Are you kidding me ?! - Emmerich

La journée avait si bien commencé, pourtant. Peut-être trop bien, d'ailleurs.
Ce matin-là, Ida s'était rendue en cours, comme tous les matins de la semaine. La veille, Gabi lui avait envoyé un texto pour qu'elles se voient après les cours. Ida en avait souri. Gabi, sa meilleure amie, comment pouvait-elle lui refuser quoi que ce soit ? Ida lui avait répondu par l'affirmative. Qu'avait-elle a lui dire ? L'impatience lui avait kidnappé son sommeil, et l'insomnie ne l'avait quitté qu'à l'aube. Ainsi, elle avait ressassé mille et une pensées sur la requête de Gabi. Si ça avait été urgent, Gabi serait venue chez elle, malgré l'heure tardive. Ce devait être une nouvelle assez importante, mais qui ne requerrait pas d'être dite sur l'instant. Une seule possibilité s'ouvrait à elle : Hänsel. Il était forcément question du copain de Gabi. L'avaient-ils fait ? L'amour.

La journée avait traînée en longueur, exaspérant au plus haut point Ida. Bien que fatiguée, la blondinette était remontée comme une pendule et ne cessait de bouger sur place, impatiente. La cloche avait enfin sonné la fin des cours. Avant même que ses camarades ne commencent à ranger leurs affaires, Ida s'était précipitée hors de la classe, direction le point de rendez-vous.

À cet instant, la journée avait basculée.

La conversation entre les deux amies ne s'était pas passée comme Ida l'escomptait. Loin de parler d'Hänsel, il avait été question d'elle-même. D'Ida et de sa « maladie ». Anorexie, mot qui ferait pâlir bien des gens autour de la jeune femme. Anorexie, mot qu'elle ne veut admettre. Maladie qu'elle se refuse à voir. Aveugle et obtus qu'elle est. Mais voilà, Gabi savait. Sa meilleure amie, sa confidente, celle qu'elle considérait comme une sœur, était au courant de ce qui n'allait pas chez Ida. Jusqu'ici, malgré les rendez-vous à l’hôpital et les remontrances de sa mère, Gabi ignorait de quoi il retournait. Désormais, elle était dans la confidence et ça n'était pas Ida qui le lui avait dit. La trahison avait été des plus odieuses. Il était loin, le temps où Ida pouvait avoir confiance en lui : Emmerich. Ce dernier avait osé tout révéler à Gabi. Enfin, par le « tout », il était surtout question de mensonges. En gros, il avait dévoilé à Gabi, parce que cette dernière s'inquiétait pour Ida, que sa jeune sœur était anorexique depuis un moment. Que. Des. Mensonges. Il avait omis de lui dire que ce n'était qu'une pure invention de sa mère. Et quand bien même tout était vrai, Ida avait confiance en lui. Une confiance aveugle. Il était de son côté, comme elle était du sien, c'était un pacte inavoué, mais pacte quand même.

La conversation terminée, Ida avait pris la route de la maison. Plus elle avançait et plus la colère montait. Comme Em' avait-il pu ? Quel mal lui avait-il pris pour ainsi trahir sa confiance ?! S'il la pensait réellement malade, pourquoi ne le lui avait-il pas dit ? Pourquoi avait-il fait semblant d'être de son côté ? Pourquoi... Plus les questions s'entassaient dans sa tête et plus l'envie irrésistible de commettre un meurtre s'imposait à elle. Ses pas, trahissant ses pensées l'avaient menés devant l'immeuble où habitait son aîné. Le cœur vrombissant dans sa poitrine, elle avait franchi la porte et, prenant les escaliers, grimpa jusqu'à l'appartement d'Emmerich. Rougie par l'effort – mais surtout par la colère – elle s'arrêta un instant sur le seuil. Avait-elle le droit de s'imposer de la sorte à son frère ? Avait-elle réellement le droit de lui en vouloir ? La réponse s'imposa en elle. Oui, elle avait le droit. Il était de son côté. Gabi était SON amie. C'était SES problèmes. Pas ceux d'Emmerich. Ça ne regardait qu'elle d'en parler. Rien qu'elle. Personne d'autre et encore moins son frère !
Elle toqua donc à la porte, un brin insistant, jusqu'à ce qu'elle s'ouvre et qu'Emmerich – dixit le menteur hypocrite – apparaisse devant elle.

« Comment oses-tu?! » exécra-t-elle avec force. « Comment oses-tu te dire de MON côté, quand tu oses révéler des obscénités à mon sujet ? » continua-t-elle, la colère grandissante. Ida resta plantée sur le perron, interdite à entrer chez ce traître qu'elle aimait tant. Elle lui en voulait. Énormément. Elle l'aimait. À jamais.

