Vickner • Touch me with a kiss, feel me on your lips, because this is where I wanna be

"- T'es sûr, tu viens pas ?"

La jeune femme a déjà posé cette question deux fois depuis le matin et recommence encore, les mains sur les hanches, en scrutant son colocataire comme ce dernier est avachi dans le canapé du loft, une pile de dossiers tout autour de lui et sur ses cuisses. Il semble évident qu'il ne peut effectivement pas se rendre à la fête à laquelle ils avaient prévu de se rendre ce soir, au vu de la montagne de travail qu'il semble avoir, mais Victoria préfère s'en assurer avant de partir sans lui. Qu'il ne regrette pas.

"- Et t'es sûr que ça te dérange pas si j'y vais ?" demande-t-elle encore.

Ils avaient prévus de sortir s'amuser ensemble, comme ça n'était pas arrivé depuis un moment, mais le boulot et les boucles blondes de Valentina Herwig en avaient, cependant, décidés autrement et, résolu à ne pas décevoir ni incommoder sa patronne, Adam avait décidé de ne pas sortir pour rattraper le retard de la semaine. Victoria avait donc, dans un premier temps, hésité à rester à l'appartement, avant que le quadragénaire ne l'enjoigne à sortir profiter de son samedi soir, laissant "sa vieille carcasse faire des choses d'adultes" pendant qu'elle pouvait "encore profiter de sa jeunesse". Comme si elle n'était pas, elle aussi, une adulte. Une adulte qui, toutefois, ne ramène pas de boulot à la maison et qui, quand elle a finit ses heures, n'a plus aucune responsabilité pesant sur ses épaules.

"- A tout à l'heure alors. J'rentrerai pas tard !"

C'est comme ça qu'elle avait prit la direction de St-Georg, seule, en "abandonnant les faibles" avait-elle entendu avant de claquer la porte sur le rire de son colocataire. Toujours le mot pour rire. C'était sûrement une des raisons qui faisaient que malgré leur écart d'âge, la vie ensemble fonctionnait plutôt bien malgré leurs défauts respectifs comme son "bordel organisé" personnel qui avait le don de faire lever au ciel les yeux du quadragénaire.

En arrivant dans l'un des quartiers les plus chauds de la ville, mais aussi le plus inclusif, celui où l'on se sent sans aucun doute le plus libre d'être soi-même, elle marche rapidement jusqu'à un bar dans lequel elle a ses habitudes, projetant d'y boire un verre pour commencer sa soirée avant de rejoindre une boîte de nuit ou une autre. Le temps de prendre un verre, elle s'intégrerait peut-être à une bande de potes ou un ami répondrait à ses messages. Elle est comme ça, Vicky, à ne pas se prendre la tête. A y aller au culot. A lancer des plans au dernier moment un samedi soir. A revoir ses plans, aussi. Surtout quand son regard, dans la foule, aperçoit une silhouette bien connue qu'elle rejoint sans même s'être souciée de savoir si cette personne est seule ou accompagnée. La chair de poule qui couvre ses bras ne l'aurait de toute façon pas empêché de le rejoindre, même s'il était accompagné. Le culot, toujours. La sociabilité, diraient d'autres. L'idée que la vie est trop courte pour les barrières, surtout. Sa maxime.

"- Hey ! J'me disais bien qu'j'avais aperçu un beau gosse." souffle-t-elle en arrivant à sa hauteur, l'interpelant ainsi. "Tu vas bien ?"

S'il traine ici, c'est qu'il se porte comme un charme, dit-il, affirmant qu'elle le sait très bien. À vrai dire elle s'en doutait, mais elle ne pouvait pas non plus en être sûre. Combien de personnes font semblant d'aller bien et viennent socialiser dans ses bars et des boîtes, juste dans l'espoir de se sentir mieux ? Bien trop de monde sûrement. Les gens sont pour beaucoup plus malheureux qu'il n'y paraît. Une majorité, du reste, sont responsables de leur propre détresse, en désirant toujours ce qu'ils n'ont pas sans jamais apprécier ce qu'ils ont. Elle ne peut pas leur jeter la pierre, elle est sûrement comme ça elle aussi, parfois.

