(Un)lucky day [Louise]

Harriet aimait quand tout était carré, elle n'aimait pas trop être prise au dépourvu... Son ancienne vie dans le monde du droit qui refaisait parfois surface. Depuis qu'elle avait découvert le yoga, elle faisait de plus en plus d'effort, appréciait de plus en plus l'inattendu et affrontait les mauvaises surprises avec un peu plus de sérénité. Mais le chemin était long et laborieux et les rechutes n'étaient jamais très loin... Ce matin, elle en avait eu la preuve. Une voiture qui refuse de démarrer. Un garagiste qui accepte de la prendre en urgence mais qui ne peut lui offrir aucune solution de rechange et voilà la demoiselle redevenue simple piétonne. Elle avait essayé de prendre la nouvelle avec philosophie. Un mal pour un bien avait-elle fini par se dire. Elle qui prônait l'écologie et le zéro déchet à tout va, elle n'était pas toujours prise au sérieux avec son imposante Audi... Mais l'idée qu'une voiture vieille de six mois la lâche sans prévenir la laissait un peu amère. La facture risquait d'être salée.

Elle avait pourtant fait bonne figure toute la journée. Parce que c'était désormais son but, ce pour quoi elle se levait tous les matins. Trouver du positif dans chaque journée, aussi merdique soit-elle. Et merdique cette journée l'avait été. Elle s'était pris ensuite pris le bec avec sa mère qui avait encore osé évoquer son malheureux ex-gendre dont elle ne parvenait visiblement pas à faire le deuil. Et Harriet de craquer et de finir par lui raccrocher au nez. Elle connaissait sa mère par cœur, elle savait déjà que cette "erreur" risquait de lui coûter aussi cher que sa voiture. Madame Müller avait la bouderie facile surtout lorsqu'elle se trouvait face à sa fille.

Et c'était une Harriet dépitée qui avait fini par arriver au centre de remise en forme où les mauvaises nouvelles n'avaient eu de cesse de s'accumuler. Elle y avait fait face avec autant de positivisme qu'elle pouvait mais elle sentait son bel état d'esprit fondre comme neige au soleil. La fin de la journée, elle avait cru ne jamais la voir venir mais dès son dernier cours terminé, elle s'empara de son téléphone pour appeler un Uber. Elle voulait rentrer chez elle le plus vite possible, retrouver son chien et son cocon pour ne plus en sortir. Tirer un trait sur cette journée d'enfer et repartir du meilleur pied dès demain.

Elle était descendue dans la rue pour attendre. Et avait attendu. Et attendu. Et attendu encore. Elle était pourtant du genre patiente. Mais sa patience justement avait peut-être trouvé ses limites ce jour-là. Lorsqu'elle sortit son téléphone pour vérifier l'heure, elle prit conscience qu'elle avait effectivement d'une patience exemplaire. Elle attendait depuis de longues minutes et ne voyait personne venir. Force était de constater qu'on l'avait oublié et que son Uber tant attendu ne se montrerait pas. Elle se retint de hurler.  Ferma les yeux une seconde et inspira profondément. Elle devait avoir l'air d'une ahurie mais elle s'en moquait. Cela faisait au bas mot vingt minutes qu'elle poireautait sur ce trottoir. La situation ne pouvait pas être plus ridicule.

Elle se décida donc à reprendre le métro, c'était la solution la moins pénible. Elle se mit donc en route en direction de l'arrêt le plus proche, ruminant cette sale journée qui n'en finissait pas. Et elle n'était pas au bout de ses peines. En face d'elle, une silhouette qu'elle crut reconnaître. Elle mit du temps à réagir. Trop de temps. Car Louise Bodmann venait elle aussi de croiser son regard. Un nouveau fantôme du passé qu'elle aurait bien aimé faire mine d'ignorer. Mais il était trop tard, elle était prise au piège. "Louise ? Salut." La gêne lui nouait la gorge. Si elle avait pu se glisser dans un trou de souris, elle l'aurait fait.

Cette journée merdique semblait bien, bien loin d'arriver à sa fin.