La porte tardait à s'ouvrir. Que pouvait bien faire son frère pour mettre autant de temps à ouvrir cette satanée porte marron ?! Normale par sa taille, Ida n'avait pas l'impression qu'elle requerrait une compétence particulière. Bien au contraire même. L'idée qu'il n'était possiblement pas présent chez lui à cette heure-ci - eusse-t-elle était tardive - 19 heures, quand même ! Il devait être chez lui. Ou à traîner, pensa-t-elle. Elle tambourina une dernière fois, espérant à la fois que son aîné soit là, et qu'il ne le soit pas. La jeune femme était si remontée et si en pétard, qu'elle doutait avoir une conversation constructive et posée. À tête reposée, ce serait sûrement pour le mieux... Et en même temps, elle avait tellement besoin de cracher ce qu'elle avait sur le cœur. Tout cet amas de colère, de non-dits et de regrets la hantaient. Elle commençait à perdre pieds et avait besoin d'avoir en face d'elle quelqu'un sur lequel crier. Cette personne était Emmerich.

Malgré sa colère, Ida resta ahurie face à l'Emmerich qu'elle avait en face d'elle. Il était tellement... déphasé ? La blondinette ne saurait mettre le mot dessus avec exactitude, mais tout dans l'attitude de son aîné lui criait qu'il n'était pas lui-même. La blondinette connaissait les antécédents de son frère. Un brin fêtard, il avait tendance à passer ses soirées - ses nuits plutôt - dans des partys les unes plus déjantées que les autres. Elle connaissait également sa meilleure amie, et même si elle ne lui avait jamais avoué fumer des joints, elle n'ignorait pas la décadence qu'elle entretenait plus les nuits passaient. Et Gabi étant assez souvent aux mêmes soirées qu'Em', en faisant l'addition on arrivait à cette conclusion : Em' se droguait.

Bien qu'imparfaite, Ida désapprouvait ce comportement, qu'elle jugeait enfantin et dégradant pour la personne. Fumer un joint occasionnellement, parce que l'envie de s'évader, pourquoi pas. Par contre, en fumer à chaque occasion qui se présentait devenait sérieusement dangereux. Elle avait déjà fait part de son assentiment à Gabi. À Emmerich, elle n'avait pas encore eu l'occasion... Voilà qu'elle se présentait !

« - Attends, de quoi tu parles là ? »

Avec un certain recul, elle s'était arrêtée de déverser sa colère contre son frangin, jusqu'à ce qu'une porte s'ouvre et qu'un vieil homme tout décrépi avise un regard en leur direction. "Non mais de quoi je me mêle !?" lança Ida au curieux, reprenant conscience de son énervement. "Et toi, là ! Tu vas vite fait bien fait comprendre de quoi je parle !" rétorqua-t-elle à son aîné avec verve. Il se fichait d'elle ou quoi ? Comme s'il ne savait pas de quoi elle parlait ?! Pour qui il la prenait ?

« - Allez rentre qu'on puisse parler tranquillement. »

Indécise, Ida scruta l'intérieur de chez son frère avant de jeter un regard vers le vieux qui semblait suivre LE feuilleton de la journée le plus animé. La décision fut vite prise. Sans un regard vers son frère qui s'effaça pour la laisser entrer, Ida s'engouffra dans l'appartement.

Elle jeta son sac et son manteau dans le canapé et, se tournant vers son frère qui venait de refermer la porte, elle se lança.

"C'est joli." acquiesça-t-elle. Bon ok, ce n'était pas vraiment le sujet de sa visite mais, n'ayant encore jamais mis les pieds dans la nouvelle maison d'Emmerich, Ida n'avait pas d'autre choix que de faire face aux formalités. Et puis, c'était réellement joli. Pas forcément très décoré, un peu vieillot, certes. Mais Ida ressentait qu'Emmerich accueillait cet appartement comme une nouvelle étape à sa vie. Un nouveau départ. Après Kathryn.

La jeune femme se renfrogna en pensant qu'ainsi, son frère l'avait lâchement abandonné aux mains de leur mère. Elle lui en voulait aussi pour ça, un peu. Elle savait comment l'entente entre les deux était terrible. Ça avait toujours été un véritable bras de fer, à celui qui lâcherait le premier. Em', d'une certaine façon avait gagné. Il avait recouvré sa liberté, loin très loin de la cage dorée dans laquelle Kathryn le choyait. Mais voilà, il n'était pas seul. Il ne l'avait jamais été. Il savait qu'il pouvait compter sur sa sœur. Cette dernière lui avait promis être toujours présente à ses côtés, de l'épauler envers et contre tous, même contre sa mère. Cette promesse, vieille de cinq ans tenait toujours. À vrai dire, elle était éternelle. À la vie, à la mort et Em’ devait le savoir. Elle-même avait des différents avec cette dernière, pour autant, jamais elle n'aurait envisagé s'enfuir de la sorte et laisser son frère derrière elle. Peut-être parce que d'une part, elle n'avait que dix-sept ans. Peut-être aussi parce qu'elle ne possédait pas la témérité et le courage dont faisait preuve Emmerich.