”- Mais j'aime te l'entendre dire.” se justifie-t-elle avec un de ces sourires enjôleurs dont elle a le secret, un de ceux qu'elle ne réserve qu'à lui.

Il est une énigme. Une énigme qu'elle ne comprend pas tout à fait. Victoria est sûre de lui faire de l'effet, sûre de lui plaire. Pourtant, Rainer ne craque pas. Parfois, elle a l'impression qu'il est tout proche de le faire, de laisser s'exprimer cette alchimie, de consommer cette tension qu'il y a entre eux, qu'elle croit sentir en tout cas. Mais ce n'est jamais le cas. Il semble toujours que quelque chose l'en empêche. Quelque chose qu'elle ne sait pas vraiment identifier. Si elle savait que c'était la faute d'Adam… si elle savait que c'était lui qui interférait dans ses affaires… comme elle serait en colère. Comme elle lui en voudrait. C'est sûrement, d'ailleurs, la raison pour laquelle elle n'est pas au courant. La raison pour laquelle elle n'en sait rien. La raison pour laquelle son charmant colocataire ne s'en est pas vanté auprès d'elle. Parce qu'il sait qu'elle le prendrait mal. Parce qu'il sait que Victoria n'aime pas se faire imposer quoi que ce soit. Il sait surtout qu'elle est féministe et qu'elle entend pouvoir décider de sa vie pour elle-même, par elle-même, comme n'importe qui.

”- Ça va, merci ! Et non, il avait pas mal de travail en retard alors… Avant que sa jolie patronne ne lui tire les oreilles, il a préféré sacrifier sa soirée.” annonce-t-elle en plaisantant avant que son sourire ne s'élargisse. ”Même si, tout à fait entre toi et moi, je suis à peu près sûre qu'il aimerait beaucoup se faire corriger par la jolie Madame Herwig.” lâche-t-elle sur le ton de la confidence.

À vrai dire, si ça ne l'est pas pour elle, alors ce n'est pas non plus vraiment un secret pour Ray qu'Adam ait des vues sur la jolie blonde divorcée régnant en maîtresse sur les locaux de Cosmo.

”- Je vois que tu as déjà de quoi boire.” souffle-t-elle en jetant un regard à son verre, oubliant son colocataire. ”Tu permets que je t'accompagne ?”

Il est certain que prendre sa soirée - et la perdre - pour avancer ses dossiers et rattraper le retard accumulé n’est pas un gros sacrifice pour Adam. Ils ont bien conscience, l’un comme l’autre, que ce dernier a des vues sur la jolie blonde qui lui sert de patronne, mais il faut dire que bien qu’il continu de coucher de droite et de gauche, ne voulant pas se poser au regard de son passé, il ne s’en cache pas vraiment même si d’un autre côté il continu de fermer les yeux lui-même sur tout ça, encore traumatisé par son passé et les événements qu’il a pu vivre avec ses précédentes relations.

”- Bah tu vois, puisque t’en parles, la vérité c’est qu’il préfère les donner. Une chance que… j’aime ça.” souffle-t-elle en lui adressant un clin d’oeil pour appuyer ses mots.

