Ralph • Frayeur nocturne

Delila se tient à l'entrée du Marché de Nuit de Saint-Pauli, scrutant les lumières chatoyantes et les ombres mouvantes qui s'agitent devant elle. Les odeurs délicieuses en provenance des stands de nourriture fusionnent dans l'air nocturne, faisant grogner son estomac, mais elle ne l'écoute pas, surveillant toujours son alimentation de manière très étroite.

Elle a entendu parler des performances de rue qui animent le marché nocturne et, si elle est venue y faire un tour, c'est dans l'espoir d'y puiser l'inspiration pour de prochains numéros qu'ils pourraient réaliser, avec son partenaire et ami. Au milieu de cette atmosphère électrisante, elle espère bien atteindre son but.

Déambulant parmi les stands colorés, elle observe les artisans locaux exhibant leurs créations, les musiciens de rue jouant des mélodies enjouées, et les badauds qui semblent vivre l'instant présent avec une aisance déconcertante. Malgré sa nervosité, celle-là même qu'elle ressent toujours lorsqu'elle est au milieu de la foule, se méfiant par expérience des inconnus, Delila est fascinée par la diversité du marché et l'énergie électrique qui y règne.

C'est alors qu'elle remarque un homme mystérieux, debout à l'écart de la foule, les yeux rivés sur elle. Son visage est en grande partie dissimulé sous une écharpe et un chapeau, ce qui ne fait que renforcer son air énigmatique. Elle se sent mal à l'aise face à ce regard scrutateur et détourne le sien.

Pourtant, après quelques minutes, elle se sent toujours observée. Le regard de l'inconnu ne la quitte pas. Sa méfiance naturelle, déjà en alerte, se décuple et Delila décide de s'éloigner, s'enfonçant dans la foule, l'air paniqué. S'approchant d'un trio qui semble engagé dans une conversation animée, elle les interrompt.

"- Bonsoir, ça fait longtemps ! Vous allez bien ?" lance-t-elle, essayant de paraître détendue face aux trois paires d'yeux surpris, jetant un coup d'œil par-dessus son épaule.

Ce qu'elle fait est risqué, elle le sait, et elle pourrait tout aussi bien se précipiter dans la gueule du loup, entre les pattes d'un groupe tout aussi problématique que l'homme qui la suit. Elle en a parfaitement conscience alors qu'elle est du genre à ne pas vraiment faire confiance aux gens. Elle a beaucoup de mal avec ça, probablement parce que ses propres parents n'ont jamais été très tendres avec elle, parce que son enfance n'a pas été facile, parce qu'elle a appris très tôt qu'on ne peut compter dans la vie que sur soi-même. Que même les personnes qui sont supposées nous protéger envers et contre tout peuvent être nos bourreaux.

Heureusement pour elle, alors qu'elle rejoint un groupe d'inconnus, qu'elle fait comme si elle les connaissait, les jeunes hommes semblent comprendre le problème et jouent le jeu, alors, l'un d'eux passant une main sur son épaule en affirmant haut et fort qu'elle est en retard et qu'ils ont commandé leurs crêpes sans elle. Et un second embraye en affirmant qu'ils vont lui en chercher une. Et elle grimace quelque peu. Manger une crêpe ce n'est pas son genre, c'est trop gras, trop sucré, trop de calories. Pourtant, elle n'a pas vraiment d'autre choix que de les suivre dans ce subterfuge au moins le temps de semer l'homme qui la suivait jusque là. Elle peut aller la commander, rien ne l'oblige à la manger. Ils lui offrent une aide salutaire en ces circonstances, aussi ne reprochera-t-elle pas le procédé, se contentant de les suivre comme ils l'escortent dans le marché.

Ils se resserrent autour d'elle comme une armure et, finalement, celui qui avait passé sa main sur son épaule un peu plus tôt, le premier qui était entré dans son jeu, qui avait fait mine de la connaître, scrute les alentours, lui demandant finalement si elle va bien et si elle sait qui était cet homme qui la suivait. Elle secoue la tête, lui offrant une réponse négative, jetant elle-même un coup d'œil aux alentours.

"- Pas du tout je...  je profitais du marché quand je l'ai vu qui m'observait. J'ai continué à regarder les étals et puis, cinq minutes plus tard, il était toujours là, comme s'il me suivait alors... C'est là que je suis venu. Merci à vous d'avoir joué le jeu..."

Et merci à leurs parents d'avoir probablement fait du bon travail dans l'éducation de ces garçons.