Lisa sur leur lit, pour la voir dans une position dans laquelle elle se trouvait très certainement, sous son plaid, à n'attendre qu'une chose, qu'il vienne la prendre dans ses bras, qu'il lui montre qu'il était là, qu'ils puissent s'endormir dans les bras de l'autre. Mais ce soir, il savait très bien qu'il allait rejoindre un grand lit, tourner le dos à Alina pour s'endormir de son côté, tout seul.

Entendant l'étudiante lui demander d'attendre, c'est ce qu'il fit tout en se demandant ce qu'elle pouvait bien être entrain de faire. Il attendit sagement qu'elle ne revienne, sans bouger le moins du monde, gardant les yeux fermés. Le meilleur moyen qu'il avait trouvé pour s'imaginer être en sa présence.

"Qu'est-ce que tu faisais ?"

Ce qu'elle faisait ? Lisa rougit face à la question que lui pose Garrett. Il sait parfaitement que l'étudiante l'aime. Mais est-ce pour autant une raison suffisante pour lui avouer qu'elle se conduit par moment comme une adolescente désespérée par l'absence de son amoureux ? Est-ce une raison pour lui révéler que quelques fois, il lui arrive de se comporter comme l'héroïne d'une comédie romantique en alignant les clichés du genre ? Garrett ne la jugerait probablement pas pour ça. Mais le lui avouer restait relativement délicat pour Lisa, se sentant stupide de devoir le dire à autre voix. Pourtant elle se râcle la gorge, avant de parler.

"- Je... euh... enfin je... y'avait presque plus ton parfum sur les draps et euh..."

Presque plus son odeur sur les draps ? Comment ne pas sourire ? Il lui manquait, ce soir alors qu'il était absent ? Le penthouse était grand, c'est vrai. Il ne se disait pas une seule seconde à quel point il pourrait paraître énorme et vide. Vide de vie, vide de celui que l'on pouvait aimer. Garrett ne se rendait pas du tout compte, même si il pouvait l'imaginer, un peu alors que Lisa le lui disait.

Son sourire partit. Il n'aimait pas laisser Lisa seule. Il avait envie de la rejoindre. Vraiment très envie. Elle était si près de lui... A cette heure, il ne lui faudrait pas plus de 20 minutes pour la rejoindre. Il laissa un soupir lui échapper.

"Tu es allée chercher mon parfum ? Il y a un sweat que j'ai pas encore mis à laver qui doit traîner dans le dressing, si tu ne l'as pas mis à laver..."

Garrett comprend ce que Lisa ne dit pas. Oui elle est bel et bien allée chercher le parfum de Garrett. Et l'homme ne se moque pas le moins du monde, ne fait aucune remarque sur le comportement un peu adolescent de la demoiselle sur le coup. Au contraire puisqu'il évoque un sweat qu'il n'a pas mis à laver.

"Non je ne l'ai pas lavé. Je ferai une lessive demain matin. Ou j'attend un peu, si tu as des choses à laver ?" s'enquit-elle.

La demoiselle se lève de son lit pour aller chercher le sweat en question, revenant dans la chambre avec. Retirant son propre haut, elle se glisse dans celui de Garrett, s'y enveloppant et plongeant le nez dedans.

"Parfait !"

S’il n’avait pas mis à laver ce sweat, ce n’était pas pour rien. Il n’était pas adepte du bazar mais il lui arrivait bien souvent de laisser un ou deux vêtements traîner, lorsqu’il partait pour Berlin. Est-ce le fruit du hasard s’il ne le faisait que lorsqu’il quittait la demoiselle ? Peut-être pas, non. Et comme il a deviné pour le parfum, Lisa devine très bien qu’il l’invite à aller le récupérer pour le serrer contre elle ou encore l’enfiler. Il clôt les yeux. Et c’était comme s’il se trouvait près d’elle, si elle se trouvait serrée dans ses bras.

“J’ai surtout des chemises à laver, tu peux le mettre demain matin, ne t’en fais pas.”

Il finit par se lever doucement pour s’étirer tout en retenant un bâillement. Si Lisa était bien là, si elle allait mieux, ils allaient terminer l’appel sur ces jolies notes. Aller dormir leur permettrait de se retrouver d’autant plus vite, le lendemain.

“Chaton, je vais aller prendre ma douche et me coucher, moi. On se voit demain ?”

Ok. Sinon on l'a fait demain soir, ça ne change pas grand-chose.

Discuter de banalité pour ne pas déjà se quitter. Voilà tout ce que Lisa voulait. Une tentative cependant sabordée par Garrett comme l'homme évoque la douche qu'il va aller prendre pour pouvoir se coucher. C'est le moment le plus difficile. Celui d'accepter de clore l'appel, de le laisser raccrocher, d'être de nouveau toute seule. Le coeur de Lisa se serre à cette seule pensée. Et pourtant elle sait bien dans le fond qu'elle n'a pas vraiment le choix. Qu'ils ne l'ont pas vraiment. Qu'elle se doit de contrôler ses émotions. Il n'y est pour rien, si elle se sent seule, si elle ne va pas bien, s'il doit être loin. Lisa le croit, s'interdisant de manifester ses émotions par égard pour lui.

Oui... Bonne nuit chaton... Tu penses rentrer tôt ?

Comme il lui tarde d'être à demain, de pouvoir le retrouver, se pelotonner contre lui. Demain ça ira mieux. Demain, ce sera parfait. Demain, il sera là.