Elle lance ça comme ça, sa langue caressant presque chaque mot pour laisser à l'homme tout le loisir de s’imaginer lui donner lui-même cette fameuse fessée dont il parle. Aucun sous-entendu ici, la vérité nue, crue, celle que l’on a tendance à trouver vulgaire dans la bouche des filles et qui n’est pourtant que la réalité. Une réalité que la demoiselle ne voit pas pourquoi elle cacherait. Une réalité qu’elle croque à pleine dent. Si les hommes ont le droit de vivre leur sexualité pleinement et de s’épanouir dans celle-ci sans que personne ne trouve rien à y redire, au contraire, elle entend vivre de la même façon. Profiter sans se poser de questions. Profiter sans se réfreiner sous prétexte que, née femme, elle devrait se complaire à n’être que le faire-valoir délicat et poli d’un homme quelconque. Hors de question. Elle ne sera jamais une jolie petite poupée de salon que l’on expose comme un trophée et qui sert aimablement des cocktails en affichant sur ses lèvres un sourire potiche, s’oubliant au profit de sa famille. Ce n’est pas elle, même si elle ne juge pas le fait que certaines puissent rêver de ça. Que les femmes sont libres de suivre ce qui leur fait envie sans être jugée dans un sens ni dans l’autre pour leur choix, voilà tout ce à quoi elle aspire.

”- C’est toujours ce qu’on dit.” réplique-t-elle avec humour quand l'homme affirme que son verre n’est que le premier de sa soirée. Non pas qu’elle ne le croit pas mais… Victoria est du genre taquine, ce n’est pas une nouveauté, il n’en sera pas surpris. A force, il la connaît. Au moins un peu, en tout cas. ”Seulement si tu me laisse offrir le suivant.” accepte-t-elle avant de s’orienter sur un whisky coca.

Quand il mentionne le fait qu’elle a gâché le seul plan potable qu’il pouvait espérer séduire ce soir, elle lève un sourcil avant de suivre la direction de son regard, tombant sur une petite blonde qui, effectivement, darde sur elle un regard assassin. Victoria l'analyse rapidement, silencieusement, jusqu’à ce qu’il lui donne un petit coup d’épaule. Ouai, elle s’est fait une pote c’est clair. Cette fille aussi, du reste. En la dévisageant, Victoria soutient son regard, jusqu’à ce que la fille détourne le sien, puis elle se retourne vers son interlocuteur.

”- Si elle te voulait, elle n’avait qu’à approcher. Mais elle l’aurait pas fait.” souffle la brune en jetant un nouveau regard en direction de la fille, occupée à jouer avec ses cheveux. ”C'est le genre de filles qui préfère se faire aborder plutôt que l’inverse.” affirme-t-elle, sûre d’elle. Sûrement une question d'égo à flatter. Une fille qui veut se sentir désirée, peut-être même rassurée mais... mais qui ne sait pas saisir ce qu'elle veut. ”J’espère que si tu la penses être “la seule” c’est parce que tu me places dans une catégorie au-dessus du potable.”

Elle lui décoche un sourire dont elle a le secret, à mi-chemin entre la séduction et l’amusement. Elle est presque sûre qu’il la trouve plus que potable mais… parfois elle doit l’avouer, Ray est doué pour souffler le chaud et le froid.

”- Techniquement, j’ai trébuché dans son escalier pendant la visite, il m’a rattrapé et a décidé de me montrer sa chambre donc… Je suis tout à fait innocente en ce qui concerne la mort de ses principes. C’est lui qui a quand-même essayé d’me tuer avant de masquer son crime comme il pouvait !” remarque la demoiselle en riant.

Ouai, elle sait, elle sait qu’avec Adam ils ont un parcours particulier. D’abord amants d’une nuit après s’être croisés en boîte, le hasard a voulu qu’elle réponde à son annonce quand il cherchait une colocataire. Il avait eut l’idée de décréter qu’il ne devait pas y avoir de sexe entre eux, du moins plus, entre autre choses mais… Cette règle n’avait pas vraiment tenue. Ils l’avaient réduite à néant avant même qu’elle emménage et par la suite, il y avait eu quelques manquements. Il avait eu peur de s’attacher, de prendre un risque s’ils devenaient trop réguliers alors qu’ils vivaient ensemble mais… Finalement, il n’avait jamais été question de ça entre eux, même s’ils s’entendaient à merveille. Ils n’en avaient eu envie ni l’un ni l’autre.

”- Après tout ?”