"Bref. Je ne suis pas venue pour ça." trancha-t-elle. Elle croisa le regard de son frère qui faillit la faire changer d'avis. Devait-elle être aussi fâchée face à son frère qui semblait ailleurs ? Après tout, le destin en avait décidé ainsi : il avait ouvert la porte. Verrouillant ses yeux azurs dans ceux d'Emmerich, les pieds bien ancrés au sol, elle déversa ce qu'elle avait sur le cœur.

"Gabi m'a dit que tu lui as dit." Simple. Accroche parfaite. Compréhension des plus faciles. Ida n'avait pas besoin de fournir plus d'éléments. Elle était certaine qu'à cet instant les méninges de son frère s'activaient et lui donnaient la réponse de la raison de sa présence en ces lieux. Terriblement en colère, impérieuse et légèrement trahie. "Cela dit..." reprit-elle, se dirigeant vers le coin cuisine où elle récupéra un verre posé sur l'évier qu'elle remplit d'eau. "...Tu vas boire ce verre afin de t'éclaircir les idées, et..." Elle lui tendit le verre en question. "...tu vas m'expliquer ce qu'il t'es passé par la tête de lui avouer ce mensonge éhonté de notre très chère mère." Ida avait ponctuée la fin de sa phrase de toute l'ironie la plus méprisante qu'elle avait en stock. Emmerich, même vaseux comme il était, comprendrait parfaitement où elle voulait en venir. Elle était remontée. Très remontée. Certes, elle avait parlé posément comparé à ses premières tirades, mais elle ne tolérait pas que son frère soit dans l'incapacité de lui répondre à cause d'un foutu joint !

Sa colère ne se désemplissait pas. Ida avait la rage. Rage contre son frère qui devait être son soutien. Celui sur qui elle aurait du pouvoir compter quoi qu'il arrive. Celui en qui elle avait une confiance aveugle. Confiance qui venait à nouveau de s'effriter, comme s'il existait une sorte de tourbillon qui faisait que tous les cinq ans, Emmerich lui rappelait qu'il n'était qu'un homme. Imparfait. Émotionnel. Alors, quand elle lui tendit ce verre d'eau, c'est avec une certaine autorité. Il n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas le refuser et surtout, il ne le devait pas. La bascule entre la rage et la haine était bien trop fine pour se le permettre. Et puis, l'état de son frère, amorphe, l'oblige d'une certaine façon à s'exécuter. Petit enfant à l'esprit obscurci par la drogue. D'ailleurs, son aîné la devança en allant se vautrer dans le fauteuil le plus proche de sa position. Ça voulait tout dire. En un seul geste, son frère venait de confirmer ses craintes. Il était à l'ouest, non pas parce qu'il ne savait pas où voulait en venir sa cadette, mais parce qu'il était perché à 10 000 lieux d'ici !

Ida le laissa boire son verre d'eau, espérant qu'il récupérerait assez rapidement. Elle avait besoin d'un Em' présent, conscient et surtout qui réponde à ses questionnements ! Elle avait besoin d'une personne en qui rejeter la faute et non pas ce tas de chiffons à la forme humanoïde qui se dressait sur le fauteuil, avachi. Comme si l'eau lui permettait de recouvrer ses esprits, Em' eut cette lueur dans les yeux de compréhension qui tira un sourire amer à sa sœur. Il l'avait bien fait. Il avait tout dit à Gabi et il s'en rappelait ! Ce n'avait donc pas été dit sous l'emprise d'alcools ou de stupéfiants. Ida avait, d'une certaine façon, espérait que son frère ait pu se mettre du côté de sa mère inconsciemment. Après tout, avec une goutte de trop d'un bon rhum combinée à une petite fumette dans un espace bien trop peu aéré et le mal aurait pu être fait ! Mais là. Là, il semblait que son frère l'ai fait de son propre jugement. En tout état de cause. Comme si trahir sa jeune sœur n'avait que peu d'importance.

