Are we not like two volumes of one book ? ♦ ft Valoel

Hilde et Markus s'étaient ligués contre lui ces derniers jours pour le faire sortir et l'obliger à se changer les idées. Theo avait fini par péter un câble à force d'être surveillé comme un gamin de cinq ans. Non, il n'avait pas besoin d'aide ! Non il n'était pas déprimé ! Il était juste en train de bloquer sur un scénario. Il n'arrivait pas à trouver l'inspiration, l'idée transcendante qui l'exciterait au point d'y penser jour et nuit. Là, il était juste en proie à un vide total. Du moins, c'était le sentiment qui le hantait lorsqu'il se retrouvait seul chez lui devant les feuilles blanches qu'il avait sorties. Il avait fini par en jeter une chez sa voisine du dessus -prouesse qu'il avait mis du temps avant de maîtriser totalement- pour voir si elle pouvait lui redonner un petit coup de boost. Mais elle l'avait juste renvoyé sans un mot. Visiblement elle avait fini par céder à la fatigue. Cela faisait plusieurs jours qu'il ne l'avait pas entendu hurler ou s'énerver contre ses cours. C'était presque dérangeant quand c'était trop calme.

Un clope au bec et son manteau sur les épaules, Theo céda à la dernière once d'impulsion qui lui restait. Il était temps d'aller dans un bar et de trouver une charmante compagnie qui allait lui faire oublier tous ses problèmes du moment. Et puis avec un peu de chances, il allait avoir un regain d'inspiration. Le metteur en scène utilisait souvent le sexe ou toute activité qui lui donnait un pic d'adrénaline pour activer ses neurones et sentir les idées affluer brusquement. C'était une technique qui marchait bien avec lui, du moins quand il était bien dans sa peau. Dès que les idées noires s'installaient c'était fini, il se laissait sombrer doucement mais surement jusqu'à ce que ses proches interviennent. Mais là, il avait déjà sombré et sa soeur et son patron l'avait sorti de là en lui donnant quelques coups de pied aux fesses subtilement.

La soirée avait été des plus prometteuses. Theo avait bien accroché avec un certain Valoel. Il était plus vieux que lui mais pour un coup d'un soir, il n'allait pas s'en formaliser. Au contraire, un homme d'expérience et qui cherchait comme lui une compagnie éphémère ça ne se refusait pas. Ils avaient donc rapidement fini chez l'enseignant pour avoir plus d'intimité jusqu'au moment où son compagnon s'était endormi, épuisé par leurs ébats. Theo avait compris qu'il était temps pour lui de s'enfuir, de disparaître comme il savait si bien le faire. Il n'aimait pas s'éterniser pour plusieurs raisons. La première, il ne voyait pas l'intérêt d'échanger avec quelqu'un qu'il ne comptait pas revoir. La seconde était qu'il avait toujours une tonne d'idées qui fourmillaient dans sa tête après une bonne séance au lit. Et pour finir, il ne supportait pas dormir collé à quelqu'un, il préférait retrouver son petit confort avec son traversin et sa musique. C'était aussi pour ça qu'il ne laissait jamais venir les gens chez lui. Mais aussi parce que c'était souvent un bazar sans nom dans son appartement... Ce n'était pas sa soeur qui dirait le contraire.

Pourtant à cet instant, Theo sentit qu'il ne pourrait pas se lever, quitter l'appartement discrètement, pour retourner chez lui. Il avait le coeur qui se serrait rien que d'imaginer ses pages blanches qui l'attendaient sagement sur la table du salon, sur son lit ou sur le sol. Il avait fini par en mettre partout. C'était peut-être pour ça qu'il avait fini par fuir son appartement. Tout lui rappelait ce manque d'inspiration et les appels de l'auteur qui voulait en savoir plus sur l'avancée de Theo. Mais que pouvait-il lui dire ? Rien. Il n'avait rien à lui donner pour satisfaire sa curiosité. Il n'avait pas trouvé la moindre idée potable. De toute façon, il ne se contentait jamais du potable. Il fallait que ce soit parfait ! Sinon ce n'était même pas la peine d'y penser.