Elle doit bien avouer qu’elle accuse le coup et que son sourire vacille comme l’homme fait remarquer qu’après tout, elle peut se montrer convainquante, ce qui ne semble pas être une certitude. Il est vrai qu’avec lui, elle n’y arrive pas. Qu’elle est au point mort, même. Et c’est le genre de remarques qui sème la zizanie dans son esprit, qui la perd. Elle ne sait pas. Elle ne sait pas si elle a une chance d’arriver à quoi que ce soit avec lui, quand il dit ce genre de choses. Parfois, c’est le genre de petite pique qui lui fait penser qu’elle devrait abandonner. Mais ce n’est pas d’elle, de baisser les bras. A croire que quand on s’appelle Victoria, on ne peut pas accepter la défaite.

”- Tant mieux”

Il affirme que ce n’est pas son dernier verre et qu’il passera avec plaisir un peu de temps avec elle, ce qui concours à la réconforter, permettant à son assurance naturelle de se redresser aussi rapidement que si elle n’avait jamais vacillé. Il parle tout de même d’apprécier sa compagnie, ce qui n’est pas rien comme aveux et qui lui tire même un sourire. Elle aime l’idée de lui être agréable, l’idée qu’il aime bien passer du temps avec elle. Avec le temps, il voudra peut-être en passer d’avantage. Avec toute cette tension qu’elle ressent, peut-il en être autrement ?

Elle dévisage la fille qu’elle semble avoir incommodé par son arrivée, sans sembler particulièrement désolée d’avoir brisé les chances du quadragénaire avec cette blonde dont, évaluant l’allure, Victoria détermine rapidement qu’elle ne se serait de toute façon pas approchée. Cette fille en face d’eux, comme beaucoup d'autres, aime se faire séduire, aime se faire draguer. Un jeu pour flatter son égo. Rien de plus. Ce ne sont pas les mêmes enjeux. Cette fille, elle veut sûrement juste pouvoir se dire qu’elle s’est faite aborder par un bel homme. Qu’elle a été vue. Qu’elle a plu.

”- Je sais ce que je veux.” souffle-t-elle en l’observant sérieusement, ayant tourné la tête vers lui.. ”Et flatter mon égo n’en fait pas partie.” elle hausse les épaules en regardant de nouveau la fille. ”Tu vois ? Elle fait encore son truc là, avec sa main dans ses cheveux. C’qu’elle veut, c’est qu’on la remarque. Et c’est réussi parce que, je te l’accorde, elle est plutôt pas mal…”

En tout cas, elle espère que si cette fille est la seule “potable” comme il dit, c’est qu’il la place dans une meilleure catégorie. Mais il semble affirmer que non, en demandant si elle serait vraiment contrariée. Elle pourrait mentir, le laisser douter. Le manipuler un peu, finalement, en le déstabilisant mais elle préfère la voie de l’honnêteté, en récupérant son verre.

”- Oui… Terriblement.” qu’elle murmure sans le regarder pourtant, faisant mine de s’intéresser à son verre.

Heureusement, il revient rapidement sur ses mots, affirmant qu’elle serait une catégorie à part entière et elle lève un sourcil, un brin incertaine de ce que cela veut dire. Doit-elle le prendre comme quelque chose de positif, comme un compliment ou …. pas du tout ? Parce que cette catégorie à part entière, si c’est elle qui dit “jamais de la vie”, elle n’est pas sûre d’en vouloir. Elle espère que ce n’est pas ça. Mais souffler le chaud et le froid, la déstabiliser, c’est un petit jeu qui semble l’amuser, lui.  

Prenant une gorgée de sa boisson, elle garde son regard rivé sur le comptoir quelques secondes. Il ne parle pas, elle non plus. Et cela reste ainsi pendant une poignée de secondes, Victoria ayant besoin de temps pour analyser la situation, pour peser le pour et le contre de la question qui lui brûle les lèvres et finit par sortir.

”- Une catégorie à part entière ? Et c’est une bonne, ou une mauvaise chose ?”