La jeune femme braqua son regard outragé vers son frère. Elle le fusilla des yeux lorsqu'il s'arrêta après un tout petit "J'ai..." dont il peinait à donner la suite. Alors, impatiente et la rage toujours plus attisée, elle le devança : "Tu as quoi." Simple. Net. précis. La question n'en était pas une.  C'était une invective, un ordre. Ida venait d'ouvrir un tribunal où Em' était le coupable et elle, victime, juge et bourreau.

"Ida, je suis désolé."

Le regard fuyant de son frère ne fit qu'augmenter sa colère pour son frère. Il était désolé ? Désolé ?! Seulement désolé ? Il s'autorisait le pardon, sans même le demander à sa sœur ?! Ida avait toujours vu une différence entre demander pardon, et s'excuser. Le je suis désolé était bien trop impersonnel. Tout le monde pouvait le dire pour n'importe quoi. "Je suis désolé d'être en retard, désolé de t'avoir embrassé, désolé d'être moi." Mais en aucun cas, ça n'était une demande de pardon. Derrière il y avait toujours un "mais". Ce terrible "mais" qui efface d'un coup de balayette les premiers mots pour donner poids et force à la suite. "Je suis désolé d'être en retard mais mon réveil n'a pas sonné. Je suis désolé de t'avoir embrassé mais je recommencerai bien. Je suis désolé d'être moi mais tu m'aimes, non ?" C'était comme le "Je suis désolé." dont Em' venait de la gratifier. "Je suis désolé de t'avoir trahis mais c'était pour ton bien." en gros. Alors que le pardon... Le pardon était différent. Il était fort et surtout exclusif. Il n'y avait pas de "mais" qui le suivait, mais l’abnégation. "Pardonne-moi." était vrai. C'était une réelle demande envers l'autre. Une façon de se donner entièrement à la décision de la personne envers qui l'on venait de faire du mal. On se soumettait à cette décision, quelle qu'elle soit.

Ida tenta de croiser le regard de son frère qui la fuyait. Il avait réellement l'air d'être hagard et de ne pas être bien. SI Ida n'avait pas été aussi remontée, elle l'aurait sûrement aidé. Elle  aurait été là pour lui. Pour qu'il s'en sorte. Pour qu'il fasse surface et ne plonge pas plus vers les ténèbres qui l'happait plus en plus. Oui, son frère s'enfonçait dans un terrible tourbillon de drogues et d'alcool. Il souffrait. Et pourtant, Ida n'en avait cure.

"J'ai... J'ai pas réfléchi vraiment. Gabi était inquiète et moi aussi ... Et on avait fumé..."

La phrase de trop. Celle qui fait basculer une discussion en apocalypse. Em' venait de la lui offrir sur un plateau argenté qui allait exploser pour se crasher en plein dans son joli petit minois.

"Bien sûr que tu n'as pas réfléchi !" Railla-t-elle. "'Faut être vraiment con pour débiter des conneries pareilles à MA meilleure amie." Ida insista sur l'adjectif possessif. C'était son amie. En aucun cas il n'avait le droit de livrer de pareilles absurdités à SON amie ! "Et en plus de ça, tu l’entraînes dans tes conneries ! Bravo, tu peux être fier de toi." Cracha-t-elle avec une pointe de déception dans la voix.

Ida savait qu'elle était injuste. Gabi était assez grande pour ne pas se laisser entraîner dans l'alcool et la drogue. Et puis, elle ne la connaissait que trop bien et même si Gabi ne lui avait réellement jamais avoué fumer en soirée, Ida le savait. Gabi était ainsi : autodestructrice. Elle avait tout pour elle : un corps parfait, un esprit brillant, une famille certes chaotique mais un petit ami qui l'aimait. Et elle, elle peinait à voir ce qu'elle avait. Qu'elle comptait pour beaucoup et se faire du mal de la sorte n'était pas la solution. Mais elle avait besoin de décharger cette haine qui l'enveloppait de plus en plus. Elle avait besoin de trouver un responsable pour tous les maux de la Terre. Ce soir, ce serait Em'.

Son frère qui avait également besoin d'une main salvatrice. Ce frère qu'elle chérissait plus que tout, pour qui elle donnerait sa vie. Ce frère qui était pâle comme un linge, bien que dégoulinant de sueur.

"P'tain, il fait chaud !" s'exclama-t-il. Ida, bien trop furieuse pour répondre à cette cocasse phrase qui n'avait nullement sa place dans ce tribunal, le regarda renverser le verre d'eau en le posant. Elle le fixa dans sa tentative d'enlever son sweat. Tentative désastreuse qui la propulsa hors de sa léthargie.