Le jeune homme poussa un long soupir alors qu'il était assis au bord du lit, la tête dans ses mains. Il les laissa glisser le long de ses joues jusqu'à les faire tomber mollement sur ses cuisses. Il n'avait même pas envie de ramasser ses affaires éparpillées dans la chambre. Il avait presque envie de retourner sous la couette se blottir contre l'homme qui avait partagé son intimité pendant quelques heures. Il ne savait strictement rien de cet inconnu et il ne comptait pas se mêler plus à sa vie. Du moins en dehors de ce qu'il pouvait découvrir en observant ce qui l'entourait. L'obscurité ambiante l'empêchait de distinguer correctement la pièce mais Theo se souvenait de la lumière des aquariums dans le salon. Il se leva, enfila un boxer avant de se diriger dans la pièce d'à côté. Il ne pouvait pas dormir. Pas maintenant. Il se laissa donc hypnotiser quelques instants par les poissons et les décorations de chaque habitat. Il n'avait jamais senti une attirance pour ces animaux en dehors de ses virées à l'aquarium. Il ne savait pas pourquoi mais les lieux avaient un effet apaisant sur lui. Et petit à petit, il se sentit de plus en plus détendu retrouvant un tant soit peu l'ambiance d'un aquarium, jusqu'à se laisser sombrer dans les bras de Morphée, à moitié affalé sur le canapé.

Une fois le sommeil trouvé, Theo ne se réveilla que lorsque le matin pointa le bout de son nez à travers les fenêtres. Il entendait du mouvement au loin, encore à moitié endormi. Il attendit quelques minutes le temps de bien émerger avant de lâcher un léger grognement et de se redresser. Il comprit immédiatement qu'il n'était pas dans son lit. Il n'avait pas sa couette ni son traversin, juste une couverture qui avait partiellement glissée. Elle ne couvrait plus que son ventre et ses épaules. Enfin maintenant elle était sur ses cuisses puisqu'il s'était redressé, confus. Il avait du mal à se rappeler ce qui s'était passé la veille. Ce fut que lorsque Valoel entra dans son champ de vision que les morceaux du puzzle se remirent en place rapidement.

Et merde.

C'était la première fois qu'il ne s'éclipsait pas au milieu de la nuit comme un voleur. Les rares fois où il était resté c'était parce qu'il l'avait fait avec un plan cul régulier. Là, il ne connaissait pas du tout l'homme qui lui faisait face. C'était la première fois qu'ils se croisaient et ça aurait du être la dernière fois. Il regrettait de ne pas avoir quitté les lieux avant de le croiser au réveil. Mais ses regrets n'étaient pas assez forts pour vraiment se maudire. Il ne comprenait vraiment pas son état. Il faisait un blocage et il imposait ça à Valoel qui avait la gentillesse de l'accueillir avec humour et de lui proposer un café.

"- Café, oui", Répondit-il simplement avec une voix encore endormie. Il regarda l'homme faire demi-tour pour retourner dans la cuisine s'occuper du café. Il attendit sagement qu'il disparaisse avant de se laisser retomber sur le canapé en remontant la couverture sur son visage. Il ferma les yeux, roulant sur le ventre, et grogna discrètement, lâchant son fameux "Holly sweet pinata of santa maria". Ensuite il prit un inspiration et se redressa.

Allez Theo, tu peux le faire !, Pensa-t-il en essayant de se ressaisir. Il allait profiter d'une tasse de café pour se remettre d'aplomb et il partirait. Il pouvait le faire. Il allait le faire. Il devait le faire. Plus il regardait la porte, moins il n'y croyait. Il se connaissait assez pour savoir que tant qu'il penserait à son travail, il n'aurait la motivation pour rien du tout. Mais il ne pouvait pas rester ici. Il devait absolument partir. Il pouvait toujours traîner en ville. Il n'était pas obligé de rentrer chez lui travailler, si ?

