Let's catch-up | Ft Ludmila

La toute première fois que Paloma avait rencontré Ludmila, elle était bien jeune. Elle avait fait un stage d’été en Allemagne, dans le restaurant où travaillait la jeune femme, juste un peu plus âgée qu’elle. Trois ans d’écart entre les deux femmes, et pourtant, Ludmila était déjà seconde de cuisine. Cela avait donné un certain espoir à Paloma de voir qu’une jeune femme peut aller loin dans un monde qui demeurait encore parfois si masculin. Puis à l’issue de ce stage, elle n’était pas particulièrement revenue au restaurant. Non pas par manque d’envie, mais plutôt par manque de temps. Elle avait ensuite été diplômée et avait rejoint un restaurant étoilé de Berlin, tout ça pour ensuite passer dans un restaurant tout aussi prestigieux d’Hambourg. Paloma avait eu toutes les cartes en main pour devenir une des brillantes cheffes de sa génération. Et pourtant… pourtant la cuisine de palace l’ennuyait, l'étouffait. Elle avait fini par démissionner pour se mettre à son compte comme cheffe privée et flood bloggeuse. Aujourd’hui, elle voyageait régulièrement aux quatre coins du monde pour alimenter son blog qui gagnait en notoriété. Des plateaux de télévisions, à la radio, Paloma construisait son nom. Son fiancé soutenait son rêve, sans vraiment trop le comprendre. Les allusions au fait de “bosser dans un vrai resto” ou “d’ouvrir son propre resto” continuaient de se faire régulières. Mais Paloma le savait, elle n’en avait aucune envie. Elle voulait continuer à vivre des expériences hors normes, à entreprendre des voyages dans les coins les plus reculés pour découvrir cuisines et saveurs inconnues du grand public. Via la notoriété de son blog, on l’avait contactée pour lui proposer de prendre part à un programme éducatif en prison destiné à la réinsertion professionnelle. Deux heures par semaine, pendant 6 mois, à montrer les techniques de cuisine. C’était avec une immense surprise qu’elle y avait recroisé Ludmila, non pas sur le banc des animateurs, mais bien des prisonniers. Les femmes avaient renoué, et Paloma, peu du genre à juger, lui avait finalement laissé ses coordonnées privées. “T’AS FAIS QUOI ?? Mais c’est une taularde !” s’était écrié son fiancé en l’apprenant. Mais Paloma s’en moquait complètement. Peut-être pouvait-on l’appeler naïve, mais elle s’en moquait tout autant. Les préjugés n’étaient pas son genre et elle n’allait pas s’arrêter à ceux de Max.

Et puis Ludmila était sortie de prison et les deux femmes avaient repris contact. Sans attendre, Paloma avait décidé d’organiser un rendez-vous pour rattraper le temps perdu et surtout, offrir son aide. Ludmila était trop talentueuse pour que son talent soit gâché par la prison. Au début, elle avait voulu l’inviter chez elle, mais Max avait refusé par méfiance, conduisant à une énième dispute du couple, mais ça, c’était une autre affaire. Alors, Paloma l’avait convié à La Bodega. Elle avait toujours apprécié ce bar à tapas. Ses origines cubaines se sentaient toujours chez elle là-bas. Elle avait alors donné l’adresse et convié pour 19h, où elle avait réservé une table pour être sûre d’avoir au moins un endroit où s’asseoir.

Elle était arrivée relativement à l’heure, même si elle n’avait jamais été la personne la plus ponctuelle du monde. Elle ôta son manteau qu’elle posa sur le dossier de la chaise et remit un peu d’ordre dans ses boucles brunes. Elle était habillée plutôt simplement, un jean, un chemisier blanc et une paire de bottine à talons. À vrai dire, en 15 ans, elle n’avait pas vraiment changé, hormis les ravages naturels de l’âge. Finalement, elle vit Ludmila entrer dans le restaurant et se leva pour lui faire signe.

– Ludmila ! salua-t-elle avec joie en voyant la femme arriver. Par ici !

Elle sourit, un sourire sincère et rempli de joie faisant pétiller ses iris aux reflets verts, ouvrant déjà ses bras pour une étreinte chaleureuse et amicale.

– Je suis contente que tu aies pu venir.

Voir Ludmila pour la première fois depuis sa sortie de prison était plaisant. Voir la rouquine en uniforme de prison avait été un sacré crève-cœur pour la Cubaine. Si elle ignorait les raisons qui avaient conduit Ludmila dans un centre correctionnel, elle ne cherchait pas non plus à les connaître. Ça ne la regardait pas. Ludmila avait été en prison pour une bonne raison aux yeux de la justice. Une justice qui avait décidé de la relâcher. Alors qui Paloma serait-elle pour juger quoi que ce soit ? De nouveau : ça ne la regardait pas. Alors, elle était sincèrement heureuse de revoir Ludmila et le ressenti semblait réciproque.

– Tant mieux alors ! répondit-elle avec un sourire.

La Cubaine se rassit à sa chaise, invitant de ce fait son interlocutrice à en faire de même. Il fallait bien l’admettre, ce lieu était bien plus plaisant que la cuisine de prison où Paloma avait donné un peu de son temps pour former des détenus à la cuisine. Mais soit !

Mais à peine se furent-elles assises qu’un serveur approcha, demandant de passer commande. Si Paloma demanda un mojito pour sa part, elle laissa bien entendu Ludmila choisir sa boisson. La Cubaine suggéra quelques tapas qu’elle appréciait tout particulièrement puis, une fois boissons et mets commandés, le serveur s’éloigna, laissant les deux femmes de nouveau entre elles. Paloma reporta donc son attention sur la jolie rousse.

– Du coup… comment tu vas ? Je veux dire… tu es sortie y a peu, ça doit faire du bien. Mais ça doit faire bizarre, nan ?... demanda-t-elle avec une légèrement mimique quelque peu gênée. Elle secoua légèrement la tête, déplorant son terrible manque de tact en la matière. Était-ce même une question qui se posait ? Elle reprit donc la parole sans tarder de plus : Désolée, je ne veux pas être indiscrète. Juste… je ne sais pas trop si tu veux en parler ou non. J’imagine juste que ça doit demander pas mal d’adaptation quand même.

Elle haussa doucement les épaules. Elle, elle se fichait bien que Ludmila soit allée en prison. Elle se souciait juste que cela devait faire bizarre de passer d’un mode de vie ultra encadré à la liberté. Néanmoins, elle se doutait bien que tout le monde n’avait pas forcément son point de vue… Les gens avaient probablement bien plus une réaction similaire à celle de Max… et c’était bien dommage.

– Je suis contente que tu aies pu venir.