"Tu m'soules sérieux !" s’oupira la jeune fille tout en se rapprochant de son aîné. Elle prit ses mains et l'obligea à se lever de ce foutu fauteuil. C'était un poids mort. Un poids mort qui tanguait de droite à gauche. Ida mit son bras gauche derrière sa nuque et de son bras droit, aida son frère à avancer. Direction la salle d'eau ! "Une douche froide devrait te faire le plus grand bien." dit-elle, avançant un pas après l'autre, tout en soutenant son frère, vers la salle de bain. "J'ai besoin d'un frère capable de parler. Pas d'un drogué amorphe !"

Ida s'affairait à s'occuper de son frère. Même si c'était lui l'aîné, elle ne pouvait véritablement le laisser ainsi, à côté de ses pompes. La jeune femme détestait le voir ainsi, pas que ce soit quelque chose de régulier mais disons qu'entre les nombreuses fois où il était revenu avec la gueule défoncée sans aucune explication à donner et ça, elle avait mal pour lui. Oui, voilà. Ça se résumait à ça : elle détestait le voir ainsi, aussi perdu et à tel point qu'il s'en réduisait à se faire du mal. Toujours plus. Comme si sa vie n'avait aucune valeur. Comme s'il remettait en doute toute son existence et ce qui faisait de lui un être exceptionnel. Parce que c'en était un, un être d'exception. En plus d'être un frère parfait, qui a su être là pour sa jeune sœur, qui est d'ailleurs toujours présent à la moindre broutille, il est également intelligent, drôle et brillant. Il l'ignorais sûrement, sa sœur n'étant pas des plus démonstrative, mais il était son modèle. Son rock. Son tout.

Emmerich était plutôt coopératif ce qui facilita la tâche ardue que de mettre un mec plus grand qu'elle et surtout plus lourd dans une baignoire à l'autre bout de la pièce. Même s'il semblait ne pas savoir ce qu'il se passait, il ne broncha pas. Apparemment il était mal installé et se redressa. C'est là que le drame survint. Son coude heurta malencontreusement le robinet d'eau et l'ouvrit à pleine volée.

Emmerich étant allongé de tout son long - seules ses jambes sortaient de la baignoire - il fut trempé en peu de temps. Un putain sorti de ses lèvres tandis qu'il commença à se débattre. Ida voulut éteindre le débit d'eau, en vain tellement son frère gigotait en tout les sens. « Laisse-toi faire ! » râla la jeune femme tandis qu'elle essayait de bloquer les gesticulations de son aîné en le plaçant avec sa main gauche. De la droite elle s'étirant de tout son long pour atteindre le robinet et le fermer.

« Arrête-moi ça ! » gronda Em' tandis que de ses gesticulations il augmentait le début d'eau en le tournant vers l'eau glacée. C'en fut trop pour Ida. Elle arrêta de se débattre avec son frère, elle aussi désormais trempée et répliqua avec colère : « C'est ce que j'essaie de faire, je te signal ! Si monsieur voulait bien arrêter de faire l'enfant capricieux, il aurait eu de l'eau chaude plutôt que de l'eau gelée à faire réveiller les morts ! »

Oui, Ida était agacée. Énervée parce qu'elle était celle qui devrait être réconfortée, elle qui devait avoir des explications, elle qui devait être le centre du monde ce soir ! 
« P'tain ! » s'exclama son frangin, sa tête basculée en arrière, les yeux clos.
Ida prit un air contrit, s'avança à nouveau vers le mitigeur et bascula l'eau froide vers l'eau chaude, sa main gauche sous le jet afin d'être certaine de ne pas l'ébouillanter après avoir essayé de le congeler.

« Au moins, maintenant, tu es peut-être suffisant réveillé pour tout m'expliquer ! » railla Ida tout en stoppant l'eau une fois que son aîné ne tremblait plus. « Faut que t'arrêtes ces conneries, Em'. » dit simplement la jeune femme, tout en dépliant une serviette bleue sur la tête de son frère. « Tu vas finir par te bousiller, t'sais ?! » Ida était bien plus inquiète qu'elle ne le laissait paraître. Elle avait cette peur au ventre, qu'il ne fasse quelque chose qu'il regretterait plus tard. Il ne pouvait pas continuer à se détruire ainsi. Il était bien trop précieux et important pour tout un tas de gens ! Ida essuie les cheveux de son aîné avant de finalement s'asseoir à même le sol carreler et de s'essuyer également. Ses longues mèches blondes lui barrent le front, tandis que des gouttes perlent sur ses habits. Ne parlons pas de son pull et de son pantalon complètement mouillé !

« Tu m'expliques ? » demanda la jeune femme, un brin plus douce qu'à son entrée tonitruante dans l'appartement de son frère.