Cigarette. L'envie de s'en griller une le prit d'un coup et il se leva enfin du canapé où il s'était installé cette nuit, prêt à aller chercher son paquet dans la poche de son manteau. Il se figea en se demandant où il l'avait foutu avant que son regard se pose là où il était couché quelques instants plus tôt. Il n'avait pas souvenir d'avoir pris une couverture. Était-ce Valoel qui l'avait mise sur lui pendant qu'il dormait ? Cet homme était trop bien pour lui. Tout aurait été plus simple s'il était tombé sur un connard de base qui l'aurait foutu à la porte avec un coup de pied au cul dès qu'ils auraient fini leur affaire. Là, à ce rythme, Theo allait finir par s'incruster.

"- Au fait, merci pour la couverture", Lança-t-il finalement en rejoignant Valoel là où il était. Il pouvait lui demander une cigarette mais il avait déjà assez l'impression d'abuser en étant resté.

"- J'ai été hypnotisé par les aquariums. Rassure-moi tu ne les as pas mis là pour kidnapper les gens et les empêcher de partir ?"

L'humour était une bonne façon de cacher ses problèmes. Et puis se changer les idées l'aiderait peut-être à se motiver vraiment pour décoller de chez Valoel. Il devait avoir autre chose à faire que de s'occuper de lui...

Installé à table, Theo n'osa pas trop regarder autour de lui. Il aimait observer ce qui l'entourait pour remarquer les petits détails qui donnaient de la vie aux lieux. Il avait besoin de ça pour ajouter un plus à ses mises en scène. Les spectateurs n'avaient pas conscience de la charge de travail que ça demandait à un metteur en scène mais le moindre détail était calculé au millimètre près. Theo était bien trop passionné pour laisser le hasard choisir pour lui. Mais ce matin il n'était pas en état d'examiner l'appartement de Valoel. Il n'avait pas envie de s'attacher à un souvenir d'une pièce. Il couchait avec quelqu'un, l'oubliait et passait au suivant. C'était tellement plus simple comme ça.

« - T’es pas le premier à me faire la remarque. Mais non, j’ai pas pour habitude de retenir les gens qui ne veulent pas rester de leur plein gré. »

Theo fit une moue presque déçue à la réponse de Valoel. Il jouait le jeu jusqu'au bout. Il était dragueur, plaisantin et un brin excentrique. C'était son personnage depuis des années, un masque qu'il n'avait jamais retiré en public, comme s'il était sur scène sans la moindre entracte. Il ne sentait plus la fatigue peser sur ses épaules, c'était devenu comme une seconde peau pour lui. Il se demandait s'il arriverait à retrouver le vrai Theophilus après tout ce temps à se cacher derrière ce sourire. Même si pour être honnête, il se demandait aussi s'il jouait vraiment. N'était-il pas comme ça en vrai ? C'était une question qui avait souvent hanté ses nuits lorsqu'il était seul et qu'il n'était pas en train d'écrire ses idées sur un carnet.

« - Je suis biologiste marin. »

Theo laissa son regard détailler le mug sous son nez. Il était rose avec des donuts dessus. Il lui faisait penser à celui que son frère avait ramené un jour à la maison. Le metteur en scène s'était amusé à la lui piquer pour l'embêter. Il adorait voir la tête de son cadet lorsqu'il découvrait que son aîné avait bu un chocolat chaud ou un café dedans sans prendre la peine de la nettoyer après. Après tout, il faisait exprès de la laisser traîner pour voir la réaction de son petit-frère. La seule différence avec la tasse de Valoel c'était la couleur. Celle de son frangin était blanche.

« - Oh », Fit-il sans lever le regard, « Et tu fais quoi exactement ? Tu cherches de nouvelles espèces de poissons ? Tu étudies leur comportement ? »

Mauvaise idée, pensa-t-il alors qu'il fait glisser son regard vers la tasse de son amant. Il n'avait pas besoin d'en savoir plus sur lui. C'était de la curiosité pure et simple à cet instant, rien à voir avec son travail. Il n'avait encore jamais eu à travailler sur des pièces avec comme héros un biologiste marin et il y avait peu de chances que ça arrive un jour. Il n'avait donc aucun intérêt à savoir que Valoel semblait aimer les dinosaures ou ce qu'il étudiait en détail. Il avait déjà assez d'information en sachant ce qu'il faisait dans la vie. Surtout que plus il en savait sur les gens plus il finissait par s'attacher, par avoir envie d'en découvrir d'avantage à leur sujet. Mais Valoel était censé être un simple amant d'une nuit rien de plus.

Même s'il était surpris par ses propres questions, Theo ne fit rien pour détourner l'attention. Il laissa donc Valoel y répondre, l'écoutant attentivement. De toute façon le mal était fait, il allait devoir improviser avec. Et puis ça ne voulait pas dire qu'il allait forcément s'attacher à son partenaire, il n'avait jamais été vraiment intéressé par la biologie marine, même s'il appréciait aller à l'aquarium de temps en temps. C'était un peu comme être au fond d'une grande baignoire avec une multitude de poissons autour sauf qu'il devait partager l'espace avec d'autres visiteurs contrairement à sa salle de bain. Autant l'avouer il préférait nettement être dans son bain avec sa musique qu'au milieu d'une foule même si hier il avait apprécié le calme et la vision des aquariums chez Valoel.

« - Wah, tu chômes pas dis donc », Souffla-t-il en buvant une gorgée de son café, « Les élèves sont pas trop chiants ? Quoi que l'université c'est censé être les plus sages normalement. »

Oui normalement, Pensa-t-il en se remémorant quelques soirées étudiantes en compagnie des futurs médecins. Leurs fêtes étaient les pires, ils essayaient de décompresser au maximum, faisant souvent les plus grosses conneries. Mais c'était loin de déplaire à Theo qui adorait tester de nouvelles choses dès qu'il en avait l'occasion. Il avait une liste de plus en plus longue d'idées à réaliser tout au long de sa vie, il savait qu'il aurait du mal à tout éliminer d'ici la fin.

« - Être ou ne pas être, telle est la question. »

Theo avait la mauvaise manie de répondre par des citations des pièces de théâtres, certaines étaient connues comme celle qu'il venait de citer, tandis que d'autres venaient de jeunes auteurs avec qui il avait travaillé. Mais quelle que soit la pièce qu'il choisissait il prenait toujours un grand plaisir à y mettre le ton et les gestes. Sauf peut-être ce matin, il n'était pas encore bien réveillé pour oser se lever de sa chaise pour prendre la pose.

« - Non je ne suis pas acteur, ni un comédien, je ne suis qu'un modeste metteur en scène ! »

Modeste ? Il n'en donnait pas toujours l'impression mais il aimait jouer sur les apparences et avoir l'air qu'il avait entièrement confiance en ses capacités. Ça aidait bien à masquer ses périodes de déprime et les passages à vide qui le hantaient assez régulièrement. Il n'avait pas envie qu'on le force à aller voir un psy pour parler, il refusait d'admettre à quel point il était brisé et surtout qu'il était comme son père, celui qu'il repoussait et détestait pour les avoir abandonné à la mort de sa mère.

« - Mais j'apprécie monter sur scène de temps en temps, c'est assez libérateur et ça permet de voir les limites de son imagination. Ce n'est pas aussi simple que ça de jouer quelqu'un de très différent de sa personnalité. »

Theo avait beau dire ça, il s'en sortait généralement très bien. Après tout, lui même ne savait pas trop qui il était vraiment. Il avait tellement l'habitude de porter un masque qu'il finissait par en oublier sa vraie personnalité, ses peurs et ses doutes.

« - Je t'aurais bien invité à venir me voir mais il me semble qu'on n'est pas amené à nous revoir une fois que j'aurai quitté l'appartement. Enfin sauf si coucher de temps en temps t'intéresse.  »